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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 7 février 2003, n° 2003-01836

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Visual (Sté)

Défendeur :

Alain Afflelou Franchiseur (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cuinat

Conseillers :

M. Seltensperger, Mme Taillandier

Avoués :

SCP Duboscq-Pellerin, SCP Hardouin

Avocats :

Mes Lafarge, Sulzer.

T. com. Paris, prés., du 22 janv. 2003

22 janvier 2003

Statuant sur l'appel formé par la société Visual d'une ordonnance de référé rendue le 22 janvier 2003 par le président du Tribunal de commerce de Paris qui a :

- dit la société Alain Afflelou Franchiseur recevable en sa demande,

- prononcé l'interdiction de la diffusion en l'état du film conçu par l'agence Enjoy-Scher-Lafarge pour le compte de la société Visual, ainsi que la reproduction de tout ou partie de ce film par voie d'affichage, d'encarts publicitaires dans la presse nationale ou régionale et/ou de messages radio et ce, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de 48 heures suivant la signification de la présente ordonnance,

- maintenu le droit de publication des images mais fait interdiction à la société Visual d'y associer tout message de nature à dénigrer le concept de vente "2 pour 1",

- rejeté le surplus des demandes,

- laissé à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles,

- condamné la partie défenderesse aux dépens.

Vu les écritures en date du 23 janvier 2003 de la société Visual, appelante, qui demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, de dire la société Alain Afflelou Franchiseur dépourvue d'intérêt à agir, dire n'y avoir lieu à référé, condamner l'intimée à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les écritures en date du 30 janvier 2003 de la société Alain Afflelou Franchiseur, intimée, qui demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise, et de condamner la société Visual à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens ;

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il est constant que la société Visual a entrepris la production et la diffusion, notamment sur les chaînes de télévision, d'un film publicitaire destiné à venter les mérites de sa marque et de ses produits que ce film comporte les images du pare-brise d'une carcasse de voiture, de la porte vitrée d'une rôtissoire de boucherie pleine de poulets, d'un vivarium rempli de serpents, de culots de bouteilles entreposées dans une arrière-cour, d'une cabine de peep-show et d'une lunette de toilettes attaquée par le calcaire et est accompagné du texte suivant :

"Quand on vous offre une seconde paire de lunettes, êtes-vous toujours sûrs de la qualité des verres ?

Visual

Opticiens

Vous allez voir la différence"

Que la société intimée, invoquant le caractère dénigrant à son encontre de cette publicité et le trouble manifestement illicite qui en résulte, a sollicité et obtenu du juge des référés l'interdiction de la diffusion de celle-ci ;

Considérant que l'appelante fait valoir que la société Alain Afflelou Franchiseur ne justifie pas de son intérêt à agir, n'étant pas identifiable dans la publicité incriminée, puisqu'elle n'y est pas citée nommément et qu'elle ne peut prétendre y être directement visée, la quasi-totalité des entreprises du marché de la lunette de vue pratiquant l'offre promotionnelle "2 pour 1" de deux paires de lunettes pour le prix d'une seule qu'elle soutient que le caractère dénigrant de la publicité concernée n'est nullement établi, compte tenu de la nature du message diffusé, de sa forme interrogative et de son aspect hyperbolique et caricatural et invoque le droit à une exception de vérité en matière publicitaire, soutenant que les questions que pose son message publicitaire sont justifiées et légitimes, s'agissant de la santé publique qu'elle soutient, enfin, l'absence de préjudice avéré de la société Alain Afflelou Franchiseur ;

Considérant que la société intimée soutient avoir qualité à agir, la publicité critiquée la visant de façon manifeste puisque c'est bien elle qui a développé à compter de 1999, sur une grande échelle, le concept innovant de l'offre "2 pour 1" par une très importante campagne publicitaire que le dénigrement est en l'espèce caractérisé puisque les questions posées aux consommateurs sont accompagnées d'images particulièrement grossières et dévalorisantes, que les allégations portées sont sans fondement et mensongères et ne répondent à aucun intérêt collectif de défense de la santé publique que son préjudice est évident et qu'elle en justifie par la production de courriers d'opticiens de son réseau ;

Considérant, sur l'intérêt à agir de la société Alain Afflelou Franchiseur, que ce moyen ne saurait être examiné séparément de la question de fond posée à la cour et relative à l'existence d'un comportement dénigrant de l'appelante envers l'intimée ;

Considérant que sur le dénigrement invoqué, il résulte des éléments produits par les parties que le film incriminé ne vise pas expressément la société appelante et se contente d'interroger le consommateur sur la pratique commerciale de l'offre de deux paires de lunettes de vue pour le prix d'une ;

Que contrairement à ce qu'affirme la société Alain Afflelou Franchiseur, celle-ci n'est pas à l'origine de cette pratique et qu'elle n'en a nullement l'exclusivité puisqu'aussi bien, ce concept a été utilisé dès 1993 par la société Optic 2000 et que la presque totalité des entreprises d'optique médicale présentent des offres du même type ;

Que c'est à tort qu'elle revendique une notoriété particulière dans ce domaine qui n'est nullement établie, outre qu'elle n'apparaît pas bien fondée à invoquer un budget d'une exceptionnelle importance pour s'attribuer une quasi-exclusivité sur le concept publicitaire en cause ;

Considérant que si la notion de dénigrement peut être retenue, même en l'absence de désignation du concurrent visé, encore faut-il que celui-ci puisse être identifié de façon certaine et que la critique éventuellement contenue dans le message publicitaire ne présente pas un caractère particulièrement général et collectif ;

Que force est de constater qu'en l'espèce, le film critiqué est relatif au concept général de la vente promotionnelle "2 pour 1" et qu'il n'incrimine pas une entreprise plus qu'une autre ;

Considérant, par ailleurs, que constituent des actes de dénigrement, les actes destinés à jeter le discrédit sur un concurrent, notamment par la diffusion d'informations malveillantes sur celui-ci ;

Qu'outre le fait que la société Alain Afflelou Franchiseur n'est pas citée dans le film en cause, il doit être constaté que le message diffusé l'est sous la forme interrogative et comporte, par l'usage du mot "toujours" des réserves quant à la pratique critiquée ;

Qu'il ne peut être nié le caractère outrancier et caricatural des images réalisées et qu'une lecture au second degré s'impose nécessairement et est, dès lors, propre à faire disparaître l'intention malveillante ;

Considérant qu'au surplus, l'avis du Bureau de Vérification de la Publicité qui n'a, en l'espèce, aucun caractère déterminant, n'apporte pas plus d'éléments de preuve à l'appui du dénigrement, ce service ayant donné un avis favorable à la publicité en cause, en se contentant d'émettre des réserves quant aux possibles réactions négatives des concurrents ;

Considérant qu'ainsi, sans que soit retenu le moyen tiré d'une prétendue exception de vérité en matière publicitaire et du droit de la société Visual, société commerciale dont le but est principalement de promouvoir ses propres produits, à défendre l'intérêt des consommateurs, il apparaît que le dénigrement à son encontre soutenu par la société intimée n'est pas établi avec l'évidence requise en référé et que le trouble manifestement illicite invoqué n'est pas constitué ;

Que l'ordonnance entreprise sera, en conséquence, infirmée en toutes ses dispositions ;

Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'appelante ;

Que l'intimée qui succombe en ses prétentions sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ;

Par ces motifs : Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ; Statuant à nouveau: Dit n'y avoir lieu à référé ; Déboute la société Alain Afflelou Franchiseur de ses demandes; La Condamne à payer à la société Visual la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La Condamne aux dépens de première instance et d'appel; admet la SCP Duboscq & Pellerin au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.