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Décisions

CA Lyon, audience solennelle, 5 mars 2001, n° 1999-04643

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rhone Chimie Industrie (SA)

Défendeur :

ZEP Industries SAS (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauviré

Conseillers :

MM. Durand, Gourd, M. Simon

Avoués :

SCP Junillon-Wicky, Me Ligier de Mauroy

Avocats :

Mes Pierrin, Rey

Nîmes, du 26 sept. 1996

26 septembre 1996

Faits - Procédure - Prétentions des parties

Les sociétés Rhone-Chimie Industrie (RCI) et Research Development Industries (RDI) qui fabriquent et commercialisent des produits chimiques sont en situation de concurrence en France et dans les départements et territoires d'Outre-Mer.

Les 22, 23, 24 et 25 février 1993 des VRP de RA Messieurs Boulepiquante (représentant pour les Landes et la Nouvelle-Calédonie), Chlebowsky (Gironde), Paul (Hautes-Pyrénées, Guadeloupe et Guyane), Biescas (Pyrénées-Atlantiques) ont démissionné de leurs fonctions à RDJ et le 22 mars 1993 ont été embauchés par RCI avec les mêmes fonctions et affectés dans les mêmes secteurs géographiques.

Les 10 mars 1993 et 27 septembre 1993 Françoise Menant, secrétaire commerciale de RDI et Monsieur Jeannes VRP ont démissionné de leurs fonctions à RDI et ont été embauchés par RCJ respectivement les 23 mars 1993 et en décembre 1993.

Par un courrier recommandé reçu le 25 mars 1993 la société RDI a indiqué à la société RDI que Messieurs Biescas, Paul, Boulepiquante et Chlebowsky étaient tenus par une clause de non-concurrence et qu'ailleurs était donc interdit de prospecter la clientèle qu'ils prospectaient précédemment.

Le 13 janvier 1994 la société RDI a fait assigner la société RCI devant le Tribunal de commerce d'Annonay en concurrence déloyale et aux fins de paiement d'une somme de 1 million de francs et d'organisation d'une expertise.

La société RCI s'est opposée aux demandes.

Par jugement du 22 juillet 1994 le tribunal a condamné la société RCI à payer à la société RDI la somme de 275 000 F à titre provisionnel pour concurrence déloyale, a ordonné une expertise sur l'évaluation du préjudice.

Sur l'appel de la société RCI la Cour d'appel de Nîmes a déclaré irrecevables l'action en intervention forcée dirigée contre Messieurs Paul, Biescas, Boulepiquante et Jeannes et non fondée celle dirigée contre Madame Menant et Monsieur Chlebowsky, a confirmé par des motifs propres le jugement sauf à dire que la société RDI supportera pour moitié le préjudice dont elle a été victime du fait de la société RCI.

Sur le pourvoi formé par la société RCI, la Cour de cassation a, par arrêt du 9 mars 1999, cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 26 septembre 1996, a remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le dit arrêt et pour être fait droit les a renvoyées devant la Cour d'appel de Lyon.

La juridiction de renvoi a été saisie le 7 juillet 1999 par déclaration de la société RCI.

L'appelante expose que le litige doit être apprécié en tenant compte de la situation de la société RDI avant le départ des VRP; que remaniée et intégrée dans un groupe dénommé Graham, dont font partie les sociétés LCI et Resolve, la société RDI avait une situation financière catastrophique ce qui ne pouvait que semer le trouble au sein de l'équipe dirigeante et des VRP; que la décision des VRP, de changer d'employeur pour exercer une même activité auprès d'une société commercialisant des produits voisins s'imposait et à même été directement suscitée par la direction de RDI.

Sur la similitude des appellations des produits concurrents, la société RCI soutient qu'aucune des marques citées dans le tableau comparatif de l'intimée, qui ne comporte qu'une dizaine de produits sur plusieurs centaines, n'est identique et ne correspond au même produit ou au même conditionnement.

Sur le débauchage massif de salariés, l'appelant souligne que l'activité des VRP chez RDI, était caractérisée par une grande mobilité du personnel fait valoir qu'il n'y a pas de faute à embaucher un ou plusieurs salariés qui viennent de démissionner de chez un concurrent à fortiori lorsque ces salariés ne sont pas liés par des clauses de non concurrence valables qu'il était logique que les représentants soient affectés à la région où ils avalent l'habitude de travailler; que le recrutement des salariés de RDI n'était pas de nature à désorganiser l'entreprise; qu'ainsi la Cour d'appel de Rennes a rendu le 30 janvier 1985 un arrêt concernant la société RDI, dans une espèce quasi identique qui rappelle qu'il ne peut y avoir concurrence déloyale sans la preuve de manœuvres notamment si les VRP ont quitté leur employeur pour une raison légitime; qu'en l'espèce les VRP avaient objectivement toutes les raisons de quitter leur employeur: désorganisation de l'entreprise, pas d'exclusivité, démarchage des sociétés filiales et surtout transfert des VRP organisé par Monsieur Baillet, directeur commercial de RDI, la concluante s'étant contentée de répondre à cette sollicitation.

L'appelante conclut au rejet des demandes et sollicite la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société ZEP Industries venant aux droits de la société RDI conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré que la société RCI avait commis un acte de concurrence déloyale en embauchant Messieurs Paul, Biescas, Chlebowski et Boulepiquante, sans s'enquérir de leur situation professionnelle et en violation des engagements qu'ils avaient vis-à-vis de leur ancien employeur, en ce qu'il a alloué une provision de 275 000 F et la désignation d'un expert, à ce qu'il soit dit, ajoutant au jugement, que RCJ s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale en procédant à l'embauche de Madame Menant, puis de Monsieur Jeannes et en confiant aux anciens représentants les mêmes territoires que ceux qu'ils démarchaient auparavant afin de vendre des produits commercialisés sous des appellations identiques ou suffisamment voisines pour entraîner la confusion dans l'esprit de la clientèle, au renvoi devant le Tribunal de commerce d'Annonay pour la liquidation du préjudice.

L'intimée soutient que malgré la nullité prononcée par le Conseil de prud'hommes de Tarbes et confirmée par la Cour d'appel de Pau, des clauses de non-concurrence stipulées aux contrats de Messieurs Paul et Biescas, la convention collective des VRP applicable aux rapports contractuels entre RDI et les quatre VRP démissionnaires prévoit une clause d'interdiction de concurrence pendant deux ans à compter de la rupture et pour les secteurs visités par le représentant; qu'ainsi elle a respecté la Convention collective contrairement à ses représentants ce que ne pouvait ignorer la société RCI.

La société ZEP Industries fait valoir:

- qu'en affectant systématiquement les anciens VRP de RDI sur le territoire qu'ils démarchaient pour son compte préalablement,

- qu'en embauchant quelques jours plus tard la secrétaire commerciale de la société RDI,

- en la laissant écrire à la clientèle de RDI que la société RCI avait "le plaisir de compter désormais parmi ses vendeurs Monsieur Paul... avec lequel vous entreteniez d'excellentes relations dans le passé",

- en débauchant un cinquième représentant Monsieur Jeannes embauché en décembre 1993 la société RCI a procédé à des manœuvres déloyales qui lui ont permis de capter l'essentiel de la clientèle de la société RDI dans le sud de la France alors qu'elle n'avait elle-même aucune implantation précédemment sur ce territoire, ainsi que cela résulte des conclusions de l'expertise, et ceci sans aucun investissement privant ainsi la concluante du bénéfice d'une implantation ancienne et établie.

Sur la similitude de l'appellation des produits, l'intimée estime que le tableau comparatif qu'elle a établi démontre la volonté de confusion entretenue par la société RCI; qu'elle justifie de l'antériorité de ses produits sur ceux de la société RDI.

Motifs et décision

Attendu que les parties se réfèrent l'une et l'autre au rapport de Monsieur de Rocquigny expert désigné par le tribunal; que l'expert souligne le rôle primordial joué par les représentants des fonds de commerce des deux sociétés concurrentes ; qu'il considère "que les sociétés RDI et RCI sont dépendantes d'un point de vue commercial de leurs propres représentants qui contrôlent chacun dans leurs secteurs respectifs leurs fonds de commerce, particularité renforcée par l'appartenance à certaines milieux socio-professionnels, culturels ou sportifs, comme le monde du rugby dans le Sud-Ouest de la France";

Qu'il indique que la société RCI n'était pas présente dans les secteurs de Messieurs Paul, Biescas, Chlebowsky et Boulepiquante, composés de quatre départements limitrophes du Sud-Ouest (Gironde, Landes, Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Atlantiques);

Qu'il estime que dans les Dom-Tom la société RDI n'a subi aucun préjudice;

Qu'après étude du chiffre d'affaires réalisé par RDI sur les quatre secteurs concernés du 1er janvier 1991 au 28 février 1993 puis du 1er mars 1993 au 31 octobre 1994 il a estimé à 400 500 F par mois la perte de chiffre d'affaires pour les quatre secteurs; qu'en fonction d'un chiffre d'affaires d'une durée de vingt-quatre mois, d'un taux de marge nette avant impôt de 25 %, d'un abattement de 50 % du fait de la part de RDI dans la responsabilité dans la perte de chiffre d'affaires l'expert a estimé le préjudice à 800 000 F pour les secteurs des quatre VRP et à 235 000 F pour le secteur de Monsieur Jeannes ;

Que les auditions des responsables des deux sociétés ont permis à l'expert de relever qu'une réunion s'était tenue à Bordeaux entre Monsieur Baillet, directeur commercial de RDI et Messieurs Ravel et Laurisse directeurs financier et commercial de RCI, au cours de laquelle Monsieur Baillet qui refusait de travailler pour un actionnaire américain, a proposé ses services à RCI et ceux d'une quinzaine de VRP dont les quatre représentants en cause;

Que l'expert a indiqué que selon Mesdames Brunot et Jerra, responsables commerciales de RDI, Monsieur Baillet soupçonné d'avoir eu des contacts avec RCI, a tardé à trouver des remplaçants aux VRP démissionnaires;

Sur les actes de concurrence déloyale

Attendu que les départs concomitants des représentants de RDI de quatre départements limitrophes du Sud-Ouest et leur embauche simultanée dans les mêmes secteurs, le 22 mars 1993, par la société RCI qui ne disposait d'aucun représentant dans ces départements ont été organisés de concert, avec la société RCI à la suite de la réunion de Bordeaux; que compte tenu du rôle primordial relevé par l'expert et non contesté par les parties, joué par les VRP dans leurs secteurs qui fait que les sociétés RDI et RCL sont dépendantes de leurs représentants ces départs et ces embauches visaient à désorganiser dans quatre départements limitrophes la société concurrente RDI et à détourner sa clientèle et ont abouti effectivement à ces résultats;

Qu'en effet, comme l'intimée le souligne, le rapport d'expertise fait état d'éléments non contestés par l'appelante selon lesquels la société RCI "a récupéré environ 66 % de son chiffre d'affaires de la société RDI; que les quatre représentants ont réalisé en 1993 et 1994 de 49 % à 85 % de leur chiffre d'affaires chez RCI auprès de clients avec lesquels ils avaient réalisé de 70 % à 95 % de leur chiffre d'affaires 1992 chez RDI";

Attendu que la société RDI a connu d'une part avant 1993 de mauvais résultats financiers expliqués selon l'expertise par des investissements malheureux qui l'ont contrainte à soutenir financièrement ses filiales canadienne et espagnole, d'autre part une période d'indécision dans sa direction liée à sa cession en 1992 à un groupe américain;

Que cependant il n'est pas démontré que ces difficultés aient été de nature à menacer l'emploi des quatre représentants d'une même région et les aient conduit à passer à la concurrence ; qu'en effet rémunérés à la commission de 20 à 25 % de leur chiffre d'affaires avec un salaire fixe faible les quatre représentants ont réalisé en 1991 et 1992 des chiffres d'affaires importants qui ne révélaient aucune dégradation de leur activité économique;

Attendu que l'appelante ne démontre pas que l'activité des VRP était soumise à une grande mobilité du personnel;

Attendu qu'il apparaît ainsi que c'est à l'initiative concertée des dirigeants de la société RCI, de Monsieur Baillet, ancien responsable commercial pour le Sud-Ouest de la société RDI, que le débauchage des quatre VRP du Sud-Ouest a été organisé ; qu'au surplus les dirigeants de la société RCI ont sciemment méconnu la clause de non-concurrence, portée à leur connaissance le 25 mars 1993, à laquelle étaient tenus Messieurs Boulepiquante et Chlebowsky; que le débauchage illicite des quatre représentants et l'embauche de deux de ces représentants tenus par une clause de non-concurrence constituent des actes de concurrence déloyale qui ont causé un préjudice à la Ssciété RDI.

Attendu qu'engagée le 23 mars 1993 par la société RCI après sa démission le 10 mars, Madame Menant secrétaire commerciale de RDI a été manifestement débauchée par la même action concertée que les quatre VRP; que cependant il n'est ni allégué ni démontré que Madame Menant, affectée selon la société RCI au service import-export, ait eu une activité pour la métropole; que les courriers de débauchage de la clientèle qu'elle a rédigés ont été envoyés en Guadeloupe et en Martinique (outre la Côte d'Ivoire) départements dans lesquels l'expert a estimé sans être démenti que la société RDI n'avait subi aucun préjudice du fait du débauchage de ses représentants;

Que dès lors l'action en concurrence déloyale par débauchage de Madame Menant sera rejetée;

Attendu que l'expert a relevé que Monsieur Jeannes, VRP et RDI pour le Finistère, qui a démissionné le 27 septembre 1993 et a été embauché par RCI en décembre 1993 a été affecté à un secteur limitrophe de celui dont il avait la charge; que toutes les mesures appropriées ont été prises par la direction générale de la société RDI pour faire face à sa démission;

Attendu qu'il n'est pas démontré que la démission de Monsieur Jeannes, intervenue sept mois après celle des autres VRP dans un secteur éloigné des leurs, et son embauche dans un secteur limitrophe de celui qu'il avait en charge, aient procédé de la même action concertée que celle des quatre représentants, et qu'ils aient eu pour but et pour résultat de désorganiser la société RDI; que dès lors l'action en concurrence déloyale pour débauchage de Monsieur Jeannes sera rejetée;

Sur la similitude de l'appellation des produits

Attendu que la société intimée justifie que les appellations de dix de ses produits figurant sur le tableau comparatif établi dans ses conclusions ont été reproduites par la société RCI soit intégralement (Lubral, Multinet, Insectivor Aerosol) soit presque totalement Decalix - Decali, Solipeint - Solpeint (peintures de sol) Reflex - Reflect, Protect All - Protectol, Lubale - Lubral) ; que le nom du produit Lutor fabriqué par la société RCI du groupe Graham et commercialisé par RDI a été intégralement imité;

Attendu que la société ZEP Industries justifie des dates de commercialisation de ces produits, toutes antérieures aux dates d'édition des catalogues de la société RCI sur lesquels apparaissent les mêmes noms des produits litigieux, dates incertaines mais attestées le 19 octobre 2000 comme "sincères et exactes" par la société RCI.

Attendu que l'imitation par la société RCI de l'appellation de dix produits de la société RDI, dont les noms ne répondent pas à une nécessité technique, a visé à créer une confusion dans l'esprit du public entre les produits des deux entreprises et à entretenir de ce fait une confusion entre les deux sociétés concurrentes auprès de la clientèle; que de ce fait la société RDI a nécessairement perdu des clients et subi ainsi un préjudice, distinct de celui-ci qui a été causé par le débauchage illicite; qu'il appartiendra à l'intimée de justifier du montant de ce préjudice;

Attendu que non contestée par les parties qui, dans leurs conclusions, ont utilisé des éléments de l'expertise au soutien de leur argumentation, la mesure d'instruction ordonnée par le tribunal sera confirmée ;

Attendu qu'au vu des éléments d'appréciation dont dispose la cour le montant de l'indemnité provisionnelle allouée à l'intimée a été exactement évalué par les premiers juges ;

Attendu que les parties n'ayant pas conclu sur le montant du préjudice et la société ZEP Industries demandant que la liquidation de son préjudice soit renvoyée devant les premiers juges il sera fait droit à cette demande ;

Par ces motifs, LA COUR : Statuant contradictoirement ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf à dire que les actes de concurrence déloyale ne concernent que Messieurs Boulepiquante et Chlebowsky ; Ajoutant au jugement, Dit que la dociété Rhone-Chimie Industrie a commis à l'encontre de la société Research Development Industries des actes de concurrence déloyale par débauchage illicite des quatre représentants du Sud-Ouest et par imitation de l'appellation de dix produits de la société RDI ; Renvoie l'évaluation du préjudice subi par la société Research Development Industries devant le Tribunal de commerce d'Annonay ; Condamne la société Rhone Chimie Industries aux dépens de première instance et d'appel avec pour ces derniers droit de recouvrement direct au profit de Maître Ligier de Mauroy, avoué.