CA Paris, 4e ch. A, 30 mai 2001, n° 1999-06523
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Diffusion des Ebénistes Contemporains dite Roméo (SA), Espaces Roméo Guérin (SA), Soveca Elysées (SARL), L'Atelier Claude Dalle (SARL)
Défendeur :
Gelineau Xavier (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
M. Lachacinski, Mme Magueur
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Bernabé-Chardin-Chevalier
Avocats :
Mes Lagrave, Goldmann.
La société Gelineau Xavier qui exerce une activité de décoration, d'ébénisterie et de tapisserie déclare avoir créé, fabriqué et commercialisé à partir du mois de septembre 1993, des canapés et fauteuils dénommés "Lidia", qu'elle a vendus au cours des années 1995 et 1996 à des sociétés du groupe Roméo.
Ayant constaté qu'à partir du mois d'octobre 1996, le groupe Roméo commercialisait un modèle intitulé "Mistinguett" qu'elle considère être une contrefaçon du sien, la société Gelineau Xavier, après avoir fait procéder à des saisies contrefaçon les 10, 11, 13 et 14 janvier 1997 au Salon du Meuble et dans les divers locaux des sociétés du groupe Rome, a assigné le 29 janvier 1997 la société Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, la société Les Espaces Roméo Guérin et la société Soveca Elysées et, le 25 septembre 1997, la société L'Atelier Claude Dalle devant le Tribunal de commerce de Paris, sur le fondement tant du droit d'auteur que du droit des modèles, en contrefaçon de son modèle et en paiement, à titre de dommages-intérêts, de la somme provisionnelle de 2 000 000 F, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice et de celle de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 12 février 1999, le tribunal a déclaré les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et L'Atelier Claude Dalle mal fondées en leur exception d'irrecevabilité tirée du défaut de qualité à agir de la société Gelineau Xavier, a dit que le modèle de fauteuil et de canapé "Lidia" était original et digne de protection, a validé les saisies contrefaçon, a déclaré les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et L'Atelier Claude Dalle coupables d'imitation illicite des produits de la société Gelineau Xavier, a ordonné diverses mesures d'interdiction, de confiscation et de publication, a rejeté la demande formée au titre des actes de concurrence déloyale et a condamné ces sociétés solidairement à payer à la société Gelineau Xavier la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR,
Vu l'appel interjeté le 15 mars 1999 par les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et le 18 mars suivant par la société L'Atelier Claude Dalle;
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 avril 2001 aux termes desquelles les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et L'Atelier Claude Dalle sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Gelineau Xavier de son action fondée sur la concurrence déloyale, mais de l'infirmer pour le surplus et de:
- prononcer la nullité des actes de saisies contrefaçon effectués en application de l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle,
- déclarer la société Gelineau Xavier irrecevable et mal fondée en son action fondée sur les dispositions du Livre V du Code de la propriété intellectuelle,
- mettre hors de cause les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo et Les Espaces Roméo Guérin,
- déclarer la société Gelineau Xavier irrecevable et subsidiairement mal fondée en ses demandes formées au titre du droit d'auteur et des dispositions de l'article 1382 du Code civil,
- débouter la société Gelineau Xavier de l'ensemble de ses demandes et la condamnation à leur payer la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières conclusions signifiées le 20 avril 2001 par lesquelles la société Gelineau Xavier poursuit la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celles qui concernent:
- le montant des réparations au titre des actes de contrefaçon qui devra être porté à la somme de 1 000 000 F,
- la réparation qui lui est due au titre des actes de concurrence déloyale qui doivent être indemnisés par une somme de 1 000 000 F,
- la publication du jugement et de l'arrêt à venir dont le montant devra être porté à la somme maximale de 100 000 F,
- le montant des frais irrépétibles qui devra fixé à la somme de 50 000 F;
Sur quoi,
- Sur la validité des saisies contrefaçon
Considérant que pour solliciter l'annulation de la saisie contrefaçon effectuée le 10 janvier 1997, les sociétés appelantes font grief à la société Gelineau Xavier de ne les avoir assignées que le 29 janvier suivant, soit en dehors du délai de quelques jours prévu par l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle;
Considérant que la société Gelineau Xavier réplique que les sociétés sont irrecevables à invoquer un tel moyen qui ne l'a pas été in limine litis devant les premiers juges et que le dernier procès-verbal de contrefaçon ayant été établi le 14 janvier 1997 dans les locaux de la société Diffusion des Ebénistes Contemporains Roméo à Paris, elle a respecté le délai légal prescrit par l'article susvisé;
Mais considérant que la procédure devant le tribunal de commerce étant orale, l'exception de nullité pouvait être soulevée jusqu'à l'audience des plaidoiries;
Que les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées qui n'ont pas soulevé in limine litis devant les premiers juges l'exception qu'elle oppose à la société intimée, sont désormais irrecevables à contester la validité des saisies contrefaçon;
Considérant surabondamment que l'ordonnance a autorisé la société Gelineau Xavier à faire procéder aux opérations de saisie dans quatre endroits différents de Paris;
Que ces opérations, réalisées successivement le 10 janvier 1997 à la porte de Versailles, le 11 janvier 26 avenue des Champs Elysées, le 13 janvier suivant (PV de difficultés, la boutique située 15 rue du Faubourg Saint Antoine et l'entrepôt du 208 de la même rue étant fermés) et le 14 janvier suivant 12 rue du faubourg Saint Antoine participent de la même ordonnance de sorte que l'huissier de justice a épuisé sa saisine par cette dernière constatation qui fixe le point de départ du délai de quinzaine pour assigner prévu par l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle;
Considérant que les sociétés intimées invoquent également la nullité des procès-verbaux de saisie contrefaçon des 10 et 11 janvier 1997 valant saisies réelles rédigés en méconnaissance des termes de l'ordonnance qui n'autorisait qu'une saisie description;
Mais considérant que si ces procès-verbaux comportent effectivement, en en-tête, la mention "valant PV de saisie réelle", la description des objets argués de contrefaçon faite par l'huissier de justice qui n'a, à aucun moment, procédé à leur appréhension réelle, est conforme aux termes de l'ordonnance du 10 janvier 1997;
Que ce moyen sera donc également écarté;
- Sur la validité des droits de la société Gelineau Xavier :
Considérant que les modèles de fauteuil (n° de publication 462.339) et de canapé (n° de publication 462.340) décorés d'accoudoirs en loupe d'orme en arrondi avec décrochement joignant les deux arrondis, l'intérieur desdits accoudoirs étant creux et formant tablette, ont été déposés par la société Gelineau Xavier, le 4 décembre 1996, sous le n° 96.7020 et publiés le 2 mai 1997;
Considérant qu'il n'est pas contesté que ces modèles ont été vendus au cours de l'année 1995 à la société Roméo qui a les a commercialisés, le 18 octobre 1996, dans un quotidien national sous l'appellation "Mistinguett" "Claude Dalle Collection 1930";
Considérant que les sociétés intimées soutiennent que la société Gelineau Xavier n'est pas recevable à agir sur le fondement du droit d'auteur aux motifs que les modèles de fauteuil et de canapé dont elle revendique la protection à ce titre, qui se distinguent par l'arrondi caractéristique de l'accoudoir propre aux meubles des années 1930, ne sont pas originaux;
Mais considérant que la présentation particulière des accoudoirs, dans le style des années 1930, constitués d'une partie inférieure concave et d'une partie supérieure formée de deux arcs de cercle superposés galbés à ligne convexe plus ou moins prononcée et superposée formant tablette, donne aux deux modèles critiqués une physionomie originale qui révèle la personnalité de son créateur et justifie leur protection au titre du droit d'auteur;
Que la protection au titre du Livre I du Code de la propriété intellectuelle doit bénéficier à ces modèles à compter du mois de septembre 1993, date de leur création, comme le démontre l'attestation communiquée datée du 5 septembre 1997, et à tous le moins à compter du mois de janvier 1994 comme le révèlent les photographies portant, d'une part les mentions "Fauteuil Lidia (modèle 94), d'autre part celles de l'établissement qui les a développées "n°64A 01.94 Lacoste Angers";
Que la société Gelineau Xavier qui les a commercialisés sous son nom est donc à l'égard des tiers, présumée titulaire des droits d'auteur sur ces créations qu'elle est fondée à opposer aux sociétés appelantes;
Considérant que celles-ci soutiennent également que les modèles déposés, ne sont pas nouveaux et ne peuvent être protégés en vertu des dispositions du Livre V du Code de la propriété intellectuelle;
Mais considérant que si la société Gelineau Xavier a pu puiser son inspiration dans le fonds commun artistique des créateurs de meubles de 1930, aucun des très nombreux modèles contenus dans les catalogues, revues ou plaquettes communiqués par les sociétés appelantes ne constituent une antériorité de toutes pièces qui serait de nature à ôter tout caractère de nouveauté aux deux modèles déposés, lesquels se singularisent par la forme particulière des accoudoirs ci-dessus décrits;
Que la preuve n'étant pas rapportée que les modèles photographiés annexés au procès-verbal d'huissier du 1er octobre 1998 correspondent aux références figurant sur la facture du 18 avril 1988, les sociétés appelantes ne sauraient valablement opposer à la société Gelineau Xavier les modèles de fauteuil 1227 A manchettes pleines et 1227 B manchettes creuses qui ont été commandés à titre de prototype à la société Pagnutti de Villemandeur;
Que le jugement déféré qui a déclaré le modèle de fauteuil et de canapé protégeable au titre, tant du droit d'auteur, que du droit des modèles doit être confirmé;
- Sur les actes de contrefaçon :
Considérant qu'il résulte des procès-verbaux de saisie contrefaçon et de la publicité figurant dans le journal Le Figaro daté du 18 octobre 1996 que les sociétés appelantes désignées sous l'appellation générique Roméo exerçant dans Paris à 5 adresses différentes ont commis des actes de contrefaçon en copiant servilement le modèle déposé "Lidia" ;
Que le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef;
Considérant que les sociétés appelantes sollicitent, à titre subsidiaire, la réduction du montant des dommages-intérêts mis à leur charge, exposant à partir d'une attestation de leur commissaire aux comptes que le modèle "Mistinguett" - deux canapés et cinq fauteuils correspondant à un prix de vente de 98 000 F - n'a été acheté au cours de l'année 1996 et 1997 qu'auprès de deux fournisseurs IDP et Style Export;
Mais considérant que les déclarations des sociétés appelantes sont contredites par celles faites par le responsable du magasin situé au 2 rue du faubourg Saint Antoine à l'huissier de justice, le 13 janvier 1997, selon lesquelles le modèle Mistinguett "se vendait très bien et plaisait beaucoup", par le comportement de Marc Dalle, directeur, qui a intimé l'ordre à son personnel de ne pas répondre aux questions posées par l'huissier, par le refus opposé par ce même Marc Dalle à l'officier ministériel le 10 janvier 1997 de produire tous documents, notamment les carnets de commande et d'expédition;
Que le tribunal a donc, par une exacte appréciation des faits de la cause, fixé le préjudice subi par la société Gelineau Xavier au titre des actes de contrefaçon à la somme de 500 000 F;
- Sur la concurrence déloyale:
Considérant que la société Gelineau Xavier fait grief aux sociétés appelantes d'avoir commis à son encontre des actes de concurrence déloyale résultant de ce que la commercialisation des meubles "Mistinguett" a semé la confusion au sein de sa clientèle qui s'est détournée de son modèle "Lidia" et d'avoir cherché, alors qu'elles étaient clientes chez elle, à se placer dans son sillage en économisant les frais de création qu'elle a exposés;
Considérant ainsi qu'il résulte des factures nos 14 et 33 datés des 24 février et 7 avril 1995 que la société Roméo commercialisait les modèles de la société Gelineau Xavier ;
Que le fait de mettre sur le marché des modèles contrefaisants en tout point identiques à ceux que commercialisait la société Gelineau Xavier constitue de la part des sociétés Roméo un comportement fautif aggravé par le fait qu'a été copié le modèle de leur ancien client;
Que le préjudice subi par la société Gelineau Xavier doit être fixé à la somme de 200 000 F;
Que le jugement déféré sera donc infirmé en ce sens;
- Sur les autres demandes :
Considérant que la mesure de publication ordonnée par les premiers juges devra faire mention du présent arrêt dans les conditions fixées au dispositif ci-après;
Que les frais d'appel non compris dans les dépens engagés par la société Gelineau Xavier doivent être fixés à la somme de 50 000 F, la demande formée au même titre par les sociétés appelantes devant être rejetée;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y Ajoutant, Condamne in solidum les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et L'Atelier Claude Dalle à payer à la société Gelineau Xavier la somme de 200 000 F au titre des actes de concurrence déloyale ; Autorise la publication du dispositif du jugement déféré, en entier ou par extrait, dans 3 journaux ou revues au choix de la société Gelineau Xavier et aux frais in solidum des sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et L'Atelier Claude Dalle sans que le coût total de ces publications n'excède la somme totale de 100 000 F TTC ; Dit que cette publication devra faire mention du présent arrêt, Déboute les parties de leur autre demande ; Condamne in solidum les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et L'Atelier Claude Dalle à payer à la société Gelineau Xavier la somme de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne in solidum les sociétés Diffusion des Ebénistes Contemporains, dite Roméo, Les Espaces Roméo Guérin, Soveca Elysées et L'Atelier Claude Dalle aux entiers dépens d'appel dont distraction dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.