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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 17 décembre 1999, n° 99-01815

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Marie Brizard Berger Diffusion (SA)

Défendeur :

Berger (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Martin, M. Santelli

Avoués :

SCP Dutrievoz, SCP Aguiraud

Avocats :

Mes Ghinsberg, Genin

CA Lyon n° 99-01815

17 décembre 1999

Faits, procédure et prétentions des parties :

A partir du mois de mai 1998, ont été proposés à la vente des sirops de fruits destinés à une clientèle enfantine dénommés sirop sport, produits par la société anonyme Berger et commercialisés par la société anonyme Marie Brizard Berger Diffusion, dépendant du même groupe. Ces boissons étaient conditionnées dans des bidons métalliques, illustrés de dessins de personnages créés par Walt Disney et surmontés d'une coiffe à l'intérieur de laquelle étaient dissimulée une figurine miniature de la même série, retenue par un opercule et accompagnée d'un message (leaflet) d'information.

Considérant que ces ventes constituaient à son détriment une forme de concurrence déloyale, dès lors que la valeur de la prime excédait la limite imposée par l'article R. 121-8 du Code de la consommation, la société anonyme Teisseire France, fabricant et commercialisant le même genre de produits, a demandé et obtenu du juge des référés l'institution d'une mesure d'expertise, ordonnée et confiée le 28 septembre 1988 à Monsieur Moncorgé, afin de déterminer exactement la valeur de la prime offerte au client. Dans le rapport qu'il a déposé le 9 décembre 1998, cet expert a relevé que, selon la catégorie des figurines utilisées (MFK, LPS, Mulan) et suivant que l'on prenait en compte la valeur de cette seule figurine ou cette valeur augmentée du coût de l'insertion dans la coiffe ou encore cet ensemble augmenté du coût de la coiffe elle-même, la valeur unitaire des primes, toutes taxes comprises, variait de 0,84 F au moins à 1,96 F au plus.

Après y avoir été autorisée, la société Teisseire France a fait assigner le 18 janvier 1999 à date fixe les sociétés Berger et Marie Brizard Berger Diffusion devant le Tribunal de commerce de Lyon, pour obtenir que ces bidons soient retirés de la vente, pour que soit ordonnée une mesure d'expertise portant sur l'évaluation de son préjudice commercial et pour obtenir immédiatement le paiement d'une provision, accompagnée de mesures de publicité. Par un jugement rendu le 2 mars 1999, cette juridiction a considéré qu'il convenait de tenir compte, pour l'évaluation de la prime, de tous les éléments nécessaires à l'utilisation des figurines offertes, et notamment du montant de la redevance versée aux studios Disney, et qu'ainsi, compte tenu par ailleurs des prix de vente unitaires du produit, cette valeur excédait la limite de 7 % autorisée. Le tribunal a condamné en conséquence les sociétés Berger et Marie Brizard Berger Diffusion à faire retirer de la vente les bidons en cause sous astreinte et à payer à leur concurrente une provision d'un million de francs, à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, outre une indemnité de 30 000 F, en ordonnant par ailleurs une mesure d'expertise, pour évaluer ce dommage, ainsi que des mesures de publicité par voie de presse.

Les sociétés Berger et Marie Brizard Berger Diffusion ont relevé appel du jugement, qui était assorti de l'exécution provisoire, le 5 mars 1999, et demandé au Premier Président d'arrêter cette exécution provisoire, ce qui leur fut refusé par une ordonnance du 31 mars 1999, renvoyant l'examen de l'appel à date fixe. Elles soutiennent, tout d'abord, que seule peut être concernée par cette procédure la société Berger, fabricante des boissons en cause, la société Marie Brizard Berger Diffusion n'assurant que la commercialisation de ces produits, en qualité de commissionnaire. Elles prétendent ensuite, d'une part, que les obligations résultant de l'article L. 121-35 du Code de la consommation ne concernent que les seuls distributeurs de produits aux consommateurs et non les producteurs, qui ne maîtrisent pas les prix de vente au public; d'autre part, que la valeur des figurines offertes en prime ne devait être déterminée qu'en fonction du seul coût de leur production, tel qu'il résultait des accords passés avec la société Sauvagine, à l'exclusion de la coiffe elle-même, formant avec le bidon un ensemble imitant la forme d'un biberon, des droits de reproduction versés à la société Walt Disney Company, qui ne faisaient pas partie des coûts de production et n'étaient pas attachés à la seule fabrication de figurines, ainsi que du leaflet imposé par le réglementation et de l'opercule utilisé pour maintenir la figurine dans la coiffe; qu'ainsi, la valeur unitaire d'achat des figurines était de l'ordre de 0,9 F, en sorte que, compte tenu des prix de vente moyen du produit au public, cette valeur ne pouvait excéder la limite autorisée. Elles en concluent qu'aucune faute ne peut ainsi leur être reprochée, que la société Teisseire France ne justifie au surplus d'aucun préjudice réel, et qu'elles étaient donc fondées à exiger restitution de la provision versée en vertu du jugement, augmentée d'intérêts. La société Berger sollicite également une mesure de publicité, à la charge de la société Teisseire France, et l'allocation d'une indemnité de 200 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour conclure à la confirmation du jugement, sauf à y ajouter une mesure de pub1icité et une indemnité de 100 000 F, la société Teisseire France réplique que l'obligation résultant du Code de la consommation s'impose tous ceux qui font diffuser un produit accompagné d'une prime, y compris la société Marie Brizard Berger Diffusion, chargée de commercialiser ces produits; que le coût de la prime doit inclure, être le prix d'achat des figurines offertes (de 0,84 à 0,94 F), le coût de l'insertion de ces articles dans la coiffe, leaflet compris, le coût de production de cette coiffe, nécessaire à la conservation de la prime, ainsi que les redevances versées à la société Disney, pour la reproduction des personnages sous forme de figurine ; qu'ainsi, la valeur de la prime étant de l'ordre de 2,45 à 2,55 F, selon les figurines, la vente des bidons au public à un prix qui ne dépassait pas 19,12 F, constituait un acte de concurrence déloyale; et que ces ventes illicites avaient entraîné pour elle une perte de marché de plus de 3 % en 1998, qui justifiait la provision allouée e première instance.

Motifs et décision :

Attendu que, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, les dispositions des articles L. 121-35 et R. 121-8 du Code de la consommation sont applicables à toute entreprise qui propose à la vente des produits donnant droit à l'attribution d'une prime;

Que, lorsque cette entreprise n'est pas directement en rapport avec les acheteurs consommant ses produits, il lui appartient, dans ses rapports avec les vendeurs intermédiaires, de prendre les dispositions nécessaires pour qu'ils ne pratiquent pas des prix de vente au détail incompatibles avec ces dispositions;

Qu'ainsi, tant la société Berger qui fabriquait les boissons en vue de leur vente au public, que la société Marie Brizard Berger Diffusion, qui était chargée de leur commercialisation, se devaient de respecter ces obligations légales;

Qu'aucun argument contraire et utile ne peut être tiré, en ce qui concerne cette dernière, de sa qualité de commissionnaire de vente du groupe Berger pour l'exclure du domaine de ces dispositions, alors qu'elle participait directement et personnellement, par son activité de négoce, à la distribution des boissons en cause dans le public;

Attendu que, selon l'article R. 121-8 du Code de la consommation, la valeur maximale des objets offerts en prime ne peut excéder, pour des produits vendus à un prix net inférieur à 500 F, 7 % de ce prix;

Que leur évaluation doit être faite en fonction du prix départ producteur pour les objets produits en France et franco et dédouanés à la frontière française, pour les objets importés;

Que n'est toutefois pas considéré comme une prime le conditionnement habituel du produit, lorsqu'il est indispensable à son utilisation normale ;

Attendu qu'il n'est pas contestable que les figurines placées dans la coiffe des bidons constituaient des primes proposées à la clientèle, pour la déterminer à acheter ces produits, et partant, que leur valeur de fabrication doit être comprise dans l'évaluation de cet avantage;

Que, procédant à une analyse des achats de figurines auprès de la société Sauvagine, chargée de la mise au point et de la fabrication de ces articles, en fonction des quantités fournies et des prévisions globales de chiffre d'affaires de la société Berger, fournies par cette dernière, l'expert commis a retenu les valeurs toutes taxes comprises de 0,84 F, pour le modèle MFK (Mickey for kids), de 0,94 F, pour le modèle LPS (La Petite Sirène) et de 0,89 F, pour le modèle Mulan;

Que cette évaluation, qui tient compte des quantités effectivement produites à partir des moules achetés par la société Berger, doit être retenue;

Attendu que la valeur des cadeaux offerts au public doit aussi prendre en compte le coût de leur insertion dans la coiffe couvrant le bidon;

Qu'en effet, ces opérations d'assemblage étaient indispensables pour que l'acheteur des bidons de conditionnement puisse bénéficier des figurines proposées en prime, compte tenu de la configuration de ces produits;

Qu'à ce titre, il convient d'inclure dans ce coût de production, l'ensemble des opérations permettant de disposer les figurines dans le capot des bidons, en vue de leur délivrance aux acheteurs;

Que ce coût a été exactement évalué par l'expert, en fonction des contrats conclus à cet effet et des déclarations de l'entreprise à son assureur, à la somme de 0,31 F, pour toutes les figurines;

Qu'à ce titre, il n'y a pas lieu d'exclure le coût de la mise en place, dans chaque coiffe, d'un message d'information destiné au consommateur et imposé par le réglementation, et d'un opercule maintenant les figurines dans la coiffe, dès lors que ces éléments n'avaient de raison d'être que parce que la société Berger voulait offrir aux jeunes consommateurs, en plus de son produit, un cadeau placé à l'intérieur de cette coiffe ;

Attendu qu'en prenant en compte ces seuls éléments, indiscutablement liés à la prime, la valeur de celle-ci s'élevait, selon les cas, aux sommes de 1,15 F (MFK), de 1,25 F (LPS) et de 1,20 F (Mulan);

Qu'en conséquence, en fonction des diverses figurines offertes à sa clientèle et sans même qu'il soit nécessaire de prendre en compte le coût de la coiffe et le montant des redevances d'auteur, la société Berger ne devait pas vendre ses produits à un prix unitaire inférieur aux sommes de 16,43 F (MFK), 17,85 F (LPS) et 17,14 F (Mulan), pour rester dans la limite imposée par la réglementation des ventes avec prime;

Attendu que l'analyse de la synthèse de prix au 1er octobre 1998 produite par les appelantes démontre qu'à la seule exception des sirops de fraise, de cassis et de pêche, qui ne représentent sur ces listes que 23 % du volume des ventes, tous les autres produits "sirop sport" ont été vendus à des prix compris entre 13 et 15 F l'unité;

Qu'ainsi, il est établi que la société Berger a enfreint la réglementation qui s'imposait à elle, commettant ainsi, au détriment de la société Teisseire France, intervenant sur le même marché, un acte de concurrence illicite et, par-là, déloyal;

Attendu, au surplus, qu'il n'y a aucune raison d'exclure de l'évaluation de la prime le coût de production de la coiffe posée sur le bidon ;

Qu'il est évident que cet accessoire, qui ne constituait pas un mode de conditionnement habituel pour ce type de produit, n'était destiné qu'à placer les figurines à l'intérieur de l'emballage, afin qu'elles soient solidaires des produits, au moment de la vente, et qu'il ne constituait pas, ainsi que tente de le soutenir les appelantes, un simple élément de forme à vocation imitative;

Qu'en tenant compte du coût de cet élément, tel que l'a exactement évalué l'expert à la somme de 0,71 F, le prix de vente minimum que devait faire appliquer la société Berger était, selon les figurines, de 26,57 F (MFK), 28 F (LPS) et 27,28 F (Mulan);

Que ce prix minimum est de beaucoup supérieur à celui qui a été pratiqué pour les boissons les plus chères (cassis, fraise, pêche), tel qu'il apparaît sur la synthèse de prix et sur le tableau Nielsen Scantrack (en moyenne 18,86 F pour le sirop de fraise, 18,75 F pour le sirop de cassis et 18,79 F pour le sirop de pêche), aucun des prix de vente de ces produits ne dépassant la somme de 19 F pièce ;

Attendu que ces actes de concurrence déloyale autorisaient le tribunal, pour y mettre fin, à ordonner sous astreinte le retrait de la vente de ces produits et la cessation de leur commercialisation, aux prix jusqu'alors pratiqués;

Attendu, par ailleurs, qu'il est manifeste que ces ventes illicites ont porté préjudice à la société Teisseire France, qui proposait à la vente des sirops concurrents et qui a enregistré, d'avril 1998 à février 1999, sur les ventes de sirops en bidon, une perte de marché de plus de 3 % ;

Que cette situation, directement en rapport avec les agissements de la société Berger, justifiait que fut accordée à la société Teisseire France une provision d'un million de francs, à valoir sur l'évaluation de son préjudice, dans l'attente des résultats de l'expertise ordonnée par ailleurs sur ce point;

Attendu que le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé;

Qu'il n'y a pas lieu d'y ajouter de nouvelles mesures de publicité, les dispositions prises à ce propos dans le jugement étant suffisantes;

Qu'il est équitable d'allouer à l'intimée une indemnité complémentaire de 15 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement ; Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, Condamne les sociétés Berger et Marie Brizard Berger Diffusion à payer à la société Teisseire France la somme de 15 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et en plus de l'indemnité allouée à ce titre par le jugement, ainsi qu'aux dépens de la procédure, avec distraction, s'il y a lieu, au profit de Maître Aguiraud, pour la part dont cet avoué aurait fait l'avance, sans provision préalable et suffisante.