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Décisions

CA Paris, 7e ch. B, 29 janvier 1993, n° 91-18393

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mutuelle Saint-Christophe, Ecole privée mixte Saint-Vincent-sur-Oust

Défendeur :

Morice (époux), Editions Armand Colin et Bourrelier (Sté), Etablissements Lafoly Frères et Gilles Delamarzelle, Planet Wattohm (SA), Caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. de Gilbert des Aubineaux

Conseillers :

M. Gaucher, Mme Perony

Avoués :

SCP Parmentier, Me Ribaut, SCP Fisselier, SCP Faure, SCP Bollet-Baskal

Avocats :

Mes Blamoutier, Charlie, Danet, Bocquillon, Solal.

TGI Paris, du 10 avr. 1991

10 avril 1991

Nelly Morice, âgée de quatre ans, a été blessée à l'oil droit le 25 septembre 1984 en jouant dans la cour de l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust (Mayenne) avec un cerceau en matière plastique faisant partie d'un lot habituellement utilisé dans l'établissement pour les exercices de psychomotricité.

Monsieur et Madame Dominique Morice, ses parents, agissant en qualité d'administrateurs légaux de ses biens, ayant saisi le Tribunal de grande instance de Paris d'une demande tendant à ce qu'il soit constaté que la responsabilité des conséquences de l'accident incombait in solidum à l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust , assurée auprès de la Mutuelle Saint-Christophe, à la société Lafoly et de Lamarzelle, qui avait vendu à cette dernière le lot de cerceaux, et à la société Armand Colin et Bourrelier, qui l'avait fourni à la société Lafoly et de Lamarzelle, le tribunal a, par jugement du 10 avril 1991 :

- déclaré l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust et la société Armand Colin et Bourrelier, responsables in solidum des conséquences de l'accident, et dit que dans le cadre de leurs rapports réciproques la charge leur en incomberait respectivement pour trois quarts et pour un quart ;

- rejeté les demandes formées contre la société Lafoly et de Lamarzelle et contre la société Planet Wattohm, que la société Armand Colin et Bourrelier avait appelée en garantie, en sa qualité de fabricant des cerceaux ;

- condamné in solidum, l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust, la Mutuelle Saint- Christophe et la société Armand Colin et Bourrelier à payer, après déduction de la créancd de la Caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, à Monsieur et Madame Dominique Morice, pris en qualité d'administrateurs légaux des biens de leur fille Nelly, une indemnité de 320 000 F calculée en fonction d'un préjudice se composant comme suit :

. incapacité temporaire : 2 000 F

. incapacité permanente partielle : 238 000 F

. pretium doloris : 25 000 F

. préjudice esthétique : 35 000 F

. préjudice d'agrément : 20 000 F

- condamné in solidum les mêmes parties aux dépens et alloué aux époux Morice, une somme de 6 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust et la Mutuelle Saint-Christophe ont interjeté appel de la décision le 8 août 1991.

Faisant valoir que l'accident survenu le 25 septembre 1984 a été la conséquence d'une rupture du cerceau avec lequel jouait Nelly Morice, due elle-même à un vice de fabrication que rien ne permettait de soupçonner, elles concluent à ce qu'il soit constaté qu'en ne prenant pas de précaution particulières pour empêcher l'enfant d'utiliser librement ce cerceau, le personnel de l'école n'a pas commis de faute susceptible d'engager sa responsabilité.

Elles demandent subsidiairement que la société Lafoly et de Lamarzelle, la société Armand Colin et Bourrelier et la société Planet Wattohm, soient condamnées in solidum à les garantir des condamnations qui pourraient être prononcées contre elles et à leur payer la somme de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elles demandent en outre à toutes fins utiles que les indemnités allouées à Nelly Morice au titre de son incapacité permanente partielle et au titre du pretium doloris soient réduites.

Monsieur et Madame Dominique Morice concluent à ce que le jugement dont appel soit confirmé en ce qu'il a déclaré l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust et la société Armand Colin et Bourrelier responsables in solidum des conséquences de l'accident dont leur fille a été victime le 25 septembre 1984.

Se portant incidemment appelants, ils demandent d'autre part, que le préjudice à indemniser soit évalué ainsi qu'il suit :

. incapacité temporaire : 10 000 F

. incapacité permanente partielle : 336 000 F

. pretium doloris : 100 000 F

. préjudice esthétique : 100 000 F

. préjudice d'agrément : 20 000 F

Ils demandent en outre que l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust, la Mutuelle Saint- Christophe et la société Armand Colin et Bourrelier soient condamnées in solidum à leur payer la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant que la responsabilité des conséquences de l'accident incombe essentiellement à la société Planet Wattohm, fabricant du cerceau, dont sa rupture a été la cause, la société Armand Colin et Bourrelier se porte elle-même incidemment appelante pour conclure au rejet des demandes formées contre elle.

Elle conclut subsidiairement à ce que, si des condamnations étaient prononcées contre elle, la société Lafoly et de Lamarzelle, la société Planet Wattohm, l'école privée mixte de Saint- Vincent-sur-Oust et la la Mutuelle Saint-Christophe soient condamnées à l'en garantir et à lui payer la somme de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle demande en outre à toutes fins utiles que les indemnités allouées à Nelly Morice au titre de son incapacité permanente partielle et au titre du pretium doloris soient réduites.

La société Lafoly et de Lamarzelle conclut à ce que le jugement dont appel, soit confirmé en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause et à ce que les appelantes soient condamnées à lui payer la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Faisant valoir qu'il n'est pas établi qu'elle soit le fabricant du cerceau dont la rupture a causé l'accident, la société Planet Wattohm conclut de son côté à ce que la décision soit confirmée en ce qu'elle a prononcé sa mise hors de cause.

La Caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, assignée à personne habilitée, n'a pas constitué avoués.

Sur ce,

Il n'est pas contesté que le 25 septembre 1984 Nelly Morice a été blessée à l'oil droit à la suite de la rupture d'un cerceau avec lequel elle jouait dans la cour de l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust, que ce cerceau faisait partie d'un lot de cerceaux, momentanément déposé sous un préau, qui était habituellement utilisé par les jeunes enfants pour les exercices de psychomotricité, et que l'accident n'ayant pas eu de témoin, ses circonstances exactes ne sont pas connues.

Monsieur Michel Vuagnat, commis en qualité d'expert par ordonnance de référé du 16 juin 1986 avec la mission de rechercher la cause de la rupture du cerceau, a établi le 13 avril 1987 un rapport dans lequel il a notamment indiqué :

- que comme tous ceux qui étaient utilisés à l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust, il s'agissait d'un cerceau tube en matière plastique de 65 centimètres de diamètre dont le tube, d'une épaisseur de 2,5 millimètres était raccordé par un élément métallique interne de 4 centimètres de longueur, et qu'il s'était brisé à la limite de cette partie métallique ;

- que lors de leur commercialisation par la société Armand Colin et Bourrelier les cerceaux utilisés dans l'établissement n'étaient soumis au aucune norme de sécurité, mais qu'il est résulté de l'examen effectué au cours de l'expertise par le Laboratoire National d'Essais que compte tenu des risques de rupture, susceptibles de provoquer des accidents, qu'ils présentaient en cas de pression même modérée exercée au niveau de l'élément métallique la conformité au normes entrées en vigueur par la suite, en 1983, ne pouvait leur être attribuée.

Les constatations et avis de l'expert ne font pas l'objet de discussion de la part des parties.

Il en résulte que si les cerceaux employés pour les exercices de psychomotricité à l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust présentaient un vice de fabrication les rendant dangereux dans certaines conditions d'utilisation, rien ne permettait, a priori, d'en supposer l'existence et que ce vice aurait pu provoquer un accident aussi bien lors d'une séance de psychomotricité, à la suite d'un mouvement imprévisible d'un enfant, que dans d'autres circonstances, comme celles dans lesquelles s'est produit l'accident du 25 septembre 1984.

Il apparaît dès lors que même dans le cas où le fait d'avoir laissé les cerceaux à la portée des enfants sous un préau et de ne pas avoir pris de dispositions particulières pour empêcher un enfant d'en prendre un pour jouer dans la cour de récréation aurait constitué un manquement à la discipline de l'établissement, ce fait ne pouvait être la cause directe et déterminante de l'accident.

La preuve de ce que celui-ci ait été la conséquence d'une faute commise par l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur-Oust dans l'exécution de ses obligations contractuelles n'étant pas rapportée, le jugement dont appel doit donc être infirmé en ce qu'il l'en a déclarée responsable.

Il n'est, d'autre part, pas contesté que les cerceaux utilisés à l'école privée mixte de Saint- Vincent-sur-Oust lui avaient été vendus par la société Lafoly et de Lamarzelle, qui les avait elle-même commandés à la société Armand Colin et Bourrelier au cours de l'année 1982.

Il résulte des documents versés aux débats (notamment bons de commande et factures) que depuis 1968, la société Armand Colin et Bourrelier a fait fabriquer, d'abord par la société Omniplast, puis par la société Planet Wattohm, qui avait absorbé cette dernière, les cerceaux figurant sur ses catalogues sous la rubrique " matériel pour mouvements et rythmes ".

La société Armand Colin et Bourrelier ne conteste pas qu'il lui appartenait, en tant que distributeur de ce matériel, de faire procéder aux vérifications nécessaires en ce qui concerne sa conformité aux normes usuelles ou réglementaires de sécurité, et elle déclare avoir obtenu pour les cerceaux, au mois de mars 1968, l'agrément du Centre National de Documentation Pédagogique.

Elle ne justifie cependant pas avoir fait procéder, ni à cette époque, ni ultérieurement, à un examen technique approfondi alors qu'il résulte de l'examen effectué à la demande de l'expert Vuagnat par le Laboratoire National d'Essais que les cerceaux présentaient, en raison du principe même de leur conception, un risque d'accident.

N'ayant pas rempli à cet égard toutes ses obligations, la société Armand Colin et Bourrelier doit être considérée comme responsable vis-à-vis des tiers, en vertu des dispositions de l'article 1382 du Code civil, des conséquences des accidents liés au vice de fabrication du matériel vendu, et le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu'il l'a déclarée responsable des conséquences de l'accident dont Nelly Morice a été victime le 25 septembre 1984.

Le vice lui-même étant entièrement imputable à la société Planet Wattohm, seule responsable de la conception et de la fabrication des cerceaux, cette société doit être d'autre part, condamnée à la garantir des condamnations prononcées contre elle, et il n'y a lieu d'infirmer sur ce point le jugement dont appel.

La mise hors de cause de la société Lafoly et de Lamarzelle, contre laquelle aucune faute ne peut être retenue, doit être par contre confirmée.

Le docteur André Catros, commis en qualité d'expert en vue de déterminer les conséquences des blessures de Nelly Morice, à établi le 2 avril 1988 et le 3 avril 1990 des rapports dans lesquels il a indiqué :

- que Nelly Morice a été atteinte d'une plaie perforante du globe oculaire droit ayant nécessité plusieurs interventions chirurgicales et entraîné deux mois et demi d'incapacité temporaire totale ou partielle ;

- que la date de la consolidation peut être fixée au 3 mars 1990 et que l'incapacité permanente partielle, résultant de la perte de vision de l'oil, avec énucléation et prothèse, peut être estimée à 28 % ;

- que le quantum doloris peut être fixé à 4 et le préjudice esthétique à 3,5 (dans l'échelle de 0 à 7).

Il apparaît, compte tenu de ces éléments d'appréciation, qui ne font pas l'objet de discussion de la part des parties, que les différents chefs du préjudice de Nelly Morice ont été équitablement indemnisés par les premiers juges, dont la décision doit être confirmée à cet égard.

Les circonstances de la cause justifient l'allocation aux époux Morice d'une somme de 4 000 F au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, En la forme reçoit les appels ; Au fond, Confirme les condamnations que le jugement du Tribunal de grande instance de Paris (1re chambre, 2e section) du 10 avril faisant l'objet de ces appels a prononcés contre la société Armand Colin et Bourrelier ; Confirme également ce jugement en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la société Lafoly et de Lamarzelle ; Le réformant pour le surplus, et y ajoutant, Déboute les époux Morice et la société Armand Colin et Bourrelier des demandes qu'ils ont formées contre l'école privée mixte de Saint-Vincent-sur- Oust et contre la Mutuelle Saint-Christophe ; Condamne la société Planet Wattohm à garantir la société Armand Colin et Bourrelier des condamnations prononcées contre elle ; Condamne la société Armand Colin et Bourrelier, garantie par la société Planet Wattohm, à payer aux époux Morice la somme de 4 000 F au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont exposés dans le cadre de la procédure d'appel ; Déboute les autres parties des demandes qu'elles ont formées au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Armand Colin et Bourrelier, garantie par la société Planet Wattohm, aux dépens, et autorise les avoués des autres parties à recouvrer directement contre elle ceux dont ils ont fait l'avance sans avoir reçu provision.