CA Paris, 25e ch. A, 11 mai 2001, n° 1999-25089
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Promod (SA)
Défendeur :
Publicis Conseil (SA), Publicis Centre Média (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault (faisant fonction)
Conseillers :
Mme Bernard, M. Picque
Avoués :
SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Mes Henriot-Bellargent, Jourde.
La société Promod, fabricant et distributeur de vêtements de prêt-à-porter sous la marque Promod, a confié en 1997 à la société Publicis Conseil la conception et la mise en œuvre de sa communication publicitaire, sans qu'aucun contrat écrit ait été établi, la société Publicis Média étant chargée de la gestion de ces campagnes et notamment des relations avec les prestataires extérieurs.
Reprochant à la société Publicis Conseil un certain nombre de manquements lors de la campagne 1997 facturée 11 000 000 F, et estimant que pour l'élaboration de la campagne 1998 chiffrée à 24 000 000 F, le publicitaire avait délibérément reproduit, sans l'en informer, une campagne de publicité réalisée lors de la saison précédente aux Etats-Unis par une autre agence pour le compte d'un autre distributeur, la société Promod a mis fin au contrat le 17 décembre 1997, a cessé de s'acquitter de ses factures et a assigné la société Publicis Conseil par acte du 12 février 1998 en réparation des préjudices causés. La société Publicis Média étant intervenue volontairement à l'instance, la société Promod a demandé la condamnation solidaire des deux sociétés, assortie de l'exécution provisoire, à lui payer 57 530 314 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, les factures non réglées devant s'imputer sur cette somme, et a demandé en outre la publication du jugement à intervenir dans trois revues de mode à son choix et aux frais de la société Publicis Conseil pour un montant de 25 000 F par insertion, ainsi que 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Publicis Conseil et la société Publicis Centre Média ont conclu au rejet de ces demandes, faisant valoir que les campagnes 1997 et 1998 constituent des contrats distincts, contestant les fautes, le plagiat et le préjudice allégués par la société Promod et demandant reconventionnellement la condamnation de cette dernière à régler les factures restées impayées, ainsi que 500 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat outre 50 000 F de frais irrépétibles. Le Président du tribunal de commerce, saisi en référé par la société Publicis Conseil aux fins de condamnation de la société Promod à lui payer ses prestations, a constaté par ordonnance du 4 juin 1998 le caractère sérieux de la contestation soulevée par la société Promod et a ordonné la séquestration d'une somme de 2 000 000 F afin de conserver les droits des parties.
Par jugement contradictoire du 27 septembre 1999, le Tribunal de commerce de Paris :
- a dit la société Promod partiellement fondée en ses demandes et a condamné la société Publicis Conseil à lui payer 216 000 F et 30 150 F avec intérêts au taux légal à compter de la date de la décision,
- a dit la société Publicis Conseil partiellement fondée en sa demande reconventionnelle et a condamné la société Promod à lui payer 2 838 017 F avec intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 1998,
- a ordonné la compensation entre ces sommes,
- a dit que la somme de 2 000 000 F séquestrée en application de l'ordonnance de référé du 4 juin 1998 sera remise à la société Publicis Conseil avec intérêts au taux légal en compte et à valoir sur le solde de la créance,
- a dit la société Publicis Média recevable en son intervention volontaire et a condamné la société Promod à lui régler 2 428 860 F avec intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 1998,
- a dit n'y avoir lieu à publication de la décision, ni à exécution provisoire,
- a rejeté toutes autres demandes et a condamné solidairement les parties aux dépens.
La société Promod a interjeté appel, et dans ses dernières conclusions déposées le 26 février 2001, auxquelles il est renvoyé, expose que le contrat conclu avec la société Publicis Conseil concerne une campagne publicitaire européenne sur le long terme, les différentes missions confiées à Publicis devant se succéder sauf dénonciation, et soutient qu'il s'agit dès lors d'un contrat unique à durée indéterminée ainsi que le confirment les termes du contrat-type entre annonceurs et agences, applicable en l'absence de contrat écrit.
S'agissant de la campagne Automne/Hiver 1997, elle reproche à la société Publicis Conseil le retard dans l'affichage effectué aux Canaries, des erreurs commises dans les documents publicitaires ainsi que l'insuffisance et les changements permanents intervenus dans ses équipes ; elle constate enfin la médiocrité de l'impact de cette campagne, confirmée par un sondage Ipsos réalisé le 21 octobre 1997.
S'agissant de la campagne Printemps/Eté 1998, elle fait valoir que la société Publicis Conseil lui a soumis une proposition fondée sur le slogan " Femme, source d'énergie naturelle " mettant en image une femme en mouvement dans un univers disproportionné de fleurs, de fruits et dans un cas d'une libellule, sans l'avertir qu'il s'agissait en réalité d'une reproduction de la campagne réalisée aux Etats-Unis par la société de distribution de prêt-à-porter Neiman Marcus, ce plagiat ayant été découvert fortuitement à quelques jours de la réunion consacrée à la présentation définitive de la maquette, prévue le 5 décembre 1997, cette découverte l'ayant conduite à refuser par lettre du 17 décembre 1997 la campagne de remplacement proposée par le président de la société Publicis au cours d'un entretien du 10 décembre 1997, qui en tout état de cause n'aurait pu être élaborée faute de temps, et à exiger un dédommagement.
Elle déclare que les agissements fautifs de la société Publicis Conseil lui ont causé un très grave préjudice en termes d'image, d'investissement et de chiffre d'affaires, dont elle est fondée à demander la réparation, et demande à la cour :
- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Publicis Conseil à lui payer 216 000 F et 30 150 F, et en ce qu'elle a dit que la faute de la société Publicis Conseil justifiait la résiliation du contrat,
- et réformant,
- de condamner la société Publicis Conseil à lui payer 52 307 597 F de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- de dire que les factures de la société Publicis Conseil émises entre le 14 novembre 1997 et le 1er avril 1998 ne sont pas dues faute de contrepartie, ou d'augmenter à due concurrence le montant des dommages-intérêts sollicités,
- de dire que la société Publicis Conseil et la société Publicis Média devront la garantir solidairement contre toutes demandes en paiement de tous prestataires extérieurs, et la rembourser de tous frais ou prestations correspondant à la première campagne publicitaire,
- de dire que la somme de 2 000 000 F séquestrée en exécution de l'ordonnance du 4 juin 1998, lui sera remise avec les intérêts, à valoir sur sa créance à l'encontre de la société Publicis Conseil,
- de débouter les intimées de toutes leurs demandes et de les condamner à lui payer 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans leurs dernières écritures déposées le 19 février 2001, auxquelles il est renvoyé, la société Publicis Conseil et la société Publicis Centre Média exerçant sous l'enseigne " Optimedia France " (ci-après société Publicis Média), intimées, appelantes incidentes, répliquent que l'attitude de la société Promod a été en réalité dictée par son souci de ne pas payer ses factures et d'alléger sa trésorerie en raison d'une situation financière alors critique, les comptes de l'exercice 1997 faisant apparaître une perte de 205 000 000 F, et par son désir de renouer avec sa pratique antérieure de ne pas faire de communication média.
Elles soutiennent que les relations contractuelles nouées entre les parties se caractérisent par des contrats successifs à durée déterminée, les campagnes 1997 et 1998 étant parfaitement indépendantes l'une par rapport à l'autre, et différenciées par leur nature, leur contenu, leur montant et leur période de réalisation. Elles ajoutent qu'en tout état de cause, la résiliation du contrat s'il devait être qualifié d'unique, ne saurait faire obstacle au paiement des prestations effectivement réalisées lors de la campagne 1997, la seule erreur commise par Publicis concernant un retard d'adressage des affiches aux Canaries pour laquelle une indemnisation de 216 000 F est proposée ; elles s'estiment par ailleurs fondées à demander la condamnation de la société Promod à payer à la société Publicis Centre Média les sommes restant dues aux supports sur cette campagne, restées impayées par les intimées du fait de la carence de l'appelante.
Elles contestent tout comportement fautif dans l'élaboration de la campagne 1998, faisant valoir que l'utilisation de visuels existants pour illustrer une direction créative correspond à une pratique courante dans les agences de publicité, la société Promod ayant abusivement interrompu ce processus créatif alors que les maquettes définitives se seraient évidemment différenciées des premières illustrations reprises des clichés de la photographe Peggy sirota, qui en l'espèce avaient déjà subi d'importants changements.
Elles déclarent que la rupture du contrat par la société Promod est dès lors imputable à elle seule, et demandent à la cour :
- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :
* considéré que chacune des campagnes a fait l'objet d'un contrat à durée déterminée et a condamné la société Promod à leur payer les sommes restant dues au titre de la campagne 1997,
* dit que la somme de 2 000 000 F séquestrée sera remise à la société Publicis Conseil à valoir sur le solde de la créance, évalué le préjudice subi par la société Promod résultant du retard d'affichage de la campagne 1997 aux Iles Canaries à 216 000 F et ordonné la compensation entre les sommes réciproquement dues, déboutant la société Promod pour le surplus de ses demandes,
- de l'infirmer en ce qu'il a qualifié de fautif le comportement de la société Publicis Conseil dans la conception de la campagne publicitaire 1998 et l'a déboutée de ses demandes d'indemnités de rupture et de procédure abusive,
- et réformant,
* sur la campagne 1997, de condamner la société Promod à payer :
- à la société Publicis Conseil, après compensation, 2 678 719,40 F avec intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 1998, eux-mêmes capitalisés, subsidiairement de la condamner à lui payer 2 622 017 F,
- à la société Publicis Média 2 669 076 060 F ainsi que la contre-valeur en francs français de 235 977 080 lires et 177 332,81 F, avec intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 1998 eux-mêmes capitalisés, subsidiairement de la condamner à lui payer 2 428 860 F,
* sur la campagne 1998, de condamner la société Promod à payer à la société Publicis Conseil 1 000 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat, subsidiairement à 500 000 F correspondant à six mois de préavis si la cour estimait que le contrat est à durée indéterminée, subsidiairement de constater l'absence de lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice allégué et de débouter la société Promod de toutes ses demandes,
* de la condamner à payer 50 000 F de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce,
Sur la nature des relations contractuelles conclues entre la société Promod et la société Publicis Conseil
Considérant que la société Promod a confié à la société Puclicis Conseil au printemps 1997, la conception et la réalisation de sa communication publicitaire ; qu'il est constant qu'aucun contrat écrit n'a été signé par les parties, qui s'opposent sur le caractère unitaire ou successif de leurs relations contractuelles ;
Considérant qu'en l'absence de contrat écrit, il convient de se reporter au contrat-type entre annonceur et agent de publicité, ainsi qu'en conviennent les parties; qu'il résulte certes des dispositions de ce contrat-type établi en application de l'article 1er de l'arrêté du 15 décembre 1959 et approuvé par la Commission technique des ententes suivant avis publié au JO le 19 septembre 1961 et versé aux débats, que la pluralité des campagnes constitue l'objectif normal de la publicité d'un produit ou d'un service, cette pluralité conduisant à ce que chacune des campagnes doive être préalablement acceptée par l'annonceur ; qu'il n'en demeure pas moins que ce contrat-type a une durée indéterminée, ainsi que le confirme son article E § 4, qui dispose qu' " à moins que leur durée n'ait été expressément déterminée ou qu'elles ne concernent l'exécution d'un ouvrage particulier, chacune des parties pourra mettre fin aux conventions conclues entre annonceur et agent de publicité, à charge pour elle, sauf motif grave et légitime, d'en aviser l'autre partie six mois à l'avance par lettre recommandée " ;
Considérant que la société Publicis Conseil, qui soutient que chacune des campagnes a donné lieu à une convention distincte, ne justifie pas de l'existence d'"ouvrages particuliers" qui lui auraient été successivement confiés par sa cliente ; que bien au contraire, ses propres descriptifs établis lors de la formation du contrat au printemps 1997, qui exposent les objectifs assignés à la communication de Promod, la stratégie des moyens et la " vision de marque " recommandés par l'agence pour développer la notoriété de la marque Promod, couvrent non seulement l'année 1997 mais aussi l'année 1998 ;qu'il est en effet patent que la décision de la société Promod de faire appel aux services de ce professionnel renommé a été prise dans le dessein de concevoir une politique publicitaire d'ensemble destinée à valoriser sa dénomination comme marque de mode et non plus seulement comme enseigne, ce projet global s'organisant naturellement en un certain nombre de prestations réparties sur plusieurs campagnes organiquement liées entre elles; qu'aucune durée n'a été expressément convenue entre les parties pour l'exécution des prestations confiées à l'agence ;
Qu'il s'ensuit que les relations conclues entre la société Promod et la société Publicis Conseil ont pris la forme d'un contrat unique à durée indéterminée auquel il ne pouvait être mis fin par l'une ou l'autre des parties qu'avec un préavis de six mois, sauf motif grave et légitime dont il appartient à celui qui s'en prévaut de faire la preuve ;
Sur les fautes reprochées à la société Publicis Conseil
Considérant que la société Promod reproche tout d'abord à la société Publicis Conseil d'avoir manqué à ses obligations lors de la première campagne Automne/Hiver 1997, soit :
* un retard de trois à quatre semaines dans la mise en œuvre de la campagne de publicité organisée aux Canaries,
* une faute d'orthographe de la ville de Roubaix (écrit Roubais) affectant 20 000 affiches diffusées sur le territoire national,
* des fautes d'orthographe nombreuses et un règlement de jeu incompréhensible dans la revue " Elle " choisie comme support en Espagne, erreurs ultérieurement relevées dans un courrier du 26 mai 1999 de la société Promod;
Qu'elle verse aux débats un courrier recommandé avec AR du 17 novembre 1997 dans lequel son directeur général Bruno Lepoutre relevait l'insuffisance et les changements permanents intervenus dans les équipes Publicis, ainsi que les erreurs et les retards intervenus dans la mise en place de cette première campagne;
Considérant que la société Publicis Conseil n'a pas contesté, notamment dans une lettre du 16 janvier 1998 signée de son président Maurice Lévy, qu'une erreur avait été commise concernant l'adressage des affiches aux Canaries, entraînant un retard de plusieurs semaines ; qu'elle maintient devant la cour son offre de payer à ce titre à l'appelante une indemnité de 216 000 F ;
Mais considérant, s'agissant des griefs tenant à la mauvaise qualité rédactionnelle et aux erreurs contenues dans les documents publicitaires élaborés par Publicis qu'il incombait à l'annonceur d'exercer un contrôle plus strict sur ces travaux nécessairement soumis à son visa avant leur impression; que dans son courrier précité du 17 novembre 1997, la société Promod déclarait maintenir sa confiance à son prestataire, reconnaissant par là même que les difficultés rencontrées n'avaient eu qu'un caractère secondaire; qu'en définitive, la société Promod n'apporte pas la preuve de manquements graves imputables à la société Publicis Conseil à l'occasion de la mise en œuvre de la campagne Automne/Hiver 1997,
Considérant en revanche, s'agissant de l'élaboration de la campagne Printemps/Eté 1998, qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Publicis Conseil a présenté à la société Promod, comme étant sa propre création, des illustrations reproduisant en réalité la campagne précédemment créée aux Etats-Unis par une autre agence pour un autre distributeur de vêtements de confection, la société Neiman Marcus ;
Que la société Publicis Conseil, qui conteste avoir commis une faute quelconque, fait valoir que l'utilisation de visuels existants est depuis l'avènement du scanner une pratique constante parmi les agences de publicité, qui ne saurait leur être reprochée puisqu'il ne s'agit que d'un point de départ du processus de création publicitaire et que la maquette définitive sera suffisamment différenciée de la proposition initiale pour acquérir le caractère d'une œuvre originale ;
Considérant toutefois que l'origine des illustrations et maquettes proposées à la société Promod a été découverte par hasard le 28 novembre 1997 par l'un des salariés de cette société Rémy Pollet, quelques jours avant la réunion fixée le 5 décembre 1997 pour l'approbation définitive des maquettes, ces clichés se trouvant rassemblés dans un ouvrage intitulé " Fashion, images de mode " en vente à la FNAC ; qu'aucune information concernant la campagne précédemment effectuée avec ces clichés n'avait été fournie à la société Promod, ainsi que le confirment les comptes-rendus des réunions successivement tenues à partir d'octobre 1997 ; que selon le calendrier proposé par la société Publicis Conseil, versé aux débats, une première présentation des visuels le 31 octobre 1997 devait être suivie d'un accord définitif sur la création le 12 décembre 1997, l'impression des affiches étant prévue début mars 1998 et leur diffusion début avril 1998 ; que la date du 12 décembre a été avancée au 5 décembre 1997 selon télécopie du 26 novembre 1997 de Séverine Le Grix pour Publicis, mentionnant "prochaine réunion vendredi 5 décembre : présentation définitive de la création" ; que la suite des opérations prévues sur le calendrier établi par l'agence concerne seulement la réalisation du projet dans ses différentes étapes, après que l'annonceur eut approuvé la création début décembre 1997 ; que force est de relever qu'à ce stade presqu'ultime du processus de création de l'agence, les maquettes proposées à sa cliente reproduisaient les clichés réalisés par Peggy Sirota, photographe américaine, créatrice pour la société Neiman Marcus d'un nouveau concept publicitaire de femmes en mouvement dans un univers disproportionné de fleurs ou d'insectes, la société Publicis Conseil ne pouvant sérieusement soutenir que le remplacement des fleurs par des fruits également disproportionnés sur certains des visuels proposés à la société Promod, comme l'ajout du slogan "Femme, source d'énergie naturelle" sur ces illustrations se traduisaient par la création d'un concept original distinct ; que force est de constater que la première réaction de Séverine Le Grix responsable pour Publicis de la campagne publicitaire de la société Promod, aux protestations de sa cliente, a été de lui écrire le 4 décembre 1997 dans une télécopie portant pour la première fois comme référence " campagne Neiman Marcus ", qu'il avait été " convenu avec Peggy Sirota et son agent - si elle était retenue - de retravailler en fonction des vêtements choisis " ; que la société Publicis Conseil, qui n'a plus fait état par la suite de ces accords, n'apporte aucun élément justifiant de leur existence, et garde le silence sur le risque juridique attaché à la poursuite d'une telle opération pour l'annonceur, pourtant incontestable ;
Considérant en définitive, ainsi que l'ont justement estimé les premiers juges, que la société Publicis Conseil a commis une faute justifiant la rupture du contrat; qu'il ne saurait être fait grief à la société Promod d'avoir rejeté les propositions du publicitaire de réaliser une autre création ou de faire appel à une autre agence, l'appelante faisant justement observer que le temps manquait pour mener à bien un nouveau projet et qu'en tout état de cause la confiance nécessaire à la poursuite des relations contractuelles entre les parties avait disparu ; qu'il n'en demeure pas moins que la société Publicis Conseil et la société Publicis Média avaient jusque là exécuté leurs obligations, le faible impact de la campagne Automne/Hiver 1997, attesté par le sondage Ipsos réalisé en octobre 1997, ne pouvant leur être reproché ; qu'en tout état de cause la lettre recommandée avec AR adressée le 17 novembre 1997 par la société Promod à Publicis, loin de constituer une mise en demeure, se bornait à " insister sur la nécessité d'améliorer rapidement la prestation générale de l'agence ", ajoutant que "la qualité du travail de l'équipe constituée par Dominique Chevalier et Séverine Le Grix" n'était " nullement [remise] en cause " ; qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résolution du contrat, mais seulement de constater que la société Promod l'a résilié à bon droit par lettres des 17 et 29 décembre 1997, les factures établies au titre de prestations antérieures non contestées restant dues ;
Sur le préjudice
Considérant que la société Promod déclare que l'abandon de la stratégie de communication décidée au printemps 1997 lui a causé un lourd préjudice dont elle demande la réparation ; qu'elle déclare avoir ainsi perdu les investissements réalisés au cours de la première campagne, d'un coût de 11 000 000 F, l'investissement de 24 000 000 F prévu pour la seconde campagne rendant compte de l'importance attachée à cette communication ; qu'elle ajoute que l'objectif recherché d'atteindre à une notoriété en tant que marque de mode et non plus seulement comme enseigne a dû être abandonné, l'image de Promod ayant à l'inverse été dévalorisée ; qu'elle chiffre en définitive son préjudice à 52 307 597 F, soit :
* 45 000 000 F au titre de la perte de marge brute subie,
* 1 000 000 F en réparation de la dévalorisation de son image,
* 6 307 597 F au titre des dépenses engagées inutilement pour la campagne Automne/Hiver 1997;
Mais considérant que l'appelante fait elle-même valoir que sa situation financière, délicate lors des faits puisque ses comptes à fin février 1997 ont accusé une perte de 205 043 875 F, s'est redressée dès l'exercice suivant, les résultats bénéficiaires dégagés à fin février 1998 et fin février 1999 s'élevant respectivement à 16 667 367 F et 66 158 536 F ; que s'il est constant, à l'inverse, que les performances médiocres de la première campagne ne peuvent être reprochées au publicitaire sur lequel ne pèse qu'une obligation de moyens, l'appelante pouvait légitimement espérer que les effets cumulés de ces campagnes successives pourraient se traduire par une amélioration plus significative encore de ses résultats, le préjudice subi par la société Promod s'analysant en définitive comme la perte d'une chance que la mission confiée au publicitaire rencontre le succès attendu ;
Que la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 2 000 000 F le préjudice subi par la société Promod du fait de la rupture du contrat intervenue aux torts exclusifs de la société Publicis Conseil ; que la société Publicis Conseil sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive de ce contrat ;
Sur les comptes entre les parties
Considérant que les parties s'accordent sur le montant des factures non réglées par la société Promod, soit :
* 18 factures émises par la société Publicis Conseil entre le 14 novembre 1997 et le 23 décembre 1997, pour un montant total de 1 460 753,50 F,
* 16 factures émises par la société Publicis Conseil le 1er avril 1998 pour un montant total de 1 433 965,80 F,
* 7 factures émises par la société Publicis Media (Optimedia) les 30 novembre et 31 décembre 1997, pour un montant total de 2 669 076,70 F, déduction faite d'un avoir émis par la société Publicis Média le 28 février 1998 ;
Qu'il est constant que ces factures, qui concernent le paiement du solde des prestations réalisées par l'agence au titre de la campagne Automne/Hiver 1997, sont dues par la société Promod sous réserve de l'indemnité due par la société Publicis Conseil à sa cliente au titre de l'inexécution partielle du contrat aux Canaries ; que la cour retiendra à cet égard l'indemnité de 216 000 F proposée par la société Publicis Conseil à sa cliente, cette prestation ayant été chiffrée à 298 175 F selon les pièces produites et la société Promod n'apportant pas d'éléments au soutien de sa demande de 380 314 F en réparation de ce chef de préjudice ; que la société Publicis Conseil ne conteste pas devoir une facture du 17 novembre 1997 de 30 150 F à la société Promod ;
Que ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter :
* du 16 janvier 1998 date de la mise en demeure en ce qui concerne les factures établies par la société Publicis Conseil entre le 14 novembre et le 23 décembre 1997,
* du 1er février 1999 date des premières conclusions de la société Publicis Conseil formulant cette demande, en ce qui concerne les factures émises le 1er avril 1998,
* du 4 juin 1998 date de l'ordonnance de référé en ce qui concerne les factures émises par la société Publicis Média,
* du 12 février 1998, date de l'acte introductif d'instance, en ce qui concerne la somme de 216 000 F et celle de 30 150 F dues à la société Promod ;
Considérant que les conditions de la capitalisation demandée par les intimées sont réunies ; qu'il y a lieu de l'ordonner à compter des conclusions du 10 octobre 2000 qui en font la demande ;
Considérant, en ce qui concerne les sommes réclamées par les prestataires extérieurs et non payées par la société Publicis Média, qu'il incombait à cette dernière comme à la société Publicis Conseil en leur qualité de mandataires payeurs de la société Promod suivant mandat du 6 juin 1997 signé par les parties, d'en régler le montant pour le compte de l'annonceur ; qu'il y a lieu de condamner la société Publicis Média à les rembourser à la société Promod, étant observé que ces sommes dont le paiement direct incombait au publicitaire en sa qualité de mandataire payeur, ont nécessairement été facturées par la société Publicis Média à sa cliente ;
Qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la société Promod de condamner la société Publicis Média à lui rembourser :
* 341 242,95 F réglés à la société Interdeco Publicité en exécution d'une ordonnance de référé rendue le 4 juin 1998 par le Président du Tribunal de commerce de Paris,
* la contre-valeur en français des sommes de 215 238 382 lires et 20 738 698 lires réglées à la société italienne IGP en exécution respectivement d'ordonnances et d'un jugement rendus les 26 mars 1999 et 11 décembre 2000 par le Tribunal de Milan ;
Que la cour rejettera, pour les mêmes motifs, la demande des intimées tendant à la condamnation de la société Promod à leur rembourser la somme de 177 322,81 F qu'elles ont été condamnées à lui restituer par arrêt du 15 octobre 1999 de cette cour, infirmant l'ordonnance de référé précédemment rendue le 8 janvier 1999 par le Président du Tribunal de commerce de Paris qui condamnait la société Promod à relever et garantir les intimées de leur condamnation à payer ce montant à la société Hachette Filipacchi Global Advertising, autre prestataire extérieur ; qu'il n'y a pas lieu de dire que la société Publicis Conseil et la société Publicis Média devront garantir solidairement la société Promod contre toutes demandes en paiement de tous prestataires extérieurs et la rembourser de tous frais ou prestations correspondant à la première campagne publicitaire, aucune autre demande n'ayant été formée contre elle à ce titre ;
Qu'il y a lieu d'ordonner la compensation entre les sommes réciproquement dues par les parties, à hauteur des plus faibles d'entre elles, et de dire que pour le surplus ces sommes s'imputeront sur les 2 000 000 F séquestrés par la société Promod en exécution de l'ordonnance rendue le 4 juin 1998 en référé par le Président du Tribunal de commerce de Paris ;
Considérant que les intimées ne justifient pas du caractère abusif de la procédure engagée et poursuivie en appel par la société Promod ; qu'elles seront déboutées de leur demande de dommages-intérêts ;
Considérant qu'il est équitable que la société Promod soit indemnisée de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Par ces motifs, Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Dit que le contrat de publicité conclu au printemps 1997 entre la société Promod, la société Publicis Conseil et la société Publicis Centre Média exerçant ses activités sous l'enseigne Optimedia a été résilié en décembre 1997 par la société Promod, aux torts exclusifs de la société Publicis Conseil, Condamne la société Publicis Conseil à payer à la société Promod 2 000 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture de ce contrat, Condamne la société Promod à payer : * 1 460 753,60 F à la société Publicis Conseil, avec intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 1998, * 1 433 965,80 F à la société Publicis Conseil, avec intérêts au taux légal à compter du 1 février 1999, * 2 669 076,70 F à la société Publicis Centre Média, avec intérêts au taux légal à compter du 4 juin 1998, Dit que les intérêts produits sur ces sommes seront capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 du Code civil à compter du 10 octobre 2000, Condamne la société Publicis Conseil à verser 216 000 F de dommages-intérêts et 30 150 F avec intérêts au taux légal à compter du 12 février 1998, et dit que ces sommes s'imputeront à due concurrence sur la somme de 1 460 753,60 F due en principal à la société Publicis Conseil, Ordonne la compensation des sommes réciproquement dues par les parties à concurrence des plus faibles d'entre elles, Dit que la somme de 2 000 000 F séquestrée par la société Promod en exécution de l'ordonnance de référé rendue le 4 juin 1998 sera remise avec intérêts au taux légal en compte et à valoir * à la société Publicis Conseil à concurrence du solde de la créance, * à la société Publicis Centre Média pour le surplus, Condamne in solidum la société Publicis Conseil et la société Publicis Centre Média à payer à la société Promod 80 000 F pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, Rejette toute autre demande, Condamne in solidum la société Publicis Conseil et la société Publicis Centre Média aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Taze Bernard Belfayol Broquet, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.