CA Paris, 4e ch. B, 10 octobre 1997, n° 97-13013
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Régie 7 (SNC)
Défendeur :
Epargne Construction Loisirs (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval (faisant fonction)
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Annie Baskal, SCP Roblin-Chaix-de-Lavarene
Avocats :
Mes Charlemagne, Lemoine.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la SNC Régie 7 d'un jugement rendu à son encontre le 21 décembre 1992 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Epargne Construction Loisirs ECL et à la société Impact Publicité. Cette dernière société s'étant avérée avoir été placée en liquidation de biens, procédure qui a été clôturée pour insuffisance d'actif, le conseiller de la mise en état a ordonné la disjonction de l'instance l'opposant à Régie 7. La présente instance n'oppose donc que Régie 7 à ECL.
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
ECL exploite un réseau de franchise de construction de maisons individuelles en kit. Courant 1986 elle a publié des encarts publicitaires dans l'hebdomadaire Télé 7 Jours. Elle s'était adressée à l'agence de publicité Impact Publicité qui avait traité avec FEP Pressinter, aujourd'hui Régie 7, régisseur du support.
A la suite de contestations sur la qualité de certains des encarts publiés, le coût des publications n'a pas été intégralement réglé.
FEP Pressinter et Cie " Régie 7 " a fait assigner en 1991 Impact Publicité et ECL devant le Tribunal de commerce de Paris en sollicitant leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 349 266,49 F montant des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 1988, date d'une mise en demeure. La demanderesse se prévalait notamment de l'article 3 de ses conditions générales de vente énonçant que " l'agent de publicité adressant un ordre agit tant en son nom personnel qu'en tant que mandataire de l'annonceur, l'un et l'autre sont solidairement responsables du paiement de l'ordre ".
M. Verleure se présentant comme gérant d'Impact publicité a exposé au tribunal que la société était intervenue en tant que mandataire d'ECL, après avoir eu dans un premier temps un rôle de conseil dans l'élaboration d'un plan médias qui n'avait pas été mis en œuvre pour des raisons budgétaires. Il a ajouté qu'Impact Publicité en accord avec ECL avait été rémunérée par un pourcentage de 5,3 % sur le coût des insertions, le surplus des remises de 15 % consenties par le support revenant à l'annonceur.
ECL, soutenant pour sa part qu'Impact Publicité était intervenue en qualité de commissionnaire du support, a conclu au débouté des demandes formées à son encontre par Régie 7. Subsidiairement, elle a fait valoir qu'en raison des graves malfaçons ayant affecté les parutions, il y avait lieu en toute hypothèse de débouter la demanderesse ou de réduire dans des proportions importantes ses réclamations.
C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement entrepris qui a retenu qu'Impact Publicité était intervenue en qualité de commissionnaire du support et était seule obligée vis-à-vis de la régie publicitaire, mais que les défauts affectant les deux premières parutions justifiaient une réfaction à hauteur de 20 % de la facture. Rejetant les demandes formées contre ECL, il a condamné Impact Publicité au paiement de la somme de 280 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 21 janvier 1988 et d'une indemnité de 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ayant interjeté appel, Régie 7, concluant à la réformation du jugement, n'a réitéré ses demandes initiales qu'à l'encontre de ECL en reprenant son argumentation de première instance suivant laquelle elle aurait disposé d'une action directe contre l'annonceur parce que celui-ci aurait été le mandant d'Impact Publicité. Elle a sollicité la disjonction de l'instance concernant cette société, indiquant que celle-ci avait été placée en liquidation judiciaire par jugement du 18 janvier 1991 et que la liquidation avait été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 20 novembre 1992.
ECL a soulevé de multiples exceptions de procédure, faisant valoir :
- que l'appel interjeté par Régie 7 était irrecevable au motif notamment que cette société ne justifiait pas être aux droits de FEP Pressinter et Cie Régie 7 qui avait introduit l'instance devant le tribunal de commerce et n'avait pas qualité pour la représenter,
- que le jugement entrepris devait être annulé de même que l'assignation délivrée le 8 mars 1991 à Impact Publicité alors que celle-ci avait été placée en liquidation judiciaire le 18 janvier précédent,
- que cette nullité du jugement commandée notamment par la nullité de l'assignation excluait que la cour se prononce sur le fond du litige.
Subsidiairement, sur le fond, elle a sollicité le débouté de Régie 7 en soutenant que celle-ci n'avait pas d'action directe à son encontre parce qu'Impact Publicité aurait agi en qualité de commissionnaire, et en demandant encore plus subsidiairement qu'il soit opéré sur les facturations de Régie 7, compte tenu des défectuosités des publications, une " réfaction bien plus importante que celle effectuée par les premiers juges ".
Régie 7 et ECL ont chacune sollicité le bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Comme mentionné ci-dessus, le conseiller de la mise en état a ordonné la disjonction de l'instance opposant Régie 7 à ECL.
Sur ce, LA COUR,
Considérant que les contestations de ECL concernant la recevabilité de l'appel de Régie 7 ne sauraient être retenues ; que si les assignations qui ont saisi le tribunal de commerce ont été faites par FEP Pressinter et Cie "Régie 7", le jugement mentionne qu'il est rendu sur la demande de Régie 7 venant aux droits de FEP Pressinter et Cie ; qu'il ressort des pièces versées aux débats que FEP Pressinter et Cie (Régie 7) a modifié sa raison sociale par délibération du 27 juillet 1988 pour adopter celle de Régie 7 ; que Régie 7 n'est donc pas une personne morale distincte de Pressinter et Cie "Régie 7" et avait parfaitement qualité pour interjeter appel ;
Que par ailleurs les critiques formulées par ECL concernant les formes de la déclaration d'appel (elle relève que celle-ci mentionne comme gérants de Régie 7, non seulement ses gérants statutaires mais aussi ses associés) ne sauraient prospérer alors qu'en toute hypothèse l'intimée ne justifie pas du grief que lui causerait l'irrégularité alléguée ;
Considérant que le gérant d'Impact Publicité avait cru devoir comparaître au nom de celle-ci sur l'assignation qui avait été délivrée à la société, postérieurement au jugement plaçant celle-ci en liquidation judiciaire, et n'avait pas révélé cette procédure collective devant le tribunal, qui a ainsi rendu - alors que l'instance était d'ailleurs interrompue - un jugement qualifié à tort de contradictoire puisqu'Impact Publicité, qui n'avait pas fait l'objet d'une assignation régulière, n'avait en outre jamais été régulièrement représentée devant lui par son liquidateur puis par l'administrateur ad hoc qui aurait du être désigné pour la représenter après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif ; que doivent en conséquence être annulés, ainsi que le réclame ECL, qui invoque à juste titre le régime applicable aux nullités de procédure pour irrégularité de fond, tant l'assignation délivrée à Impact Publicité le 8 mars 1991 que le jugement prononcé dans les conditions ci-dessus exposées le 21 décembre 1992 ;
Mais considérant que ces nullités prononcées, il appartient à la cour par application de l'article 562 du nouveau Code de procédure civile, de statuer sur le fond du litige opposant Régie 7 à ECL, celle-ci qui avait pu normalement organiser sa défense en première instance, ayant en outre conclu au fond en appel ;
Considérant que le tribunal a rejeté les demandes formées contre ECL en retenant que l'agence Impact Publicité avait agi en son nom propre et pour le compte du support en tant que commissionnaire de celui-ci ; qu'alors qu'ECL poursuit la confirmation du jugement de ce chef, Régie 7 en réclame au contraire la réformation en soutenant qu'elle a un droit direct contre ECL, celle-ci ayant été selon elle le mandataire d'Impact Publicité ;
Qu'elle fait valoir à cet égard :
- que cette qualification résultait des usages en matière de publicité à la date des faits litigieux (1986),
- que ses conditions générales de vente figurant sur les bons de commande stipulaient expressément que l'agent de publicité agissait tant en son nom personnel qu'en sa qualité de mandataire de l'annonceur et que l'un et l'autre étaient solidairement responsables du paiement,
- qu'Impact Publicité qui a reconnu ne pas avoir rempli en fait de rôle de conseil de l'annonceur avait admis être intervenue comme mandataire d'ECL,
- que l'agence avait d'ailleurs révélé le nom de l'annonceur qui figurait sur les bons de commande ;
Considérant que le tribunal a écarté cette argumentation en retenant ainsi que le soutenait ECL qu'à la date des faits, antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 29 janvier 1993 qui impose que tout achat d'espace publicitaire réalisé par un intermédiaire pour le compte d'un annonceur intervienne dans le cadre d'un contrat écrit de mandat, l'usage était que l'agent de publicité soit le commissionnaire du support ;
Mais considérant que contrairement à ce que soutient ECL, il n'est pas établi que l'usage ancien qui conférait à l'agent de publicité la qualité de commissionnaire, était demeuré en vigueur à la date des faits litigieux ;qu'en l'espèce, même si les bons de commande souscrits par Impact Publicité qui n'ont pas été visés par ECL ou soumis à celle-ci ne lui sont pas directement opposables, l'acceptation par Impact Publicité de leurs clauses (qui stipulaient que l'agent de publicité était le mandataire de l'annonceur) ne permet pas d'admettre que l'agence - qui avait en outre déclaré le nom de la société pour laquelle elle agissait - serait intervenue auprès de Régie 7 en qualité de commissionnaire et non de mandataire ; qu'eu égard à ces éléments (auxquels s'ajoutent les modalités de la rémunération de l'agence qui reversait à l'annonceur les deux tiers de la remise consentie par le support, et le fait qu'Impact Publicité n'ait pas rempli effectivement de rôle de conseil) et alors qu'ECL ne verse aux débats aucun document concernant ses rapports contractuels avec Impact Publicité de nature à faire écarter cette qualification, il convient de retenir que Régie 7 dispose d'une action directe contre ECL, mandante d'Impact Publicité ;
Considérant que la réfaction d'environ 20 % opérée par le tribunal sur le montant des factures litigieuses apparaît très insuffisant, ainsi que le soutient ECL compte tenu des défectuosités affectant les encarts publiés; que les correspondances versées aux débats établissent qu'à la suite de la publication de deux de ces encarts, ECL a immédiatement protesté auprès d'Impact Publicité, en faisant état des réclamations de ses franchisés ; qu'il ressort de ces correspondances qu'Impact Publicité qui n'a jamais contesté la réalité des défectuosités alléguées par ECL, a, en accord avec celle-ci, tenté d'obtenir de Régie 7 qu'elle procède à deux publications gratuites supplémentaires ;
Considérant que si Régie 7, qui n'a donné aucune suite à ces réclamations, conteste maintenant les défectuosités alléguées en faisant valoir que les numéros de l'hebdomadaire Télé 7 Jours dans lesquels sont parus les publicités litigieuses ne sont plus disponibles et que son adversaire ne peut dans ces conditions rapporter la preuve du bien-fondé de ses réclamations, la cour retiendra, comme le tribunal, que des présomptions précises et concordantes établissent la réalité des désordres affectant deux des encarts publicitaires publiés pour le compte d'ECL ;
Considérant que la gravité de ces désordres (maisons "mal sorties en impression", bons à découper illisibles et superposition de couleurs) n'a pas privé de toute utilité pour l'annonceur les encarts publicitaires litigieux, mais a très fortement limité (en empêchant notamment l'exploitation normale des "bons à découper") l'effet commercial qu'en escomptait ECL, et caractérise un manquement manifeste aux obligations qui incombaient au support; que Régie 7 réclamant paiement des factures correspondant à trois encarts (pour un montant total de 349 268,09 F) dont l'un n'a fait l'objet d'aucune critique, la cour dispose d'éléments suffisants pour procéder à une réfaction de ces factures ramenant à 180 000 F le montant global des sommes dues par ECL ;
Considérant que Régie 7 qui indique avoir procédé à une mise en demeure le 21 janvier 1988, n'en justifie pas devant la cour et n'indique d'ailleurs pas qu'elle aurait été adressée à ECL ; que la somme ci-dessus mentionnée ne portera en conséquence intérêts au taux légal qu'à compter de la date de l'assignation, le 13 mars 1991 ;
Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait droit aux demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile par l'une ou l'autre des parties ; que les circonstances particulières du litige et les errements de la procédure justifient que chacune d'elles supporte ses dépens ;
Par ces motifs, Prononce la nullité de l'assignation délivrée à la société Impact Publicité le 13 mars 1991 et du jugement rendu le 21 décembre 1992 par le Tribunal de commerce de Paris dans le litige opposant la société Régie 7 aux sociétés Impact Publicité et Epargne Construction Loisirs ; Statuant, en application de l'article 562, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, sur le fond du litige opposant les sociétés Régie 7 et Epargne Construction Loisirs ; Condamne la société Epargne Construction Loisirs à payer à la société Régie 7 la somme de 180 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 13 mars 1991 ; Rejette toute autre demande ; Dit que chacune des parties supportera les dépens par elle exposés en première instance et en appel.