Cass. crim., 16 février 1999, n° 97-86.290
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
M. Desportes
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocat :
Me Bouthors
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par S Marcel, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 14 octobre 1997, qui, pour mise en danger d'autrui et infraction à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, l'a condamné à une amende de 4 000 F et à 2 amendes de 3 000 F chacune et qui a prononcé sur l'action civile ; - Vu le mémoire produit ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'alors que 2 salariés de la société Camom effectuaient des travaux de maintenance sur un compresseur de gaz situé dans une usine de la société P, de l'eau brûlante s'est brusquement écoulée d'une canalisation sur laquelle ils travaillaient ; qu'à la suite de ces faits, le directeur de l'usine, Marcel S, a été poursuivi pour infraction aux règles de sécurité prévues par les articles R 237-6 et R 237-7 du Code du travail et pour risques causés à autrui, sur le fondement de l'article 223-1 du Code pénal ; que, le tribunal correctionnel ayant relaxé le prévenu de ces chefs, le procureur de la République et les salariés constitués parties civiles ont interjeté appel du jugement ; En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 231-1, L. 231-2, L. 263-2, L. 263-6, R 237-6 et R 237-7 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale : - "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable d'infractions à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité du Travail ; - "aux motifs que les articles R 237-6 et R 237-7 du Code du travail, en cas d'opération réalisée dans une entreprise utilisatrice par des entreprises extérieures, impose une inspection commune préalable des lieux de travail, des installations qui s'y trouvent et des matériels éventuellement mis à disposition de ces entreprises extérieures, qui permet un recueil et un échange d'informations afin que les chefs d'entreprises procèdent en commun à une analyse des risques pouvant résulter de l'interférence entre les activités, les installations et les matériels, cette concertation permettant après identification des risques, l'élaboration d'un plan de prévention spécial ; qu'en l'espèce la seule réunion sur site, préalable aux travaux de remise en état du compresseur GHH 4 en vue de son redémarrage, qui devaient s'échelonner sur 15 jours et nécessitaient l'intervention de 8 entreprises dont la société Camom pour le lot montage-nettoyage, a consisté en une rencontre le jeudi 7 septembre 1995 sur l'unité entre M Bergeyre, chef de chantier chargé de superviser les travaux pour la société Camom, et M Goyard, responsable de la société P afin d'examiner les travaux à effectuer ; qu'il est établi qu'il n'y a pas eu, à l'occasion de cette rencontre, qui a conduit à la signature le 11 septembre 1995 d'une autorisation de travail, d'analyse et de confrontation sur les risques, modes opératoires et moyens de prévention à mettre en ouvre, seule ayant été abordée l'obligation de porter le masque pour prévenir la présence de gaz ; que l'absence des autres entreprises extérieures à cette réunion ne permet pas de considérer que les dispositions précitées, qui prévoient une inspection commune des lieux par l'ensemble des entreprises extérieures concernées, aient été respectées ; qu'en outre l'inspection commune des lieux de travail n'ayant pas été effectuée, le plan de prévention définissant aux termes de l'article R 237-7 du Code du travail les mesures qui doivent être prises par chaque entreprise en vue de prévenir ces risques, n'a pas été élaboré ; que le plan annuel de 4 pages complété de consignes de sécurité à l'usage des entreprises extérieures établi le 29 décembre 1994 par la société P ne répond pas aux exigences de cette réglementation, ainsi que le rappelait l'Inspection du travail dans une lettre adressée le 18 janvier 1995 à cette entreprise utilisatrice ; que le défaut d'inspection commune des locaux par l'ensemble des responsables des huit entreprises extérieures concernées et le défaut d' élaboration consécutif d'un plan de prévention spécial, démarches qui auraient seules permis une étude exhaustive des risques potentiels, ont induit l'absence de vérification de l'état des vannes de vapeur et de la vanne de sécurité, qui est en cause dans l'accident litigieux ; - "1° alors que l'entreprise utilisatrice est simplement tenue de procéder, préalablement à l'opération, à une inspection commune des lieux de travail avec l'entreprise extérieure chargée d'intervenir sur place ; qu'en exigeant une visite simultanée par l'ensemble des entreprises extérieures, pourtant étrangères à l'opération ici en cause, la cour d'appel a ajouté une condition supplémentaire à l'article R 237-6 du Code du travail ; - "2° alors qu'aucune forme particulière n'est imposée pour le plan de prévention spécial ; qu'ainsi, en déduisant l'absence d'un tel plan, d'un prétendu défaut d'inspection simultanée, sans autrement s'expliquer sur l'évaluation des risques prévisibles, justifiée par l'employeur et retenue par les premiers juges, dont elle n'a point réfuté les motifs, la cour d'appel a procédé par voie d'affirmations générales et contradictoires" ; - Attendu que, pour retenir la culpabilité de Marcel S pour infraction aux articles R 237-6 et R 237-7 du Code du travail, la cour d'appel relève que les travaux de remise en état du compresseur, qui devaient s'échelonner sur quinze jours et nécessitaient l'intervention de 8 entreprises dont la société Camom pour le lot " montage-nettoyage ", n'avaient été précédés que d'une réunion, tenue entre les seules sociétés Camom et P; que les juges ajoutent " qu'il n'y a pas eu à l'occasion de cette réunion d'analyse et de confrontation sur les risques, modes opératoires et moyens de prévention à mettre en ouvre, seule ayant été abordée l'obligation " de porter un masque à gaz ; qu'ils en déduisent qu'une telle réunion ne constituait pas l'inspection commune des lieux de travail exigée par l'article R 237-6 du Code précité, qui aurait dû être effectuée par " l'ensemble des entreprises " intervenantes afin de permettre une analyse des risques pouvant résulter de l'interférence entre leurs activités, installations et matériels; que les juges retiennent par ailleurs que le plan annuel de quatre pages, complété de consignes de sécurité à l'usage des entreprises extérieures, qui avait été établi par la société P, ne répondait pas aux exigences de l'article R 237-7 du Code du travail;
Attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; qu'en effet toutes les entreprises concourant à l'exécution d'une même opération, au sens de l'article R 237-1, alinéa 5, du Code du travail, doivent participer de manière simultanée à l'inspection préalable prévue par l'article R 237-6 de ce Code, dont l'objet est d'assurer leur information réciproque dans l'intérêt de la sécurité des travailleurs ; d'où il suit que le moyen qui, pour le surplus, remet en question l'appréciation souveraine par les juges du second degré des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-1 du nouveau Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale : - "en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable de mise en danger d'autrui ; - "aux motifs que l'absence de prise en compte du risque "eau chaude" ou "vapeur chaude" par quiconque, qui résulte de l'ensemble des auditions recueillies par les enquêteurs, constitue une carence en matière de prévention qui est la conséquence directe du non-respect des procédures imposées par la réglementation (inspection commune des lieux par l'ensemble des entreprises concernées et élaboration d'un plan de prévention spécial) ; que le caractère intentionnel de cette infraction découle de la mise en garde sans ambiguïté adressée au prévenu le 18 janvier 1995 en sa qualité de directeur de l'usine P quant au respect de la réglementation en matière de sécurité en cas d'intervention d'entreprises extérieures, et dont Marcel S n'a pas tiré les conséquences qui s'imposaient pour l'opération de maintenance ; - "alors que la prévisibilité du danger est un élément essentiel, en l'absence duquel le délit ne peut être caractérisé ; qu'ainsi la cour d'appel ne pouvait se borner à déduire la culpabilité du demandeur, d'une prétendue violation de la réglementation, sans rechercher si ce dernier avait pu avoir une connaissance effective du danger" ;
Et sur le moyen de cassation relevé d'office, pris de la violation de l'article 223-1 du Code pénal : Les moyens étant réunis ; - Vu l'article 223-1 du Code pénal ; - Attendu que le délit de mise en danger d'autrui n'est constitué que si le manquement défini par l'article susvisé a été la cause directe et immédiate du risque auquel a été exposé autrui;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de mise en danger d'autrui, la cour d'appel relève que Marcel S n'a pas tenu compte d'une lettre de mise en garde adressée par l'Inspection du travail avant l'accident, qui lui faisait connaître que le plan annuel élaboré par la société P ne satisfaisait pas aux prescriptions réglementaires relatives aux travaux effectués par une entreprise extérieure</svc< ; que les juges ajoutent que l'inspection des lieux et l'élaboration consécutive d'un plan de prévention en application des articles R 237-6 et R 237- 7 du Code du travail " auraient seules permis une étude exhaustive des risques potentiels ", leur absence ayant " induit l'absence de vérification de l'état des vannes de vapeur et de la vanne de sécurité, en cause dans l'accident litigieux "</svc< ; qu'ils en déduisent que " l'absence de prise en compte du risque eau chaude est la conséquence directe " de la faute du prévenu ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que, si elle n'était pas tenue de constater que l'auteur du délit avait eu connaissance de la nature du risque particulier effectivement causé par son manquement, il lui appartenait de caractériser un lien immédiat entre la violation des prescriptions réglementaires et le risque auquel avaient été exposés les salariés, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Pau, en date du 14 octobre 1997, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux.