Cass. crim., 29 juin 1999, n° 98-83.106
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Comité national contre le tabagisme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Cotte
Avocats :
Mes Cossa, Guinard, SCP Piwnica, Molinié.
LA COUR: - Statuant sur le pourvoi formé par le Comité national contre le tabagisme, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e chambre, du 12 février 1998, qui l'a débouté de ses demandes après relaxe d'Olivier Le P et Walter T du chef de publicité illicite en faveur du tabac. - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 355-24 et suivants du Code de la santé publique, 2, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale:
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Walter T et Olivier Le P des chefs, respectivement, de publicité illicite en faveur du tabac et de complicité de ce délit et a, en conséquence, débouté le CNCT de toutes demandes de réparation civile à l'encontre tant des susnommés que de l'association et de la société recherchées comme civilement responsables;
"aux motifs que, selon l'article L. 355-25, alinéa 3, du Code de la santé publique, toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac; que ces dispositions de la loi du 10 janvier 1991, n'interdisant pas à une société dont l'objet social n'est pas exclusivement la production du tabac ou de produits du tabac, de faire mention de sa dénomination, même si elle rappelle le nom d'une marque de cigarettes, mais présente un réel intérêt scientifique; qu'un acte de nature publicitaire a pour finalité de faire connaître l'existence d'un produit ou d'un service à des clients éventuels, dans une perspective commerciale d'incitation à l'achat; que les actes de promotion du " prix scientifique PM " sont limités à la communauté scientifique ou font l'objet de communications de presse que les journalistes sont libres de ne pas transmettre au public s'ils estiment que celles-ci tendent à réaliser une publicité illicite en faveur du tabac;
"alors, d'une part, que l'article L. 355-25 du Code de la santé publique prohibe notamment toute publicité indirecte en faveur du tabac et que constitue une publicité clandestine illicite la promotion d'une manifestation qui, bien que s'inscrivant dans le cadre d'une opération de mécénat, donne l'occasion, par le rapprochement qu'y suscite l'utilisation répétée d'une marque notoire de cigarettes, de rappeler au public ce produit du tabac; qu'en l'espèce, il était acquis que la promotion du " prix scientifique PM ", réalisée, du propre aveu des prévenus tel que constaté dans l'arrêt, par le biais d'une campagne médiatique non seulement dans la presse scientifique mais également dans la presse grand public, donnait lieu et pour cause à l'utilisation répétée de la marque " PM "; que, dès lors, en jugeant, néanmoins que cette manifestation ne tombait pas sous le coup de l'incrimination de publicité indirecte en faveur du tabac, au seul motif qu'il s'agissait d'une opération de mécénat présentant un réel intérêt scientifique et n'ayant pas pour finalité immédiate et visible d'inciter à l'achat de tabac, et en faisant ainsi abstraction de ce que l'utilisation répétée auprès du public d'une marque notoire de cigarettes constituait par elle-même une propagande délictueuse en faveur du tabac, la cour d'appel a violé les articles L. 355-25 et L. 355-26 du Code de la santé publique;
"et alors, d'autre part, que, en affirmant que les actes de promotion du "prix scientifique PM" ne revêtaient pas le caractère d'une publicité de nature à entrer dans le champ de la législation incriminant la publicité en faveur du tabac, au motif que les journalistes, auprès desquels étaient diffusés des communiqués de presse relatifs à cette manifestation, étaient libres de ne pas transmettre au public les informations qu'ils contenaient s'ils estimaient qu'elles tendaient à une publicité en faveur du tabac, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, radicalement impuissant à conférer une base légale à sa décision de relaxe ";
Vu les articles L. 355-25 et L. 355-26 du Code de la santé publique; - Attendu qu'est interdite la propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service ou d'une activité lorsque, par l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle le tabac ou un produit du tabac;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que l'"Association pour le prix scientifique PM", créée à l'initiative du groupe PM, décerne chaque année un prix qui récompense une personne ayant présenté un projet scientifique dans le domaine de la recherche appliquée; que, dénonçant, à cette occasion, une publicité illicite en faveur du tabac, le Comité national contre le tabagisme a fait citer devant le tribunal correctionnel, pour infraction à l'article L. 355-25 du Code de la santé publique, le président de l'association et le dirigeant de la société ayant organisé la diffusion de l'information sur l'opération;
Attendu que les premiers juges ont caractérisé le délit au motif que cette opération est l'occasion d'une publicité indirecte en faveur des produits du tabac, par l'utilisation répétée de la marque de cigarettes PM, lors de la parution de l'appel de candidatures, la remise du prix en présence de journalistes qui reçoivent un dossier de presse et la diffusion, auprès d'universitaires et du "grand public", d'une brochure intitulée "Échos du prix scientifique PM";
Attendu que, pour infirmer le jugement et relaxer les prévenus, l'arrêt rappelle que les dispositions de l'article L. 355-25 prohibent les opérations de parrainage lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac; que les juges énoncent qu'elles n'interdisent pas, cependant, à une société, dont l'objet social n'est pas, comme en l'espèce, exclusivement la production des produits du tabac, de faire mention de sa dénomination, quand bien même elle rappellerait une marque de cigarettes, dès lors que l'opération de mécénat ne tend pas à promouvoir cette marque, mais présente un réel intérêt scientifique; que les juges, après avoir relevé que la publicité a pour finalité de faire connaître l'existence d'un produit à des clients potentiels dans une perspective commerciale, retiennent que le " prix scientifique PM " fait l'objet d'une promotion limitée à la communauté scientifique et de communications de presse que les journalistes peuvent ne pas transmettre au public; qu'ils en déduisent que l'appel à la candidature et la remise du prix ne sont pas constitutifs de publicité illicite en faveur du tabac;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que toute utilisation publique d'une marque de cigarettes, quelle qu'en soit la finalité, constitue une publicité en faveur du tabac, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ; d'où il suit que la cassation est encourue;
Par ces motifs: Casse et annule, mais en ses seules dispositions civiles, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 12 février 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles.