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Décisions

Ministre de l’Économie, 28 janvier 2003, n° ECOC0300275Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseil de la société Médica France

Ministre de l’Économie n° ECOC0300275Y

28 janvier 2003

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maître,

Par dépôt d'un dossier déclaré complet à la date du 24 décembre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition par la société Médica France SA des sociétés Groupe Doyennés Europe SA, Société d'Exploitation de la Risle SA, Le Home EURL, collectivement dénommées "le groupe Doyennés", ainsi que de cinq sociétés civiles immobilières : les SCI La Porte Océane, Saint-Maurice Leclerc, Nancy, Chambéry Jorcin et Lyon Oullins. Cette acquisition a été formalisée par une convention de cession d'actions et de parts sociales conclue le 23 décembre 2002.

I - Les parties et l'opération

Médica France SA (ci-après "Médica France") est contrôlée exclusivement via la société SCIC, opérateur immobilier et gestionnaire de biens, par la société C3D et donc par la Caisse des Dépôts et Consignations (ci-après "CDC"). Médica France est active essentiellement dans le secteur de l'accueil des personnes âgées ; elle exploite actuellement cinquante établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (ci-après "EHPAD") (1), douze centres de soins de suite et de réadaptation ("centres SSR"), un logement-foyer, une résidence avec services et un établissement de soins psychiatriques. Le groupe CDC a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires hors taxes consolidé de plus de [...]* milliards d'euros (2) dont [>15] millions en France.

Le groupe Doyennés et les cinq SCI rachetées par Médica France sont actuellement contrôlés par diverses filiales de la société d'assurance mutuelle MACIF : la société d'assurance-vie Exitour, SCS Mutavie Doyennés et l'EURL Niort Investissements. Le groupe Doyennés exploite vingt deux EHPAD en France (3) et projette d'en ouvrir quatre autres. Les SCI, objet de l'opération, détiennent chacune les droits immobiliers utiles à l'activité d'exploitation d'un EHPAD. Le chiffre d'affaires cumulé hors taxes du groupe Doyennés et des cinq SCI, réalisé [...] en France, s'est élevé à [>15]* millions d'euros en 2001.

L'opération consiste en l'acquisition par Médica France de la totalité du capital et des droits de vote détenus par les filiales de la MACIF : Mutavie, Exitour, SCS MD et Niort Investissements dans les sociétés composant le groupe Doyennés et les cinq SCI ci-dessus énumérées. La SCI Lyon Oullins ayant déposé une demande de permis de construire pour un projet d'EHPAD, son acquisition est subordonnée à l'obtention de ce permis.

Compte tenu des chiffres d'affaires précités, cette opération n'est pas de dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.

Concomittamment à cette opération, la société MAPAD Investissements, SARL indépendante de la CDC et intégralement contrôlée par deux personnes physiques, projette d'acquérir auprès de diverses filiales de la MACIF (Mutavie, SCS MD, Niort Investissements, Mutavie Retraite) dix-sept autres SCI utiles à l'activité d'exploitation des EHPAD du groupe Doyennés. MAPAD Investissements s'engagerait alors à ce que chacune des dix-sept SCI consente un bail commercial aux EHPAD du groupe Doyennés. Le chiffre d'affaires cumulé des dix-sept SCI étant de [...] millions d'euros, cette dernière opération n'est pas soumise aux dispositions des articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.

II - La définition des marchés

* Marchés de services

La présente opération porte sur le secteur de l'hébergement des personnes âgées. Ce secteur est atomisé et très hétérogène.

Le marché pertinent retenu par les parties est celui de l'hébergement en long séjour des personnes âgées dépendantes regroupant les maisons de retraite ou EHPAD, les logements-foyers et les unités de soins de longue durée (ci-après "USLD"). Les parties excluent de ce marché les centres SSR qui sont des établissements dits de "dépendance temporaire", accueillant des patients après une intervention chirurgicale et relevant du secteur hospitalier.

Maisons de retraite et logements-foyers

Les personnes âgées peuvent être hébergées dans des maisons de retraite ou dans des logements-foyers ; dans ce dernier cas, elles sont propriétaires ou locataires de leur logement. Les prestations offertes par ces établissements comprennent l'hébergement, la restauration, éventuellement l'aide à la vie quotidienne, les soins médicaux et divers services spécifiques tels que la blanchisserie ou des animations (4). La France comptait, en juin 2002, 9 530 établissements d'hébergement des personnes âgées, dont 6 490 maisons de retraite et 3 040 logements-foyers d'une capacité respective d'accueil de 433 173 et de 163 666 personnes.

Ces établissements peuvent être distingués suivant différents critères :

- leur statut juridique : établissements publics (plus de 50% des établissements), organismes privés à but non lucratif ou encore organismes privés à caractère commercial,

- leur capacité d'accueil : celle-ci va d'une quinzaine à plusieurs centaines de lits,

- la qualité et l'étendue des services offerts : qualité de l'hébergement, existence de soins infirmiers, voire existence d'une filière gériatrique assurant les consultations médicales et les soins sur place,

- les prix demandés : la fourchette est également très large. Depuis la réforme introduite par la loi du 2 janvier 2002, les prix des prestations offertes dans les établissements comportent trois volets : l'hébergement, la dépendance et les soins ; le prix de l'hébergement est librement convenu ; le prix des prestations dépendance est fixé par le Conseil général en fonction de la dépendance moyenne des personnes accueillies dans l'établissement (5) ; le prix des soins relève de l'Assurance Maladie.

Il apparaît que le choix de l'établissement par les personnes âgées et leur famille se fait principalement en considération du prix et des services offerts et non en fonction du statut juridique de l'établissement.

Pour ce qui est des prix de journée pratiqués par les établissements, ils varient dans une échelle assez large. Cependant, la part à charge de la personne âgée dépend des aides qu'elle est susceptible de recevoir ; il s'agit de l'allocation personnalisée au logement (ci-après "APL") ou de l'aide sociale (20% à 30% des personnes âgées sollicitent une aide sociale) pour couvrir les frais d'hébergement et, depuis 2002, de l'allocation personnalisée d'autonomie (ci-après "APA") pour couvrir les frais liés à la dépendance. Il convient de souligner que tous les établissements ne sont pas habilités à l'aide sociale et/ou conventionnés à l'APL (6). Quant à l'APA, instaurée par la loi n°2001-647 du 20 juillet 2001, elle s'adresse aux personnes de plus de 60 ans ayant subi une perte d'autonomie, qu'elles soient hébergées à domicile ou en établissement. Son attribution n'est pas soumise à condition de ressources ; en revanche, elle est diminuée d'une participation financière dépendant des revenus du bénéficiaire (7). La loi dispose que les établissements voulant accueillir des personnes âgées bénéficiaires de l'APA devront avoir passé avant le 31 décembre 2005 (2006 pour les logements-foyers) une convention pluriannuelle avec le président du Conseil général et le représentant de l'Etat (convention dite "tripartite").

Les USLD

Les USLD sont usuellement rattachées aux départements gériatriques des établissements publics ou privés de santé et sont destinées à l'accueil des personnes dépendantes. Même si elles ne sont pas uniquement destinées à l'accueil des personnes âgées, elles accueillent très majoritairement des personnes de plus de 65 ans. Il en existe près de 1 000 en France.

Bien que l'on puisse s'interroger sur le fait que les USLD relèvent du même marché que les EHPAD et les logements-foyers, en raison de l'imparfaite substituabilité tant du côté de l'offre que de la demande, la question peut, en l'espèce, être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle seraient inchangées.

Il ressort de ces éléments qu'il ne paraît pas nécessaire de distinguer des marchés en fonction du statut juridique de l'établissement et qu'il n'est actuellement pas possible, les démarches de conventionnement étant en cours, de distinguer un marché d'établissements conventionnés accueillant les bénéficiaires de l'APA, distinct d'un marché d'établissements non conventionnés. Par ailleurs, une segmentation suivant le niveau de dépendance des personnes accueillies (8) ou le degré de médicalisation des établissements pourrait être envisagée ; néanmoins, il apparaît qu'une fois entrées dans les établissements d'hébergement long séjour, les personnes âgées y demeurent quasiment toujours jusqu'au terme de leur vie, et ce, quelle que soit l'évolution de leur degré de dépendance, l'établissement adaptant les services offerts au niveau de dépendance. Aussi une telle segmentation est-elle peu pertinente. Enfin, il s'avère difficile d'opérer une segmentation des établissements suivant la participation financière demandée à la personne âgée et les services offerts, dans la mesure où ces deux éléments ne sont pas fortement corrélés.

En l'espèce, il n'apparaît pas nécessaire de s'interroger sur l'existence de marchés restreints à chacun des types d'établissements présentés ci-dessus, dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne s'en trouverait pas modifiée. On retiendra donc pour l'analyse un marché global de l'hébergement des personnes âgées, comprenant les maisons de retraite ou EHPAD, les logements-foyers et les USLD.

* Marchés géographiques

Selon les parties, le marché géographique concerné est de dimension locale, tout au plus départementale, pour ce qui concerne l'ensemble du territoire hors région parisienne. Le critère de choix de l'établissement par la personne âgée ou sa famille étant celui de la distance entre le lieu d'hébergement et le domicile des proches. En outre, les conditions de concurrence entre établissements d'un même département sont homogènes. En effet, en vertu de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, le Conseil général ou le préfet décident notamment de la tarification et des remboursements, de l'ouverture, de la fermeture ou de l'extension d'établissements existants. De plus, les responsables d'établissements et des Conseils généraux interrogés lors du test de marché confirment l'existence de "bassins d'attraction" ou de "bassins gérontologiques" limités à quelques cantons ruraux ou à une ville et sa banlieue proche.

On retiendra donc pour l'analyse l'existence de marchés de taille au plus départementale, concernant l'ensemble du territoire hors région parisienne. Pour ce qui est de la région parisienne, la question de la délimitation précise du marché géographique peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle seraient inchangées.

III. Analyse concurrentielle

L'acquisition par Médica France du groupe Doyennés ferait de lui l'opérateur privé commercial le plus important dans le secteur de l'hébergement des personnes âgées.En effet, Médica France gère 50 maisons de retraite ou EHPAD disposant en moyenne de quatre-vingt dix lits et le groupe Doyennés, objet du projet d'acquisition, en gère vingt-deux et a lancé quatre projets d'ouverture d'établissements. Médica France gère en outre un logement-foyer et l'association Les Maisons Isatis, contrôlée par la CDC, en gère dix. Avec soixante-treize établissements gérés directement (quatre-vingt-trois en incluant les logements-foyers gérés par l'association Les Maisons Isatis), Médica France devancerait la société ORPEA, principal opérateur dans ce domaine jusqu'à présent, avec cinquante neuf établissements recensés en 2001 et la société GSMS Domus Vivendi du groupe Générale de Santé qui gère trente-trois établissements et des résidences locatives.

A l'échelle nationale, toutefois, le poids de la nouvelle entité resterait modeste.En effet, la France comptait, en 2002, 9 530 établissements hébergeant des personnes âgées (maisons de retraite et logements-foyers) représentant une capacité totale de 596 839 lits (9) et un peu moins de 1 000 USLD.

A l'échelle départementale, l'opération entraîne de faibles additions de parts de marché.

Médica France est présent dans vingt-cinq départements, tandis que le groupe Doyennés l'est dans dix-sept départements (vingt en prenant en compte les projets d'ouverture d'établissements). La répartition géographique des EHPAD des deux entreprises est différente et elles ne sont aujourd'hui présentes ensemble que dans quatre départements : l'Ain, le Cher, la Vendée et l'Indre et Loire. La plus importante part de marché qui serait détenue par la future entité serait atteinte en Vendée en terme de nombre d'établissements ([0-10]%) et dans le Cher en termes de nombre de lits ([0-10]%).

Il ressort de cette analyse que l'opération n'emporte pas la création d'une position dominante au profit de la nouvelle entité sur les marchés concernés.

En outre, le secteur économique dans lequel opère Médica France connaît actuellement une forte pression concurrentielle provenant notamment de concurrents du secteur privé, qui cherchent comme Médica France à accroître leur offre dans un contexte de hausse importante de la demande pour les années à venir.En effet, la demande d'hébergement de personnes âgées devrait sensiblement augmenter compte tenu du vieillissement de la population française (avec l'entrée des classes d'après première guerre mondiale dans le quatrième âge, plus nombreuses que les précédentes, suivie de l'arrivée des générations du "baby-boom" à l'âge de la retraite). Dans cette perspective, la société ORPEA est entrée au second marché Euronext en avril 2002 et a procédé à l'acquisition de trois établissements au cours du premier semestre 2002. La société Medipep, cotée en bourse au nouveau marché, a acquis deux EHPAD au premier semestre 2002 et a deux projets d'ouverture d'EHPAD en 2003. Le groupe Générale de Santé s'est introduit sur le premier marché Euronext en juin 2001 et a annoncé en juin 2002 le rachat de cinq établissements. Les opérateurs de soins à domicile sont également à même d'exercer une certaine pression concurrentielle sur les marchés concernés, surtout pour les personnes faiblement dépendantes. En effet, l'activité de soins à domicile, encouragée par les pouvoirs publics, se développe concurremment à l'hébergement en maison de retraite. Le montant de l'APA versée aux personnes âgées restant à domicile est, à coefficient de dépendance identique, plus du double du montant versé aux personnes hébergées dans un EHPAD. Le groupe Générale de Santé a ainsi créé, depuis 1997, huit agences d'aide et de soins à domicile. La société Medipep a racheté, en 2001, neuf agences d'assistance médicale à domicile et a pris le contrôle, en 2002, de D'Medica, société spécialisée dans la vente et la location de matériel et autres produits de soins à destination des pharmacies. Le secteur de l'assistance à domicile est dynamique et compte des opérateurs puissants tels que notamment Air liquide Santé qui a réalisé en 2001 plus de 1,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

En conclusion, l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.

Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Pour le Ministre et par délégation :

Le chef du Service, de la Régulation et de la Sécurité

Noël Diricq

(1) Médica France a fait l'acquisition en 2001 des trente établissements du réseau EIS Qualisanté

* la somme de ces chiffres d'affaires excède 150 millions d'euros

(2) Médica France a contribué à ce chiffre d'affaires à hauteur de [...] millions d'euros, [...].

(3) dont trois ne sont encore qu'à un stade de projet mais feront l'objet d'une exploitation à compter de septembre ou décembre 2003

(4) Dans les cas des logements-foyers, ces services font l'objet d'une facturation indépendante

(5) Le niveau de dépendance est calculé chaque année suivant la grille d'évaluation AGGIR qui permet de regrouper les personnes dépendantes en six groupes, de la dépendance physique la plus lourde (GIR 1) à la plus légère (GIR 6)

(6) En 1996, selon une étude du ministère des affaires sociales, près de 30% étaient à la fois habilités et conventionnés, il s'agissait majoritairement d'établissements publics

(7) Le montant moyen de l'APA en juin 2002 était de 332 euros par mois pour les personnes hébergées en EHPAD ; à la même date, 300 000 personnes bénéficiaient d'une APA et 680 000 demandes avaient été déposées auprès des Conseils généraux

(8) Evalué, par exemple, selon la grille AGGIR

(9) Donnée issue du fichier national FINESS

NOTA : A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.

Ces informations relèvent du "secret des affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002- 689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.