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Décisions

CJCE, 12 octobre 1999, n° C-379/97

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pharmacia & Upjohn SA

Défendeur :

Paranova A/S

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Schintgen

Avocat général :

M. Jacobs

Juges :

MM. Kapteyn, Hirsch, Jann, Wathelet, Gulmann

Avocats :

Mes Dyekjaer-Hansen, Eckhardt-Hansen, Pfeiffer

CJCE n° C-379/97

12 octobre 1999

LA COUR,

1. Par ordonnance du 31 octobre 1997, parvenue à la Cour le 6 novembre suivant, le Sø- og Handelsret a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 30 et 36 du traité CE (devenus, après modification, articles 28 CE et 30 CE) ainsi que de l'article 7 de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la "directive").

2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'un litige opposant Pharmacia & Upjohn SA, anciennement Upjohn SA (ci-après "Upjohn"), société danoise appartenant au groupe de sociétés international Upjohn (ci-après le "groupe Upjohn"), à Paranova A/S (ci-après "Paranova") au sujet de la commercialisation de médicaments produits par le groupe Upjohn et importés parallèlement par Paranova au Danemark.

Le cadre juridique

3. En vertu de l'article 30 du traité, les restrictions quantitatives à l'importation et les mesures d'effet équivalent sont interdites entre les États membres. Toutefois, aux termes de l'article 36 du traité, les interdictions et restrictions à l'importation entre les États membres qui sont justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale sont autorisées dès lors qu'elles ne constituent ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée au commerce intra-communautaire.

4. L'article 7 de la directive, intitulé "Épuisement du droit conféré par la marque", prévoit:

"1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce."

Le litige au principal

5. À l'époque des faits au principal, le groupe Upjohn commercialisait dans la Communauté une substance antibiotique, la clindamycine, sous diverses formes. À cette fin, il utilisait la marque Dalacin au Danemark, en Allemagne et en Espagne, la marque Dalacine en France et la marque Dalacin C dans les autres États membres.

6. L'existence de marques différentes s'explique, notamment, par un accord conclu en 1968 entre le groupe Upjohn et la société American Home Products Corporation, en application duquel le groupe Upjohn s'était engagé à limiter l'utilisation de la marque Dalacin à la forme "Dalacin" suivie de la lettre "C" ou d'autres indications en contrepartie de la non-opposition d'American Home Products Corporation à l'utilisation par le groupe Upjohn de la marque Dalacin en Uruguay. À la suite de difficultés rencontrées par le groupe Upjohn pour obtenir l'enregistrement de la marque Dalacin C dans un certain nombre de pays, American Home Products Corporation lui avait accordé l'autorisation d'y utiliser la marque Dalacin.

7. Paranova a acheté en France des gélules de clindamycine, conditionnées en boîtes de 100 et mises sur le marché par le groupe Upjohn sous la marque Dalacine, pour les commercialiser ensuite au Danemark sous la marque Dalacin. Paranova a, en outre, acheté en Grèce des ampoules injectables de clindamycine commercialisées par le groupe Upjohn sous la marque Dalacin C. Après avoir été reconditionné par Paranova, ce produit a été commercialisé au Danemark sous la marque Dalacin.

8. Upjohn a saisi le Ballerup Fogedret d'une demande en référé aux fins d'interdire à Paranova la mise sur le marché et la vente de ces médicaments sous la marque Dalacin. Le Fogedret a rejeté cette demande. Sa décision a été infirmée en appel par l'Østre Landsret qui a fait droit à la demande en référé.

9. Agissant au fond en validation de cette interdiction devant le Sø- og Handelsret, Upjohn a fait valoir, notamment, que le remplacement d'une marque par une autre effectué par Paranova sur les produits du groupe Upjohn constitue une violation des droits qu'elle tire de sa marque conformément à la varemarkelov (loi danoise sur les marques) et que le droit communautaire ne s'oppose pas à une telle interdiction étant donné qu'il existe des motifs objectifs justifiant l'utilisation de marques différentes selon les États membres pour la commercialisation des médicaments en cause.

10. Paranova a soutenu, à titre principal, que les différentes marques utilisées en Grèce, en France et au Danemark sont en réalité la même marque, en sorte que le droit de marque du groupe Upjohn est épuisé. Elle a fait valoir, à titre subsidiaire, que le système de commercialisation du groupe Upjohn constitue un cloisonnement artificiel des marchés contraire au droit communautaire.

11. Dans ces circonstances, le Sø- og Handelsret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1°) L'article 7 de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, et/ou les articles 30 et 36 du traité CE font-ils obstacle à ce que le titulaire d'une marque se prévale des droits qu'il tire de son droit à la marque, en application des dispositions nationales en vigueur, pour s'opposer à ce qu'un tiers achète un médicament dans un État membre, le reconditionne sous ses propres emballages, en y apposant la marque X qui appartient au titulaire de la marque, et le mette sur le marché d'un autre État membre, lorsque le médicament en question est mis par le titulaire de la marque ou avec son consentement sur le marché dans l'État membre d'achat sous la marque Y, et qu'un médicament identique est commercialisé par le titulaire de la marque ou avec son consentement dans le deuxième État membre cité, sous la marque X?

2°) La question de savoir si le fait que le titulaire de la marque utilise des marques différentes, respectivement dans le pays dans lequel l'importateur procède à des achats et dans celui où il commercialise le produit, est dû à des circonstances subjectives propres au titulaire de la marque a-t-elle une importance pour la réponse à la question posée? Dans le cas où il est répondu à cette question par l'affirmative, la juridiction de renvoi souhaite savoir si l'importateur doit fournir la preuve que l'utilisation de marques différentes a eu ou a pour objectif un cloisonnement artificiel des marchés, voir à cet égard l'arrêt de la Cour du 10 octobre 1978 (Centrafarm BV/American Home Products dans l'affaire 3-78).

3°) La question de savoir si l'utilisation par le titulaire de la marque de marques différentes, respectivement dans le pays où l'importateur procède à des achats et dans celui où il commercialise le produit, est due à des circonstances objectives sur lesquelles le titulaire de la marque n'a pas d'influence, notamment les conditions spécifiques imposées par les autorités nationales en matière de santé ou les droits de tiers, a-t-elle une quelconque importance pour la réponse à la question?"

12. Ces questions visant, en substance, à faire préciser la jurisprudence de la Cour relative au remplacement des marques par des importateurs parallèles, il convient, à titre liminaire, de rappeler l'état de la jurisprudence pertinente dans ce domaine.

La jurisprudence de la Cour

13. Selon une jurisprudence constante, reprise à l'article 7, paragraphe 1, de la directive, le titulaire d'un droit de marque protégé par la législation d'un État membre ne saurait invoquer cette législation pour s'opposer à l'importation ou à la commercialisation d'un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par lui-même ou avec son consentement (voir, notamment, arrêts du 31 octobre 1974, Winthrop, 16-74, Rec. p. 1183, points 7 à 11; du 17 octobre 1990, HAG, C-10-89, Rec. p. I-3711, point 12, et du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a., C-427-93, C-429-93 et C-436-93, Rec. p. I-3457, point 31).

14. Dans le cadre de sa jurisprudence relative aux cas où des importateurs parallèles achètent des produits mis sur le marché dans un État membre par le titulaire de la marque, les reconditionnent et réapposent la marque originaire sur les produits afin de les mettre sur le marché dans l'État membre d'importation, la Cour a jugé que l'article 36 du traité n'admet de dérogations au principe fondamental de la libre circulation des marchandises dans le Marché commun que dans la mesure où elles sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l'objet spécifique de cette propriété (voir arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche, 102-77, Rec. p. 1139, point 6, et Bristol-Myers Squibb e.a., précité, point 42).

15. S'agissant du droit de marque, son objet spécifique est notamment d'assurer au titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, pour la première mise en circulation d'un produit, et de le protéger ainsi contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de cette marque(voir arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 7, et Bristol-Myers Squibb e.a., point 44).

16. En vue de déterminer si ce droit exclusif comporte le pouvoir de s'opposer à la réapposition de la marque originaire après reconditionnement du produit, il convient, selon la jurisprudence de la Cour, de tenir compte de la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir au consommateur ou à l'utilisateur final l'identité d'origine du produit marqué en lui permettant de le distinguer sans confusion possible de ceux qui ont une autre provenance. Cette garantie de provenance implique que le consommateur ou l'utilisateur final puisse être certain qu'un produit marqué qui lui est offert n'a pas fait l'objet, à un stade antérieur de sa commercialisation, d'une intervention opérée par un tiers sans autorisation du titulaire de la marque, qui a atteint le produit dans son état originaire(voir arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 7, et Bristol-Myers Squibb e.a., point 47).

17. Eu égard à ces considérations, la Cour a interprété l'article 36 du traité en ce sens que le titulaire d'un droit de marque peut s'en prévaloir pour empêcher un importateur de commercialiser un produit qui a été mis en circulation dans un autre État membre par le titulaire ou avec son consentement, lorsque cet importateur a procédé au reconditionnement du produit dans un nouvel emballage sur lequel la marque a été réapposée (voir arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 8, et Bristol-Myers Squibb e.a., point 49). Toutefois, la Cour a également constaté que l'exercice par le titulaire de son droit de marque peut constituer une restriction déguisée aux termes de l'article 36 du traité, s'il est établi, d'une part, que l'utilisation du droit de marque par le titulaire, compte tenu du système de commercialisation appliqué par celui-ci, contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre États membres et, d'autre part, que, en cas de reconditionnement, la protection de certains intérêts légitimes du titulaire de la marque serait assurée, à savoir notamment que le reconditionnement n'affecterait pas l'état originaire du produit et que la présentation du produit reconditionné ne serait pas telle qu'elle puisse nuire à la réputation de la marque(voir arrêts précités Hoffmann-La Roche, point 10; Bristol-Myers Squibb e.a., point 49, et du 11 novembre 1997, Loendersloot, C-349-95, Rec. p. I-6227, point 29).

18. Concernant la condition de cloisonnement artificiel des marchés, la Cour a précisé, au point 57 de l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, que l'exigence d'un cloisonnement artificiel des marchés n'implique pas que l'importateur doive démontrer que, en mettant en circulation dans différents États membres un produit identique dans des conditionnements divers, le titulaire de la marque a délibérément cherché à cloisonner les marchés entre États membres.

19. La Cour a également précisé, au point 52 de l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, que l'utilisation du droit de marque par son titulaire pour s'opposer à la commercialisation sous cette marque des produits reconditionnés par un tiers contribuerait à cloisonner les marchés entre États membres, notamment lorsque le titulaire a mis en circulation, dans différents États membres, un produit pharmaceutique identique dans des conditionnements divers et que le produit ne peut, en l'état où il a été commercialisé par le titulaire du droit dans un État membre, être importé et mis en circulation dans un autre État membre par un importateur parallèle. La Cour a, dans ce contexte, souligné, au point 56 du même arrêt, que le pouvoir du titulaire d'un droit de marque ne doit être limité que dans la mesure où le reconditionnement auquel a procédé l'importateur est nécessaire pour commercialiser le produit dans l'État membre d'importation.

20. Tandis que les arrêts précités Hoffman-La Roche et Bristol-Myers Squibb e.a. concernent l'hypothèse dans laquelle l'importateur parallèle reconditionne un produit marqué et y réappose la marque originaire, l'arrêt du 10 octobre 1978, American Home Products (3-78, Rec. p. 1823), auquel il est fait référence dans la deuxième question préjudicielle, concerne l'hypothèse dans laquelle l'importateur parallèle remplace la marque originaire utilisée par le titulaire dans l'État membre d'exportation par la marque utilisée par celui-ci dans l'État membre d'importation.

21. Aux points 14, 17 et 18 de cet arrêt, la Cour a constaté, d'une part, que la fonction essentielle de la marque, à savoir la garantie de provenance du produit marqué, serait compromise s'il était loisible à un tiers d'apposer la marque sur le produit, même original, et, d'autre part, que le droit reconnu au titulaire de la marque de s'opposer à toute apposition non autorisée de celle-ci sur son produit relève ainsi de l'objet spécifique du droit de marque. Il était dès lors justifié que le titulaire, en vertu de l'article 36, première phrase, du traité, s'oppose à l'intervention de l'importateur parallèle.

22. Toutefois, la Cour a également constaté, aux points 22 et 23 de l'arrêt American Home Products, précité, qu'une opposition du titulaire de la marque à l'utilisation non autorisée de la marque par un tiers constituerait une restriction déguisée au commerce entre États membres au sens de l'article 36, deuxième phrase, du traité s'il était établi que la pratique consistant à utiliser des marques différentes pour un même produit est adoptée par le titulaire de ces marques dans le but de cloisonner artificiellement les marchés.

Les questions préjudicielles

23. Dans l'ordonnance de renvoi, la juridiction de renvoi précise, par un certain nombre d'observations, l'objet des questions préjudicielles.

24. Ainsi, elle rappelle que la Cour, dans son arrêt American Home Products, précité, se serait exprimée d'une façon indiquant que le droit communautaire ne s'oppose à l'interdiction de commercialisation des produits ayant fait l'objet d'une importation parallèle que si le titulaire a utilisé des marques différentes pour le même produit dans le but de cloisonner artificiellement les marchés. Or, selon elle, l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, même s'il concernait des situations de reconditionnement de produits avec réapposition de la marque originaire, implique désormais que le droit communautaire s'oppose à une interdiction fondée sur le droit national de remplacement des marques dans des circonstances telles que décrites dans la première question et que, pour apprécier la légalité d'une telle interdiction, il n'importe pas de savoir si l'utilisation de marques différentes par le titulaire dans l'État membre d'exportation et dans l'État membre d'importation est due, d'un côté, à des circonstances subjectives ou, de l'autre, à des circonstances objectives sur lesquelles il n'a pas d'influence.

25. Compte tenu de ces précisions, il y a lieu de constater que la juridiction de renvoi demande, en substance, si la condition de cloisonnement artificiel des marchés entre États membres, telle qu'elle résulte des arrêts précités Hoffman-La Roche et Bristol-Myers Squibb e.a., implique que, pour apprécier si le titulaire de marques peut s'opposer, en vertu du droit national, à ce qu'un importateur parallèle de médicaments remplace la marque utilisée par le titulaire dans l'État membre d'exportation par celle utilisée par le titulaire dans l'État membre d'importation, il y a lieu de prendre en considération

- ou bien des circonstances qui expliquent l'existence et l'utilisation de marques différentes dans ces États membres, et notamment le fait que le titulaire utilise ses différentes marques dans l'intention de cloisonner les marchés,

- ou bien des circonstances prévalant au moment de la commercialisation dans l'État membre d'importation qui rendent nécessaire le remplacement de la marque originaire par celle utilisée dans l'État membre d'importation pour que le médicament en cause puisse être commercialisé dans cet État par l'importateur parallèle.

26. En outre, le juge national demande si la conformité de l'opposition du titulaire de marques avec le droit communautaire doit être appréciée au regard de l'article 7 de la directive ou à celui des articles 30 et 36 du traité.

27. Pour ce qui concerne les dispositions de droit communautaire applicables, il y a lieu de rappeler que, selon l'article 7, paragraphe 1, de la directive, il n'y a épuisement du droit conféré par la marque que pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté "sous cette marque" par le titulaire ou avec son consentement.

28. Il en découle, ainsi que la Commission l'a relevé, que l'article 7 de la directive est applicable lorsque, après reconditionnement du produit, la marque originaire est réapposée. En revanche, cet article ne s'applique pas lorsque l'importateur parallèle remplace la marque originaire par une marque différente. Dans ce dernier cas, les droits respectifs du titulaire des marques et de l'importateur parallèle sont déterminés par les articles 30 et 36 du traité.

29. En l'espèce, il ressort de l'ordonnance de renvoi, et notamment du libellé des questions préjudicielles, que la juridiction nationale part de l'hypothèse que le groupe Upjohn a utilisé, pour la commercialisation des médicaments à base de clindamycine, des marques différentes au Danemark, en France et en Grèce. Aussi est-ce au regard de l'article 36 du traité qu'il convient d'apprécier la conformité de l'opposition du titulaire de marques au remplacement de la marque.

30. Au demeurant, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, l'article 7 de la directive, tout comme l'article 36 du traité, vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises dans le Marché commun, en sorte que ces deux dispositions, ayant pour objet de parvenir au même résultat, doivent être interprétées de manière identique(voir arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, point 40).

31. Pour ce qui concerne la question préjudicielle telle que précisée au point 25 du présent arrêt, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour relative au reconditionnement des produits avec réapposition de la marque originaire ou avec remplacement de cette marque par celle utilisée par le même titulaire dans l'État membre d'importation, la faculté qu'a le titulaire de la marque de s'opposer à de tels actes en vertu du droit national est considérée comme justifiée au regard de l'article 36 du traité, à moins qu'il soit établi, notamment, qu'une telle opposition contribue au cloisonnement artificiel des marchés entre États membres.

32. Or, il y a lieu de constater que cette condition ne saurait être appliquée différemment selon que la marque originaire est réapposée après reconditionnement ou remplacée, à moins que des régimes distincts soient justifiés par des différences objectives entre les deux situations.

33. Upjohn fait valoir qu'il existe effectivement de telles différences et que, pour cette raison, il y a lieu de ne pas déroger au droit du titulaire de s'opposer au remplacement de la marque, à moins que, conformément à l'arrêt American Home Products, précité, soit démontrée une intention subjective de la part du titulaire de cloisonner les marchés. Le droit de modifier une marque et, par conséquent, d'apposer une marque que le producteur d'origine n'a jamais apposée sur le produit en cause serait identique à la substance de la protection en matière de droit de marque. Il serait par conséquent logique et correct de faire une différence entre les deux situations, de sorte qu'il serait tout à fait exceptionnel que l'importateur parallèle soit en droit d'apposer sur le produit en cause une nouvelle marque sans l'accord du titulaire.

34. Paranova soutient que la situation subjective du titulaire d'une marque ne saurait revêtir une importance décisive en cas de modification de la marque. Elle estime qu'il n'est plus nécessaire de faire une distinction stricte entre l'hypothèse du reconditionnement avec réapposition de la marque originaire et celle du remplacement de la marque, et que ces deux situations doivent être réglées en application des mêmes principes.

35. Les gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni considèrent que le titulaire d'une marque peut se prévaloir de ses droits de propriété pour empêcher un importateur de commercialiser un produit sous une version modifiée de la marque utilisée par le titulaire ou avec son consentement dans un autre État membre, à moins qu'il soit nécessaire, pour l'importateur, d'utiliser la version modifiée de la marque pour permettre la commercialisation des produits en cause dans l'État membre d'importation sans conséquence préjudiciable. Une telle condition de nécessité correspondrait à la jurisprudence Bristol-Myers Squibb e.a., précitée.

36. La Commission fait valoir qu'il n'y a aucune raison directe de maintenir la condition subjective de l'intention du titulaire de marques de cloisonner les marchés en cas de remplacement d'une marque par une autre et non en cas de reconditionnement de médicaments ou de changement d'étiquette. L'élément déterminant devrait être de savoir si la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir l'identité d'origine, est compromise par le remplacement d'une marque par une autre.

37. A cet égard, il convient de constater que, conformément aux affirmations de Paranova, des gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que de la Commission, il n'existe, entre la réapposition d'une marque après reconditionnement et le remplacement de la marque originaire par une autre, aucune différence objective susceptible de justifier que la condition de cloisonnement artificiel soit appliquée différemment dans l'une et l'autre hypothèse.

38. En effet, d'une part, la pratique d'utiliser des conditionnements différents et celle d'utiliser des marques différentes pour un même produit, en contribuant pareillement au cloisonnement du marché unique, portent la même atteinte au commerce intra-communautaireet, d'autre part, la réapposition de la marque originaire sur le produit reconditionné comme son remplacement par une autre marque constituent tous deux une utilisation, par l'importateur parallèle, d'une marque qui ne lui appartient pas.

39. Dès lors, dans la mesure où le droit de marque dans l'État membre d'importation permet au titulaire de la marque de s'opposer à sa réapposition après reconditionnement du produit ou à son remplacement et où le reconditionnement avec réapposition de la marque ou le remplacement de la marque sont nécessaires pour que les produits puissent être commercialisés par l'importateur parallèle dans l'État membre d'importation, il existe des obstacles au commerce intra-communautaire engendrant des cloisonnements artificiels des marchés entre États membres au sens de la jurisprudence citée, et cela que ces cloisonnements aient ou non été recherchés par le titulaire.

40. Dès lors, la condition de cloisonnement artificiel des marchés entre États membres, telle qu'elle est définie par la Cour dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, est transposable au cas dans lequel un importateur parallèle remplace la marque originaire par celle utilisée par le titulaire dans l'État membre d'importation.

41. Par ailleurs, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé aux points 40 à 42 de ses conclusions, cette solution présente en outre l'avantage pratique de ne pas contraindre les juridictions nationales à apprécier la preuve de l'intention, s'agissant d'un élément notoirement difficile à prouver.

42. Considérer que la condition de cloisonnement des marchés définie dans l'arrêt Bristol-Myers Squibb e.a., précité, s'applique au cas de remplacement d'une marque implique également, contrairement à ce que fait valoir Paranova, qu'il faut que ce remplacement de la marque soit objectivement nécessaire au sens de cet arrêt pour que le titulaire de marques ne puisse s'y opposer.

43. Il s'ensuit qu'il y a lieu pour les juridictions nationales d'examiner si les circonstances prévalant au moment de la commercialisation rendaient objectivement nécessaire le remplacement de la marque originaire par celle de l'État membre d'importation aux fins de la mise sur le marché du produit en cause dans cet État par l'importateur parallèle. Cette condition de nécessité est remplie si, dans un cas déterminé, l'interdiction faite à l'importateur de remplacer la marque entrave son accès effectif aux marchés de l'État membre d'importation. Tel est le cas si des réglementations ou pratiques dans l'État membre d'importation empêchent la commercialisation du produit en question sur le marché de cet État sous la marque qu'il porte dans l'État membre d'exportation. Il en est ainsi d'une règle protectrice des consommateurs interdisant l'utilisation dans l'État membre d'importation de la marque utilisée dans l'État membre d'exportation parce qu'elle est susceptible d'induire les consommateurs en erreur.

44. En revanche, la condition de nécessité ne sera pas remplie si le remplacement de la marque s'explique exclusivement par la recherche par l'importateur parallèle d'un avantage commercial.

45. Il appartient aux juridictions nationales d'apprécier, dans chaque cas concret, s'il a été objectivement nécessaire, pour l'importateur parallèle, d'utiliser la marque utilisée dans l'État membre d'importation pour permettre la commercialisation des produits importés.

46. Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que la condition de cloisonnement artificiel des marchés entre États membres, telle qu'elle résulte des arrêts précités Hoffman-La Roche et Bristol-Myers Squibb e.a., implique qu'il y a lieu, pour apprécier si le titulaire d'une marque peut s'opposer, en vertu du droit national, à ce qu'un importateur parallèle de médicaments remplace la marque utilisée dans l'État membre d'exportation par celle utilisée par le titulaire dans l'État membre d'importation, de tenir compte des circonstances prévalant au moment de la commercialisation dans l'État membre d'importation qui rendent objectivement nécessaire le remplacement de la marque originaire par celle utilisée dans l'État membre d'importation pour que le produit en cause puisse être commercialisé dans cet État par l'importateur parallèle.

Sur les dépens

47. Les frais exposés par les gouvernements néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant sur les questions à elle soumises par le Sø- og Handelsret, par ordonnance du 31 octobre 1997, dit pour droit: La condition de cloisonnement artificiel des marchés entre États membres, telle qu'elle résulte des arrêts du 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche (102-77, Rec. p. 1139), et du 11 juillet 1996, Bristol-Myers Squibb e.a. (C-427-93, C-429-93 et C-436-93, Rec. p. I-3457), implique qu'il y a lieu, pour apprécier si le titulaire d'une marque peut s'opposer, en vertu du droit national, à ce qu'un importateur parallèle de médicaments remplace la marque utilisée dans l'État membre d'exportation par celle utilisée par le titulaire dans l'État membre d'importation, de tenir compte des circonstances prévalant au moment de la commercialisation dans l'État membre d'importation qui rendent objectivement nécessaire le remplacement de la marque originaire par celle utilisée dans l'État membre d'importation pour que le produit en cause puisse être commercialisé dans cet État par l'importateur parallèle.