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Décisions

CA Montpellier, ch. soc., 2 mai 2001, n° 99-01262

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Piauley

Défendeur :

Clardie France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gerbet

Conseillers :

M. Masia, Mme Dezandre

Avocats :

Mes Clément, Saumade, Thedenat.

Cons. prud'h. Narbonne, du 29 juin 1999

29 juin 1999

FAITS - PROCÉDURE

Suivant un premier contrat écrit du 1er septembre 1995, la SARL Clardie France a embauché pour une durée indéterminée Mme Piauley en qualité de VRP multicartes pour les détaillants " Ligne Balnéaire Grimaldimare " pour un secteur géographique déterminé et pour une rémunération constituée exclusivement par une commission de 10 % brut sur les produits vendus au tarif détail, cette rémunération portant sur les commandes directes et indirectes.

Suivant un second contrat de travail écrit du 21 octobre 1995 à durée indéterminée, les parties ont convenu de modifier le secteur géographique de Mme Piauley.

Suivant un troisième contrat de travail écrit du 1er septembre 1997 à durée indéterminée, les parties ont convenu de modifier encore le secteur géographique de Mme Piauley.

Toutefois, par courrier du 4 novembre 1997 la société Clardie France a fait connaître à Mme Piauley que cet avenant devait être considéré comme nul et non avenu en ce qu'il a visé la représentation des articles Grimaldimare sur le secteur PACA.

Le 10 avril 1998 la société Clardie France a notifié à Mme Piauley sa mise à pied à titre conservatoire et l'a convoquée à un entretien préalable en vue de son licenciement lequel lui a été notifié le 11 mai 1998 dans les termes suivants:

" Suite à notre lettre du 10 avril 98, vous convoquant à un entretien préalable pour le 24 avril 98, nous sommes dans l'obligation de vous signifier votre licenciement pour faute grave.

En effet, vous avez été engagée par contrat de travail le 21 octobre 1996 en qualité de VRP.

Nous devions malheureusement constater par la suite que vous négligiez gravement de respecter vos obligations professionnelles notamment en matière de prospection de l'ensemble des département qui vous étaient confiés.

Par ailleurs, nous constations que malgré nos demandes, vous refusiez de retourner, après tournées, les collections et marchandises confiées.

De même, constatant que vous ne prospectiez pas un certain nombre de départements, nous vous interrogions à ce sujet et vous demandions de vous engager au minimum à nous confirmer les département pour lesquels vous effectueriez une prospection correcte.

Par courrier du 2 février 1998, vous ne répondiez pas notamment sur ce dernier point à nos attentes.

Nous recevions par la suite des courriers de nos clients s'inquiétant de ne pas avoir été contactés par vous-même.

Par courrier du 2 mars 1998 nous faisions une nouvelle fois l'état de cette situation et constations à nouveau, que vous ne répondiez pas à nos demandes en matière d'engagement de prospection correcte.

Nous joignions alors à ce courrier l'état de cette prospection, état qui faisait ressortir l'absence totale de prospection sur certains départements, une prospection d'une extrême faiblesse sur les autres départements, une perte de clientèle importante et accessoirement le fait que vous prospectiez des secteurs qui ne vous avez pas été confiés.

Cette lettre demeurait à nouveau sans réaction de votre part.

Tout ceci démontre donc que malgré la patience qui a été la nôtre, nos propositions consistant à trouver une solution vous permettant une prospection correcte, nos demandes d'engagement de votre part sur un travail minimum, vous avez persisté dans une attitude négligeant totalement vos obligations et ne prenant même pas la peine ne serait-ce que par politesse, de répondre à nos demandes.

Bien que ne constituant en aucune manière une faute et n'étant pas prise en considération dans le cadre du présent licenciement, le fait que nous vous ayons convoquée à entretien préalable en vous rappelant que nous prenions à notre charge les frais de transport et que vous ne soyez pas venue à cet entretien, ni même n'ayez considéré nécessaire de nous contacter téléphoniquement ou de répondre à ce courrier, confirme bien la négligence avec laquelle vous entendez traiter vos relations avec notre société.

Comment dans ces conditions pouvons-nous continuer à travailler avec un collaborateur qui néglige ainsi ses obligations et ne nous laisse aucun espoir d'amélioration de cette situation ?

Pour ces motifs, nous vous signifions votre licenciement pour faute grave.

Celui-ci n'ouvrira droit à aucun préavis, ni à indemnité.

Vous recevrez prochainement l'état de votre solde de rémunération, certificat de travail et attestation ASSEDIC ".

Contestant son licenciement et réclamant diverses sommes, Mme Piauley a saisi le Conseil des prud'hommes de Narbonne lequel par jugement du 29 juin 1999 a:

- dit que le licenciement est intervenu le 20 mai 1998 et est fondé sur une faute grave;

- débouté Mme Piauley de l'ensemble de ses demandes et la société Clardie France de sa demande reconventionnelle.

Madame Piauley a interjeté appel.

MOYENS - PRETENTIONS DES PARTIES

Madame Piauley demande à la cour:

- d'infirmer le jugement,

- condamner la société Clardie France à lui payer les sommes de:

* 5 507,36 F brut par mois à titre de salaires outre les congés payés s'y rapportant, le tout depuis le mois de janvier 1998 jusqu'à la date de la rupture;

* 150 000 F de dommages-intérêts pour rupture abusive;

* 92 520 F brut au titre des commissions restant dues sur commandes prises, non livrées;

* 9 252 F au titre des congés payés s'y rapportant;

* 132 176,67 F au titre de l'indemnité de clientèle;

* 16 522,09 F au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;

* 1 652,20 F au titre des congés payés s'y rapportant.

- condamner la société Clardie France à:

* lui remettre les bulletins de salaires, la lettre de licenciement, le certificat de travail et l'attestation ASSEDIC sous astreinte de 1 000 F par jour de retard;

* lui payer la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle soutient qu'aucune lettre de licenciement ne lui est parvenue; qu'elle n'a commis aucune faute grave; qu'au contraire la société Clardie France ne lui a pas donné les moyens de travailler; qu'elle a droit aux commissions sur les commandes fermes enregistrées ainsi qu'à une indemnité de clientèle dès lors qu'elle a créé et développé une importante clientèle.

La société Clardie France demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir que les fautes graves sont établies en raison des violations réitérées par Mme Piauley de ses obligations professionnelles en matière notamment de prospection et que la procédure de licenciement est intervenue régulièrement.

Après que la cour ait ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de s'expliquer sur la prescription de l'article L. 122-44 du Code du travail susceptible d'être acquise pour tout ou partie des faits, les parties ont soutenu, pour la société Clardie France, que les dispositions de l'article L. 122-44 du Code du travail n'ont pas à s'appliquer puisqu'il ne s'agit pas de fautes disciplinaires mais de manquements aux obligations contractuelles, subsidiairement que les faits ne sont pas prescrits et pour Mme Piauley que les faits visés étant de 1996-1997, ils sont bien prescrits.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la régularité de la procédure de licenciement:

Les pièces versées aux débats établissent que l'employeur a adressé une première lettre recommandée du 10 avril 1998 avec avis de réception à Mme Piauley lui notifiant sa mise à pied conservatoire et la convoquant à un entretien préalable en vue de son licenciement lequel lui a été notifié par lettre recommandée du 11 mai 1998 avec avis de réception postée le 12 mai 1998.

Madame Piauley n'a pas cru devoir retirer ces deux lettres pourtant adressées à son domicile réel ce qu'elle ne conteste pas. Elle ne peut se retrancher, dans ces conditions, derrière sa propre carence pour soutenir que son licenciement ne serait pas intervenu.

C'est donc par une exacte appréciation que les premiers juges ont retenu que le licenciement est régulièrement intervenu le 25 mai 1998 date de la première présentation de la lettre de licenciement.

Sur la cause du licenciement:

La société Clardie France a expressément retenu dans la lettre de licenciement que celui-ci intervenait "pour faute grave". Qu'ils procèdent d'un manquement à la discipline de l'entreprise ou aux obligations contractuelles, les faits qualifiés par l'employeur de faute sont soumis au régime de la prescription de deux mois édictée par l'article L. 122-44 du Code du travail.

Il résulte des correspondances échangées entre les parties notamment dans le courant des mois de janvier et février 1998 que le grief tiré de l'insuffisance, de l'absence de prospection de la clientèle, voire de la prospection sur des secteurs non attribués, concerne des faits qui ont été connus de la société Clardie France au plus tard dans le courant du mois de janvier 1998. D'ailleurs, la société Clardie France reconnaît expressément dans ses écritures déposées en cause d'appel, y compris dans celles déposées après la réouverture des débats sur le moyen de la prescription, que "cette constatation devenait totalement évidente au début de l'année 1998" raison pour laquelle elle a adressé un courrier à Mme Piauley le 27 janvier 1998 pour lui demandeur un rapport d'activité sur les dix neuf départements de son secteur.

Le déclenchement des poursuites ayant eu lieu le 10 avril 1998, les faits concernant l'absence, l'insuffisance de prospection ou la prospection non autorisée étaient prescrits à cette date.

La lettre de licenciement vise également comme motif de licenciement, l'absence de retour des collections et marchandises confiées.Or, la société Clardie France qui a demandé par courrier du 12 janvier 1998 à Mme Piauley de lui restituer lesdites collections et marchandises a constaté dès le 16 janvier 1998 (bon de carence du transporteur chargé de procéder à l'enlèvement) qu'elles n'avaient pas été restituées, raison pour laquelle elle a mis en demeure Mme Piauley le 27 janvier 1998 de les lui retourner. Par courrier du 2 février 1998 Mme Piauley a répondu qu'elle avait restitué les collections et marchandises. Cette restitution étant, à cette date, toujours contestée par la société Clardie France, celle-ci a eu connaissance au plus tard le 3 ou le 4 février 1998 (date de la réception du courrier de Mme Piauley) de l'absence de restitution.

Il s'ensuit que les faits concernant cette absence de restitution étaient prescrits à la date du 10 avril 1998.

La lettre de licenciement vise enfin comme dernier grief l'absence de réponse de Mme Piauley concernant un "engagement minimum". Ce grief apparaît déterminant dans la décision de licencier ce qui est d'ailleurs reconnu dans ses écritures par la société Clardie France.

En réalité, la société Clardie France a demandé à Mme Piauley par courrier du 27 janvier 1998 de lui faire savoir par rapport aux dix neuf départements figurant sur votre contrat de travail quels sont ceux sur lesquels vous vous engagez définitivement et ce, afin que nous puissions redistribuer les départements sur lesquels vous ne pourrez pas travailler".

Cette lettre du 27 janvier 1998, confirmée par celle du 2 mars 1998, s'analyse en une proposition faite par l'employeur de modifier le secteur géographique du représentant c'est-à-dire une proposition de modification du contrat que Mme Piauley avait le droit de refuser et donc celui de ne pas y répondre puisque cette modification portait atteinte au "socle contractuel".

Dans ces conditions, la société Clardie France ne pouvait pas s'emparer de l'absence de réponse à la proposition de modification géographique du secteur de Mme Piauley pour invoquer un motif quelconque, de surcroît qualifié de faute grave, de licenciement de Mme Piauley.

Il résulte de l'ensemble des motifs qui précèdent que le licenciement de Mme Piauley doit être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement réformé de ce chef.

Compte tenu de la faible ancienneté de Mme Piauley, du nombre de salariés dans l'entreprise, de la situation personnelle de Mme Piauley après son licenciement, il y a lieu de lui allouer la somme de 30 000 F de dommages-intérêts.

Mme Piauley qui a été licenciée au delà de sa deuxième année de présence dans l'entreprise a droit, conformément à l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, à un préavis d'une durée égale à trois mois soit une indemnité compensatrice de préavis de 16 522,09 F outre les congés payés s'y rapportant soit une indemnité compensatrice de congés payés sur préavis de 1 652,20 F.

Mise à pied dès le 10 avril 1998, Mme Piauley est également fondée à obtenir le paiement des salaires pendant toute la période du 10 avril 1998 au 25 mai 1998. Elle a droit également aux salaires portant sur la période du 1er janvier 1998 au 9 avril 1998 dont l'employeur ne justifie pas le paiement alors que la preuve du paiement lui incombe. Calculé sur la base du salaire minimum conventionnel, le rappel de salaire pour l'ensemble de la période du 1er janvier 1998 au 25 mai 1998 s'élève à la somme de 26 618,09 F outre les congés payés s'y rapportant soit une indemnité de congés payés sur rappel de salaires de 2 661,80 F.

Sur l'indemnité de clientèle et sur les commissions:

Les parties étant en désaccord en fait et les documents produits par chacune d'elles ne permettant pas de trancher le litige sur ces demandes, il y a lieu d'ordonner une expertise comme dit au dispositif, de surseoir à statuer sur les autres demandes (congés payés sur commissions, délivrance des documents légaux et indemnité de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile) et de réserver les dépens.

Par ces motifs: LA COUR, Reçoit Mme Piauley en son appel. Le dit mal fondé sur la régularité de la procédure, confirme le jugement de ce chef, Le dit fondé sur la cause du licenciement, les indemnités de rupture et le rappel de salaire. Réforme le jugement sur ces chefs de demande. Statuant à nouveau, Dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Condamne la SARL Clardie France à payer à Mme Piauley les sommes de: 30 000 F (soit 4 573,47 euros) de dommages-intérêts, 16 522,09 F (soit 2 518,78 euros) au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 1 652,20 F (soit 251,88 euros) au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, 26 618,09 F (soit 4 057,90 euros) au titre du rappel de salaires pour la période du 1er janvier 1998 au 25 mai 1998, 2 661,80 F (soit 405,79 euros) au titre de l'indemnité de congés payés sur rappel de salaires. Sursoit à statuer sur les autres demandes de Mme Piauley et avant dire droit ordonne une expertise, confiée à: Monsieur Michel Viguie, 54 Bld Mistral 11100 Narbonne (Tél. 04.68.90.32.32) qui devra déposer son rapport avant le 30 novembre 2001 avec la mission de: - entendre les parties ainsi que tout sachant le cas échéant et se faire remettre tous documents utiles. - dire au vu des pièces ainsi produites si Mme Piauley a apporté, créé ou développé, en nombre ou en valeur une clientèle pendant toute la période au cours de laquelle elle a travaillé pour le compte de la société Clardie France et dans l'affirmative indiquer les éléments de comparaison et d'évaluation. - déterminer le montant des commissions perçues en brut par Mme Piauley au cours de chacune des deux dernières années et versées par la société Clardie France. - déterminer pour la période 1995-1998 en fonction des commandes fermes passées directement ou indirectement par l'intermédiaire de Mme Piauley, acceptées par la société et payées par les clients, le montant brut des commissions restant dues à Mme Piauley, calculées sur la base hors taxe des factures émises par la société Clardie France. - répondre aux dires des parties, notamment à ceux qui seraient déposés par elles après l'envoi d'un prérapport. Dit que le montant de la consignation s'élève à la somme de 8 000 F et sera payé par la société Clardie France avant le 15 juin 2001. Désigne M. Le Conseiller Masia pour suivre et surveiller les opérations d'expertise.