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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 26 avril 2001, n° 2001-01367

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Impag France (SARL), Impag BV

Défendeur :

Hasbro International Inc. (Sté), Hasbro France (SA), Joué Club Express (SA), Maxi Toys France (SA), Picwick (SA), Société Internationale de Diffusion du Jouet (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Moussa

Conseillers :

MM. Simon, Santelli

Avoués :

SCP Brondel-Tudela, SCP Junillon-Wicky

Avocats :

Mes Ranchon, Muyl, Cottignies.

T. com. Saint-Etienne, du 8 févr. 2001

8 février 2001

Faits, Procédure et Prétentions

La société Impag BV, de droit hollandais, fabrique et distribue des jeux et jouets. La SARL Impag France, filiale de la précédente société, distribue en France la production de sa société mère soit directement auprès "des grandes surfaces", soit auprès de distributeurs indépendants, telles la SA Maxi Toys et la SA Picwick.

La société Hasbro International Inc a fait, le 14 avril 1997, auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle, une déclaration de dépôt de dessins et modèles concernant trois jeux de société. Ces dépôts ont été publiés au bulletin officiel de l'Institut National de la Propriété Industrielle, le 25 juillet 1997.

La société Hasbro International Inc, société de droit américain et sa filiale française, la SA Hasbro France, autorisées les 15, 16 et 25 juillet 1997, ont fait procéder, les 18 juillet 1997 et 5 août 1997 dans les locaux de la SA Maxi Toys et le 18 juillet 1997 dans les locaux de la SA Picwick, à des saisies-contrefaçon concernant trois jeux de société, un jeu créatif et trois jeux à base de pâte à modeler, figurant sur un catalogue du groupe Hasbro.

Par jugement rendu le 8 février 2001, le Tribunal de commerce de Saint-Etienne, écartant l'action en contrefaçon intentée par le groupe Hasbro mais retenant l'existence de faits de concurrence déloyale, a condamné solidairement la société Impag BV, la SARL Impag France, la SA Maxi Toys et la SA Picwick à payer à la SA Hasbro France la somme de 800 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, outre une somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a ordonné aux quatre sociétés en cause de cesser de fabriquer et de commercialiser les jeux en question sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée un mois après la signification du jugement. La publication du jugement dans quatre journaux au choix de la SA Hasbro France était également ordonnée, ainsi que l'exécution provisoire de l'ensemble du jugement.

La société Impag BV, la SARL Impag France et la SA Maxi Toys ont formé appel de cette décision.

La société Impag BV et la SARL Impag France ont obtenu de Monsieur le Premier Président de la Cour d'appel de Lyon, le 8 mars 2001, une ordonnance les autorisant à assigner à jour fixe, devant la présente cour en son audience du 23 mars 2001, la SA Hasbro France, la société Hasbro International Inc, la société Joué Club Express, la société Picwick et la Société Internationale de Diffusion de Jouet (SIDJ).

La société Impag BV et la SARL Impag France concluent à la nullité du jugement précité pour défaut de motivation relativement à la détermination du préjudice de la SA Hasbro France et pour défaut de réponse à un moyen présenté.

Les appelantes sollicitent la confirmation du jugement qui a écarté tout acte de contrefaçon. Elles soutiennent que le groupe Hasbro ne justifie pas de titre de propriété sur les dessins et modèles déposés, les contrats de "licence" fournis par le groupe Hasbro étant insuffisants pour établir sa propriété sur les trois jeux de société. Elles font observer que les jeux déposés ne présentaient aucun caractère de nouveauté et qu'enfin les saisies contrefaçon ont été opérées antérieurement à la publication du dépôt au titre des dessins et modèles. Elles concluent à la nullité des dépôts ou à leur inefficacité.

Elles soutiennent que le groupe Hasbro ne peut se prévaloir de protection en France faute pour lui de justifier qu'il détenait dans son pays d'origine, les Etats Unis, des droits incontestables ne découlant pas uniquement des certificats de copyrights produits aux débats. Elles excipent du défaut d'originalité des jeux dont le concept est ancien et concluent au rejet de l'action en contrefaçon.

Elles estiment que l'action en concurrence déloyale n'est pas fondée dès lors que cette action ne reposait pas sur des faits distincts de ceux qui avaient fondé l'action en contrefaçon et dès lors qu'au surplus, l'impression d'ensemble par comparaison des jeux litigieux ne révèle pas une similitude entraînant une confusion dans l'esprit de la clientèle. Elles concluent à l'inexistence d'actes de parasitisme de leur part, en mettant en avant l'absence de création et le fait que d'autres sociétés distribuaient antérieurement des jeux reposant sur le même concept. Subsidiairement, elles discutent le montant des dommages et intérêts alloués par les premiers juges.

Elles sollicitent l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 500 000 F pour avoir été dénigrées par le groupe Hasbro et une somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Maxi Toys soutient que le groupe Hasbro ne peut se prévaloir de droits de propriété intellectuelle sur les modèles déposés, que la preuve contraire est rapportée que le groupe Hasbro, titulaire de simples licences d'exploitation, n'avait pas qualité pour déposer des modèles pour trois jeux de société, qu'au demeurant les faits antérieurs au dépôt ne donnent lieu à aucune action dérivant du Code de la propriété intellectuelle, que le groupe Hasbro ne peut se prévaloir, non plus, de la convention de Berne dès lors que les copyrights qu'il verse aux débats portant sur les trois jeux de société sont inscrits au nom de la société Milton Bradley, qu'à défaut pour la société Hasbro International Inc de faire" la preuve qu'elle bénéficie dans son pays d'une protection particulière, elle ne peut revendiquer cette protection en France en vertu de la convention de Berne et qu'enfin, les jeux de la gamme Play Doh (jeux à base de pâte à modeler) ne bénéficient pas de la protection au titre des droits d'auteur aux Etat-Unis.

Elle conclut à la nullité du dépôt effectué au titre des modèles et dessins et à celle des saisies contrefaçon, subséquentes.

Estimant que l'action en concurrence déloyale ne repose pas sur des faits distincts de ceux ayant fondé vainement l'action en contrefaçon, elle demande que le groupe Hasbro soit débouté de sa demande faite à ce titre.

Elle soutient qu'aucun fait de parasitisme n'est caractérisé ainsi qu'il ressort de la comparaison des jeux incriminés et que les conditionnements, les couleurs employées ou la forme des emballages sont courants et non susceptibles d'entraîner une confusion dans l'esprit de la clientèle moyennant avertie et attentive.

Elle discute, subsidiairement, le montant du préjudice dont le groupe Hasbro aurait souffert et appelle en garantie la SARL Impag France dès lors qu'elle a commercialisé en toute bonne foi les jeux incriminés, fournis par cette dernière.

Elle sollicite la condamnation de la SA Hasbro France et de la société Hasbro International Inc à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la même somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Picwick soutient que la SA Hasbro France et la société Hasbro International Inc sont irrecevables à agir en contrefaçon dès lors qu'elles ne justifient pas avoir des droits d'auteur "protégeables" en étant seulement titulaires de contrats de licence concédant uniquement le droit de fabrication et de commercialisation. Elle rappelle que les jeux en question sont commercialisés depuis de nombreuses années par d'autres sociétés que celles parties au présent procès et que le succès de l'action en concurrence déloyale suppose, outre la similitude entre les produits, la volonté de créer une confusion dans l'esprit de la clientèle pour la détourner, ce qui n'est pas le cas.

Elle discute, subsidiairement, le montant de la réparation allouée par les premiers juges et le principe de la condamnation solidaire qu'ils ont retenu.

La SA Hasbro France et la société Hasbro International Inc font observer liminairement que la procédure d'assignation à jour fixe n'est pas appropriée et que la société Impag BV a changé de dénomination sociale pour s'appeler Impag Toys Europe BV.

Elles soulèvent l'irrecevabilité de l'appel en l'absence de signification délivrée à la société Hasbro International Inc conformément aux articles 683 et 693 du nouveau Code de procédure civile et en raison du non-respect du principe du contradictoire. Enfin elles soulèvent l'irrecevabilité de l'appel formé contre la SA Hasbro France dès lors que la société Hasbro International Inc n'a pas été appelée régulièrement à l'instance.

Elles estiment que la nullité du jugement n'est pas encourue.

Elles soutiennent qu'il ressort de l'étude comparative des produits de marque différente (jeux de société et jeux de pâte à modeler) que le groupe Impag a copié les produits du groupe Hasbro, que la contrefaçon porte sur des éléments protégeables et résulte d'une volonté délibérée de profiter des investissements et efforts réalisés par elle et de s'accaparer une partie du succès desdits produits. Elles soutiennent qu'elles sont propriétaires des modèles déposés et bénéficient de la présomption de propriété de l'article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle dès lors qu'elles ont des certificats de copyrights, inscrits sous le nom de la société Milton Bradley, sur les jeux depuis 1979 et 1988 selon les différents jeux. Elles en déduisent qu'elles étaient parfaitement en droit de déposer ces jeux à titre de modèles pour obtenir leur protection. Enfin les intimées indiquent que la contrefaçon s'est poursuivie après la publication des modèles le 25 juillet 1997, lors de la saisie contrefaçon pratiquée le 12 août 1997.

La SA Hasbro France et la société Hasbro International Inc affirment qu'elles sont bien fondées à se prévaloir de la protection résultant des droits d'auteur sur les jeux de société, par application de la convention de Berne, que celle-ci s'applique à toutes les œuvres protégées par le droit américain et qu'étant titulaires de plusieurs copyrights démontrant leur droit, elles pouvaient déposer certains éléments à titre de modèle en France et par suite, assigner les sociétés Impag en contrefaçon sur le double fondement des droits d'auteur et des droits de dessins et modèles.

Elles rappellent que la protection vaut pour la présentation des jeux, qui est originale, et non pas pour le concept ou principe des jeux qui est plus ancien, que l'originalité doit s'apprécier par rapport aux formes, "à l'aménagement nouveau, à la configuration, à l'agencement et aux composantes des jeux parfaitement originaux" et justiciables d'une protection au titre des droits d'auteur. Elles soulignent que les saisies contrefaçon sont valides sans qu'il soit nécessaire que soit ordonné un cautionnement et que la SA Picwick est "impliquée" dans l'action en contrefaçon dès lors qu'elle a commercialisé des jeux contrefaits au mépris des articles L. 122-4 et L. 511-1 du Code de la propriété intellectuelle.

Elles font valoir que l'action en concurrence déloyale, fondée sur des faits distincts de ceux ayant fondé l'action en contrefaçon et visant à défendre leurs produits, est bien fondée et que la pratique par le groupe Impag de prix beaucoup plus bas que ceux pratiqués par le groupe Hasbro et la copie de signes distinctifs constituent des éléments de concurrence déloyale.

Elles sollicitent la confirmation du jugement qui a condamné solidairement les quatre sociétés en cause pour concurrence déloyale, leur a interdit de fabriquer et commercialiser les jeux en question sous astreinte provisoire de 1 000 F par infraction constatée, a ordonné la publication du jugement et leur a alloué une somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elles sollicitent l'infirmation du surplus du jugement et concluent au bien-fondé de leur action en concurrence déloyale et à la condamnation solidaire des quatre sociétés en cause à payer, d'une part à la société Hasbro International Inc, une somme de 1 000 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'autre part à la SA Hasbro France, la somme de 2 000 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial, outre une somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs et Décision

A) Sur la procédure

Attendu qu'il convient d'ordonner la jonction des instances par application de l'article 367 du nouveau Code de procédure civile dès lors qu'il existe entre les litiges un lien tel qu'il est de l'intérêt d'une bonne justice de les juger ensemble; que l'autorisation d'assigner à jour fixe ne concernait que certains appelants (sociétés du groupe Impag) et certains intimés (sociétés du groupe Hasbro); qu'il convient, en l'absence de toutes objections des parties à cet égard, de joindre les procédures d'appel pour inclure dans cette instance la SA Maxi Toys et la SA Picwick;

Attendu qu'aux termes des articles 683 alinéa 1 et 684 du nouveau Code de procédure civile la signification d'un acte destiné à une personne domiciliée à l'étranger est faite au parquet; qu'aux termes de l'article 690 du même Code, la notification destinée à une personne morale de droit privé est faite au lieu de son établissement; qu'en l'espèce, s'agissant de la société Hasbro International Inc ayant son siège social dans l'Etat du Delaware aux Etats-Unis, la signification de l'assignation à jour fixe a été régulièrement effectuée conformément aux articles 684 et 685 du nouveau Code de procédure civile au parquet général de la Cour d'appel de Lyon ainsi qu'il résulte de l'acte d'huissier attestant de la remise dudit acte, en deux copies, aux services du Parquet Général; que les moyens d'irrecevabilité de l'appel à l'égard de l'une et de l'autre des sociétés du groupe Hasbro ne sont donc pas fondés;

Attendu que le groupe Hasbro ne peut se prévaloir d'un non-respect du principe du contradictoire dès lors qu'il a disposé d'un temps suffisant, eu égard à la spécificité de l'assignation à jour fixe, pour préparer son argumentation dans des conclusions développées à l'occasion d'un débat dont les termes et les bases n'ont pas évolué par rapport à la première instance;

Attendu que l'omission par les premiers juges de statuer sur un chef de demande (demande de nullité du dépôt des modèles présentée par les groupe Impag) n'entraîne pas la nullité du jugement mais aurait pu donner lieu à une requête en omission de statuer; que les premiers juges n'ont pas manqué à leur obligation de motivation pour fixer le montant du préjudice subi par le groupe Hasbro; qu'ils ont évalué ce préjudice à la somme de 800 000 F "pour sanctionner des pratiques déloyales" qu'ils avaient précisément décrites; qu'au demeurant, par l'effet dévolutif pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement, la chose jugée est remise en question devant la Cour d'appel de Lyon, pour qu'elle statue à nouveau en fait et en droit;

B) Sur l'action en contrefaçon de modèle

Attendu qu'aux termes de l'article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle, "la propriété d'un modèle appartient à celui qui l'a créé ou à ses ayants droit; mais le premier déposant est présumé jusqu'à preuve contraire, en être le créateur"; que la société Hasbro International Inc verse aux débats des certificats d'enregistrement de copyright par l'Office des droits d'auteur aux Etats-Unis, concernant trois jeux "Connect Four", "Guess Who" et "Stay Alive" datant respectivement du 19 novembre 1979, 13 juin 1988 et 19 novembre 1979 ensuite de précédents contrats de "licence" autorisant la société Hasbro International Inc à exploiter et développer des concepts de jeux; que la société Hasbro International Inc fait la preuve qu'elle a acquis des droits d'auteur sur les jeux en question, postérieurement à la concession qui lui avait été faite en 1970, 1973 et 1979 de fabriquer et vendre ces jeux; que les contrats de licence et les "certificate of registration of daim to copyright" ont été établis au nom des sociétés Milton Bradley Company ou Milton Bradley International Inc; que la société Hasbro International Inc justifie qu'il y a eu, le 10 janvier 1989, un changement de dénomination sociale la société Milton Bradley International Inc devenant la société Hasbro International Inc;

Attendu que la société Hasbro International Inc justifie donc de la propriété, au sens de l'article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle, des modèles des trois jeux de société qu'elle a déposés, le 7 mars 1997, auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle; que les sociétés Impag ne font pas la preuve contraire qu'elles sont les créateurs des modèles déposés; qu'elles soutiennent au demeurant qu'elles ne les ont fabriqués et vendus, en 1995 ou 1996, que bien postérieurement à l'obtention des certificats de copyright; que la société Hasbro International Inc justifie par contre qu'elle a fabriqué et vendu les jeux en question depuis 1975 ainsi que cela ressort de catalogues de jeux et jouets produits;

Attendu que la société Hasbro International Inc était donc parfaitement en droit de déposer auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle les modèles de jeux qu'elle a développés et sur lesquels elle avait acquis des droits de propriété; que l'emballage des jeux incriminés porte la mention du copyright au nom de MB, ancienne appellation de la société Hasbro International Inc;

Attendu que l'originalité réside dans l'agencement nouveau et la présentation nouvelle qui sont donnés aux jeux de conception ancienne et de principe courant; que ces éléments sont susceptibles d'être protégés au titre de la législation sur les modèles;

Attendu qu'il s'ensuit que la demande des sociétés Impag, en nullité du dépôt de modèles effectué par la société Hasbro International Inc et concernant les trois jeux en question, doit être rejetée;

Attendu cependant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du Code de la propriété intellectuelle les faits postérieurs au dépôt mais antérieurs à sa publicité ne peuvent donner lieu à une action qu'à la charge par la partie lésée d'établir la mauvaise foi du contrefacteur; qu'en l'espèce la publicité du dépôt a été opérée le 25 juillet 1997 et une seule saisie contrefaçon a été effectuée postérieurement à cette date dans des locaux de la SA Maxi Toys, le 12 août 1997; que la saisie portait sur des produits livrés à la SA Maxi Toys en janvier 1997; que le fait de cet approvisionnement antérieur au dépôt des modèles est exclusif de la mauvaise foi de la SA Maxi Toys et a fortiori des autres sociétés; que la société Hasbro International Inc ne propose d'ailleurs aucun élément démontrant, ainsi qu'elle en a la charge, la mauvaise foi de ses adversaires; que l'action fondée sur la violation des articles L. 511 et suivants du Code de la propriété intellectuelle n'est pas fondée;

Attendu que la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, à laquelle les Etats-Unis sont partie depuis le 1er mars 1989, dispose en son article 5 alinéa 10 que "les auteurs jouissent, en ce qui concerne les œuvres pour lesquelles ils sont protégés en vertu de la Convention, dans les pays de l'Union autres que le pays d'origine de l'œuvre, des droits auxquels les lois respectives accordent actuellement ou accorderont par la suite aux nationaux"; que l'article 18 alinéa 10 de ladite Convention précise "qu'elle s'applique à toutes les œuvres qui, au moment de son entrée en vigueur, ne sont pas encore tombées dans le domaine public de leur pays d'origine par l'expiration de la durée de protection";

Attendu qu'en l'espèce, la société Hasbro International Inc est fondée à invoquer ladite Convention établissant le principe d'assimilation de l'unioniste ou de l'Etat partie à la Convention, au national; que l'article 2 alinéa 7 de ladite Convention qui dispose que si les œuvres ne font pas l'objet d'une protection spéciale au titre des dessins et modèles dans leur pays d'origine, elles seront protégées comme œuvres artistiques ne peut être invoqué par la société Impag BV et la SARL Impag France; que ce texte impose au tribunal du pays où la protection est demandée de vérifier que, dans le pays d'origine, la création fait l'objet de droits d'auteur et non de la protection au titre des dessins et modèles; qu'en l'espèce le système américain de copyright protège les droits d'auteur sur une œuvre et non pas l'œuvre en tant que modèles et dessins; que le créateur d'une œuvre protégée par les droits d'auteur dans son pays d'origine peut revendiquer la protection correspondante, instituée en France; qu'en l'espèce, la société Hasbro International Inc justifie de certificats de dépôt du copyright au "Copyright Office des Etats Unis" à Washington, concernant les trois jeux de société et que les emballages de chaque exemplaire desdits jeux sont revêtus de la mention du copyright au nom de la société Hasbro International Inc ou de la société Milton Bradley Company;

Attendu que pour l'appréciation de la contrefaçon par imitation d'une marque, il convient de tenir compte des ressemblances entre les éléments des signes en présence, sans prendre en considération le degré des caractères distinctifs et des dissemblances pris isolément; qu'en l'espèce, l'impression l'ensemble au delà de dissemblances de détail, non significatives, est que les trois jeux incriminés fabriqués par a société Impag BV sont des copies des jeux du groupe Hasbro, tant dans la forme particulière des composants des jeux, leur agencement (format des tables et leur position verticale...) que dans leur présentation;

Attendu qu'il s'ensuit que "l'œuvre" étant protégée dans son pays d'origine au titre des droits d'auteur ou copyright, la société Hasbro International Inc est bien fondée à se prévaloir, en vertu de la convention de Berne, de la protection correspondante, instituée en France dans le titre premier du Code de la propriété intellectuelle, relatif au droit d'auteur et notamment à l'article L. 122-4 dudit Code; que la société Impag BV, la SARL Impag France, la SA Maxi Toys et la SA Picwick, en fabriquant et distribuant des jeux en violation des droits d'auteur de la société Hasbro International Inc, ont engagé leur responsabilité à l'égard de cette dernière société; qu'il convient de lui allouer en réparation de son préjudice moral, résultant de l'atteinte qui a été portée à ses droits d'auteur, la somme de 400 000 F; qu'il n'y a pas lieu d'allouer à la SA Hasbro France une somme en réparation du préjudice commercial qu'elle allègue, dès lors qu'il n'a été porté atteinte qu'aux droits de propriété intellectuelle de la société Hasbro International Inc; que cette société a seule subi un préjudice résultant de la violation des droits de propriété intellectuelle dont elle était la seule titulaire; que chacune des quatre sociétés en cause a contribué à l'entier dommage réalisé par la fabrication et la distribution des produits incriminés (trois jeux de société); que la condamnation sera donc prononcée in solidum;

Attendu qu'il sera fait droit à l'appel en garantie de la SA Maxi Toys dès lors qu'elle a commercialisé les produits incriminés, en toute bonne foi, et ne pouvait savoir qu'ils étaient susceptibles de bénéficier d'une protection au titre des droits d'auteur résultant d'un certificat de copyright aux Etats-Unis;

Attendu qu'il convient d'ordonner la cessation de la fabrication et de la distribution des produits incriminés pour mettre fin au non respect par les sociétés en question des droits d'auteur de la société Hasbro International Inc;

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt par voie de presse;

C) Sur l'action en concurrence déloyale

Attendu que la SA Hasbro France et la société Hasbro International Inc ne peuvent invoquer la protection au titre des droits d'auteur ou au titre des dessins et modèles, relativement aux trois jeux de la gamme "pâte à modeler" et au jeu appelé "flower design set" pour lesquels aucun certificat de copyright américain n'est produit, ni aucun dépôt auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle en France n'est justifié;

Attendu que, par contre, les sociétés du groupe Hasbro sont recevables à agir en concurrence déloyale pour faire sanctionner les éventuelles pratiques de concurrents, préjudiciables à leurs intérêts, et défendre leurs produits non protégés par les droits de la propriété intellectuelle définis aux livres premier ou cinquième du Code de la propriété intellectuelle;

Mais attendu que le simple fait de copier la prestation d'autrui ne constitue pas, en tant que tel, un acte de concurrence déloyale, fautif, le principe étant qu'une prestation qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduite; qu'une telle reproduction procure nécessairement à celui qui l'opère des économies au détriment de celui qui avait auparavant consenti des efforts et des investissements, économies qui ne sauraient, à elles seules, être tenues pour fautives et génératrices de dommages et intérêts, sauf à vider de toute substance le principe fondamental de la liberté du commerce et de l'industrie; que sauf circonstances particulières dans la reproduction d'une prestation réalisant alors un acte de parasitisme, il est licite de fabriquer et commercialiser des produits "imitants"; que le caractère licite disparaît lorsque, notamment, une entreprise crée délibérément un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle en fabriquant et vendant un produit copié d'une entreprise concurrente pour accréditer l'idée que le produit provient de cette entreprise concurrente; qu'en l'espèce la société Impag BV et la SARL Impag France ne se sont pas livrées à des actes de parasitisme caractérisés et n'ont pas, notamment, cherché à créer une confusion dans l'esprit de la clientèle entre ses propres produits et ceux du groupe Hasbro et à faire accroire qu'ils avaient une origine commune; que sur cette gamme de jeux traditionnels (pâte à modeler), le caractère innovant des "paillettes ou scintillement" incorporés au matériau n'est pas avéré, cet ajout existant depuis plusieurs années chez d'autres fabricants; que si des similitudes manifestes dans la présentation des jeux et de leur emballage existent, elles ne créent pas dans l'esprit de la clientèle une confusion suffisante, l'amenant à penser qu'il s'agit du même fabricant; que les autres fabricants de jeux de la même gamme choisissent une présentation des boites de jeux de la gamme de pâte à modeler, très voisine de celle des deux groupes en litige; que les reproductions graphiques des animaux de la ferme ou l'utilisation de couleurs dominantes sont d'un modèle courant;

Attendu qu'il s'ensuit que la SA Hasbro France et la société Hasbro International Inc seront déboutées de leur action en concurrence déloyale faute pour elles d'établir qu'il existe un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle moyennement attentive et avertie lorsqu'elle est en présence des deux types de produits;

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'examiner la demande de la SARL Impag France en paiement de dommages et intérêts pour campagne de dénigrement systématique nuisant à son image de marque, puisque sa responsabilité a été retenue au titre de la contrefaçon;

Attendu que le droit d'ester en justice de la SA Hasbro France et de la société Hasbro International Inc n'a pas dégénéré en abus; que la SA Maxi Toys sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts présentée à ce titre;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que les parties tenues aux dépens devront payer à chacune des deux autres la somme de 30 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

Par ces motifs, LA COUR : Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 2001-1173 et 2001-1367 ; Reçoit l'appel de la société Impag France SARL et de la société Impag BV comme régulier en la forme ; Déboute la société Hasbro International Inc et la SA Hasbro France de tous leurs moyens de procédure ; Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Déboute la société Impag BV, la SARL Impag France, la SA Maxi Toys et la SA Picwick de leur demande en nullité du modèle déposé le 25 juillet 1997 sous le numéro 97 1401, publié le 25 juillet 1997 ; Faisant droit à la demande de la société Hasbro International Inc tendant à la protection des droits d'auteur portant sur trois jeux de société et fondée sur l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, Condamne in solidum la société Impag BV, devenue la société Impag Toys Europe BV, la SARL Impag France, la SA Maxi Toys et la SA Picwick à porter et payer à la société Hasbro International Inc la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, et à la société Hasbro International Inc et la SA Hasbro France la somme de 30 000 F, à chacune d'elles, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Ordonne à la société Impag Toys Europe BV, à la SARL Impag France, à la SA Maxi Toys et à la SA Picwick de cesser de fabriquer et/ou de distribuer les jeux de société suivants: "Four Wins", "Mystery Person" et "Ball Trap", sous astreinte provisoire de 500 F par infraction constatée un mois après la signification du présent arrêt ; Dit que la société Impag France devra garantir la SA Maxi Toys de toutes les condamnations prononcées contre elle par le présent arrêt ; Déboute les parties de leurs plus amples demandes; Condamne in solidum la société Impag Toys Europe BV, la SARL Impag France, la SA Maxi Toys et la SA Picwick aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP Junillon et Wicky, avoués, sur leur affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.