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Décisions

Ministre de l’Économie, 11 mars 2003, n° ECOC0300298Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Conseils de la société Johnson

Ministre de l’Économie n° ECOC0300298Y

11 mars 2003

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Maîtres,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 4 février 2003, vous avez notifié le projet d'acquisition, par la société SC Johnson Inc (ci-après "Johnson"), de l'activité de fabrication et de commercialisation d'insecticides ménagers et de répulsifs anti-insectes, de désodorisants et de nettoyants ménagers auprès de Bayer AG (ci-après "Bayer").

I. Les parties et l'opération

Le projet d'acquisition a été formalisé par un accord cadre signé le 20 novembre 2002 au niveau mondial entre SC Johnson Inc. et Bayer AG. L'opération doit ensuite être concrétisée par la conclusion d'accords nationaux entre les filiales de chacune des parties à l'opération.

Au plan mondial, les actifs cédés par Bayer comprennent les activités production, de développement et de distribution d'insecticides ménagers, de désodorisants et de nettoyants ménagers.

Cette transaction comprend certains sites de production, non localisés en France (cinq usines situées au Salvador, en Indonésie et au Venezuela), les droits de propriété sur les marques concernées, les droits de propriété intellectuelle et les brevets sur les produits (exceptés les principes actifs). Cette transaction ne confère par ailleurs aucun contrôle ou aucune exclusivité à la société Johnson sur l'activité de fabrication d'ingrédients actifs de la société Bayer ni sur leur distribution.

En France, le projet de cession signé entre les sociétés La Johnson Française et Bayer France comprend uniquement les activités de fabrication, développement, commercialisation, distribution, et vente d'insecticides ménagers (commercialisés sous la marque "Baygon") et de répulsifs antiinsectes (commercialisés sous la marque "Autan") utilisés sur l'épiderme humain.

Les actifs cédés ont généré, en 2001, un chiffre d'affaires total de [...] * millions d'euro, dont plus de [>15] millions en France.

SC Johnson Inc., société familiale de droit américain, est la société holding du groupe de sociétés actives au niveau mondial dans la fabrication et la vente d'une large gamme de produits d'usage domestique : nettoyants domestiques, conservation des aliments, insecticides ménagers et articles de soins de la personne.

Le groupe est présent en France par l'intermédiaire de la société La Johnson française, filiale de Johnson Inc. Cette société, qui n'a pas d'activité de production, commercialise en France, auprès d'une clientèle constituée de distributeurs (essentiellement des grandes et moyennes surfaces alimentaires), les principales catégories de produits suivants : des désodorisants (sous marque "Brise"), des produits d'entretien ménager ("Pliz"), des produits d'hygiène sanitaire ("Canard") et des produits d'entretien des tissus (K2R). Johnson commercialise également en France des insecticides ménagers (vendus sous la marque "Raid") et des répulsifs anti-insectes utilisés sur l'épiderme humain (vendus sous la marque "Off !").

Le groupe Johnson qui emploie plus de [...] personnes (dont [...] en France) dans 70 pays, a réalisé, en 2001, un chiffre d'affaires mondial de [...] (1) milliards d'euro (dont plus de 158 millions en France).

En vertu de l'accord précité, Bayer, le vendeur, et Johnson, l'acheteur, se sont engagés, de manière irrévocable, à transférer les activités de fabrication et de commercialisation d'insecticides ménagers et de répulsifs anti-insectes, de désodorisants et de nettoyants ménagers précitées.

L'opération constitue ainsi une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce en ce qu'elle entraîne le transfert partiel d'actifs du groupe Bayer au profit exclusif de Johnson.

Compte tenu des chiffres d'affaires précités, réalisés lors du dernier exercice clos par le groupe Johnson et par Bayer via les actifs cédés, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.

Johnson a informé le ministre de la volonté des parties de réaliser l'opération à l'étranger. Or, l'article L. 430-4 du Code de commerce dispose que "la réalisation effective d'une opération de concentration ne peut intervenir qu'après l'accord du ministre chargé de l'Economie et, le cas échéant, du ministre chargé du secteur économique concerné". Toutefois, dans la mesure où les activités de commercialisation concernent des filiales bien identifiables dans chaque pays, et dans la mesure où l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés amont de l'achat d'insecticides ou de produits chimiques, l'opération a pu être réalisée à l'étranger.

L'opération a également été notifiée, pour ce qui concerne les pays de l'Union européenne, dans les Etats suivants : Espagne, Portugal, Allemagne, Grèce et Royaume-Uni. Elle a fait l'objet de la procédure d'information mutuelle sur les notifications multiples de l'Association des autorités de concurrence européenne (ECA) (2).

II. Marchés concernés

La présente opération concerne les secteurs de l'achat, de la production, du développement et de la distribution d'insecticides ménagers, de désodorisants et de nettoyants ménagers.

Les parties soulignent que quatre catégories d'acteurs sont présents sur ces marchés : les fabricants d'ingrédients actifs, les fabricants d'insecticides, les vendeurs en gros et les revendeurs détaillants d'insecticides.

Pour ce qui concerne plus particulièrement les activités cédées en France, l'opération concerne d'une part le secteur amont de l'achat de composants chimiques et d'insecticides et, d'autre part, le secteur de la fabrication et de la commercialisation d'insecticides ménagers et de répulsifs anti-insectes, secteur sur lesquels l'opération entraîne des chevauchements d'activités.

S'agissant des marchés amont relatifs d'une part à l'approvisionnement en substances chimiques (principes actifs) pour la fabrication d'insecticides et d'autre part à l'approvisionnement en insecticides, sur lesquels les deux entreprises concernées sont simultanément présentes en tant que clients, il n'est pas nécessaire de définir ces marchés dans la mesure, où, quelle que soit la délimitation adoptée, et bien que Johnson accroisse sa puissance d'achat, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ces différents marchés amont, notamment en plaçant des fournisseurs en situation de dépendance économique vis-à-vis de la nouvelle entité (3).

En conséquence, ces marchés ne feront pas l'objet de développements supplémentaires.

Compte tenu des activités réalisées en France par les parties, l'opération concerne principalement les marchés aval de la fabrication, du développement, de la commercialisation et de la vente en gros d'insecticides ménagers et de répulsifs anti-insectes appliqués sur l'épiderme humain.

En premier lieu, il convient d'effectuer, au sein du secteur des produits insecticides, une première distinction, fondamentale, entre d'une part les produits agrochimiques (insecticides et fongicides) destinés à la protection des cultures, au traitement des semences, ainsi qu'à certaines applications non agricoles et d'autre part, les insecticides ménagers, destinés à un usage domestique (4).

Dans la mesure où seule l'activité relative à la commercialisation d'insecticides ménagers est exercée en France, l'analyse sera circonscrite à ce secteur d'activité.

En effet, les parties fabriquent et commercialisent des produits à usage domestique destinés à exterminer (insecticides) ou éloigner (répulsifs anti-insectes) certains insectes (mouches, moustiques, tiques, fourmis, mites et cafards). Ces insecticides et répulsifs anti-insectes se présentent sous forme de sprays, pièges, rubans collants, poudre, appats, papier, bougies, diffuseurs électriques et lotions.

Elles indiquent en outre qu'elles vendent leurs produits à une clientèle constituée de revendeurs détaillants (principalement la grande distribution généraliste, et plus accessoirement les magasins de jardinage) (5). Les parties soulignent donc que l'opération porte sur des marchés de gros, et non pas de vente au détail.

Les parties soulignent que, s'agissant des insecticides ménagers, "la réaction de la demande peut être analysée au travers des facteurs discriminants suivants : coût, insecte visé, mode de diffusion, mode d'action (instantané/longue durée, tueur/répulsif), usage. Il pourrait être tenu compte également des caractéristiques chimiques du produit (principe actif)".

Les parties considèrent en conséquence, que l'opération concerne, au sein du secteur des insecticides ménagers, les quatre marchés de produits suivants (6) :

- le marché français des insecticides ménagers contre les insectes rampants, principalement les fourmis, les araignées, et les cafards ("crawling insect killer", ci-après "CIK") ;

- le marché français des insecticides ménagers contre les insectes volants, principalement les mouches et les moustiques ("flying insect killer", ci-après "FIK") ;

- le marché français des produits antimites ;

- le marché français des produits répulsifs anti-insectes utilisés sur l'épiderme humain.

Les parties estiment en effet qu'il convient de distinguer tout d'abord les insecticides ménagers et les produits contre les insectes à appliquer sur la peau, pour des raisons tenant, à des différences du côté de l'offre (7), du côté de la demande (8), et des différences notables en termes de commercialisation (9).

Les répulsifs anti-insectes sont d'ailleurs considérés comme étant des produits de soins corporels.

Les parties considèrent en outre que, tant du côté de l'offre que de la demande et des différences d'usage et de mode d'action, les produis anti-mites doivent être distingués des autres catégories d'insecticides.

En ce qui concerne enfin les FIK et les CIK, il semble possible de considérer, conformément à la proposition des parties et à la position adoptée par la majorité des autorités nationales saisies, qu'il s'agit de deux catégories de produits distinctes, et cela, même si l'existence de produits multi-usages rend possible l'amalgame entre ces deux catégories d'insecticides. Toutefois, la distinction entre les FIK et CIK se justifie dans la mesure où ces deux types d'insecticides sont destinés à exterminer différentes sortes d'insectes et où leurs composants actifs sont largement différents (10). De plus, ces produits présentent des saisonnalités différentes : les ventes de produits FIK sont réalisées essentiellement durant l'été alors que les CIK sont très largement commercialisés en hiver.

On pourrait enfin s'interroger sur une distinction plus fine fondée notamment sur le mode d'action du produit (action instantanée / action prolongée) (11), le mode de diffusion du produit (12), ou encore le positionnement des produits (premium, standard). Il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de segmenter de manière plus fine ces marchés, dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle demeureront inchangées.

On peut noter enfin que les insecticides sont vendus principalement sous marque de fabricant (ci-après "MDF") et plus accessoirement sous marque de distributeur (ci-après "MDD"). La pratique communautaire (13) et nationale (14) du contrôle des concentrations envisage parfois une segmentation des marchés fondée sur une distinction des produits MDF et MDD. Il apparaît toutefois qu'aux yeux du consommateur, les MDD et les MDF sont, pour ce type de produits de consommation courante, très largement substituables. Ainsi, même s'il existe des différences notables en termes de prix et de positionnement, on peut relever que les différents insecticides sont généralement d'une qualité relativement comparable (15). En conséquence, il n'apparaît pas nécessaire, au cas d'espèce, de distinguer les MDD des MDF.

Compte tenu de ces différents éléments et de l'activité des entreprises concernées, l'analyse portera sur les quatre marchés d'insecticides ménagers identifiés par la partie notifiante : CIK ; FIK ; anti-mite ; répulsifs.

S'agissant de la délimitation géographique des quatre marchés de produits identifiés, les parties considèrent qu'il convient d'adopter une délimitation essentiellement nationale. Les parties soulignent ainsi qu'il existe des contraintes réglementaires dans une majorité d'Etats de l'Union européenne (16). On peut noter de plus qu'il existe des différences importantes en termes de parts de marché entre les acteurs du marché, en fonction des différents pays. La présence de marques nationales confirme également cette approche essentiellement nationale du marché des insecticides et répulsifs. Les négociations commerciales ont enfin lieu, la plupart du temps, au niveau national (17). Du côté de la demande finale enfin, les opérateurs consultés lors du test de marché ont souligné qu'il existait des différences importantes en termes d'habitudes de consommation.

Les parties soulignent qu'il existe cependant une tendance à l'élargissement territorial de ce marché tenant notamment à l'harmonisation des conditions d'homologation des produits liée à l'application prochaine de la directive européenne n° 98-8-CE du 16 février 1998, aux faibles coûts de transport, au développement des négociations avec les distributeurs au niveau européen (18).

En définitive, au vu de ces différents éléments, l'analyse portera sur les quatre marchés suivants :

- le marché français des insecticides ménagers contre les insectes rampants ;

- le marché français des insecticides ménagers contre les insectes volants ;

- le marché français des antimites ;

- le marché français des répulsifs anti-insectes utilisés sur l'épiderme humain.

III. Analyse concurrentielle

La présente opération conduit à des additions de parts de marché (19) entre les parties sur les quatre marchés identifiés :

EMPLACEMENT TABLEAU

Ainsi, par addition statique des parts de marché, et donc toutes choses égales par ailleurs, l'opération placerait la nouvelle entité comme leader sur le marché des insecticides contre les insectes rampants (avec une part de marché cumulée de [60-70] % sur le marché des CIK) ainsi que sur le marché des insecticides contre les insectes volants (avec une part de marché cumulée de [50-60] % sur le marché des FIK). Sur ces deux marchés, le seul concurrent important serait le groupe Sara Lee (avec respectivement [10-20] % et [30-40] % des parts de marché). Pour ce qui est des marchés des antimites et des répulsifs, la part de marché de la nouvelle entité demeurerait inférieure à [20-30] %.

Sara Lee, le principal concurrent de la nouvelle entité sur les marchés des insecticides, est un groupe multinational (20) et dispose donc d'importantes capacités financières. Sara Lee est présent au niveau mondial, à travers de nombreuses marques de produits alimentaires, de cafés et thés, de produits ménagers et soins du corps, de services alimentaires et d'habillement. En France, ce groupe est présent dans de multiples secteurs de la grande consommation alimentaire (par exemple, avec les marques Justin Bridou, Aoste, etc..) et non alimentaire (par exemple, avec les marques Playtex, Dim, Kiwi, Monsavon, etc..).

Sur les marchés des CIK et des FIK, en acquérant notamment la marque "Baygon" positionnée comme une marque premium à forte notoriété, l'opération permettrait à Johnson de compléter sa gamme de produits offerts ainsi que son portefeuille de marques. En effet, elle disposerait alors d'une marque d'insecticides "premium" (haut de gamme), alors que Johnson ne propose actuellement qu'une marque d'insecticides standard (marque "Raid"). La nouvelle entité serait donc, à l'instar de son principal concurrent Sara Lee, à même d'offrir une gamme complète d'insecticides CIK et FIK.

En effet, Sara Lee commercialise ses insecticides ménagers sous la marque standard "Catch" et la marque premium "Pyrel", acquise en 1999. Cette dernière marque s'est considérablement développée (plus de 10 points des parts de marché entre 1998 et 2001) et ce succès s'expliquerait essentiellement par son positionnement commercial spécifique de produit naturel et l'image "écologique" associée à ses produits.

Il est, d'une part, ressorti du test de marché réalisé lors de l'instruction que les distributeurs avaient intérêt à proposer la gamme la plus complète possible de CIK et de FIK tout au long de l'année. Malgré la saisonnalité des ventes et une augmentation de la taille des linéaires consacrés aux insecticides ménagers en été, la majorité des distributeurs référence différents produits des cinq marques tout au long de l'année. D'autre part, il est apparu que les marques pouvaient jouer un rôle important sur ces marchés, certains distributeurs ayant indiqué que les marques Baygon et Pyrel étaient incontournables.

Il est dès lors nécessaire de déterminer si l'opération est susceptible de conférer à la nouvelle entité un avantage concurrentiel déterminant dans la mesure où elle sera à même d'offrir aux distributeurs une gamme plus large de produits, avec notamment une marque premium à forte notoriété.

Même si le rôle des marques est important sur ces marchés, il apparaît que la marque Baygon n'est pas incontournablepuisqu'elle avait été totalement déréférencée par la centrale d'achat Système U en 2002 et qu'elle a enregistré un repli marqué de ses parts de marché depuis 3 ans. Il convient, de plus, de souligner que Sara Lee dispose d'une marque premium forte, "Pyrel",compte tenu de la spécificité de son positionnement commercial. En outre, il ressort du test de marché que la négociation entre le fournisseur et le distributeur est plutôt menée par produit au sein de la gamme que sur toute la gamme simultanément(un distributeur peut ne pas retenir certaines références alors que d'autres références de la même gamme sont maintenues dans son linéaire), ce qui donne lieu à des référencements généralement partiels. On relève d'ailleurs des remises de gamme assez faibles dans ce secteur. Enfin, le groupe concurrent Sara Lee dispose d'ores et déjà d'une offre complète de gamme sur les insecticides FIK et CIK, susceptible de faire face à la gamme de la nouvelle entité.On peut par ailleurs noter que le fait d'être le seul opérateur à disposer d'une gamme complète jusqu'à ce jour n'a pas conféré à Sara Lee un avantage concurrentiel déterminant.

Il s'en conclut que le fait de compléter la gamme de son offre d'insecticides ménagers ainsi que son portefeuille de marques n'est pas susceptible de renforcer substantiellement le pouvoir de marché de la nouvelle entité.

L'opération renforçant la structure oligopolistique de l'offre sur les marchés des CIK et des FIK, et dans une moindre mesure des antimites, il convient en outre d'écarter le risque de constitution d'un oligopole collusif.

En dépit de la symétrie créée par l'opération entre la nouvelle entité et Sara Lee, qui offriront désormais tous deux une gamme complète d'insecticides ménagers, avec des marques premium et standard, et de la faible élasticité de la demande finale par rapport aux prix, il apparaît qu'un équilibre collusif serait difficilement soutenable sur ces marchés, en raison notamment de la faible transparence des prix (liée aux modes de négociations des prix avec la grande distribution basées sur la coopération commerciale et les marges arrières), de la puissance de la demande adressée aux parties (21), de l'hétérogénéité des produits proposés et du rôle de l'innovation (développement des diffuseurs...).

Il s'en conclut que l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par création ou renforcement d'une position dominante collective sur les marchés français des insecticides ménagers.

Compte tenu des chevauchements importants d'activité, il est nécessaire d'analyser si l'opération est susceptible de porter atteinte à la concurrence par création ou renforcement de position dominante simple, notamment au regard de l'évolution à attendre des prix à la suite de l'opération.

L'argument principal que les parties mettent en avant pour écarter tout risque d'atteinte à la concurrence est le contre-pouvoir que serait à même d'exercer la grande distribution face à l'entité issue de la présente opération. Cet argument n'est toutefois pas suffisant en l'espèce.

On constate effectivement que six acheteurs réalisent plus de 95 % des achats de FIK et CIK commercialisés en France. En outre, il ressort de l'instruction que le taux de marge "global" de la chaîne est inférieur en France à celui estimé dans les autres pays européens et que le distributeur capte une part important de la rente de pouvoir de marché en France. En revanche, aucun élément ne permet d'affirmer qu'il s'agit d'une structure de marché différente de celle prévalant pour les autres biens de consommations sur le marché français, et notamment, qu'une hausse des prix ne se réaliserait pas au bénéfice de tous les acteurs de la filière (production-distribution), c'est-à-dire ne se traduirait pas par une hausse de la rente à la fois du fournisseur et du distributeur. Par conséquent, le seul argument de puissance d'achat de la grande distribution ne permet pas d'écarter le risque d'atteinte à la concurrence de l'opération.

Il est par conséquent nécessaire d'analyser quel pourrait être l'impact d'une hausse de prix par la nouvelle entité sur la demande. Il ressort du test de marché que l'achat de ce type de produit par le consommateur final est ponctuel et saisonnier, et vise à répondre à un besoin immédiat et que par conséquent, la demande est assez peu sensible au prix.

Ainsi, une hausse conséquente des prix de la part de la nouvelle entité ne réduirait pas fortement la demande en insecticides ménagers. Pour autant, la nouvelle entité restera soumise à la pression concurrentielle de Sara Lee (22), groupe disposant d'une gamme complète de produits insecticides et d'un important portefeuille de marques : actuellement, seul Sara Lee dispose d'une offre complète de gamme sur les insecticides FIK et CIK et sa référence premium ("Pyrel") est jugée incontournable par certains distributeurs.

D'autre part, ce groupe bénéficie actuellement de conditions commerciales avec la grande distribution [...] que ses concurrents. La pression exercée par le groupe Sara Lee sera donc particulièrement solide et durable. Ainsi, si la nouvelle entité procédait à une hausse significative des prix, il serait probable qu'une très grande partie de la demande se reporterait sur l'offre du groupe Sara Lee, qui est le plus proche substitut de l'offre de la nouvelle entité.

En outre, les marchés français des insecticides ménagers se caractérisent par de faibles barrières à l'entrée :pas de barrière réglementaire en France, accès facile aux matières premières et aux capacités de production, moindre rareté du linéaire que pour d'autres produits, investissements publicitaires modérés.

Aussi, une hausse conséquente des prix de la nouvelle entité entraînerait vraisemblablement l'entrée sur le marché de certains groupes. D'une part, l'offre de grands opérateurs spécialisés, comme le groupe Scotts (opérateur important sur les marchés allemands des insecticides ménagers) qui commercialise actuellement en France des insecticides sous la marque KB vendus dans les rayons du jardinage, constitue une concurrence potentielle sérieuse sur le haut de gamme.Si Scotts est, pour l'instant, positionné sur des prix plus élevés, puisque ses produits sont censés répondre à une demande plus spécifique (secteur du jardinage pour KB), il serait susceptible de repositionner rapidement son offre en cas de hausse des prix opérée par la nouvelle entité sur sa gamme, notamment au niveau de ses produits premium. D'autre part, le groupe Reckitt Benckiser (23) pourrait également revenir sur les marchés français.

En outre, une hausse conséquente des prix de la part de la nouvelle entité renforcerait parallèlement la position de petites marques, déjà actives sur les marchés CIK et FIK. De ce point de vue, on relève que le linéaire consacré aux produits insecticides permet à la grande distribution de référencer, pour chaque type de produit, 4 ou 5 marques en basse saison et jusqu'à 8 en haute saison : la rareté du linéaire constitue par conséquent un obstacle moindre que pour d'autres produits (24).

Enfin, une hausse conséquente des prix de la part de la nouvelle entité renforcerait probablement l'offre des marques de distributeur sur le marché des insecticides ménagers.Certes, on relève que la concurrence effective des marques des distributeurs (MDD) sur ce marché est actuellement assez faible (moins de [10-20] % des parts de marché FIK et CIK). Cette faiblesse résulterait du bas niveau des prix de vente au consommateur final des insecticides ménagers en France, par rapport aux prix pratiqués dans les autres pays, ce qui rend peu profitable un positionnement important des MDD sur ces produits. Pour autant, les MDD constituent une concurrence potentielle forte. En premier lieu, de nombreuses MDD sont d'ores et déjà disponibles sur le linéaire de certains distributeurs toute l'année, proposant des prix et même des gammes de produits de nature à concurrencer les produits proposés par la nouvelle entité : par exemple, Franprix propose des aérosols FIK et CIK standard tandis que Casino propose parallèlement un produit standard FIK, un produit standard CIK et un produit premium "écologique". Il apparaît en outre que le lancement d'une MDD serait assez facile à réaliser étant donné que les insecticides sont des produits saisonniers (plus de 80 % des ventes FIK effectuées par le fabricant se réalisent entre mars et juillet) et que les négociations entre fournisseurs et distributeurs se font une fois par an, avant janvier. Il n'apparaît pas qu'un tel lancement soulèverait des contraintes techniques fortes. Même s'il n'est pas certain que la demande basculerait massivement vers des MDD en cas de hausse des prix des produits sous MDF, on peut admettre que le recours à des MDD constitue une menace crédible des distributeurs dans le cadre de leurs négociations avec les fournisseurs. Ainsi, une hausse substantielle des prix des produits standard qui serait pratiquée par la nouvelle entité serait de nature à renforcer rapidement la présence des MDD sur ces marchés.

Il s'en conclut que la gamme de la nouvelle entité sera face à une gamme équivalente de Sara Lee et à une offre diversifiée de petits producteurs et que ses prix seront contraints sur l'entrée de gamme par les MDD et sur le haut de gamme par l'offre de producteurs spécialisés dans des produits "techniques" ou de jardinage, voire aussi par l'offre de MDD.

Il ressort de ces éléments que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés.Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.

Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

NOTA : A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché remplacée par une fourchette.

Ces informations relèvent du "secret d'affaires", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence

NOTES

(1) La somme de ces deux chiffres d'affaires est supérieure à 150 Meuros.

(2) L'opération à été autorisée sans engagements dans tous les pays dans lesquels celle-ci a été notifié : ESpagne, Portugal, Allemagne, Grèce, Royaume-Uni, Bulgarie, Turquie, aqfrique du Sud, Australie, Brésil, Colombie, Taïwan. L'opération a également été notifié au Venezuela et au Mexique mais n'a pas, à ce jour, fait l'objet d'une décision.

(3) Hormis [...], qui fournit les deux entités, mais de manière relativement modeste, les deux entreprises concernées n'ont aucun fournisseur commun.

(4) Voir notamment la décision de la Commission européenne Hoechst / Rhône Poulenc du 9 août 1999, n° IV-M.1378 et les décisions du Ministre de l'Economie, des Finances, et de l'Industrie, du 13 décembre 2002 et du 17 février 2003 relatives à l'opération aux opérations Makhteshim/actifs de Bayer CropScience et BASF/actifs de Bayer CropScience, en instance de publication au BOCCRF.

(5) Bayer vend aussi les produits concernés, mais de manière très accessoire, à des épiceries et des pharmacies.

(6) Les parties soulignent que les mêmes définitions de marchés de produits ont été proposées dans chaque pays où une autorité de contrôle a dû se prononcer et ont été acceptées (à l'exception du Royaume-Uni et de Taiwan, où une définition encore plus large, ne distinguant pas entre les FIK et les CIK, a été retenue).

(7) On peut noter ainsi que tous les fabricants ne commercialisent pas systématiquement ces deux catégories de produits.

(8) Les insecticides sont destinés à tuer les insectes alors que les répulsifs ne sont appliqués sur l'épiderme que pour les éloigner.

(9) On trouve ainsi les répulsifs dans les GMS, comme les insecticides ménagers, mais aussi dans les pharmacies et les parapharmacies.

(10) Les parties soulignent par exemple que les produits FIK de Bayer contiennent de la Transflurithrin, particulièrement efficace contre les insectes volants, alors que les produits CIK sont principalement composés de Cyfluthrin et de Phoxim, plus spécialement efficaces contre les insectes rampants.

(11) Dans sa décision Hoechst précitée, la Commission a relevé la similarité des matières actives quelle que soit la durée d'action du produit et l'apparition d'aérosols longue durée qui vient effacer davantage encore les différences qui pourraient exister entre ces deux modes d'action du fait de leur différence de diffusion en règle générale (aérosols vs poudres, tablettes...). Une étude de l'évolution des prix relatifs confirme l'absence de différenciation entre ces deux modes d'action.

(12) Cette distinction ne serait pas non plus pertinente, comme l'a d'ailleurs relevé la Commission européenne dans sa décision Hoechst, dans laquelle elle retient des marchés par type d'insectes (dans le cas en cause, des cafards) indifféremment du mode d'utilisation de l'ingrédient actif (aérosols, pièges...).

(13) Voir notamment les décisions Masterfood / Royal Canin, Swedish Match / Kav, Kimberly Clark / Scott, ou Sara Lee / Courtaulds dans lesquelles la Commission considère qu'il n'est pas justifié de procéder à une telle distinction ; voir la décision Guinness / Grand Met, dans laquelle la Commission procède à une telle distinction.

(14) Voir notamment les décisions Euridep/Kalon (lettre du 3 mai 1995, BOCCRF du 18 mai 1995), et Cofigéo/ activité plats cuisinés de Nestlé France, en instance de publication au BOCCRF, dans lesquelles le Ministre de l'économie, des finances, et de l'industrie considère qu'il n'est pas opportun de procéder à une telle segmentation.

(15) Voir, à titre d'illustration, l'étude menée par le magazine 60 millions de consommateurs sur les aérosols anticafards (magazine n°317, mai 1998).

(16) Le processus d'enregistrement varie selon les pays en fonction des réglementations. Il faut ainsi par exemple compter entre trois et six mois en Bulgarie, un an en Italie et en Espagne, deux ans au Portugal et jusqu'à quatre ans en Grèce.

(17) Les fabricants sont ainsi référencés, la plupart du temps, au niveau national.

(18) Johnson a ainsi conclu un contrat européen avec [...].

(19) Il s'agit de parts de marché en valeur pour la période septembre 2001/septembre 2002 (source AC Nielsen).

(20) Selon la dernière information rendue publique en 1998, le groupe Sara Lee n'étant pas côté, le groupe a généré un chiffre d'affaires mondial de 21 milliards de dollars.

(21) Les parties réalisent la [...] de leurs chiffres d'affaires respectifs avec les six grandes centrales d'achat des distributeurs.

(22) Le marché ne présente pas les caractéristiques d'un oligopole collusif.

(23) Le groupe était présent avec Neocid, il s'est retiré mais demeure présent sur les autres marchés européens

(24) Cf. a contrario la décision Sara Lee / Banckiser de 2000, dans le secteur du cirage, où la grande distribution ne référençait que une ou deux marques.