Cass. crim., 26 octobre 1999, n° 98-84.446
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gomez
Rapporteur :
Mme Mazars
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Choucroy.
Rejet et cassation partielle sur les pourvois formés par R Didier, l'association interprofessionnelle du bétail et des viandes (INTERBEV), partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 26 mars 1998, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, a condamné le premier à 10 000 F d'amende, a ordonné une mesure de publication et a déclaré la constitution de partie civile irrecevable.
LA COUR : Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense et en réplique ;
I. Sur le pourvoi formé par Didier R : - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3 du Code pénal, tel qu'il est issu de la loi, n° 96-393 du 13 mai 1996, L. 121-1 du Code de la consommation, de même que des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs :
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Didier R coupable de publicité mensongère et l'a condamné à payer une amende de 10 000 F tout en ordonnant la publication de la décision dans deux journaux locaux ;
"aux motifs que le 28 mars 1996, les agents de la DGCCRF constataient au rayon boucherie de l'hypermarché Cora de Cambrai la présence d'un écriteau "chers clients, nous certifions la viande de boeuf exclusivement française" alors que l'un des fournisseur du magasin, M. A, avait livré la veille le 27 mars certains morceaux de boeuf originaires d'Allemagne et des Pays-Bas qui figuraient parmi ceux mis en vente le jour du contrôle ; matériellement, ces faits caractérisent une publicité de nature à induire en erreur ; Didier R, responsable du rayon boucherie, titulaire d'une délégation de pouvoirs, déclarait qu'il avait demandé à ses fournisseurs de lui livrer exclusivement de la viande d'origine française et qu'il n'avait constaté qu'après le contrôle sur les factures de la société A que celle-ci n'avait pas respecté ces consignes ; si par télex du 29 mars, lendemain du contrôle, Roger A précisait au prévenu "suite à notre entretien téléphonique" qu'il avait été obligé, le 27 mars, faute de quantité suffisante, de compléter les commandes avec des marchandises d'Allemagne et de Hollande, le même fournisseur, entendu par la police, certifiait par procès-verbal que Didier R ne lui avait jamais demandé de lui livrer de la viande d'origine française ; qu'il résulte donc de ces éléments que Didier R quoi qu'absent du magasin le 28 mars n'a pas pris dans la direction de son service, eu égard à ses fonctions et aux moyens dont il disposait, toutes les précautions propres à éviter les erreurs constatées ;
"et aux motifs adoptés que, se contenter d'exiger oralement une viande d'origine française aurait été bien léger et qu'en certifiant à ses clients cette origine, Didier R s'engageait à avoir personnellement contrôlé l'origine de la viande vendue, ce qui revient à un problème dit de traçabilité qui n'était pas résolu à l'époque, en tout cas comme fondement d'une campagne publicitaire à destination des consommateurs ; qu'en effet, certifier signifie attester comme étant vrai, ce qu'une simple exigence contractuelle stipulée au surplus par oral en admettant qu'elle l'ait été envers les fournisseurs ne suffit pas à établir ;
"alors, d'une part, que l'article L. 121-3 du Code pénal disposant qu'il n'y a crime ou délit, en cas d'imprudence ou de négligence, que lorsque la loi le prévoit, la cour d'appel ne pouvait déclarer Didier R coupable du délit de publicité mensongère par imprudence, l'article L. 121-1 du Code de la consommation ne prévoyant pas qu'un tel délit puisse être constitué sans intention délibérée de le commettre ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui s'est bornée à relever que Didier R n'avait pas pris toutes les précautions pour contrôler l'origine française de la viande qu'il avait commandée, sans caractériser l'intention que l'intéressé avait eue de tromper les consommateurs, a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
"alors, d'autre part, que la faute en matière de délits non intentionnels, tels que la publicité mensongère, s'apprécie in concreto au regard des diligences normales que l'auteur des faits aurait dû prendre ; qu'en se bornant à retenir que Didier R n'établissait pas s'être personnellement assuré de l'origine des marchandises devant être livrées au cours de son absence, sans rechercher, comme elle y était invitée, si celui-ci n'avait pas donné à cet effet toutes les instructions utiles à ses subordonnés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"alors, encore, qu'il incombe à la partie poursuivante d'apporter la preuve de l'insuffisance des diligences de l'auteur des faits ; qu'en se bornant à rechercher quelles furent les commandes passées par Didier R auprès de ses fournisseurs, sans énoncer quelles instructions il avait données à ses subordonnés pour la période de ses congés, la cour d'appel a présumé sa responsabilité et a inversé la charge de la preuve ;
"alors, enfin, qu'en ne s'expliquant pas sur la sincérité des déclarations de M A lors de l'enquête, lesquelles étaient radicalement contraires au document qu'il avait lui-même écrit et adressé à Didier R le lendemain de la commande et qui établissait de façon irréfutable que la marchandise livrée n'était pas celle qui lui avait été commandée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale :
"alors qu'en laissant sans réponse le moyen des écritures de Didier R faisant valoir, pièces à l'appui, que, lorsque M A livrait le point de vente en viandes étrangères, l'origine était toujours indiquée sur la facture et la livraison faite directement par un transporteur international, au contraire de la livraison du 27 mars 1996 que M A avait effectuée lui-même après avoir conditionné la marchandise dans des cartons de son entreprise, ce qui corroborait l'affirmation du prévenu selon laquelle l'origine de cette marchandise avait été modifiée à son insu, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt confirmatif attaqué qu'à la suite d'un contrôle effectué par des agents de la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des fraudes, dans un hypermarché, Didier R, responsable du rayon boucherie, titulaire d'une délégation de pouvoirs, est poursuivi pour avoir effectué une publicité fausse ou de nature à induire en erreur en ayant apposé un écriteau certifiant la viande de boeuf exclusivement française alors que certains morceaux provenaient de pays étrangers ;
Attendu que, pour le déclarer coupable du délit, les juges d'appel, après avoir relevé que la matérialité des faits n'est pas contestée, énoncent que le prévenu, auquel il appartenait de vérifier personnellement l'origine française des viandes mises en vente, n'a pas pris toutes les précautions propres à assurer la véracité du message publicitaire ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs procédant de son appréciation des éléments de preuve contradictoirement débattus et dès lors que, selon l'article 339 de la loi du 16 décembre 1992, l'élément moral du délit de publicité de nature à induire en erreur prévu par l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973, devenu l'article L. 121-1 du Code de la consommation est caractérisé par une simple faute d'imprudence ou de négligence, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
II. Sur le pourvoi formé par l'Association interprofessionnelle du Bétail et des Viandes : - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation, 1134 et 1382 du Code civil, 2, 3, 459 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse aux conclusions, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M Daul, agissant en qualité de représentant légal de l'association INTERBEV, irrecevable en sa constitution de partie civile ;
"aux motifs, propres à l'arrêt, que la cour ne trouve pas dans les éléments produits, que les faits caractérisant le délit intéresseraient l'objet social d'INTERBEV ou entreraient dans la mission assignée par ses statuts ;
"et aux motifs, adoptés des premiers juges, que l'association INTERBEV s'est constituée partie civile en raison du préjudice qu'elle subissait du fait du discrédit qui serait causé par l'infraction à sa propre campagne publicitaire par laquelle elle garantit l'origine française des viandes vendues sous le label "viande bovine française" ; que l'action civile des associations à but intéressé n'est recevable, sauf disposition législative contraire, que si elles évoquent un préjudice personnel et direct ; qu'il n'en serait ainsi que si un professionnel faisait un usage abusif du signe "viande bovine française" ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; qu'au surplus, il résulte des documents produits par la partie civile que cette campagne publicitaire est postérieure à la date de commission des faits poursuivis ;
"alors que, d'une part, la partie civile qui est une organisation interprofessionnelle regroupant les organisations professionnelles les plus représentatives des divers intervenants de la filière des viandes bovines et ovines depuis les producteurs jusqu'aux détaillants, régie par les dispositions de la loi du 10 juillet 1975 modifiée, relative aux organisations interprofessionnelles agricoles et reconnue par un arrêté interministériel du 18 novembre 1980, ayant pour objet défini par ses statuts, notamment et par délégation des organisations professionnelles qui la constituent, de défendre et de promouvoir des intérêts communs de l'élevage et des activités de la filière du bétail et des viandes, les juges du fond, qui ont déclaré le prévenu coupable de publicité mensongère pour avoir, quelques jours après l'annonce officielle de la possible transmission à l'homme de l'agent infectieux responsable de la maladie de l'ESB, vendu de la viande provenant de pays étrangers en affirmant faussement son origine française, ne pouvaient, sans priver leur décision de motifs, méconnaître les données du litige et violer les textes précités ainsi que l'article 2 du code de procédure pénale, rejeter l'action civile de cette association en se bornant à affirmer sans s'en expliquer autrement, qu'ils ne trouvaient pas dans les éléments produits, que les faits reprochés intéressaient son objet social ou entraient dans la mission qui lui était assignée par ses statuts ;
"alors, d'autre part, que si la partie civile faisait valoir que dès l'annonce de la possible transmission à l'homme de l'agent infectieux responsable de l'ESB, elle avait aussitôt commencé à organiser une campagne publicitaire destinée à garantir l'origine française des viandes vendues sous le label "viande bovine française", elle expliquait également dans ses conclusions d'appel que, moyennant des frais importants, elle s'était engagée depuis 6 ans avec l'aide des pouvoirs publics dans l'élaboration de procédures dites "de traçabilité" destinées à permettre l'identification permanente et généralisée de la viande afin que les consommateurs puissent s'assurer de son origine, en sorte que l'infraction poursuivie, qui avait consisté à tromper les consommateurs sur cette origine, lui avait causé un préjudice important ainsi qu'à ses adhérents constitués par l'ensemble des organisations professionnelles de la filière bovine qu'elle représentait ; qu'en refusant dans ces conditions et sous prétexte que la campagne publicitaire organisée par la partie civile et résultant de la création du label "viande bovine française", était postérieure aux faits poursuivis, d'admettre l'existence d'un préjudice personnel de cette partie civile directement causé par l'infraction, les juges du fond ont laissé sans réponse un moyen péremptoire de la partie civile et violé les articles 1382 du Code civil et 2 du Code de procédure pénale" ;
Vu les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ; - Attendu que, selon ces textes, l'action civile est ouverte à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage, matériel ou moral, découlant des faits, objet de la poursuite ;
Attendu que, pour déclarer l'association INTERBEV irrecevable en sa constitution de partie civile, les juges d'appel retiennent que les faits poursuivis sont sans rapport avec l'objet et la mission de cette association ; qu'ils énoncent, par motifs adoptés, que l'association INTERBEV n'établit aucun préjudice personnel direct découlant des faits poursuivis ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'atteinte portée par le délit retenu aux intérêts communs des professions de la filière des viandes bovines que l'association INTERBEV, organisation interprofessionnelle agricole régie par la loi du 10 juillet 1975 modifiée, a pour mission de défendre, caractérise, pour celle-ci, un préjudice personnel découlant directement des faits poursuivis, distinct du trouble social, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs : I. Sur le pourvoi formé par Didier R : Le rejette ; II. Sur le pourvoi formé par l'association INTERBEV : Casse et annule l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Douai, en date du 26 mars 1998, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ; Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Reims.