Livv
Décisions

CA Chambéry, ch. corr., 5 mars 1998, n° 97-00619

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Entremont (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Uran

Conseillers :

Mmes Cuny, Durand-Mulin

Avocats :

Mes Lestourneaud, Veron, Herlemont, Michel

TGI Annecy, ch. corr., du 2 mai 1997

2 mai 1997

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement du 2 mai 1997, déclaré :

- M Gilberto coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, le 9 avril 1996, à Annecy (74), infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 Al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation

- U Marcel Marie Edmond coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, le 9 avril 1996, à Annecy (74), infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 Al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation

Et par application de ces articles, a condamné :

- M Gilberto à 50 000 F d'amende - a ordonné l'insertion d'un extrait de la décision dans Le Dauphiné Libéré, Le Monde et le Figaro en fixant à 2 500 F le coût maximum de chaque insertion et sur l'action civile : l'a condamné in solidum avec U, SNC X et SNC Y, civilement responsables, à verser 40 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à la SNC Entremont, partie civile.

- U Marcel Marie Edmond à 50 000 F d'amende - a ordonné l'insertion d'un extrait de la décision dans Le Dauphiné Libéré, Le Monde et le Figaro en fixant à 2 500 F le coût maximum de chaque insertion et sur l'action civile : l'a condamné in solidum avec M, SNC X et SNC Y, civilement responsables, à verser 40 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale à la SNC Entremont, partie civile.

Décision :

Vu les conclusions déposées et soutenues à l'audience par les conseils de la partie civile ; Vu les réquisitions de Monsieur l'avocat général ; Vu les conclusions déposées et soutenues à l'audience par les conseils de Gilberto M et des sociétés X et Y, civilement responsables ;

Attendu que Gilberto M a comparu à l'audience, et que Marcel U, qui a eu connaissance de la citation (citation à la personne de l'épouse + renvoi de l'AR de la LR), n'a pas comparu ;

1° Sur l'action publique

Attendu, qu'aux termes des citations de la partie civile, il est reproché aux prévenues d'avoir commis le délit de publicité mensongère, en l'espèce d'avoir "fait étiqueter, sous la dénomination "emmental français" un fromage dont l'élaboration ne comporte pas la formation d'une croûte caractéristiques de ce produit, cette dénomination étant inscrite sur les étiquettes autocollantes apposées sur les films de conditionnement utilisés pour la vente au détail de ce fromage" ;

Attendu qu'il résulte des différents constats effectués à la requête de la société Entremont que des prélèvements effectués sur des produits fabriqués par la SNC X et commercialisés par la SNC Y, respectivement dans les magasins :

- Stoc à Bugey,

- Nouvelles Galeries à Annecy et Neuville sur Saone,

- Europa à Vitry,

- Carrefour à Rungis

ont portés sur des portions de fromage préemballés portant la mention "Emmental", et non constituées d'une croûte ;

Attendu, pour ce qui concerne la compétence des premiers juges et de la cour, que par acte d'huissier en date du 3 avril 1996, il a été saisi dans le magasin Nouvelles galeries d'Annecy des formages sans marque dits "premiers prix" emballés sous film neutre, revêtus d'une étiquette autocollante portant la dénomination "emmental français 45 % de MG", ainsi que la marque de salubrité de la SNC X, étant relevé que l'établissement de commercialisation desdits produits (Z) est un établissement secondaire de la SNC Y ;

Attendu que l'Institut technique du gruyère, chargé d'analyser les produits saisis, conclut le 17 avril 1996 que "les échantillons analysés ne présentent pas de différences de dureté, d'extrait sec et de couleur entre la périphérie et le cour, ce qui ne serait pas le cas s'ils possédaient une croûte" ;

Attendu qu'il résulte de l'annexe du décret 88-1206 du 30 décembre 1988, que l'emmental doit présenter, notamment, une "croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair" ;

a) Sur les moyens de défense tirés du droit interne français

Attendu que la "délégation de pouvoir et de responsabilité" signée le 1er janvier 1996 au profit de M. C par Marcel U ne peut être invoquée en cause d'appel pour obtenir la relaxe de ce dernier, non présent à l'audience et ne pouvant être représenté à l'audience en raison du quantum de la peine encourue ;

Attendu, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que la définition réglementaire de l'emmental telle qu'elle résulte du décret 88-1206 du 30 décembre 1988 (article 6) et son annexe, concerne non seulement les meules, mais bien évidemment les portions qui en sont issues, et que, si, tout aussi logiquement, il ne peut y avoir de croûte sur les échantillons saisis dans la mesure où ceux-ci seraient issus du cour des meules, il n'en demeure pas moins que selon l'appréciation de l'Institut technique du gruyère précité, l'existence de la croûte conditionne la qualité de l'emmental ;

Attendu que le Codex alimentarius, dont les dispositions n'ont qu'un caractère indicatif, n'a aucune valeur réglementaire en France ;

Attendu qu'il ne peut être tiré argument de la lettre de M. Valade, directeur à la DGCCRF en date du 10 mai 1996, selon laquelle compte tenu des incertitudes inhérentes à un examen purement visuel du produit fini", il y aurait lieu de proposer "des paramètres clairs et quantifiables", dans la mesure où, d'une part, le rapport susvisé de l'Institut technique du Gruyère se fonde sur des analyses (mesures de la pénétrométrie) plus complètes qu'un simple examen visuel, d'autre part le même signataire, dans une lettre du 13 novembre 1995, précisait notamment : "Ce texte (le décret du 30 décembre 1988) précise que ce fromage doit présenter "une croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair". Or, dans bien des cas, nos enquêteurs ont pu constater l'absence de croûte caractéristique. Ce défaut provient du mode d'affinage sous film plastique. Certes, cette technique a été admise conformément à la demande de votre syndicat, mais sous réserve qu'au cours du processus d'affinage, qui doit durer six semaines, le film plastique soit retiré en vue de permettre la formation d'une croûte caractéristique. Le non retrait du film en temps utile conduit à un produit non conforme au regard du décret de 1988" ;

Attendu qu'aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que la SNC Entremont, partie civile, fabrique et commercialise du fromage sans croûte, l'absence de croûte sur les portions, en l'absence d'analyse, ne pouvant être la preuve de ce que les meules dont elles sont issues étaient elles-mêmes sans croûte ;

Attendu qu'il n'est pas établi au dossier que le produit commercialisé en Allemagne sous la marque "W", l'est également en France, la cour relevant d'ailleurs que l'échantillon qui lui a été présenté à l'audience porte de manière très évidente la mention "Emmental Bavarois" ;

Attendu que les éléments de droit interne français doivent donc être rejetés, par confirmation du jugement déféré ;

b) Sur les éléments de défense tirés du droit communautaire (article 30 du traité de Rome)

Attendu que les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes au demeurant parfaitement rapportés par le jugement déféré dans leurs dispositions et leur analyse ne sont pas transposables à la situation particulière, puisque, en effet :

- l'arrêt Cassis de Dijon concerne l'exportation de produits français sur le territoire allemand,

- l'arrêt Smanor concerne l'importation en France de yaourts surgelés fabriqués à l'étranger,

- l'arrêt Edam concerne l'importation en France de produits d'origine allemande,

alors qu'en l'espèce, il s'agit de fromage français produit et commercialisé en France ;

Attendu que la jurisprudence "Montagne" (arrêt du 7 mai 1997) invoquée par la défense, n'est pas davantage transposable à la situation dénoncée par la partie civile, dans la mesure où la Cour européenne a dit que l'application d'une mesure nationale à une situation purement nationale était susceptible de relever de l'article 30 uniquement dans la mesure où l'application de la loi nationale pouvait avoir des effets sur la libre circulation des marchandises entre États membres, notamment lorsque la mesure en cause favorisait la commercialisation des marchandises d'origine nationale au détriment des marchandises importées ;

Attendu qu'en l'espèce, aucune circonstance ne résulte au dossier et des débats de laquelle il résulterait que la réglementation française sur l'emmental favoriserait la commercialisation des produits nationaux au détriment des produits importés, et affecterait ainsi le commerce intra-communautaire ;

Attendu que les premiers juges ont parfaitement retenu qu'il est de principe constant que, en l'absence de norme communautaire, les États sont habilités à réglementer souverainement l'usage d'une dénomination, sauf si la réglementation nationale peut s'analyser en une restriction déguisée à l'importation des produits (ce que rappelle la jurisprudence "Montagne"), ce qui n'est nullement le cas en l'espèce ;

Attendu que la présente cour adopte comme pertinents les motifs des premiers juges qui remarquent que cette règle est conforme aux dispositions de la communication interprétative de la Commission n° 89-C 271-03 du 24 octobre 1989 ;

Attendu qu'il est donc inutile de saisir la Cour de justice des Communautés européennes de la question préjudicielle présentée par le prévenu, dans la mesure où l'interprétation demandée n'a aucune influence sur le présent litige, étant remarqué que la lettre de la Commission européenne du 22 juillet 1997 invoquée par la défense sur "la comptabilité au regard du droit communautaire du décret n° 88-1206 du 30.12.1988", d'une part ne porte pas mention de la question qui avait été posée, en sorte que rien ne permet de dire que la réponse soit exactement transposable à la situation en litige, d'autre part ne fait état que de la commercialisation en France, alors qu'en l'espèce, il s'agit aussi de production en France ;

Attendu que le jugement déféré doit donc encore être confirmé en ce qu'il a rejeté les arguments de défense fondés sur les dispositions du traité de Rome ;

Attendu que la production du Groupe X doit donc respecter la réglementation française relative à l'emmental, et qu'ainsi les prévenus doivent être retenus dans les liens de la prévention, tant au regard de la commercialisation que de la fabrication de produits défectueux, étant relevé que la prévention permet également d'appréhender la production ;

Attendu que les peines d'amende infligées par le jugement déféré sanctionnent parfaitement les faits commis eu égard à leur gravité ;

Attendu que l'insertion d'un extrait du présent arrêt doit être ordonnée dans trois publications (nationales et régionale) ;

2° Sur l'action civile

Attendu que, par confirmation du jugement déféré, les SNC X et Y doivent être déclarées civilement responsables des prévenus, lesquels sont les dirigeants de ces sociétés ;

Attendu que le jugement déféré doit être également confirmé en ce qu'il a donné acte à la société Entremont de ce qu'elle se réserverait de présenter sa demande d'indemnisation au tribunal civil compétent ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu en l'état d'ordonner la cessation de la publicité mensongère, dans la mesure où aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que cette publicité (étiquettes "emmental" sur du formage produit sans croûte) a encore actuellement cours étant relevé qu'à l'audience le prévenu a affirmé que la croûte est maintenant "conforme", que rien au dossier ne permet de le contredire en ce qui concerne la période actuelle, et ce d'autant que Mme Le Saout et M. David agents de la DCCRF relatent que, le 10 mars 1997 dans les locaux de la fromagerie B à Bouvron, "lors de la réalisation du prélèvement, nous avons constaté, dans l'atelier de conditionnement "pâtes pressées cuites", que les meules disposées sur les étagères en attende de découpe et/ou râpage présentaient une croûte, de couleur s'apparentant à un jaune doré, et qui, au toucher du quart de meule saisi, était dure. En tout état de cause, il existe maintenant une nette différenciation entre la croûte de la meule et sa pâte qui n'existait pas auparavant, c'est-à-dire lorsque l'affinage se faisait en totalité sous film plastique. Ainsi, le quart de meule saisi est le produit d'un processus technologique différent de celui qui est en cause dans la procédure" ;

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SNC Entremont la totalité des frais irrépétibles de justice, en sorte qu'il y a lieu de lui allouer, outre celle déjà arbitrée à ce titre par le jugement déféré, la somme de 30 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi, contradictoirement à l'encontre de Gilberto M, et des SNC X et Y, ainsi qu'à l'égard de la SNC Entremont et par arrêt contradictoire à signifier à l'encontre de Marcel U Déclare les appels recevables en la forme, Au fond, Confirme en toutes ses dispositions, tant pénales que civiles le jugement rendu le 2 mai 1997 par le Tribunal correctionnel d'Annecy, Ordonne la publication par extraits de la présente décision dans "Le Dauphiné Libéré", "le Monde" et "le Figaro", aux frais de MM. M et U, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder cinq mille francs (5 000 F). Dit n'y avoir lieu à interroger la Cour de justice des Communautés européennes, Dit n'y avoir lieu à ordonner la cessation de la publicité, Y rajoutant condamne in solidum les prévenus et les civilement responsables à verser à la SNC Entremont la somme supplémentaire de trente mille francs (30 000 F) sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale en cause d'appel. Dit que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné ; Fixe la contrainte par corps, s'il y a lieu, conformément aux dispositions de l'article 750 du Code de procédure pénale ; Le tout en vertu des textes susvisés.