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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 18 juin 1999, n° 1998-02573

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Daxon Movitex (SA)

Défendeur :

Esteves

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

MM. Bouche, Savatier

Avoués :

SCP Gaultier Kistner Gaultier, SCP Bernabé Ricard

Avocats :

Mes Doussot, Charles.

TGI Paris, du 26 nov. 1997

26 novembre 1997

La cour statue sur l'appel formé par la société Daxon Movitex, qui exerce sous l'enseigne Edmée de Roubaix, d'un jugement en date du 29 novembre 1997 qui l'a condamnée à payer à Mme Lourdes Esteves la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts ainsi que celle de 10 000 F fixée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il est fait référence aux énonciations du jugement ainsi qu'aux conclusions des parties pour un exposé complet des faits, de la procédure et des prétentions et moyens initialement soulevés.

Il convient de rappeler les éléments suivants.

En septembre 1993, Mme Esteves a reçu de la société Edmée de Roubaix le catalogue automne-hiver de vente par correspondance ainsi qu'un document l'informant que son nom avait été retenu pour participer à un jeu sans obligation d'achat dont le premier prix était une voiture Peugeot 306 XR et l'invitant à renvoyer son bon de participation; à cet envoi était joint "un certificat gagnant" attribué personnellement à Mme Esteves, signé de François Delesalle, directeur de clientèle "Edmée de Roubaix".

Mme Esteves qui n'avait pas retourné le bon de participation a été relancée par le service "direction-clientèle" de la société Edmée de Roubaix par courrier du 24 septembre 1993 lui rappelant qu'elle avait été sélectionnée pour participer au grand jeu "sélection-prestige" dont le tirage au sort avait été effectué le 21 juillet 1993 par Maître Berna, huissier de justice à Tourcoing et précisant que le premier prix de ce jeu est une Peugeot 306 XR d'une valeur de 91 000 F et que le numéro 1 lui a été officiellement attribué. Ce document était accompagné d'un autre intitulé "ordre de clôture" qui mentionnait "Réponse urgente objet Prix non réclamé", était adressé à Mme Esteves mentionnant son adresse, comportait une photographie de la Peugeot 306 XR indiquant le numéro attribué 1, résultat gagnant 1 prix et portant à la rubrique Observations, en écriture manuscrite un texte ainsi rédigé: "François, concernant ce dossier, peux-tu me faire savoir quelle suite lui a été donnée. Dois-je considérer sans instruction de sa part que notre gagnante refuse sont prix et clore son dossier? Bonne réception."

Persuadée qu'en raison du libellé et de la présentation des documents émanant de la société Edmée de Roubaix, elle avait gagné le premier prix du jeu, soit la Peugeot 306 XR, Mme Esteves a retourné le 2 octobre 1993 son titre de participation en l'accompagnant d'une commande.

Ne recevant pas le lot, Mme Esteves a interrogé sur les modalités de remise du véhicule M. Delesalle, directeur-clientèle, dont le service l'a informée par deux courriers des 5 et 29 novembre 1993, que sur le titre de demande il était noté "Résultat Gagnant 1 prix et non gagnant 1er prix"; que les gagnants des lots principaux avaient été avisés par courrier recommandé et que comme à chaque participant le lot "Collier Agathe" lui avait été attribué.

Estimant avoir été trompée par les documents reçus de la société Edmée de Roubaix qui lui laissait croire qu'elle était la gagnante de la Peugeot 306 XR d'une valeur de 91 000 F, Mme Esteves a assigné la société Daxon Movitex en réparation de son préjudice moral et matériel en demandant la condamnation de celle-ci à lui payer la somme principale de 91 000 F équivalente à la valeur du gain espéré.

Le tribunal a accueilli partiellement sa demande en lui allouant la somme de 20 000 F en réparation de son préjudice moral.

Au soutien de son appel, la société Daxon Movitex qui conclut à la réformation du jugement prétend que Mme Esteves n'a jamais participé au jeu, ni réclamé son prix.

Elle analyse ainsi le mécanisme du jeu:

"Huit prix sont en jeu. La Base du mécanisme est simple: si le client obtient un numéro compris entre 1 et 7, il est sûr d'avoir gagné l'un des huit prix. Par contre, s'il obtient un numéro supérieur à 7, il ne peut gagner que le 8e prix.

"Le client est invité à découvrir le numéro qui lui est attribué. Il découvre qu'il a obtenu le numéro 8 qui lui a ouvert l'accès à tous les prix mis en jeu. Seules dix personnes ont découvert un numéro 8 qui leur assure l'attribution du 8e prix uniquement.

"L'huissier, Maître Berna, tire au sort les gagnants des sept premiers prix parmi les destinataires du n° 1. Le reste des destinataires gagne un collier agate Verte.

"Parmi tous les gagnants pré-tirés, tous les prix n'ont pas été réclamés, Maître Berna effectua donc après la clôture du jeu un retirage de gagnants complémentaires parmi tous les bulletins retournés.

"Un rappel est fait au cas où la cliente ne participe pas."

La société Daxon Movitex précise que le mécanisme du jeu comporte l'envoi d'un document de relance destiné à éviter que le destinataire perde ses chances de participer au jeu.

En ce qui concerne le comportement qui lui est reproché, la société appelante dénie avoir induit en erreur Mme Esteves ni commis aucune faute à son égard. Elle affirme que le message ne peut prêter à confusion, sa simple lecture devant permettre à Mme Esteves, comme à tout consommateur d'attention moyenne, de comprendre qu'il n'y a pas de correspondance sur les documents entre un numéro et un prix et qu'elle avait gagné un des prix mais pas forcément le premier.

Intimée, Mme Esteves conclut à la confirmation de la décision entreprise en faisant siens les motifs des premiers juges qui ont retenu comme fautif le procédé fallacieux employé par la société Daxon Movitex pour faire naître en son esprit la croyance d'avoir eu la chance de devenir propriétaire d'un véhicule automobile.

Elle forme contre l'appelante un appel incident pour obtenir en réparation du préjudice subi la condamnation de la société Daxon Movitex à lui verser la somme de 91 000 F ainsi que celle de 15 000 F en paiement de ses frais irrépétibles d'appel.

Elle relève le sens particulièrement équivoque des courriers de la société Movitex dont le comportement fautif a été aggravé par les relances personnalisées et insistantes qu'elle lui a adressées la laissant croire qu'elle était la gagnante de la Peugeot 306 XR et qui lui ont causé un préjudice moral de déception ainsi qu'un préjudice matériel résultant de la perte de chance, préjudices dont elle réclame réparation pour l'allocation de la valeur du gain espéré.

Sur ce, LA COUR,

Considérant que la société Daxon Movitex soutient faussement que Mme Esteves n'a jamais participé au jeu, ni réclamé son prix et ne peut en conséquence se prévaloir d'un préjudice quelconque.

Qu'en effet, la société appelante ne peut prétendre que le renvoi du bon de participation conditionnait la possibilité de gagner le prix mis en jeu, puisqu'elle a adressé le 24 septembre 1993 une relance à Mme Esteves en invitant celle-ci, qui n'avait pas réagi au premier envoi publicitaire joint au catalogue adressé début septembre 1993, à lui retourner "le titre de demande" de son lot; que les termes employés dans ce courrier du 24 septembre 1993 démontrent qu'il avait d'ores et déjà été procédé à l'attribution d'un lot à Mme Esteves, qui cependant ne s'était pas manifestée lors de l'envoi du premier document de la société Daxon Movitex; que l'argumentation développée par la société Daxon Movitex est d'autant plus inopérante que le 2 octobre 1993, suite à cette relance insistante, Mme Esteves a renvoyé le titre de demande qui précisait "garantir à son propriétaire la stricte attribution du prix qui lui était réservé"; ce qui démontre que la participation au jeu était déjà acquise et qu'un lot avait été réservé à l'intéressé; que ce titre de demande figurait sur le même document que le bon utilisé par Mme Esteves pour passer le 2 octobre 1993 une commande de deux articles à la société Edmée de Roubaix.

Considérant que la société Daxon Movitex prétend qu'un consommateur moyen ne pouvait être induit en erreur par le jeu litigieux qui accompagne le catalogue envoyé au client, du fait que le document qui indique "Mme Esteves vous avez gagné?" est suivi de l'interrogation "Est-ce la Peugeot 306 XR?" et que l'indication dans la liste des gagnants du nom de Mme Esteves ainsi libellé: "Mme Esteves: Peugeot 306 XR (91 000 F) ne constitue pas une affirmation puisqu'il y a un point d'interrogation à la fin de la phrase.

Considérant que cette présentation du contenu du message est équivoque puisqu'elle fait suite à l'annonce en caractères de grande taille du titre:

"Mme Esteves

Vous avez gagné!

Est-ce la Peugeot 306 XR?

Oui Mme Esteves nous vous réservons sur ce document la primeur de l'information; vous avez officiellement gagné";

Qu'au surplus, pour renforcer la conviction de Mme Esteves, il lui a été remis, avec ce document, "un certificat de gagnant" qui lui est "attribué personnellement" et qui comporte le message suivant:

"Je soussigné, François Delesalle, directeur-clientèle Edmée de Roubaix, atteste que le numéro exclusif relevé ci-dessus est bien sorti gagnant au "Grand jeu Sélection Prestige, doté du 1er prix Peugeot 306 XR; résultat 1 prix;

En foi de quoi, nous délivrons le certificat pour en jouir avec les droits et prérogatives qui y sont attachés".

Considérant qu'il est manifeste que ce document qui émane d'un dirigeant de la société Edmée de Roubaix nommément désigné, qui est revêtu de sa signature et qui est présenté comme un certificat attestant à l'égard de Mme Esteves personnellement nommée de la réalité de son gain au jeu et qui comporte une formule empruntée au vocabulaire juridique, ne pouvait par sa rédaction et sa présentation, à l'évidence conçues pour persuader de son importance la personne à laquelle il était destiné, que laisser faussement croire à Mme Esteves qu'elle était la gagnante du véhicule automobile Peugeot 306 XR d'une valeur de 91 000 F; que l'apposition d'un point d'interrogation ne pouvait suffire à appeler l'attention d'un lecteur doté d'une capacité et d'une attention moyennes, alors surtout que tout le reste du message était de manière réitérée totalement affirmatif sur le fait que Mme Esteves était la gagnante au jeu doté d'un véhicule Peugeot 306 XR.

Considérant que l'envoi le 24 septembre 1993 d'un courrier de relance, toujours signé de M. Delesalle, directeur-clientèle, a été destiné à rappeler à Mme Esteves qu'elle avait été sélectionnée pour participer au grand jeu Sélection Prestige, que le tirage au sort de ce jeu avait été effectué le 21 juillet 1993 par Maître Berna, huissier à Tourcoing, que le premier prix de ce jeu était une Peugeot 306 XR d'une valeur de 91 000 F et que le numéro 1 lui avait été officiellement attribué; que cette relance ne pouvait que conforter la destinataire en sa croyance d'avoir été la gagnante du véhicule automobile.

Considérant que l'attitude de la société Daxon Movitex caractérise la confusion, entretenue à dessein, de manière réitérée, dans l'esprit de la destinataire de ces documents, pour la persuader faussement qu'elle avait gagné la voiture Peugeot, c'est-à-dire un bien de grande valeur; qu'en effet par ce courrier M. Delesalle, dont les fonctions de directeur-clientèle ne pouvaient qu'impressionner le destinataire de ce document, a voulu alerter Mme Esteves sur le fait qu'il a demandé de mettre en suspens son dossier quelques jours pour que son prix puisse lui être remis, dès qu'elle aurait renvoyé son titre de demande; que les termes employés dans ces documents qui associent de manière sélective et rémanente la qualité de gagnante et la mention du véhicule Peugeot 306 XR, en une présentation solennelle faite en termes personnalisés, affirmatifs, inscrits en caractères de grande taille, sont de nature à tromper le consommateur normalement avisé et diligent.

Considérant que cette information qui avait déjà généré une confusion dans l'esprit de la destinataire a été complétée par le second document dénommée "Ordre de clôture. Dossier en fin d'échéance, qui comportait à côté de la photocopie de la Peugeot 306 XR l'information que le 1er prix du grand jeu était une Peugeot, que le numéro attribué était 1 et que le résultat était gagnant 1 prix; que ces informations était apposées au moyen d'un tampon, circonstance de nature à renforcer l'idée qu'il s'agissait d'un message personnalisé à l'attention de la seule Mme Esteves; que les coordonnées de celle-ci étaient indiquées comme étant celles du bénéficiaire du lot; qu'elle était dans le message manuscrit sur ce document désignée comme "Notre gagnante", précision étant faite que les services de la remise des prix s'interrogeait sur le sort qui devait être réservé à son prix.

Considérant que cette présentation emphatique du prix attribué à Mme Esteves était trompeuse; qu'en effet la teneur de ce message qui se présentait comme extrêmement important pour la suite à donner au prix gagné par Mme Esteves associait, de manière volontairement confuse le fait que le sort lui avait attribué le n° 1 et qu'elle avait ainsi gagné le 1er prix, la Peugeot 306 XR; que Mme Esteves impressionnée, a retourné son titre de demande de prix d'ailleurs accompagné d'une commande.

Considérant qu'il y a lieu de relever que s'est alors trouvé atteint l'objectif poursuivi de la société Edmée de Roubaix d'obtenir une commande de la part des destinataires de tels courriers qu'elle a joints à l'envoi de son catalogue, en présentant sous forme de jeu gratuit et sans obligation d'achat, une opération publicitaire à but commercial; qu'il est à cet égard significatif de souligner que le 6 octobre 1993, la société Edmée de Roubaix a adressé à Mme Esteves un courrier lui indiquant qu'il ne pouvait dans l'immédiat être donné suite à sa commande, sans plus faire aucune mention du prix gagné par Mme Esteves, alors cependant que celle-ci avait envoyé ensemble le titre de demande lot et le bon de commande qui figuraient d'ailleurs sur le même imprimé.

Considérant que si le principe de la relation commerciale peut comporter une démarche séductrice de la part du vendeur, l'habileté rédactionnelle ne peut autoriser celui-ci à induire en erreur le client normalement attentif et avisé sur le contenu du message qui lui est adressé ni circonvenir sa vigilance, en recourant à des procédés contestables et trompeurs comme ceux qui ont été utilisés en l'espèce; qu'en effet le vendeur est tenu d'une obligation de loyauté envers le client qui ne doit pas être trompé par l'imprécision et la confusion des messages publicitaires.

Considérant qu'en faisant parvenir à Mme Esteves plusieurs courriers personnalisés qui l'ont prédisposée à croire à la réalité d'avoir gagné un lot de valeur et l'ont induit en erreur sur le contenu du message, conçu pour la persuader que son numéro tiré au sort lui avait permis de se voir attribuer le 1er prix d'une valeur de 91 000 F, la société Daxon Movitex a présenté de façon affirmative et délibérément trompeuse la simple éventualité d'un gain d'un lot important qui ne constituait qu'un événement hypothétique; qu'elle a ainsi commis une faute et engagé à l'égard de Mme Esteves sa responsabilité délictuelle.

Considérant que Mme Esteves a subi un préjudice résultant de la vaine croyance en l'acquisition d'un bien de valeur; que son préjudice est à la fois moral, constitué par la déception causée par la découverte de la vente et matériel, résultant de la perte de chance de disposer d'un véhicule automobile dont elle a cru légitimement pouvoir disposer; que ce préjudice résulte directement de la faute commise par la société Daxon Movitex; que la gravité de la faute commise et l'importance du préjudice justifient l'allocation de la somme de 91 000 F demandée qui sera accordée à titre de dommages-intérêts en réparation dudit préjudice.

Considérant que l'appelante qui succombe et qui sera condamnée au paiement des dépens ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme Esteves les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel et que la cour chiffre à la somme de 15 000 F.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel formé par la société Daxon Movitex exerçant sous l'enseigne "Edmée de Roubaix"; Confirme le jugement déféré sauf en celle de ses dispositions relatives au montant des dommages-intérêts que la société Daxon Movitex est condamnée à payer à Mme Lourdes Esteves, montant qui est fixé à la somme de 91 000 F, Y ajoutant, Condamne la société Daxon Movitex à payer à Mme Esteves la somme de 15 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs. Condamne la société Daxon Movitex au paiement des dépens de première instance et d'appel, avec admission pour ces derniers de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.