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Décisions

CA Rouen, ch. des appels prioritaires sect. référé prud'homal, 17 juin 2003, n° 03-00346

ROUEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Volkswagen France (Sté)

Défendeur :

Amand, Sahut, Banczak, Bayeux, Bonhomme, Bruneval, Buisson, Buquet, Darras, Denis, Dupuis, Feugray, Foucourt, Hermel, Legrand, Mauger, Motte, Pelcat, Rimbert, Rouland, Stalin, Szimczak, Thorel, Vannier, Viel, Garage Picard (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Solle-Tourette

Conseillers :

Mmes Le Carpentier, Samat

Avoués :

Me Couppey, SCP Colin Voinchet Radiguet Enault

Avocats :

SCP Vogel & Vogel, Mes Simonneau, Bertin.

Cons. prud'h. Dieppe, du 28 déc. 2002

28 décembre 2002

Les Faits et la Procédure

Les sociétés Vernon Automobiles, à Vernon, Etablissements Le Troadec au Havre et Garage Picard SA à Dieppe, dirigées par Monsieur Desormeaux, étaient liées à la société Groupe Volkswagen France par des contrats de concession à durée indéterminée prévoyant une exclusivité pour la vente des véhicules neufs Volkswagen, Audi et Skoda.

Ayant constaté des irrégularités dans les dossiers de garantie, la société Groupe Volkswagen France a notifié le 14 novembre 2000 la résiliation des contrats avec un préavis de deux ans, soit pour le 15 novembre 2002.

Les trois sociétés ont aussitôt déposé leur bilan et une procédure de redressement judiciaire a été ouverte au Tribunal de commerce d'Evreux par jugement du 30 novembre 2000, Maître Bourgoin étant désigné ès qualité d'administrateur judiciaire.

Dans le cadre de ce redressement judiciaire, la société SCDA a proposé de reprendre les fonds de commerce des sociétés Etablissements Le Troadec et Garage Picard SA; les salariés et les sociétés ont refusé cette cession et proposé un plan de continuation qui a été adopté par le tribunal par jugement du 30 mai 2002.

Par lettre du 7 octobre 2002, le conseil du Garage Picard SA a écrit à chaque salarié que par application des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail, son contrat de travail serait de plein droit transféré soit au nouveau concessionnaire désigné par la société Volkswagen, soit à la société Groupe Volkswagen France elle-même.

Par lettre du 4 novembre 2002, ce même conseil a demandé à la société Volkswagen de lui indiquer le nom du nouveau concessionnaire, l'avisant qu'à défaut elle deviendrait de plein droit l'employeur les salariés à compter du 15 novembre 2002; celle-ci a répondu le 13 novembre 2002 qu'elle n'était pas concernée par cette reprise des salariés et que tous les concessionnaires et agents du réseau avaient vocation à vendre des véhicules neufs.

Cependant, la concession de la marque Audi ayant été reprise par le Garage Autoconcept, cette société a repris un certain nombre de salariés du Garage Picard SA suivant protocole du 14 novembre 2002.

Le Garage Picard SA a maintenu que les autres salariés devaient être repris par la société Groupe Volkswagen France; ce que celle-ci a refusé.

Par acte du 5 décembre 2002, 25 salariés de la société Garage Picard ont assigné devant la formation des référés du Conseil des prud'hommes de Dieppe la société Groupe Volkswagen France et le Garage Picard SA pour:

Vu la Directive 2001-23-CE du 12 mars 2001,

Vu les dispositions d'ordre public édictées à l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail,

Dire et juger que les contrats de travail des requérants ont été transférés à la société Groupe Volkswagen France par application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail à compter du 15 novembre 2002,

Constater que la société Groupe Volkswagen France a refusé de poursuivre les contrats de travail des requérants et de procéder à leur licenciement,

Constater que la société Groupe Volkswagen France a rompu abusivement le 15 novembre 2002 les contrats de travail des salariés requérants en violation des dispositions de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail,

Condamner, à titre principal, la société Groupe Volkswagen France et infiniment subsidiairement le Garage Picard à remettre à chacun des salariés une lettre de licenciement, une attestation Assedic, un solde de tout compte et les bulletins de salaire afférents à leur préavis,

Condamner par provision, à titre principal, la société Groupe Volkswagen France et à titre infiniment subsidiaire le Garage Picard à payer à chacun des demandeurs un préavis, l'indemnité de licenciement, une indemnité d'un mois de salaire pour non-respect de la procédure, des dommages intérêts égaux à 6 mois de salaire pour rupture vexatoire et de 12 à 48 mois pour licenciement abusif;

Le Garage Picard SA s'est associé à la demande principale des salariés à l'encontre de la société Volkswagen; la société Volkswagen a fait valoir l'irrecevabilité des demandes de remise de lettre de licenciement, les mesures ordonnées en référé ne pouvant être que des mesures conservatoires ou de remise en état et l'existence d'une contestation sérieuse s'opposant à toute condamnation à provision.

Par ordonnance du 23 décembre 2002, le Conseil de prud'hommes de Dieppe au motif que les salariés étaient depuis le 15 novembre 2002, sans emploi et sans lettre de licenciement et que la société Groupe Volkswagen France était la propriétaire de l'entité économique constituée par l'importation des produits de sa marque sur le territoire français, a:

- condamné la société Groupe Volkswagen France à payer à chaque salarié son préavis et son indemnité de licenciement;

- ordonné à la société Groupe Volkswagen France de délivrer à chacun des salariés la lettre de licenciement, l'attestation Assedic, les bulletins de salaire afférents au préavis et aux congés payés et le solde de tout compte;

- constaté qu'en application de l'article R 516-33 du Code du travail, la formation de référé s'est transformée en bureau de conciliation sur, les autres demandes et renvoyé l'affaire devant le bureau de Jugement.

Par ordonnance du 13 janvier 2003 le conseil des prud'hommes a rectifié le montant de la somme due à Monsieur Sahut au titre de l'indemnité légale de licenciement.

La société Groupe Volkswagen France a régulièrement interjeté appel de ces deux décisions.

Les Prétentions des Parties

Aux termes de ses écritures et de ses observations orales, la société Groupe Volkswagen France demande à la cour de:

Vu les dispositions des articles R. 516-31, L. 121-1 et L. 121-2 du Code du travail,

Infirmer les ordonnances du Conseil de prud'hommes de Dieppe du 23 décembre 2002 et du 13 janvier 2003 en toutes leurs dispositions,

Dire et juger qu'il existe des contestations sérieuses et qu'il n'y a donc pas lieu à référé et renvoyer en conséquence les salariés demandeurs et la société Garage Picard à mieux se pourvoir,

Dire et juger que les demandes de remise de documents administratifs ou de lettre de licenciement par Groupe Volkswagen France, dès lors qu'elles présupposent que la question de l'applicabilité des dispositions de l'article L. 122-12 soit tranchée, ne constituent pas des mesures conservatoires ou de remise en état au sens de l'article R. 516-37 du Code du travail.

Débouter en conséquence les demandeurs.

Dire et juger qu'en tant que de besoin, seule la remise par la société Garage Picard des documents demandés n'imposerait pas à la cour de préjuger de la question de fond.

Dire et juger qu'il ne s'est opéré aucune reprise ou poursuite d'activité de Garage Picard par la société Groupe Volkswagen France. En conséquence, débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes dès lors que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail ne trouvent pas à s'appliquer.

Dire et juger que les salariés demandeurs n'étaient pas exclusivement affectés à l'exécution du contrat de concession. En conséquence débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes dès lors que les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail ne trouvent pas à s'appliquer.

Surabondamment constater que les salariés demandeurs avaient déjà fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas travailler en lien avec Groupe Volkswagen France. En conséquence débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes.

Subsidiairement,

Dire et juger que les demandes des salariés sont totalement dépourvues de justifications et surévaluées. En conséquence les en débouter.

Infiniment subsidiairement,

Si par extraordinaire la cour considérait que la société Groupe Volkswagen France est devenu employeur des salariés de la société Garage Picard, Dire et juger que les demandes des salariés sont injustifiées et surévaluées. En conséquence Débouter les salariés de leurs demandes ou plus subsidiairement, Limiter les condamnations aux seuls préjudices effectivement subis et démontrés.

En tout état de cause,

Constater qu'il a été menti au Conseil de prud'hommes de Dieppe et qu'il est encore menti à la Cour d'appel de Rouen.

Débouter MM. Amand, Darras, Pelcat, Legrand, Buquet, Viel, Mauger, Mmes Bayeux, Brunevail, MM. Sahut, Foucourt, Bonhomme, Dupuis, Mme Thorel, MM. Stalin, Banczack, Szymczak, Denis, Feugray, Motte, Rimbert, Hermel, Vannier, Mme Rouland et M. Buisson et la société Garage Picard de toutes leurs demandes.

Condamner chacun des salariés à payer à la société Groupe Volkswagen France la somme de 100 euro d'indemnités au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Aux termes de ses conclusions et de ses observations orales le Garage Picard SA demande à la cour de :

Vu les dispositions d'ordre public édictées à l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail transposant une directive n° 20011231CE du 12 mars 2001,

Vu les articles R. 516-31 al 1 et 2 du Code du travail,

Confirmer dans l'intégralité de ses dispositions l'ordonnance dont appel,

Débouter la société Groupe Volkswagen France de l'ensemble de ses demandes,

Condamner la société Groupe Volkswagen France à payer à la société Garage Picard une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les entiers dépens.

Aux termes de leurs écritures et observations orales, MM. Amand, Darras, Pelcat, Legrand, Buquet, Viel, Mauger, Mmes Bayeux, Brunevail, Mm. Sahut, Foucourt, Bonhomme, Dupuis, Mme Thorel, MM. Banczack, Szymczak, Denis, Feugray, Motte, Rimbert, Hermel, Vannier, Mme Rouland et M. Buisson demandent à la cour de:

Vu la Directive 20011231CE du 12 mars 2001,

Vu les dispositions d'ordre public édictées à l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail,

Vu les articles R. 516.31 al. 1 et al. 2 du Code du travail,

Se déclarer compétente,

Dire et juger que les contrats de travail des requérants ont été transférés à la société Groupe Volkswagen France par application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail à compter du 15 novembre 2002,

Constater que la société Groupe Volkswagen France a refusé de poursuivre les contrats de travail des requérants et de procéder à leur licenciement,

Constater que la société Groupe Volkswagen France a rompu abusivement le 15 novembre 2002 les contrats de travail des salariés requérants en violation des dispositions de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail,

Condamner, à titre principal, la société Groupe Volkswagen France et infiniment subsidiairement la société Garage Picard à remettre à chacun des salariés une lettre de licenciement, une attestation Assedic, un solde de tout compte et les bulletins de salaire afférents à leur préavis,

Condamner, par provision, à titre principal, la société Groupe Volkswagen France et à titre infiniment subsidiaire la société Garage Picard à payer à chacun d'eux l'indemnisation de préavis, les congés payés sur préavis, l'indemnité de licenciement, une indemnité d'un mois de salaire pour non-respect de la procédure, des dommages-intérêts égaux à 6 mois de salaire pour rupture vexatoire et de 12 à 48 mois pour licenciement abusif;

Monsieur Staun demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise.

Sur ce,

Attendu que l'article R. 516-30 du Code du travail dispose:

"Dans tous les cas d'urgence, la formation des référés peut dans la limite de la compétence du conseil des prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifia l'existence d'un différend."

Attendu que l'article R. 51 6-31 du Code du travail dispose:

"La formation de référé peut toujours même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite;

Dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, elle peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire."

Attendu que le Garage Picard SA et ses salariés font valoir que la société Groupe Volkswagen France est le propriétaire de l'entité économique que constitue la concession des produits et services de sa marque sur le territoire de Dieppe et que la résiliation du contrat de concession a entraîné le transfert de cette entité, au sens de l'article L. 122-12 du Code du travail et de la Directive du 12 mars 2001, peu important que la société Volkswagen ne poursuive pas effectivement cette activité sur le secteur;

Attendu que le changement de concessionnaire exclusif de la vente de véhicules automobiles d'une marque entraîne le transfert d'une entité économique maintenant son identité entendue comme un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre et entraîne de plein droit la poursuite des contrats de travail qui y sont attachés par le repreneur;

Mais attendu qu'est constitutive d'une contestation sérieuse échappant à la compétence du Juge des référés, l'application des dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail et de la Directive au concédant propriétaire de la marque qui n'a pas désigné de nouveau concessionnaire et dont il est justifié qu'il ne distribue pas par lui-même ses véhicules dans le secteur concerné;

Attendu qu'en outre l'activité du garage n'étant pas limitée à la vente de véhicules neufs et s'étant poursuivie, ni le Garage Picard SA, ni les salariés intimés ne précisent lesquels d'entre eux étaient précédemment affectés à cette activité perdue;

Attendu enfin qu'il n'est pas contesté que les salariés qui ont saisi le conseil des prud'hommes sont actuellement employés par le Garage Picard SA, qu'aucun dommage imminent ou trouble manifestement illicite n'est donc démontré alors que s'ils font état de l'absence de prise en compte de leur ancienneté dans leur rémunération, aucune demande précise n'est faite de ce chef, les dommages intérêts étant réclamés pour rupture vexatoire et licenciement abusif;

Attendu qu'il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise, de constater l'existence d'une contestation sérieuse et de débouter les salariés de leur demande de provision sur les indemnités consécutives à un licenciement;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Groupe Volkswagen France les frais exposés en marge des dépens en cause d'appel; qu'il y â donc lieu de la débouter de sa demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR : Déclare l'appel recevable en la forme; Au fond, Infirme l'ordonnance entreprise; Constate l'existence d'une contestation sérieuse et renvoie les parties à se pourvoir au fond sur l'ensemble des demandes relatives à la remise de documents consécutifs à un licenciement; Déboute MM. Amand, Darras, Pelcat, Legrand, Buquet, Viel, Mauger, Mmes Baveux, Brunevail, MM. Sahut, Foucourt, Bonhomme, Dupuis, Mme Thorel, Mm. Banczack, Szymczak, Denis, Feugray, Motte, Rimbert, Hermel, Vannier, Mmc Rouland et M. Buisson de leurs demandes de provision; Condamne le Garage Picard SA aux dépens de première instance et d'appel.