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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 8 octobre 1997, n° 97-02133

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Union Fédérale des Consommateurs UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marie

Conseillers :

Mme Verleene Thomas, M. Thery

Avocats :

Mes Perrin, Antonini.

TGI Paris, 31e ch., du 5 févr. 1997

5 février 1997

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré M Jean-Michel :

- coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis du 1er juin 1995 au 30 décembre 1995, à Paris,

infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al.1 Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 Code de la consommation

et, en application de ces articles,

- l'a condamné à 250 000 F d'amende

- a ordonné aux frais de Jean-Michel M la publication du jugement par extraits dans Femme Actuelle et Télé 7 Jours dans la limite de 20 000 F

- a reçu UFC Que Choisir en sa constitution de partie civile

- a condamné M Jean-Michel à payer à UFC Que Choisir la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et 3000 F au titre de l'article 475-1 du CPP

- a déclaré la société X civilement responsable de son préposé

- a dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.

Les appels :

Appel a été interjeté par :

- M. le Procureur de la république, le 10 février 1997 contre Monsieur M Jean-Michel

- Monsieur M Jean-Michel, le 10 février 1997 contre Union Fédérale des Consommateurs UFC Que Choisir

- Union Fédérale des Consommateurs UFC Que Choisir, le 14 février 1997 contre X, Monsieur M Jean-Michel

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par Jean-Michel M, prévenu, par le ministère public et par l'Union Fédérale des Consommateurs UFC Que Choisir, partie civile, qui a dirigé son recours contre Jean-Michel M prévenu et la société X civilement responsable, à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention ;

Comparant à l'audience de la cour du 2 juillet 1997, Jean-Michel M, assisté de son conseil, reconnaît les faits et sollicite l'indulgence ;

Il fait valoir à l'appui de sa demande,

- d'une part que les publicités litigieuses figurant au catalogue de la X de juin 1995, sont l'œuvre d'un rédacteur extérieur à la société ; il ne conteste pas qu'en sa qualité de président directeur général de la société X, sa responsabilité pénale peut être engagée, mais vu le nombre de publicités figurant au catalogue, il souhaite souligner que "sa vigilance a pu être trompée" ;

- d'autre part que le montant de l'amende lui semble excessif car il ne percevait à l'époque des faits objet de la poursuite qu'un salaire mensuel fixe d'environ 35 000 F;

Il précise en outre que ces publicités qui n'ont pas été reprises dans les catalogues suivants, n'avaient pas fait l'objet de réclamations de la part des consommateurs ou d'observations du service de la répression des fraudes ;

L'Union Fédérale des Consommateurs UFC Que Choisir, partie civile, représentée par son conseil, demande la confirmation du jugement déféré et la somme de 3 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Elle souligne que la société X, annonceur, représentée par son PDG Jean-Michel M n'a pas justifié des qualités alléguées par ses produits ;

Elle soutient que les publicités incriminées ont été sélectionnées car, relatives à la santé ou la sécurité du consommateur, et, s'adressant, par les catalogues diffusés par correspondance à 300 000 exemplaires à une clientèle potentielle particulièrement vulnérable car pour l'essentiel âgée ou isolée ;

Elle produit un exemplaire du catalogue X de février 1996 afin d'établir que certaines des publicités litigieuses y figuraient encore contrairement aux affirmations du prévenu ;

La société X, civilement responsable, intimée, représentée par son conseil, s'en remet à l'appréciation de la cour ;

RAPPEL DES FAITS

Ian Y et Jean-Michel M, pris en leur qualité de directeur général de la société X et la société X, en qualité de civilement responsable, étaient cités directement devant le Tribunal de grande instance de Paris, pour s'être rendus coupables du délit de publicité trompeuse, fait prévu et réprimé par les articles L. 121-1, L. 121-6, L. 213-1 et L. 213-2 du Code de la consommation, par l'Union Fédérale des Consommateurs UFC Que Choisir, qui réclamait outre la somme de 300 000 F en réparation du préjudice collectif subi par les consommateurs, celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du CPP ;

La partie civile exposait que la société X, ayant pour objet la vente par correspondance, adressait à des milliers de consommateurs à travers toute la France courant juin 1995 un catalogue comportant 11 publicités trompeuses, ladite tromperie portant sur la qualité, les propriétés et les résultats des produits proposés, alors qu'ils étaient destinés, selon le vendeur à apaiser, voire supprimer une douleur ou à augmenter leur sécurité ;

A l'audience des premiers juges du 8 janvier 1996, la partie civile se désistait de sa demande à l'encontre de Ian Y ; Jean-Michel M faisait valoir que le caractère mensonger des publicités incriminées n'était pas établi et produisait divers documents de nature à établir, selon lui, les qualités des produits présentés ;

Dans le jugement déféré, le tribunal :

- relevait que M, en sa qualité d'annonceur, devait justifier de l'exactitude et de l'absence d'ambiguïté des affirmations contenues dans les messages publicitaires qu'il a fait publier ;

- examinait chaque message litigieux et analysait les documents présentés par le prévenu dans les termes suivants :

- les lunettes à luminosité réglable sont présentées comme mises au point pour les pilotes de chasse de l'armée britannique lors des événements du golfe, s'adaptant à l'intensité lumineuse et aux conditions météorologiques, ce qui garantit une sécurité accrue, ainsi qu'une meilleure vision. Les documents de la société Dezac, fournisseur, qui se contente de décrire ces lunettes, n'établit pas qu'elles ont été mises au point pour les pilotes de chasse de l'armée britannique et qu'elles garantissent une sécurité de vision accrue ;

- la ceinture magnétique est accompagnée du texte suivant "Découvrez les bienfaits du flux magnétique ... Retrouvez donc forme et souplesse en adoptant cette ceinture qui apportera à votre organisme toute l'action stimulante du flux magnétique dégagé par des aimants dorsaux et ventraux ...". M. M produit une étude du docteur Nakawaka de Tokyo datant de 1976 et traitant du "Syndrome de carence de champ magnétique et son traitement", qui affirme que les champs magnétiques appliqués au corps humain traiteraient les raideurs d'épaule et diverses maladies non précisées. Cette étude ne permet donc pas d'affirmer qu'on retrouve souplesse et forme en général avec une ceinture contenant des aimants ;

- les semelles massantes sont proposées pour "retrouver votre ligne simplement en marchant ... sans aucun effort, sans régime ni médicament ..." Aucun des documents du fournisseur n'atteste de la véracité de ce message ;

- les lunettes polarisantes sont présentées comme susceptibles de donner "une vision exceptionnelle à 1800 m ... leurs verres polarisés filtrent la lumière vive et 100 % des rayons UV... permettent même de voir sous l'eau comme à travers une vitre. M. M ne produit aucun document relatif aux propriétés de ces lunettes ;

- les saunas-minceurs sont proposés "pour perdre vos rondeurs superflues sans effort ... résultats spectaculaires en quelques semaines ..., ils activent la transpiration qui élimine l'eau et les toxines contenues dans les tissus et vous aide à retrouver des formes plus élancées ..." Là encore, aucune pièce permettant de vérifier la réalité du message n'est versée aux débats ;

- les lunettes de conduite sont accompagnées du message suivant " Pensez à votre sécurité la nuit ! un accroissement du relief visuel de jour comme de nuit ... barrière contre les éblouissements et les réverbérations ... Très efficaces aussi contre le brouillard ! ... " Une fois de plus, faute de document produit, la véracité du message n'est pas établie ;

- le Dénicotil est présenté comme supprimant la nicotine et l'envie de fumer. Pour cela, il suffit de glisser un Denicotil dans un paquet de cigarettes et après 24 heures, 80 % de la nicotine est absorbée ; son efficacité est certifiée par les plus grands laboratoires. L'unique étude produite est en deçà de ce message puisqu'elle indique que les tests ont été effectués sur des cigarettes light et que le taux maximum de nicotine absorbée est de 11 % au bout de 24 heures. Aucune certification de grands laboratoires n'est versée aux débats ;

- Le protecteur vitre-magique est accompagné du texte suivant fini la corvée des vitres pendant un an ... vos vitres restent impeccablement propres ..." Pourtant, la documentation du fournisseur se contente d'affirmer qu'avec ce produit, la saleté s'accroche et se dépose beaucoup moins rapidement ;

- le maillot transbronzant est présenté comme permettant de bronzer intégralement sans retirer son maillot, ni le rouler, sans aucune crème, ce maillot la remplaçant par son principe auto- bronzant. L'étude d'Eric Longstag qui est versée concerne des tests effectués en laboratoire sur un film en PVC filtrant les UVB et en plein air sur 8 volontaires pour lesquels il a été noté que les érythèmes provoqués par le soleil à travers ce filtre n'étaient pas douloureux mais suivis d'un bronzage uniforme. Il n'en résulte pas que le tissu du maillot proposé entraîne un bronzage intégral ;

- l'acupuncture sans aiguille a pour message "Augmenter l'énergie vitale, soulager les douleurs, réduire l'appétit, combattre le stress, supprimer l'envie de fumer, telles sont entre autres les propriétés de l'acupuncture ... Cet appareil, merveille de l'électronique, remplace les aiguilles par un courant électrique tout aussi efficace ... M. M ne produit que des publicités concernant des appareils similaires mais aucune étude probante sur cette acupuncture sans aiguille ;

- les gilets chauffants sont présentés comme soulageant très efficacement les douleurs cervicales provoquées par les rhumatismes, les lumbagos, l'arthrite, les tensions musculaires, les crispations. Rien dans la notice d'utilisation produite ne vient étayer les affirmations de ce message ;

Le tribunal estimait que "en ne produisant pas de documents à caractère scientifique ou des résultats de tests probants, M n'établit pas la véracité des messages publicitaires incriminés" et que par conséquent, l'infraction visée à la prévention était constituée ;

A l'audience de la cour du 2 juillet 1997, le prévenu remettait de nouvelles pièces;

D'une part, des questionnaires remplis par divers acheteurs, à la demande de la société X courant août 1996 afin de recevoir leur "appréciation concernant le produit", "pour améliorer la qualité de nos articles et les relations auprès de notre clientèle" ;

D'autre part, des publicités faites par des concurrents et relatives à des produits de même nature ;

Il versait en outre quelques documents de fournisseurs, décrivant le produit fini ou vantant son succès commercial dans divers pays européens, et des articles médicaux quant à l'efficacité de l'acupuncture pour certaines maladies ;

Sur ce, LA COUR

Sur l'action publique

Considérant qu'il est constant que les publicités litigieuses ont été publiées dans un catalogue diffusé par correspondance ;

Considérant que c'est à juste titre que les premiers juges ont rappelé que "l'annonceur est tenu de justifier de l'exactitude et de l'absence d'ambiguïté des affirmations contenues dans les messages publicitaires qu'il a fait publier" ;

Considérant que le tribunal a fait une exacte appréciation des pièces communiquées par le prévenu et estimé qu'il n'apportait pas la preuve des qualités substantielles des produits présentés par lesdites publicités ;

Considérant que la preuve des vertus alléguées n'est pas davantage faite par les pièces nouvelles remises à la cour ;

- que d'une part, les avis des clients de la société X doivent être écartés des débats, ceux-ci ne présentant pas de garanties suffisantes d'impartialité dès lors qu'ils ont été sollicités unilatéralement par ladite société et à une fin exclusivement commerciale ; qu'au surplus, ils émanent de particuliers, ne justifiant pas de leur identité et n'ayant aucune qualité pour apprécier la qualité d'un produit relatif à la santé ou la sécurité,

- que d'autre part, le fait que des concurrents recourent à des publicités identiques pour des produits de même nature est sans effet quant à la nature délictuelle éventuelle de la publicité incriminée ;

Considérant en ce qui concerne les "saunas minceur"que, eu égard au degré de discernement et au sens critique du consommateur moyen, l'outrance et l'exagération du langage publicitaire "pour perdre vos rondeurs superflues sans effort", " résultats spectaculaires en quelques semaines " ne pouvaient finalement tromper personne ;

Qu'il convient donc d'infirmer le jugement déféré de chef, l'infraction n'étant pas caractérisée ;

Considérant tout au contraire, en ce qui concerne les dix autres messages publicitaires, qu'ils comportaient des mentions fausses ou de nature à induire en erreur le client éventuel sur les propriétés, les qualités substantielles ou les résultats des produits présentés ;

Que la précision des termes employés, techniques, voire médicaux, laissaient penser qu'ils étaient le fruit d'études scientifiques ou avaient été l'objet de tests probants ;

Qu'en conséquence, l'infraction est caractérisée en tous ses éléments en ce qui concerne "les lunettes à luminosité réglable, la ceinture magnétique, les semelles massantes, les lunettes polarisantes, les lunettes de conduite, le Denicotil, le protecteur vitre magique, le maillot transbronzant, l'acupuncture sans aiguille et les gilets chauffants" ;

Considérant que Jean Michel M, dirigeant de la société X, annonceur pour le compte duquel la publicité a été diffusée, est responsable à titre principal de l'infraction commise ;qu'il importe peu que les documents publicitaires aient été conçus par un tiers ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité pour les 11 publicités susvisées ;

Considérant qu'un catalogue par correspondance par nature, s'adresse à une clientèle particulièrement vulnérable car isolée ;

Qu'en l'espèce, eu égard notamment à la médiocre qualité de son papier et de sa mise en page, à son style souvent excessif, le catalogue visait à l'évidence un consommateur potentiel moyen, voire même modeste ;que par conséquent, l'annonceur devait être particulièrement vigilant quant aux textes qu'il faisait diffuser ;

Considérant qu'une peine d'amende est parfaitement adaptée aux infractions commises ; que le montant fixé doit être suffisamment dissuasif tout en tenant compte des ressources du prévenu ; qu'il y a donc lieu de faire une application plus modérée de la loi pénale ;

Considérant, eu égard à la gravité des faits, que c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné la publication et que leur décision doit être confirmée de ce chef; que toutefois, il y a lieu de le réformer en ce qu'il a fixé une limite aux frais qui seront engagés par cette publication, celle-ci résultant des dispositions légales ;

Sur l'action civile

Considérant que la cour, au vu des éléments soumis à son appréciation estime que le tribunal a fait une exacte appréciation du préjudice résultant pour la partie civile de l'infraction reprochée à Jean-Michel M ; qu'il convient dès lors de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a accordé à la partie civile la somme de 30 000 F à titre de dommages intérêts ;

Considérant que la demande de la partie civile, pour ses frais irrépétibles, est fondée en son principe mais doit être ramenée à la somme de 2500 F ;

Sur la mise en cause de la société X, en qualité de civilement responsable

Considérant que la partie civile a déclaré interjeter appel des dispositions du jugement déféré à l'encontre du prévenu et de la société X ;

Que cette dernière, qui avait été déclarée civilement responsable des agissements de Jean-Michel M n'a pas interjeté appel de cette décision ; que représentée à l'audience de la cour par son conseil, elle n'a déposé aucune écriture sur ce point et a déclaré s'en remettre à la sagesse de la cour ;

Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré de ce chef ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties Reçoit les appels du prévenu, du ministère public et de la partie civile ; Infirme partiellement le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité ; Relaxe Jean-Michel M des fins de la poursuite exercée à son encontre en ce qui concerne "les saunas-minceurs" ; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable du délit de publicité mensongère sur les lunettes à luminosité réglable, la ceinture magnétique, les semelles massantes, les lunettes polarisantes, les lunettes de conduite, le Denicotil, le protecteur de vitre magique, le maillot transbronzant, l'acupuncture sans aiguille, les gilets chauffants et sur les intérêts civils ; L'infirmant sur la répression, Condamne Jean-Michel M à une amende délictuelle de 80 000 F ; Réforme le jugement en ce qu'il a fixé une limite au montant des frais de publication qui seraient supportés par le condamné ; Ordonne la publication de l'arrêt par extraits aux frais du condamné dans Femme Actuelle et Tele 7 Jours ; Y ajoutant, Condamne Jean-Michel M à payer à la partie civile la somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du CPP ; Dit que cette décision est assujettie au droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.