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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 29 septembre 1998, n° 97-01694

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Briand (ès-qual.), Club Auto Entreprise (SARL), Bertrand, Masse (Consorts), Torcheux, Beauvineau, Harivel, Pasquier

Défendeur :

Société d'Editions et de Protection Route (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chauvel (faisant fonction)

Conseillers :

M. Lemaire, Mme Lourmet

Avoués :

Me Vicart, SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois

Avocats :

Mes Nobilet, Prévot-Lambart, Virfolet, Demidoff.

T. com. Mamers, du 4 juin 1997

4 juin 1997

LA COUR

La société Club Auto Entreprise (CAE) et Messieurs Bertrand, Torcheux, Beauvineau, Harivel, Pasquier, Masse Jean-Marc et Masse Nicolas ont interjeté appel du jugement du Tribunal de commerce de Mamers du 4 juin 1997 qui a :

- dit que le mandat de représentation que Messieurs Torcheux et Pasquier ont donné à Monsieur Rousseau est nul et de nul effet,

- dit que les agissements concertés des défendeurs sont constitutifs de concurrence déloyale,

- en conséquence, condamner solidairement les défendeurs à payer à la société SEPR (Société d'Editions et de Protection Route), à titre provisionnel, la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts à valoir sur le préjudice subi par elle du fait des agissements déloyaux,

- désigné, pour ce faire comme expert Marie-Claude Bersihand avec pour mission essentiellement de fournir au tribunal tous éléments permettant l'évaluation du préjudice subi par la société SEPR,

- ordonné la consignation par SEPR d'une somme de 10 000 F à titre de provision destinée à l'expert,

- dès à présent et vu l'urgence,

- fait interdiction à la société Club Auto Entreprise et Messieurs Jean-Marc et Nicolas Masse, Torcheux, Beauvineau, Harivel, Pasquier et Bertrand sous astreinte de 4 000 F par infraction constatée, de prospecter la clientèle de la SEPR, en utilisant les fichiers détournés,

- fait interdiction aux mêmes sous astreinte de 4 000 F par infraction constatée de vendre ou de proposer à la vente des produits similaires à ceux de la SEPR en utilisant des documents commerciaux imités,

- fait interdiction à la société Club Auto Entreprise et aux défendeurs sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, de dénigrer la SEPR auprès de ses clients,

- ordonné la publication du jugement, aux frais des défendeurs, dans les revues suivantes :

- La Prévention Routière dans l'Entreprise,

- Action Auto-Moto,

- Ouest France,

- Le Maine Libre,

- condamné solidairement les défendeurs à payer à la SEPR la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné solidairement les défendeurs en tous les dépens, lesdits dépens taxés et liquidés à la somme de 2 791,09 F,

- rejeté tous autres chefs des demandes comme mal fondés.

Par ordonnance de référé du 18 juillet 1997, a été ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire de la disposition de la décision frappée d'appel prévoyant la publication du jugement dans les revues et quotidiens : "La Prévention Routière dans l'Entreprise", "Action Auto-Moto", "Ouest-France" et "Le Maine Libre", le surplus de la demande des appelants étant rejetée.

Aux termes de leurs premières écritures, les appelants ont demandé essentiellement à la cour d'annuler et en tout cas d'infirmer le jugement entrepris.

Par conclusions d'intervention déposées le 12 novembre 1997, Me Briand, pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société CAE demande à la cour :

- de lui donner acte de ce qu'il intervient en la cause comme liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL CAE, à ce désigné par jugement du Tribunal de commerce de Mamers en date du 3 septembre 1997,

- de lui donner acte de ce qu'en cette qualité, il donne adjonction à l'appel formé notamment au nom de la société CAE à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Mamers du 4 juin 1997 et aux conclusions d'appel prises au soutien de cet appel signifiées et déposées le 10 juillet 1997,

- de lui en adjuger le bénéfice,

- de condamner la SEPR à lui payer ès-qualité une somme de 50 000 F, à titre de dommages-intérêts et 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses écritures déposées le 15 janvier 1998, la société SEPR conclut pour voir :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Mamers du 4 juin 1997, en toutes ses dispositions à l'exception de la condamnation à l'encontre de la société CAE qu'il convient de modifier dans les termes suivants, compte tenu du jugement de liquidation judiciaire dont elle a fait l'objet,

- fixer la créance de la société SEPR au passif de la liquidation judiciaire de la société CAE au montant des condamnations prononcées par le tribunal,

- condamner solidairement ou in solidum les appelants au paiement de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés devant la cour,

- condamner solidairement ou in solidum les appelants en tous les dépens de première instance et d'appel y compris les frais d'expertise.

Pour sa part, M. Bertrand demande à la cour aux termes d'écritures déposées le 2 avril 1998 :

- d'infirmer le jugement entrepris, ce à tout le moins en ses dispositions le concernant,

- de déclarer l'action et les prétentions de la société SEPR irrecevables, en toute hypothèse mal fondées envers lui,

- de le placer hors de cause et de le décharger de toutes les condamnations entreprises à son encontre en principal et accessoire,

- de condamner la société SEPR à lui payer les sommes de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour action téméraire et abusive et de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- de condamner la société SEPR aux entiers dépens.

Messieurs Beauvineau, Torcheux, Harivel, Pasquier, Masse Jean-Marc et Masse Nicolas concluent, aux termes de leurs écritures déposées le 17 avril 1998 pour entendre :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que les agissements concertés des défendeurs étaient constitutifs d'une concurrence déloyale et, en ce qu'il a conséquemment condamné solidairement les défendeurs à payer à la SA SEPR à titre provisionnel la somme de 400 000 F à titre de dommages-intérêts, à valoir sur le préjudice subi,

- constater que la SA SEPR est irrecevable et particulièrement mal fondée en son action en concurrence déloyale et la débouter purement et simplement de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SA SEPR à leur payer à chacun, à titre de réparation de leur important préjudice moral subi du fait de son comportement fautif, la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts,

- débouter la SA SEPR purement et simplement de toutes ses autres demandes y compris celle au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonner la publication de la décision à intervenir aux frais de la SA SEPR dans les revues suivantes :

- La Prévention Routière de l'Entreprise,

- Action Auto-Moto,

- Ouest-France,

- Le Maine Libre,

- condamner la SA SEPR à payer à chacun d'eux la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, soit la somme globale de 60 000 F ainsi qu'en tous les dépens.

Par conclusions déposées le 4 mai 1998, Maître Briand ès-qualité ajoute à ses précédentes écritures pour demander que la société SEPR soit condamnée à lui rembourser ès-qualité la somme de 368 216,62 F que la société CAE a été contrainte de régler en vertu de l'exécution provisoire dont le jugement entrepris est assorti.

Par conclusions en réponse déposées le 12 mai 1998, la société SEPR sollicite que Messieurs Jean-Marc et Nicolas Masse, Torcheux, Beauvineau, Harivel, Pasquier, Bertrand et Naître Briand ès-qualité de liquidateur de la société CAE soient déclarés irrecevables et mal fondés en toutes leurs demandes et en soient déboutés.

Suivant conclusions en réplique déposées le 14 mai 1998, Messieurs Masse Jean-Marc et Nicolas, Beauvineau, Torcheux, Harivel et Pasquier demandent que leur soit adjuger l'entier bénéfice de leurs précédentes écritures.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 22 mai 1998.

Sur ce

Au préalable, rien ne s'oppose à ce qu'il soit donné acte à Maître Briand de ce qu'il intervient en la cause comme liquidateur à la liquidation judiciaire de la société CAE et qu'il donne adjonction à l'appel formé au nom de cette société.

Les parties à la cause faisant référence au rapport d'expertise établi le 30 décembre 1997 par Madame Bersihand, expert, désigné par le jugement du 4 juin 1997, rien ne s'oppose à ce qu'il soit fait mention de son contenu.

Les appelants font valoir :

- que le seul domaine où la société CAE est en position de concurrence avec la société SEPR est celui de la vente d'abonnements de protection juridique,

- que le principe de la libre concurrence, par d'anciens salariés dégagés de toute clause de non concurrence les autorise à commercialiser ces produits,

- que cette liberté permet aux anciens salariés de prospecter la clientèle en règle générale même si une partie de cette clientèle est identique à celle de l'ancien employeur,

- que c'est à tort que le tribunal de commerce a considéré que la clientèle démarchée était celle de la société SEPR et que le fichier utilisé par la CAE avait été détourné,

- que la preuve de ce détournement de fichier est inexistante,

- qu'ils sont en mesure de rapporter les éléments de preuve d'une intense activité de promotion de leur entreprise qui explique son succès sans même qu'il leur ait été nécessaire de faire appel par des manœuvres déloyales à la clientèle revendiquée par SEPR,

- que s'agissant de la prétendue copie servile des documents publicitaires et commerciaux, les produits d'assurance de protection juridique sont des produits banalisés bien connus et distribués par un grand nombre de compagnies,

- que dès lors il est difficile de présenter ces produits de manière très distinctive, la présentation sous forme de plaquettes commerciales ou publicitaires étant relativement banale,

- qu'il n'y a donc aucun risque, à l'étude des documents de présentation, d'une quelconque confusion entre les deux sociétés et entre leurs produits, d'autant que les tarifs de CAE sont différents et en règle générale supérieurs à ceux de la société SEPR,

- qu'aucune entreprise de dénigrement n'est prouvé, le seul dénigrement démontré étant celui de la société SEPR à leur encontre,

- que l'action entreprise par la société SEPR est en réalité une action destinée à tenter de conserver une situation quasi-monopolistique sur le marché de l'assistance et de la défense juridique automobile,

- que cette pratique de la société SEPR est constitutive elle-même d'un comportement fautif parce que manifestement abusif et visant à leur interdire de travailler et générateur d'un dommage.

M. Bertrand ajoute :

- que l'action est radicalement irrecevable en tant que dirigée à son encontre,

- qu'en effet, à la différence des autres défendeurs, il n'est pas un ancien salarié de la société SEPR,

- qu'il n'a jamais non plus exercé une quelconque activité de VRP au sein de la société CAE,

- qu'il a occupé les fonctions de co-gérant, fonctions qu'il a cessé au premier trimestre 1997, n'ayant à ce jour plus aucun lien avec ladite société,

- qu'on voit mal à quel titre, la SEPR a cru devoir l'attraire devant les premiers juges,

- qu'en outre, sa présence à la cause ès-qualité ne peut plus être justifiée depuis qu'il a quitté l'entreprise CAE en mars 1997,

- que l'intimée ne fait ni n'a jamais fait la moindre allusion à un fait personnel quelconque de sa part,

- que seules l'activité prétendument délictuelle de la société et surtout celle des anciens VRP sont en cause à l'exclusion de toute faute de gestion ou étrangère à la gestion,

- qu'en conséquence à ce titre encore son placement hors de cause, à supposer seulement qu'il ait été seulement recherché personnellement, est inévitable.

A toutes fins, il fait encore observer :

- que la similitude constatée pour partie entre les activités exploitées ne saurait en aucun cas être retenue en soi comme fait de concurrence déloyale,

- que qualifier la concurrence de déloyale au seul prétexte que certains produits sont identiques ne se conçoit pas, sauf à octroyer de fait à l'intimée une exclusivité dont elle ne bénéficie pas,

- qu'en toute hypothèse, il est étranger comme simple co-gérant aux faits de dénigrement d'ailleurs non établis,

- que seuls les VRP peuvent, par hypothèse, être concernés par le grief qui leur est fait d'une visite systématique de leurs anciens clients,

- que le seul rapprochement entre nouveaux clients CAE et anciens clients SEPR, n'est pas susceptible en soi d'établir une activité délictueuse,

- qu'il faudrait encore que l'intimée établisse l'existence de faits fautifs concrets de nature à caractériser l'un ou l'autre des procédés déloyaux habituellement reconnus tels, ce qu'elle ne fait pas,

- que c'est pourquoi l'expert désigné par le tribunal vient lui-même sérieusement remettre en cause, dans son rapport, le principe même d'une responsabilité.

Pour leur part, Messieurs Jean-Marc et Nicolas Masse, Beauvineau, Torcheux, Harivel et Pasquier soutiennent encore :

- que la société SEPR exerce une activité d'assurances non prévue dans son objet social, activité réglementée par le Code des assurances (article R 511-1 et R 511-2),

- que la société SEPR est une société d'éditions qui n'est ni agent d'assurances, ni courtier ; les contrats d'assurances passés par elle avec les bénéficiaires l'étant en violation de la loi,

- que n'ayant pas fait la démonstration qu'elle était habilitée à présenter des opérations d'assurances, elle se trouve en situation illégale, situation aggravée par le fait que les conditions de capacité civiles et professionnelles exigées par les articles R 511.4 du Code des assurances n'apparaissent pas non plus remplies par les représentants de la société SEPR,

- qu'exerçant de façon illicite une activité de courtier d'assurances, la société SEPR ne saurait se prévaloir d'un quelconque droit sur une prétendue clientèle qu'elle aurait ainsi constituée, à l'occasion de l'exercice d'une activité prohibée,

- qu'elle n'a pas démontré son intérêt à agir puisqu'elle n'a pas démontré son droit de présenter des opérations d 'assurances,

- que faute par la société SEPR de démontrer qu'elle dispose de droits sur la clientèle démarchée de façon illicite, elle ne pourra pas démontrer l'existence d'un préjudice pas plus que les prétendus agissements fautifs qu'ils auraient commis,

- que la société SEPR n'a pas démontré son intérêt à agir dans la mesure où elle n'a pas non plus réussi à faire la preuve de la propriété des fichiers et par là même l'appartenance de sa clientèle,

- que faute pour la société SEPR d'avoir démontré son intérêt légitime à agir, son action à leur encontre est irrecevable.

Pour sa part, la société SEPR fait valoir :

- que les appelants vendaient sous couvert d'une société CAE des produits similaires à ceux qu'elle commercialisait,

- que c'est vainement qu'il est affirmé que CAE avait une activité spécifique et différente de celle de la société SEPR,

- qu'il résulte des pièces versées aux débats et du rapport d'expertise déposé par Madame Bersihand que la société CAE a utilisé des procédés déloyaux répréhensibles consistant en l'imitation des documents commerciaux, des produits et de l'organisation de la société SEPR, des détournements du fichier clientèle et prospection systématique des clients y figurant et dénigrement.

Elle développe :

- que les produits vendus à la clientèle par CAE ont pu être totalement calqués sur ceux de la société SEPR, en raison de l'expérience acquise par les appelants au sein de cette société,

- que les documents commerciaux utilisés par CAE constituent une imitation de ceux utilisés par la société SEPR,

- que c'est précisément la présentation commerciale ainsi que l'association des prestations de service qui confèrent aux produits diffusés par SEPR leur spécificité,

- que c'est l'imitation qui en a été faite par Club Auto Entreprise qui lui a permis de détourner la clientèle SEPR,

- que la présence de 84 % d'anciens clients SEPR dans le fichier clientèle CAE ne peut être le fruit du hasard,

- que Messieurs Masse et autres en qualité de VRP de la société SEPR se sont vus remettre matériellement les documents permettant de mettre en place une prospection de la clientèle et en ont conservé copie et ont pu ainsi entreprendre une prospection systématique des clients SEPR aux dates qui s'imposaient en fonction de l'échéance de leurs contrats,

- que l'expertise effectuée par Madame Bersihand est venue confirmer la réalité du détournement du fichier clientèle de la société SEPR par les appelants et le démarchage systématique de cette clientèle,

- que pour obtenir, la souscription de contrats par les clients, les appelants n'ont pas hésité à dénigrer systématiquement leur ancien employeur la société SEPR,

- qu'au terme de son rapport d'expertise, Madame Bersihand a estimé que son préjudice du fait des agissements déloyaux des appelants devait être évalué au minimum à la somme de 831 004 F,

- que la somme allouée par les premiers juges correspond à la moitié de l'évaluation basse du préjudice qu'elle a subi.

Elle fait encore observer :

- que pour servir les prestations "défense judiciaire" elle a souscrit auprès de la Compagnie d'Assurances DAS, par l'intermédiaire d'un courtier agréé la SA Tutor, un contrat groupe,

- qu'elle est souscripteur du contrat d'assurance groupe et bénéficie par ailleurs d'un mandat de gestion et d'un mandat d'encaissement des primes,

- que c'est par l'intermédiaire d'un courtier agréé (la SA Tutor) ayant satisfait aux conditions de garanties financières qu'elle propose les contrats concernés,

- que les appelants sont ainsi mal venus à soutenir qu'elle serait irrecevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale au motif qu'elle exercerait une activité illicite,

- qu'elle a un réel intérêt à agir pour obtenir la cessation des agissements déloyaux et la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de cette concurrence déloyale,

- que le tribunal a justement écarté l'argument selon lequel les clients auprès desquels la société SEPR commercialise ses produits serait la propriété de l'association La Prévention Routière,

- que la société SEPR, société commerciale dispose d'une clientèle propre, constituée de petites et moyennes entreprises auprès de laquelle elle vend ses différents produits tandis que l'association La Prévention Routière, association Loi de 1901 ne peut se prévaloir d'aucune clientèle et dispose, comme ses statuts le prévoient d'un réseau d'adhérents,

- qu'il est vain d'affirmer qu'il n'existait pas de fichier clientèle au sein de la société SEPR, l'existence de ce fichier étant démontré,

- que la valeur du fichier clientèle est confirmée par le fait qu'en utilisant de manière illicite ledit fichier et sans effectuer le moindre investissement CAE a pu dégager, en seulement 3 mois d'activité, un bénéfice de plus de 50 000 F,

- que M. Bertrand, qui était actionnaire de la société CAE et co-gérant statutaire, a largement participé à la création de la société CAE et donc à la mise en œuvre d'une activité commerciale basée sur des manœuvres déloyales,

- qu'il a au surplus participé en aval au développement de l'activité de la société CAE puisqu'il se trouvait être le bénéficiaire des contrats de protection juridique souscrits par les clients auprès de CAE, ces contrats étant souscrits par l'intermédiaire de M. Bertrand en sa qualité de courtier d'assurances,

- qu'ainsi, il a participé pour la fourniture de moyens à la mise en place des agissements déloyaux.

Elle ajoute enfin qu'elle n'a fait qu'user des voies légales pour faire cesser la concurrence déloyale à laquelle se livraient les appelants, et qu'elle a subi, du fait de ces agissements répétés, un préjudice considérable dont elle n'a pas obtenu à ce jour l'entière réparation.

Le litige ne concerne pas l'activité concurrentielle de Messieurs Masse et autres dans le cadre de la société ACP mais la prétendue concurrence déloyale de Messieurs Masse et autres et de la société CAE à compter de décembre 1996 date de la création de cette société par Messieurs Masse Jean-Marc et Bertrand Xavier co-gérants.

L'acte de concurrence est celui qui se développe dans le cadre de la recherche de la clientèle ce qui suppose que la clientèle existe et qu'il s'agisse d'une clientèle commune.

La société SEPR est une société anonyme au capital de 4 000 000 F, créée et immatriculée le 20 novembre 1991. Elle a pour activité : la vente de contrats de protection juridique, la vente d'abonnements à diverses revues et la vente de supports publicitaires. Tous ces produits sont vendus par intermédiaire d'un réseau d'une centaine de représentants salariés, répartis géographiquement sur toute la France. La société SEPR est donc une société commerciale qui, par toute une série d'activités entrant dans le champ de la commercialité, développe une clientèle. Si elle a conclu une convention de partenariat avec l'association de la Prévention Routière, son activité économique ne se confond pas avec celle de cette association qui a, elle, une activité qui ne génère pas une clientèle au sens traditionnel du terme. La convention de partenariat du 9 juillet 1996 signée entre la société SEPR et l'Association Prévention Routière qui réglemente les rapports entre ces deux partenaires, opère d'ailleurs une distinction entre l'activité commerciale de la SEPR et l'action désintéressée de l'association d'utilité publique.

L'action en concurrence déloyale ayant pour objet la protection de celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif, il importe seulement que la clientèle existe. Cette preuve est rapportée en l'occurrence par la société SEPR.

La concurrence déloyale suppose encore que la clientèle soit commune aux parties à l'action en concurrence déloyale. Autrement dit, il faut que les protagonistes soient en "situation de concurrence".

La société SEPR a pour activité la vente de contrats de protection juridique (contrats Protection Route, Protection Route Transport, Protection Juridique et Protection Fiscale), la vente d'abonnement à diverses revues ("la prévention dans l'entreprise", "auto-moto") et la vente de supports publicitaires. La vente de contrats de protection juridique représente la part la plus importante de son activité (73 % de son chiffre d'affaires ainsi qu'il ressort du rapport de Madame Bersihand). Ces contrats de protection juridique incluent des services d'information dans le domaine de la législation sociale des transports, les infractions routières, le Code de la route...

Pour sa part, la société CAE a eu, à compter du 28 novembre 1996, pour activité "Toutes prestations se rapportant directement ou indirectement à la sécurité en matière de conduite automobile ou autre, vente de revues et journaux périodiques, vente d'espaces publicitaires sur tous supports, toutes protections relatives à la protection juridique, vente de matériels informatiques et de logiciels".

Dans le cadre de son activité, elle a essentiellement vendu des produits se rapportant à la vente de protection juridique route, route transport.

De ce qui précède, il ressort que les sociétés SEPR et ACE offraient à la clientèle des produits et services similaires principalement dans le cadre de l'activité protection juridique. Ces deux sociétés se trouvaient donc bien en situation de concurrence.

Selon ses statuts, la société SEPR a pour objet tant en France qu'à l'étranger pour son propre compte que pour le compte de tiers, à titre de propriétaire, locataire ou gérant :

- l'édition en général,

- la recherche, la rédaction, l'élaboration, la réalisation et la discussion de toutes études, informations, nouvelles ou récits intéressant le grand public comme les milieux spécialisés par tous écrits comme par tous procédés audiovisuels et moyens de communication connus ou pouvant être créés,

- la création, la réalisation et la diffusion par tous moyens d'organisation de presse, d'ouvrages de librairies, concernant l'information et l'éducation en général,

- la création, l'exploitation de tous services de documentation et de renseignements destinés à la clientèle des publications ou ouvrages édités ou diffusés par société,

- la création de tous services connexes nécessaires à l'exploitation des productions et services de la société,

- la participation directe ou indirecte de la société dans toutes opérations pouvant se rattacher aux objets sus-indiqués par voie de création de sociétés nouvelles, apports, fusions, alliances, sociétés en participation ou groupement d'intérêt économique,

- et généralement toutes opérations commerciales, industrielles, financières, mobilières ou immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social ou susceptibles d'en favoriser l'extension.

La vente de services dont de protection juridique entre bien dans l'objet social de la société SEPR.

Pour servir les prestations de protection juridique "défense judiciaire", la société SEPR a souscrit auprès de la société d'assurances La Défense Automobile et Sportive (DAS) par l'intermédiaire de la société Anonyme de courtages d'assurances Tutor plusieurs contrats : protection route, protection route transport, protection entreprise et protection fiscale. Ainsi, elle n'exerce pas à proprement parler une activité illicite de courtier d'assurances.

Au vu de ce qui précède, la société SEPR justifie qu'elle a un intérêt à agir et qu'elle est recevable à agir sur le fondement de la concurrence déloyale.

Relevant de la responsabilité du fait personnel, l'action en concurrence déloyale suppose que la preuve d'une faute soit rapportée.

Ainsi qu'il a été dit, les sociétés SEPR et CAE offraient à la clientèle des services et des produits similaires principalement dans le cadre de l'activité "protection juridique".

Il est constant que la société CAE a embauché Messieurs Jean-Marc Masse, Nicolas Masse, Jean-Daniel Torcheux, Paul Beauvineau, Patrick Harivel et Hervé Pasquier, anciens VRP de la société SEPR licenciés pour motif économique et déliés à cette occasion de la clause de non-concurrence figurant à leur contrat de travail.

En l'espèce, la société SEPR rapporte la preuve que les documents commerciaux utilisés par la société CAE constituent une imitation de ceux par elle utilisés. Par exemple, les tarifs (cf. pièce 12 assistance fiscale professionnelle de la CAE et pièce 18 protection fiscale 1997 de la SEPR) sont similaires.

Plus généralement, on retrouve chez CAE, le processus technique mis en place chez SEPR : les tarifs, le modèle de note de service, la demande de renseignement fournie à l'assuré, les préordres. Il s'ensuit que la société CAE a utilisé le savoir-faire des anciens salariés de SEPR pour l'élaboration des documents sous-tendant son activité (cf. encore les conditions générales figurant sur les pré-ordres de la société SEPR et de la société CAE qui sont identiques). Le hasard ou la prétendue banalisation des produits commercialisés par l'une et l'autre des sociétés en cause n'explique pas l'identité du processus technique mis en place.

En définitive, la société CAE a organisé son activité en adoptant le processus technique et commercial mis au point par SEPR et des documents commerciaux largement inspirés de ceux de SEPR Son imitation du savoir-faire de la SEPR lui a permis de faire une économie injustifiée et de gagner du temps mis à profit pour concurrencer sur son propre terrain la société SEPR en proposant à la clientèle de produits similaires et en les diffusant efficacement. De tels agissements excèdent la pratique normale du jeu de la concurrence entre entreprises.

Il est avéré qu'en huit mois, la société CAE a constitué un portefeuille de 1 202 clients, composé à hauteur de 84 % soit 1015 clients par d'anciens clients de la SEPR (cf. page 22 du rapport de Madame Bersihand).

Il importe de rappeler qu'à la société SEPR, les contrats de protection juridique font l'objet d'un abonnement annuel sans tacite reconduction. Cette absence de tacite reconduction oblige le VRP à visiter ses clients chaque année.

Le fait que 84 % de la clientèle conquise par la société CAE dans les huit premiers mois de son exploitation soit constituée par d'anciens clients de la société SEPR prouve qu'il y a eu de la part des VRP en cause une prospection systématique de cette clientèle.

Si l'intuitu personae a pu jouer un rôle, seule l'exploitation des fichiers des clients SEPR, tels que confiés et complétés au cours de leurs activités passées par les VRP en cause au service de la SEPR, faisant ressortir les dates d'échéance des abonnements a pu rendre aussi efficace la prospection effectuée.Il n'est pas sans intérêt de relever qu'avant leur licenciement de la société SEPR, les six VRP en cause avaient un portefeuille se situant entre 3 350 à 3 900 clients. L'importance de ce porte-feuille exclut que ces représentants aient pu travailler sans fichiers, fichiers dont l'existence est établie par les contrats de travail produits aux débats (contrats de travail Pasquier, Masse, Torcheux...). Ce fichier clientèle constitué par unité de prospection est remis aux VRP de la société SEPR avec indication des coordonnées du client et la date d'échéance de son contrat annuel. Il permet de mettre en place une prospection pour obtenir le renouvellement de leurs contrats par les clients.

La forte proportion de clients SEPR dans le fichier CAE ne s'explique pas par l'intense activité de promotions alléguée, le montant des charges engagées même à admettre qu'elles se sont élevées à 29 265 F étant peu important. Les attestations versées aux débats par les VRP en cause, pour la plupart préétablies (cf. texte dactylographié identique) ne sont pas non plus déterminantes eu égard aux résultats obtenus par la CAE.

L'attestation de M. Jaunasse, Conseiller d'entreprise à la SEPR contre lequel n'a été déposé aucune plainte pour faux témoignage alors qu'il cite le nom des clients SEPR démarchés et détournés ne fait que confirmer, s'il en était besoin, l'exploitation du fichier SEPR pour démarcher systématiquement sa cliente et la détourner au profit de la société CAE.

Au vu de ce qui précède, les agissements fautifs des anciens VRP de la société SEPR pour détourner la clientèle de cette dernière sont démontrés.

De même, l'utilisation de la parfaite connaissance des anciens VRP de SEPR de l'organisation technique commerciale de cette société mise à profit par la société CAE et ses cogérants pour la concurrencer comme il a été dit, constitue bien de la part de la CAE et de ses animateurs dont M. Bertrand un comportement fautif que la société SEPR est recevable à leur reprocher dans le cadre de la présente action en concurrence déloyale. La mise hors de cause de M. Bertrand n'est donc pas justifiée.

Il ressort du rapport d'expertise de Madame Bersihand que le préjudice certain de la société SEPR est la perte de marge.

La perte de marge brute correspondant au rapport entre les clients estimés perdus sur le secteur par la société SEPR (2 176 clients) et les clients effectivement repris par la société CAE ressort à 790 886 F (cf. page 21 du rapport de Mme Bersihand).

Ainsi en accordant à la société SEPR une provision de 400 000 F les premiers juges ont fait une juste évaluation de la perte qu'elle a subi du fait des agissements déloyaux dont elle a été victime. M. Bertrand ayant cessé ses fonctions de co-gérant de la CAE en mars 1997, il est juste qu'à raison du préjudice consécutif à sa faute, la condamnation provisionnelle prononcée soit limitée à son encontre à 150 000 F.

Maître Briand ès-qualité indique que la société CAE a réglé la somme de 368 216,62 F à la société SEPR, ce qui n'est pas démentie par cette dernière. Au vu de ce qui précède, Me Briand ès-qualité n'est pas justifié à obtenir la restitution de cette somme.

En conséquence, Messieurs Jean-Marc Masse, Nicolas Masse, Jean-Daniel Torcheux, Paul Beauvineau, Patrick Harivel, Hervé Pasquier et Xavier Bertrand (mais seulement à concurrence de 150 000 F par ce dernier) seront condamnés in solidum à payer en deniers ou quittances à la société SEPR une provision de 400 000 F. Rien ne s'oppose à ce que la créance de la SEPR au passif de la liquidation judiciaire soit fixée à 400 000 F dont 368 216,62 F à déduire. Les mesures d'interdiction prononcées par le tribunal sont devenues sans objet à l'encontre de la société CAE en liquidation judiciaire. Contre M. Bertrand qui a cessé ses fonctions de co-gérant et n'est pas VRP, ces mesures ne sont pas justifiées. Il en sera déchargé. La publication ordonnée par les premiers juges est justifiée au titre de la réparation du préjudice de SEPR. Elle sera confirmée sauf à dire que c'est le présent arrêt qui sera publié par suite de la réformation du jugement aux frais des appelants sauf Me Briand ès-qualité.

Il est inéquitable de laisser à la charge de la SEPR les frais irrépétibles qu'elle a exposés en première instance et d'appel. Par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les appelants seront condamnés in solidum à leur verser une somme globale de 30 000 F pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Les demandes de dommages et intérêts et l'article 700 du nouveau Code de procédure civile présentées par les appelants qui succombent pour l'essentiel, ne sont pas justifiées. Ils en seront déboutés.

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Donne acte à Maître Briand de ce qu'il intervient en la cause comme liquidateur à la liquidation judiciaire de la société CAE et qu'il donne adjonction à l'appel formé par cette société ; Confirme le jugement déféré en ses dispositions non contraires à celles du présent arrêt ; Le réformant et y ajoutant ; Condamne in solidum Messieurs Jean-Marc Masse, Nicolas Masse, Jean-Daniel Torcheux, Paul Beauvineau, Patrick Harivel, Hervé Pasquier, Xavier Bertrand (mais seulement à concurrence de 150 000 F pour ce dernier) à payer en deniers ou quittances à la société d'éditions et de protection route SEPR une provision de 400 000 F à titre de dommages et intérêts à valoir sur son préjudice ; Fixe la créance de la société SEPR au passif de la liquidation judiciaire de la société CAE à la somme de 400 000 F sous déduction de la somme de 368 216,62 F ; Vu l'évolution du litige, décharge la société CAE des mesures d'interdiction prononcées à son encontre ; Décharge de même Monsieur Xavier Bertrand de ces mesures d'interdiction ; Confirme en son principe, la publication ordonnée ; Ordonne la publication du présent arrêt aux frais des appelants sauf Maître Briand ès-qualité dans les revues énoncées au jugement ; Condamne in solidum les appelants à payer à la société SEPR une somme globale de 30 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne in solidum les appelants en tous les dépens de première instance et d'appel y compris les frais d'expertise qui seront recouvrés par la SCP Gontier-Langlois, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.