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Décisions

CA Douai, assemblée des ch., 15 octobre 2001, n° 1998-10699

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Trebucq (épouse Cotteaux)

Défendeur :

Pluri Publi (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Goselin (faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Chaillet, Laplane, MM. Michel, Dejardin

Avoués :

SCP Carlier Regnier, SCP Cochème-Kraut-Reisenthel

Avocats :

SCP Thréard-Léger-Bourgeon-Meresse, SCP Fourgoux, associés.

T. com. Paris, du 10 nov. 1994

10 novembre 1994

Vu l'arrêt prononcé par la Cour de cassation, chambre commerciale, économique et financière le 12 novembre 1998 ; Vu la déclaration de saisine remise au greffe le 14 décembre 1998 par Mme Cotteaux épouse Trébucq ; Vu la déclaration de saisine remise au greffe le 8 janvier 1999 par la société Pluri Publi; Vu l'ordonnance de jonction prononcée le 21 septembre 1999; Vu les conclusions déposées pour Mme Trébucq le 5 décembre 2000 ; Vu les conclusions déposées pour la société Pluri Publi le 8 septembre 2000 ; Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 11 juin 2001.

EXPOSE DU LITIGE

Sous l'enseigne Hestia, la société Pluri Publi exerce sur l'ensemble du territoire français, et par le biais d'un réseau de franchise une activité de prestations de services dans le domaine de la location et de la vente d'immeubles.

Mme Trébucq s'est affiliée à ce réseau par un contrat souscrit auprès de la société Hestia le 13 janvier 1992 : selon cette convention la société Pluri Publi concédait à Mme Trébucq le droit d'exploiter à Pau et dans sa région, sous la marque Hestia, un fonds de commerce d'agence immobilière acquis par Mme Trébucq le 17 janvier 1992.

Ce contrat comportait une clause de non-rétablissement.

Reprochant à la société Pluri Publi des manquements à ses obligations contractuelles, Mme Trébucq assignait le 25 juin 1993 la société Pluri Publi devant le Tribunal de commerce de Paris en annulation du contrat de franchise et en paiement de diverses indemnités.

La société Pluri Publi s'opposait à ces demandes et se constituait demanderesse reconventionnelle.

Par son jugement rendu le 10 novembre 1994, le Tribunal de commerce de Paris déclarait valable le contrat de franchise à l'exception de la clause de non-rétablissement qui était déclarée nulle.

Le tribunal considérait que ces dispositions interdisaient toute activité à la franchisée et qu'ainsi elles étaient abusives.

Le contrat de franchise était résilié aux torts de Mme Trébucq qui était condamnée à payer à la société Pluri Publi une indemnité pour concurrence déloyale fixée à 100 000 F ainsi qu'une indemnité de résiliation fixée à la somme de 130 000 F.

Mme Trébucq était condamnée à payer à la société Pluri Publi une indemnité de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur appel de Mme Trébucq, la Cour de Paris dans son arrêt rendu le 8 mars 1996 confirmait le jugement en ce qu'il avait déclaré valable le contrat de franchise, en ce qu'il avait déclaré nulle la clause de non-rétablissement, en ce qu'il avait résilié le contrat aux torts de la franchisée et l'avait condamnée au paiement d'une indemnité de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mais l'arrêt réduisait sensiblement les montants de l'indemnité de résiliation et de concurrence déloyale, ces dernières étant respectivement fixées à 5 000 et 20 000 F.

Sur pourvoi de la société Pluri Publi, la Cour de cassation dans son arrêt du 17 novembre 1998 cassait et annulait la décision entreprise mais seulement en ce que celle-ci avait annulé la clause de non-rétablissement du contrat de franchise et avait fixé à 5 000 F le préjudice subi par la société Pluri Publi du fait de la résiliation du contrat aux torts de Mme Trébucq ;

Constatant que l'interdiction s'étendait sur une durée supérieure à une année la Cour d'appel de Paris avait fait application de l'article 3c du règlement CEE de la Commission du 30 novembre 1988, cette disposition subordonnant l'exemption à ce que l'interdiction de rétablissement n'excède pas un an.

La Cour de cassation relevait que puisque la cour d'appel avait constaté qu'il n'était démontré ni un dépassement du seuil de sensibilité tel qu'un chiffre d'affaires de 200 millions d'écus, ni la contribution significative des contrats litigieux à un effet de blocage du marché, elle ne pouvait faire application de l'article 3 c du règlement CEE de la Commission du 30 novembre 1988.

En ce qui concerne l'indemnité de résiliation, la Cour de cassation relevait que la cour d'appel avait omis de constater le caractère manifestement excessif du montant contractuellement prévu.

PRETENTIONS DES PARTIES

La société Pluri Publi soutient que la clause de non-rétablissement est régulière: elle vise seulement à restreindre, et non à interdire à la franchisée l'exercice de sa profession, elle n'a aucun caractère excessif par rapport aux limites habituelles dans le temps et dans l'espace.

Elle fait valoir que Mme Trébucq ne démontre pas en quoi cette clause aurait un caractère excessif ou disproportionné.

Elle soutient que la sanction d'une clause disproportionnée ne peut être l'annulation mais sa réduction.

Elle fait valoir que depuis le mois de juillet 1993 Mme Trébucq continue d'exercer son activité sous la marque Ciep et qu'elle offre à sa clientèle, à l'identique, les services précédemment proposés sous la marque Hestia.

Elle chiffre à 655 642 F le montant de l'indemnité de non-concurrence, ce montant correspondant au chiffre d'affaires réalisé par Mme Trébucq en 1992, année précédant la rupture des relations contractuelles;

Elle conclut en demandant à la cour :

- d'infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 10 novembre 1994 en ce qu'il a prononcé la nullité de la clause de non-concurrence,

- de dire et juger que Mme Trébucq n'a pas respecté la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de franchise,

- de condamner Mme Trébucq au paiement de la somme de 655 642,00 F pour le non-respect de la clause de non-concurrence et au paiement de la somme de la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens.

En ce qui concerne l'indemnité de résiliation, Mme Trébucq demande à la cour de faire application de l'article 1152 du Code civil et de modérer la sanction au franc symbolique ou subsidiairement aux 5 000 F précédemment alloués par la Cour d'appel de Paris.

Se référant à diverses décisions de jurisprudence, Mme Trébucq soutient que la clause de non-rétablissement et en particulier le paragraphe :

"Il ne pourra en outre, dans les mêmes conditions de temps, exploiter une activité similaire ou analogue dans la zone franchisée et tout département où il existe déjà un bureau Hestia" est nulle car elle aboutit à lui interdire d'exercer son commerce.

Mme Trébucq soutient qu'elle ne s'est affiliée à aucun réseau et qu'elle exerce son activité en toute indépendance.

Elle fait valoir que la société Pluri Publi a installé un nouveau franchisé dans la ville de Pau et que celui-ci bénéficie de la clientèle détournée par la société Pluri Publi au préjudice de Mme Trébucq.

Elle conclut en demandant à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 10 novembre 1994 par le Tribunal de commerce de Paris, en ce qu'il a dit abusive et nulle la clause de non-rétablissement stipulée à l'article 17 du contrat de franchise Hestia, avec toutes conséquences de droit,

- déclarer la société Pluri Publi irrecevable en ses demandes en paiement et débouter la société Pluri Publi de ses entières demandes,

- condamner la société Pluri Publi au paiement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la condamner aux dépens.

MOTIFS DE LA DECISION

La demande reconventionnelle de la société Pluri Publi devant le Tribunal de commerce de Paris s'articulait en trois indemnités afférentes à trois préjudices différents:

- concurrence déloyale

- résiliation abusive

- non-rétablissement

Seule l'indemnité pour concurrence déloyale fixée à 20 000 F demeure donc acquise à la société Pluri Publi, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris étant, sur ce point, définitif.

a) les dommages-intérêts pour résiliation abusive

Faisant application de l'article 1152 du Code civil, le tribunal de commerce avait ramené de 390 613 F (somme réclamée par la société Pluri Publi conformément à la convention) à 130 000 F l'indemnité due par Mme Trébucq.

Sans préciser en quoi le montant de 130 000 F (et a fortiori celui de 390 613 F) était excessif, la cour d'appel avait réduit l'évaluation à 5 000 F.

Le montant de l'indemnité contractuelle de résiliation est calculé sur la base de 30 % de la redevance moyenne multiplié par le nombre de mois restant à courir.

Compte tenu de cette durée résiduelle : 54 mois, de l'implantation durant le même temps d'un autre bureau Hestia permettant, à tout le moins, à la société Pluri Publi de maintenir dans le secteur d'activité de Mme Trébucq, sa propre exploitation et de préserver sa clientèle, de l'importance du réseau Hestia, le montant contractuellement prévu de l'indemnité de résiliation est manifestement excessif.

Pour ces motifs, et compte tenu également des difficultés apparues à l'époque sur le marché de l'immobilier, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 5 000 F le préjudice subi par la société Hestia en lien de causalité avec la faute commise par Mme Trébucq.

B) L'indemnité pour violation de la clause de non-rétablissement

La clause de non-rétablissement est prévue à l'article 30 du contrat de franchise.

"Article 30 : Non rétablissement

En cas de résiliation du contrat ou de retrait par cession tel que prévu à l'article 27 et compte tenu du savoir-faire particulier et original apporté par le franchiseur, le franchisé s'interdit pendant un an à compter de la rupture, de s'affilier, adhérer ou de participer directement ou indirectement à un réseau régional, national ou international concurrent ou d'en créer un lui-même, ou encore de représenter ou de se lier à tous groupements, organismes, associations ou sociétés concurrentes du franchiseur et ce, dans le territoire où il a exploité la franchise.

Toute infraction à la présente clause donnera lieu au versement à titre de clause pénale, d'une indemnité représentant le montant du chiffre d'affaires réalisé l'année précédant la rupture."

Il en résulte donc que, pour une durée d'une année, Mme Trébucq est privée du droit d'exercer son activité dans le cadre de toute organisation avec autrui et ce sous quelque forme que ce soit.

En revanche, et contrairement à ce que soutient Mme Trébucq dans ses écritures, la clause ne comporte nullement d'autre interdiction, et Mme Trébucq peut poursuivre son activité à titre individuel et en toute indépendance.

Telle que stipulée cette clause restreint pour une année seulement l'activité de Mme Trébucq, elle ne lui interdit pas cette activité.

Elle n'est donc pas abusive et n'a pas à être annulée.

Cependant il aurait appartenu à la société Pluri Publi de démontrer la violation de cette clause et d'établir que Mme Trébucq durant le délai d'un an qui a suivi la rupture, soit s'est affiliée à un autre franchiseur, soit a participé d'une façon ou d'une autre à un réseau, une association ou un groupement.

Mme Trébucq soutient avoir poursuivi l'exploitation de son propre fonds de commerce sous sa propre enseigne et en toute indépendance.

Si la société Pluri Publi démontre que Mme Trébucq a bien poursuivi son activité (procès-verbaux de constat des 15 juillet et 25 août 1993), elle n'établit pas que cette activité s'est exercée en contravention aux dispositions contractuelles.

A cet égard, le fait que Mme Trébucq exerce son activité sous le signe Ciep et l'enseigne "Centre Immobilier entre Particuliers" ne peut induire l'appartenance à un réseau ou une organisation dès lors qu'il n'est ni allégué ni démontré que ce "centre" n'a pas d'autre périmètre que celui des locaux de l'agence immobilière 22 rue Emile Guichenne à Pau.

N'établissant aucune violation de cette clause au demeurant parfaitement licite, la société Pluri Publi sera déboutée de sa demande en paiement et condamnée aux dépens.

Il n'est pas inéquitable d'allouer à Mme Trébucq la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles exposés par elle devant la cour.

La société Pluri Publi sera condamnée aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à 130 000 F le montant de l'indemnité de résiliation et déclaré nulle la clause de non-rétablissement, figurant au contrat ; Statuant à nouveau ; Fixe à 5 000 F le montant de l'indemnité de résiliation et condamne en conséquence Mme Trébucq à payer la somme de 5 000 F (762,25 euro) à la société Pluri Publi; Dit n'y avoir lieu à annulation de la clause de non-rétablissement ; Constate qu'il n'est pas démontré de violation de cette clause ; Déboute en conséquence la société Pluri Publi de sa demande; La Condamne à payer à Mme Trébucq la somme de 10 000 F (1 524,49 euro) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La Condamne aux dépens d'appel et en autorise la distraction conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.