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Décisions

Cass. crim., 1 avril 2003, n° 02-86.292

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Agostini

Avocat général :

M. Di Guardia.

Angers, ch. corr., du 3 sep. 2002

3 septembre 2002

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Edgar, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 3 septembre 2002, qui, pour infractions au Code de la santé publique, au Code de commerce et au Code de la consommation, l'a condamné à 1 mois d'emprisonnement avec sursis, 20 000 F d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Herba plantes commercialise divers produits d'herboristerie et des compléments alimentaires à base d'éléments d'origine végétale, animale ou minérale ; que les contrôles effectués par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et par l'inspection de la pharmacie ont révélé que certains produits étaient composés de plantes médicinales relevant du monopole pharmaceutique, de substances interdites ou nuisibles pour la santé ; qu'il est également apparu que d'autres produits constituaient des médicaments par présentation ou par fonction ; qu'Edgar X, gérant de la société, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel notamment pour exercice illégal de la pharmacie, falsifications de denrées alimentaires et mise en vente de denrées alimentaires falsifiées, certaines étant nuisibles pour la santé, ainsi que pour tromperie ;

En cet état ; - Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 511 (devenu 5111-1), 512 (devenu 4211-1) du Code de la santé publique, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 28 et 30 du Traité de Rome ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Edgar X coupable d'exercice illégal de la pharmacie ;

"aux motifs propres et adoptés, d'une part, que "en ce qui concerne les plantes médicinales, la jurisprudence considère que, pour relever du monopole pharmaceutique, elles doivent non seulement être inscrites à la pharmacopée et ne pas figurer sur la liste du décret du 15 juin 1979, mais encore avoir un usage exclusivement médicinal à l'exception de tout usage alimentaire, condimentaire ou hygiénique" (jugement, p. 12) ; "s'agissant des gélules contenant des plantes médicinales pulvérisées et pour lesquelles trente huit plantes sont visées à la prévention, le tribunal a justement écarté les trois qui ne sont plus inscrites à la pharmacopée... et celles qui n'ont pas un usage exclusivement thérapeutique et qui peuvent être utilisées dans l'alimentation sans inconvénient pour la santé publique dont la liste a été publiée par la Conseil supérieur d'hygiène publique ; par contre, les autres produits visés à la prévention et classés plantes médicinales relèvent du monopole des pharmaciens par application de l'article 512 du Code de la santé publique" (arrêt attaqué, p. 10) ;

"1°) alors que l'incrimination de la vente de plantes médicinales par d'autres personnes que des pharmaciens ne satisfait pas aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi pénale, en l'absence d'une définition claire, précise et constante de la notion de plante "médicinale", et ne saurait donc fonder la condamnation du prévenu ;

"2°) alors que, en omettant de répondre au moyen tiré de l'incompatibilité avec les articles 28 et 30 du Traité de Rome de l'interdiction générale et absolue faite aux personnes qui ne sont pas pharmaciens de vendre des plantes "médicinales", édictée à l'article 512 (devenu 4211-1) du Code de la santé publique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"3°) alors que, subsidiairement, l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel ne pouvait affirmer que le prévenu avait vendu des plantes "médicinales", sans préciser les critères de cette qualification ni les éléments scientifiques ayant permis de fonder son appréciation ;

"et aux motifs, d'autre part, que "s'agissant des mélanges de substances végétales présentées comme ayant des propriétés curatives à l'égard des maladies humaines, ils relèvent, sans distinction de l'article 511 du Code de la santé publique définissant le médicament ; si les produits se rapportent aux fonctions biologiques ou visant des parties du corps à l'exclusion de toute référence à une pathologie ne peuvent être considérés comme des médicaments, il en va autrement des produits préconisés contre la constipation, les jambes lourdes, le diabète, les rhumatismes et autres dysfonctionnements lesquels sont de nature chez le patient moyen à suggérer des effets thérapeutiques préventifs ou curatifs et s'analysent donc en des médicaments par présentation, qu'ils soient vendus à des grossistes ou à des particuliers" ;

"4°) alors que, en omettant de répondre au moyen du demandeur pris de ce que la présentation des produits en cause, vendus en gros, lui avait été imposée par ses clients, ce qui était de nature à supprimer l'élément intentionnel de l'infraction, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"et aux motifs, enfin, que, "s'agissant des substances médicamenteuses par composition ou par fonction tels par exemple le manganèse ou le cobalt, il s'agit bien de produits pouvant être administrés à l'homme en vue d'établir un diagnostic ou en vue de restaurer ou corriger des fonctions organiques et ce indépendamment des effets obtenus ; il s'agit donc de médicaments" ;

"5°) alors que le juge ne peut qualifier un produit "médicament par fonction" sans vérifier qu'il peut être administré en vue de restaurer, corriger ou modifier une fonction organique, compte tenu de ses propriétés pharmacologiques réelles ou supposées, lesquelles doivent être appréciées en l'état actuel de la connaissance scientifique et au regard des modalités d'emploi du produit, de l'ampleur de sa diffusion, de la connaissance qu'en ont les consommateurs et des risques que peut entraîner son utilisation ; qu'en affirmant que les substances visées à la prévention, "tels par exemple le manganèse ou le cobalt", pouvaient être administrés en vue de restaurer ou corriger les fonctions organiques, sans s'en expliquer davantage, et sans préciser, en particulier, les éléments ayant permis d'apprécier leurs propriétés pharmacologiques réelles ou supposées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'exercice illégal de la pharmacie, les juges d'appel, qui ont écarté de la prévention les plantes non inscrites à la pharmacopée et celles qui, n'ayant pas un usage exclusivement thérapeutique, peuvent être utilisées sans inconvénient pour la santé en alimentation, retiennent que les autres plantes, objet de la poursuite, sont des plantes médicinales qui, pour des raisons tenant à la protection de la santé publique au sens de l'article 30 du Traité CE, relèvent du monopole de vente des pharmaciens ; que, par ailleurs, les juges énoncent que les mélanges de substances végétales, présentées comme ayant des propriétés curatives ou préventives à l'égard de la constipation, les jambes lourdes, le diabète ou les rhumatismes, sont des médicaments par présentation et que les substances médicamenteuses telles que le manganèse ou le cobalt, pouvant être administrées à l'homme en vue d'établir un diagnostic ou de restaurer ou corriger des fonctions organiques, sont des médicaments par fonction ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisances comme de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions du prévenu, la cour d'appel, qui a fait l'exacte application de l'article 512, devenu 4211-1 du Code de la santé publique, non contraire à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et qui, s'appliquant sans discrimination aux produits nationaux, comme aux produits importés des autres Etats membres, échappe au domaine d'application de l'article 30 devenu 28 du traité, a caractérisé en tous ses éléments, le délit dont elle a déclaré Edgar X coupable ; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa quatrième branche, doit être écarté ;

Mais sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 213-3, alinéa 1, 1 , 2 , et alinéa 2, 213-4, alinéa 1, 4 et alinéa 2 du Code de la consommation, 1er et 15-2 du décret du 15 avril 1912, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Edgar X coupable de falsification de denrées et mise en vente desdites denrées ;

"aux motifs que "un produit commercialisé comme complément alimentaire qui n'est ni un médicament ni un produit diététique soumis à la réglementation des aliments destinés à une alimentation particulière, relève des règles applicables aux denrées alimentaires et ne peut par application de l'article 1er du décret du 15 avril 1912 être additionné de substances autres que celles dont l'emploi est autorisé par arrêté ministériel ; c'est l'application du principe de la liste positive ; ainsi, en l'absence d'autorisation expresse, les produits visés à la prévention ne pouvaient entrer dans la composition de compléments alimentaires non diététiques ;

"1°) alors que l'incrimination de l'addition à une denrée alimentaire de "produits chimiques" non autorisés ne satisfait pas aux exigences de prévisibilité et d'accessibilité de la loi pénale, en l'absence d'une définition claire, précise et constante de la notion de "produit chimique", et ne saurait donc fonder la condamnation du prévenu" ;

"2°) alors que, subsidiairement, la falsification d'une denrée suppose une manipulation de nature à altérer la substance de la denrée falsifiée ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer le prévenu coupable d'infractions relatives à la falsification de denrées destinées à l'alimentation humaine, sans constater, précisément, l'altération de la substance d'une quelconque denrée, par suite d'une manipulation" ;

Et sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 213, alinéa 1, 2 , du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que Edgar X a été déclaré coupable d'exposition, mise en vente, vente de produits toxiques ;

"aux motifs adoptés que "la toxicité du produit s'apprécie au regard de sa nocivité pour les organismes vivants et les troubles divers qu'il peut engendrer ; en l'espèce, parmi les substances nuisibles expressément visées à la prévention, l'on trouve : le konjac : dont la réhydratation lors de l'ingestion a révélé les risques d'obstruction de l'oesophage, l'argile blanche : avec laquelle existe un risque d'occlusion intestinale, la propolis et le psyllium, susceptibles de générer des phénomènes d'allergie, l'aloès, en raison de son effet insensibilisant ; l'ensemble des troubles ainsi répertoriés caractérise une intolérance potentielle au produit liée à ses qualités intrinsèques ou à son processus d'ingestion et le classe ainsi au rang des produits toxiques" ;

"alors que le juge ne pouvait formuler des appréciations sur la prétendue nocivité des produits en cause, sans préciser les éléments scientifiques sur lesquels reposaient ces appréciations" ;

Les moyens étant réunis ; - Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour déclarer Edgar X coupable des chefs, d'une part, de falsification de denrées alimentaires et mise en vente de denrées alimentaires falsifiées, et, d'autre part, de ces mêmes délits aggravés par la circonstance du caractère nuisible à la santé de l'homme de la denrée falsifiée, la cour d'appel retient que le prévenu a, en méconnaissance de l'article 1er du décret du 15 avril 1912, introduit dans des compléments alimentaires des substances non autorisées par arrêté ministériel et dont certaines ont fait l'objet d'un avis défavorable du Conseil supérieur de l'Hygiène publique ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi les substances introduites dans les compléments alimentaires constituaient des produits chimiques au sens de l'article 1er du décret du 15 avril 1912 précité et sans rechercher si certaines de ces substances n'entraient pas dans les prévisions du règlement 258-97-CE du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 3 septembre 2002 ; Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.