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Décisions

CCE, 8 juillet 1999, n° 2000-480

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Aides accordées par la France au groupe Crédit agricole au titre de la collecte et de la conservation des dépôts des notaires dans les communes rurales

CCE n° 2000-480

8 juillet 1999

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 88, paragraphe 2, premier alinéa, Vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a), Après avoir invité les parties intéressées à présenter leurs observations, conformément auxdits articles, considérant ce qui suit:

I PROCÉDURE

(1) Par lettre du 22 janvier 1998, la Commission a informé les autorités françaises de l'ouverture d'une procédure au titre de l'article 88, paragraphe 2, du traité, concernant les avantages accordés par l'État français au Crédit agricole par l'intermédiaire des droits réservés accordés à cette institution sur le dépôt des notaires dans les communes rurales. Cette ouverture de procédure faisait suite au dépôt d'une plainte de l'Association française des banques (AFB) et de la Chambre syndicale des banques populaires (CSBP) concernant les droits accordés par l'État français au Crédit agricole.

(2) Les autorités françaises ont répondu à la Commission par un courrier du 9 avril 1998, présentant un dossier de réponse aux questions posées dans la lettre d'ouverture de la procédure et annonçant qu'elles avaient l'intention de mettre fin aux droits de collecte des dépôts des notaires par le Crédit agricole dès la mi-1998. À la suite de la publication de la communication concernant l'ouverture de la procédure au Journal officiel des Communautés européennes (1), le Crédit agricole a adressé le 5 juin 1998 un courrier à la Commission, présentant des arguments qui visaient à éviter la qualification d'aides d'État pour les mesures visées par l'ouverture de la procédure. Le 22 septembre 1998, la Commission a adressé un courrier aux autorités françaises demandant des informations complémentaires sur la base de leur réponse du 9 avril. Les autorités françaises ont répondu à cette demande d'informations par un courrier du 7 janvier 1999. La Commission a adressé le 25 janvier un nouveau courrier demandant aux autorités françaises une confirmation de la fin annoncée des droits accordés au Crédit agricole. Les autorités françaises l'ont informée par un courrier du 28 avril 1999 des mesures utiles qu'elles étaient prêtes à prendre en vue de mettre fin, le 1er avril 2000, aux droits accordés au Crédit agricole.

II LE CRÉDIT AGRICOLE - DESCRIPTION DU MÉCANISME DU DÉPÔT DES NOTAIRES

(3) Avant la fusion de la Société générale et de Paribas annoncée en février 1999, le groupe Crédit agricole était le principal groupe bancaire français et le cinquième groupe bancaire européen (2). Il s'agit d'un groupement de sociétés mutualistes dont les premières ont été créées à la fin du XIXe siècle pour répondre aux besoins financiers des agriculteurs. La Caisse nationale du crédit agricole (CNCA), chargée de l'affectation des avances entre les caisses, a été créée par l'État en 1926. La CNCA a été privatisée en 1988 et le groupe est depuis cette date un établissement entièrement privé, détenu à 91 % par les caisses régionales du groupe et à 9 % par ses salariés. Les caisses régionales sont elles-mêmes détenues par les caisses locales, qui regroupent environ cinq millions de sociétaires. Le groupe a évolué vers une activité de grande banque de dépôt et de banque universelle. Il disposait fin 1997 d'un réseau d'environ 8 200 agences et 9 200 "points verts", services délégués à des commerçants assurant des opérations simples. En milieu rural, le Crédit agricole représente environ 33 % des guichets, soit beaucoup plus que les trois principales banques de l'AFB réunies.

(4) Le groupe Crédit agricole continue à jouer un rôle essentiel dans le financement de l'agriculture, mais sa clientèle s'est largement diversifiée aux autres catégories socioprofessionnelles de la population et aux autres secteurs de l'économie. Le Crédit agricole avait jusqu'en 1990 le monopole de la distribution de prêts bonifiés à l'agriculture, date à laquelle ces bonifications ont été ouvertes à la concurrence bancaire.

(5) Les notaires, bien qu'exerçant une activité de profession libérale, sont des officiers ministériels assujettis à des règles précises édictées par les pouvoirs publics. En particulier, ils ne peuvent pas demeurer dépositaires des dépôts de leur clientèle afférents à des transactions assujetties à des actes notariés: l'État impose aux notaires de placer ces dépôts auprès d'établissements dont il fixe la liste limitative. Ces fonds temporairement détenus par les notaires proviennent principalement des successions, des transactions immobilières, de la constitution de sociétés et des prix de cession des fonds de commerce. Lors de l'ouverture de la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, du traité, la Commission, sur la base des informations soumises par les plaignants et les autorités françaises dont elle disposait, a indiqué que l'État avait, en 1972 (par arrêté du 25 août), fixé la liste des établissements habilités à collecter et à conserver les dépôts de moins de trois mois, parmi lesquels figurent la Caisse des dépôts et consignations (CDC), le service des Chèques postaux et les caisses de crédit agricole (pour les communes de moins de 5 000 habitants). En 1973, l'État a habilité les caisses de crédit agricole à recevoir les fonds détenus par les notaires dans les communes de moins de 30 000 habitants (3).

(6) Ces encours font l'objet d'une rémunération sous la forme d'une commission (4) de 1 % (au notaire). Ainsi que la Commission l'a également souligné lors de l'ouverture de la présente procédure, cet accès à une ressource financière à bon marché n'a fait, jusqu'en 1990, l'objet d'aucune contrepartie pour le Crédit agricole. En 1990 un Fonds d'allégement des charges financières des agriculteurs (FAC) a été créé (par convention entre l'État et le Crédit agricole, du 26 septembre 1990), auquel le Crédit agricole a accepté de contribuer à hauteur de 500 millions de francs français en 1991 et en 1992, 600 millions en 1993, et 500 millions en 1994 et en 1995. Un accord entre les pouvoirs publics et le Crédit agricole est intervenu en 1996 sur le renouvellement de cette contribution au FAC à hauteur de 1 milliard de francs français pour les années 1996-1999. Le FAC est alimenté par les caisses régionales du Crédit agricole au prorata des ressources tirées de la gestion des dépôts des notaires. Ce fonds accorde des subventions d'intérêt (notamment aux jeunes agriculteurs) ainsi que des prêts dits de consolidation, et finance des abandons de créances, notamment pour faciliter des cessations d'activité. Le Crédit agricole gère selon ces critères l'emploi des fonds du FAC.

(7) Lors de l'ouverture de la présente procédure, la Commission a considéré que l'octroi au Crédit agricole de droits réservés de collecte et de conservation sur les dépôts des notaires:

- faussait la concurrence dans une mesure susceptible d'affecter les échanges entre États membres de la Communauté,

- conférait au Crédit agricole un avantage qu'il n'aurait pas obtenu dans des conditions de marché, et

- mobilisait des ressources d'État.

(8) Sur cette base, la Commission a considéré que les mesures en question étaient susceptibles de contenir d'importants éléments d'aides d'État au sens de l'article 87 du traité. Sur la base des informations alors en sa possession, la Commission avait considéré que les aides le cas échéant constatées seraient des aides nouvelles au sens du traité, et qu'il convenait dès lors d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, du traité pour examiner ces mesures.

(9) Les arguments des plaignants (l'AFB et la CSBP) ont été exposés dans la communication d'ouverture de la présente procédure (5).

III OBSERVATIONS DES INTÉRESSÉS

(10) Hormis les commentaires du Crédit agricole, la Commission n'a reçu dans le cadre de la présente procédure aucun autre commentaire de parties intéressées.

(11) À l'instar des autorités françaises, le Crédit agricole:

- a souligné que les caisses de crédit agricole avaient été autorisées à collecter les dépôts de fonds des notaires dès 1930 et qu'il ne saurait bénéficier en la circonstance de droits exclusifs puisque la CDC et le service des chèques postaux sont éligibles à de tels dépôts sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales,

- a fait valoir que les dépôts des notaires ne sauraient être considérés comme des ressources d'État et que, dès lors, ils ne peuvent donner lieu à des aides d'État visées par l'article 87,

- a souligné les missions de service public des notaires et les contraintes réglementaires attachées à ce régime,

- a souligné que les frais de gestion afférents aux dépôts des notaires étaient d'environ 1,77 % de l'encours,

- a souligné le plafonnement des conditions de crédit à court terme à l'agriculture, auquel il avait été assujetti jusqu'en février 1997, qu'il considère s'être vu imposer en contrepartie des dépôts des notaires,

- a rappelé la création du FAC ayant alloué 3,9 milliards de francs français depuis sa constitution en 1990, financés au prorata des ressources des dépôts des notaires et ayant, pour cette raison, une valeur de contrepartie pour les dépôts des notaires,

- a contesté toute affectation du commerce entre États membres en raison du caractère rural de proximité des relations de clientèle mobilisées et des faibles encours concernés, qui représentent un montant infime de l'encours total des dépôts en France.

(12) Le Crédit agricole a souligné que c'étaient exclusivement les caisses régionales qui étaient bénéficiaires du dépôt des notaires. Il a considéré que la Commission, en traitant lors de l'ouverture de la présente procédure l'ensemble du réseau formé par les caisses régionales et le CNCA comme l'entité économique bénéficiaire, le cas échéant, des aides afférentes au mécanisme du dépôt des notaires, avait commis une erreur de fait et de droit. Le Crédit agricole a fait état de la modestie de son développement international et a considéré que les fonds des dépôts des notaires n'avaient en aucun cas pu financer son développement international, qui est celui de la CNCA, alors que ce sont les caisses régionales du groupe qui sont bénéficiaires des dépôts des notaires. Il a indiqué que les ressources monétaires, dont font partie les dépôts des notaires, étaient inscrites au seul bilan des caisses régionales. Les excédents des caisses régionales, qui incluent les dépôts des notaires, sont certes replacés auprès du CNCA, mais aux conditions du marché sans que ce dernier en retire un quelconque profit.

(13) Le Crédit agricole a contesté que le fait que l'État enregistre, du fait de la renonciation à toute rémunération du dépôt des notaires, un manque à gagner de ressources qu'il aurait pu obtenir par l'intermédiaire du mécanisme en question, puisse constituer un chef d'aide, dans la mesure où les interventions de l'État sont nombreuses, où une telle obligation de rémunération remettrait en cause le caractère discrétionnaire de l'intervention économique de l'État reconnu à ce dernier en droit national ainsi que le principe de non-vénalité des actes administratifs. Le Crédit agricole a également contesté qu'une obligation de monnayer les droits octroyés par l'État au Crédit agricole existe en droit communautaire.

(14) Le Crédit agricole a soutenu que, au regard des exigences attachées à ce régime, il aurait en tout état de cause été retenu par les pouvoirs publics, quelle que soit la liste des établissements financiers éligibles pour le dépôt des notaires.

(15) Le Crédit agricole a souligné que l'arrêt du Conseil d'État français du 27 mars 1997 avait jugé les dispositions du dépôt des notaires comme étant non seulement compatibles avec l'article 82, mais aussi avec l'article 86 du traité, et qu'elles ne sauraient dès lors être incompatibles avec l'article 87 du traité. Le Crédit agricole a notamment considéré que les banques membres de l'AFB n'étaient réputées offrir une garantie comparable à celle du Crédit agricole que depuis l'adoption d'un règlement de l'AFB du 8 février 1994 prévoyant que les dépôts des notaires seraient, le cas échéant, remboursés intégralement en cas d'éventuelle défaillance d'une des banques membres de l'AFB.

(16) Le Crédit agricole a en outre considéré que la Commission avait confondu l'aide hypothétique et le bénéfice de l'aide. Il a notamment souligné que, dans son évaluation de l'avantage retiré par le Crédit agricole de la collecte et de la conservation des dépôts des notaires, la Commission n'avait pas pris en compte la part de marché "naturelle" du Crédit agricole en France en zone rurale (en cas de banalisation du régime) ni celle dont il est actuellement privé en zone urbaine. Le Crédit agricole, sur la base de la part de marché naturelle qu'il estime être la sienne sur les dépôts des notaires, en cas de banalisation, a chiffré à 12,1 milliards de francs le chiffre de l'encours qui serait déposé auprès de la banque, et donc, compte tenu d'un encours de 21 milliards de francs en 1996, à seulement environ 9 milliards de francs le montant additionnel collecté du fait des droits réservés dont il bénéficiait. Il a considéré que ce niveau d'encours était négligeable par rapport au niveau d'encours global de la banque.

(17) Le Crédit agricole a considéré que, étant donné les obligations de contrôle auxquelles est assujettie la comptabilité des notaires, il était incompatible avec l'objectif de sécurité du système institué que les dépôts des notaires puissent être réalisés auprès d'établissements situés à l'étranger.

(18) Enfin, le Crédit agricole a considéré que le soutien à l'agriculture sous forme d'une bonification de prêts à court terme était justifié par l'accomplissement de missions d'intérêt général.

IV COMMENTAIRES DE LA FRANCE

(19) Dans leur courrier adressé le 9 avril 1998 à la Commission, les autorités françaises ont présenté leurs observations en réponse aux questions soulevées par la Commission lors de l'ouverture de la présente procédure.

a) Origine des droits accordés au Crédit agricole

(20) Les autorités françaises ont indiqué, dans leur courrier du 9 avril 1998, que la possibilité donnée au Crédit agricole de collecter et de conserver les dépôts des notaires à moins de trois mois résultait d'un texte réglementaire du 9 mars 1953, sans limitation des dépôts des notaires. Selon les autorités françaises, les décisions plus tardives prises par arrêté du garde des Sceaux du 25 août 1972, complété le 7 juin 1973, avaient eu pour effet d'opérer une restriction par rapport à la situation antérieure en limitant ces droits aux dépôts à moins de trois mois dans les zones rurales.

(21) La Commission ayant demandé aux autorités françaises, par courrier du 22 septembre 1998, les pièces justificatives permettant d'établir que les droits réservés accordés au Crédit agricole étaient antérieurs à l'entrée en vigueur du traité, ces dernières ont adressé le 7 janvier 1999 à la Commission:

- une copie de l'arrêté du garde des Sceaux du 9 mars 1953 rappelant que les fonds dits "libres" des notaires (hormis les fonds à plus de trois mois qui doivent être versés à la CDC) pouvaient, sur la base d'une circulaire antérieure de 1930, être déposés dans plusieurs établissements, dont les caisses de crédit agricole,

- une copie d'une circulaire de la Chancellerie du 24 décembre 1930 montrant que le Crédit agricole faisait déjà partie, depuis 1924, des établissements éligibles pour les dépôts des notaires.

b) Motifs et objectifs ayant conduit l'État français à créer et maintenir les droits de collecte et de conservation des dépôts des notaires

(22) Les autorités françaises ont considéré que le régime de droits en question était motivé par trois raisons: la spécificité de la profession notariale et la nécessité d'organiser son contrôle de manière efficace, l'accessibilité du service bancaire pour les notaires des zones de campagne et la sécurité absolue des fonds recueillis. Elles ont rappelé que les notaires exercent une activité de service public dans le cadre d'une activité libérale. Elles ont notamment souligné que les notaires sont astreints à un contrôle particulier et que la comptabilité notariale avait été qualifiée d'écriture publique par la Cour de cassation française dans un arrêt du 19 novembre 1914. Deuxièmement, les autorités françaises ont souligné l'implantation géographique du Crédit agricole en milieu rural, où il est de loin le premier réseau bancaire en France avec aujourd'hui encore environ 34 % des guichets. 64 % des guichets permanents du Crédit agricole sont implantés en milieu rural. Troisièmement, les autorités ont souligné la sécurité apportée par le Crédit agricole aux dépôts des notaires, fondée sur un système de garantie préventif non plafonné reposant sur la solidarité de toutes les caisses régionales et de la CNCA, de sorte que le jeu des garanties internes au groupe rendait improbable une défaillance des caisses régionales et que les fonds des notaires étaient de la sorte intégralement garantis.

(23) Les autorités françaises ont également souligné, ainsi que l'avait exposé la Commission lors de l'ouverture de la présente procédure, la création en 1990 d'un fonds d'allégement des charges financières des agriculteurs constituant selon elles une "contrepartie" au régime des dépôts des notaires. Les dotations de ce fonds par le Crédit agricole, sur le produit de la collecte des dépôts des notaires, ont été de 3,6 milliards de francs français de 1990 à 1999, auxquels s'ajoutent 300 millions de francs également tirés du placement des dépôts des notaires au bénéfice du régime national des calamités agricoles.

c) Évolution de l'encours

(24) Les autorités françaises ont présenté un récapitulatif des encours du dépôt des notaires auprès du Crédit agricole depuis 1973, qui établit que l'encours a oscillé de 1973 à 1997 entre 15,6 et 25,4 milliards de francs français (ramenés en francs 1997) et que, abstraction faite des cycles de la conjoncture économique, cet encours est demeuré remarquablement stable sur la période. Il était de 19,6 milliards de francs français en 1997 (en valeur moyenne).

d) Coût de gestion des dépôts des notaires

(25) En réponse à la question posée par la Commission dans l'ouverture de la présente procédure sur les coûts de gestion des dépôts des notaires, les autorités françaises ont indiqué que les coûts de gestion de ces dépôts étaient en 1997 de l'ordre de 1,77 % de l'encours. Selon elles, ce coût se décomposerait de la manière suivante:

i) 0,29 % lié au coût de gestion des opérations de dépôts et à des opérations consacrées aux moyens de paiement comme tout compte de professionnel;

ii) 1,49 % lié à des surcoûts afférents aux caractéristiques particulières de gestion des comptes notariaux, dont:

- 0,11 % au titre de surcoût lié à certaines opérations spécifiques,

- 0,96 % lié à l'exclusion des règles habituelles sur les mouvements,

- 0,42 % de charges spécifiques de personnels.

Les autorités françaises ont considéré que ce coût avait vraisemblablement tendance à baisser sur une longue période en raison des gains de productivité du Crédit agricole, pour l'ensemble de ses activités, et pour celle-ci en particulier. Pour cette raison, il aurait donc été plus élevé par le passé.

e) Limitation par le Crédit agricole du coût de financement à court terme de l'agriculture

(26) Outre la dotation récente du FAC, les autorités françaises ont considéré dans leur courrier du 9 avril 1998 que les produits nets de la gestion des dépôts des notaires ruraux au Crédit agricole étaient consacrés depuis l'origine à limiter les coûts du financement à court terme de l'agriculture. Ces financements étaient accordés jusqu'en 1981 à des taux déterminés par arrêté des ministres de l'Agriculture et de l'Economie. Ces taux ont par la suite été fixés par le CNCA dans une bande de fluctuation d'environ 30 % du taux moyen mensuel du marché monétaire. Cette réglementation fondant la limitation des taux à court terme n'a été, selon les autorités françaises, abrogée que récemment, par un décret du 3 février 1997. Elles ont souligné que le contexte de taux bas dont bénéficiait l'économie française avait depuis lors réduit l'intérêt d'un dispositif protecteur spécifique pour l'agriculture.

f) Coût moyen de la ressource du Crédit agricole

(27) En réponse à la demande de la Commission dans l'ouverture de la présente procédure, les autorités françaises ont présenté des données chiffrées montrant que, sur la décennie écoulée, le coût moyen de la ressource du Crédit agricole était passé de [...] % (6) en 1987 à [...] % (7) en 1996 et qu'il était constamment resté à l'intérieur de cette fourchette.

g) Utilisation des dotations du FAC

(28) Les autorités françaises, dans leur courrier à la Commission du 9 avril 1998, ont apporté un certain nombre de précisions sur les dotations annuelles au FAC et leur utilisation.

(29) Elles ont indiqué que les dotations au FAC et leur utilisation depuis son origine avaient été les suivantes:

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(30) Les autorités françaises ont indiqué que ces interventions concernaient, d'une part, l'aménagement de la dette des agriculteurs clients du Crédit agricole et qu'une autre partie du FAC était affectée à des actions spécifiques, en particulier des dotations au Fonds national de garantie des calamités agricoles. Les autorités ont souligné que la définition des priorités du FAC faisait chaque année l'objet d'un accord entre le Crédit agricole et l'État. Elles ont considéré que des missions d'intérêt général en faveur de l'agriculture étaient attachées à ce dispositif, et que les bénéficiaires du FAC étaient les agriculteurs clients du Crédit agricole et non ce dernier. Elles ont justifié ces interventions par le fait que le Crédit agricole détenait environ 80 % de la dette bancaire des agriculteurs. Elles ont par ailleurs souligné que des fonds budgétaires ayant la même finalité avaient été ouverts aux autres banques qui bénéficient d'une dotation annuelle de 20 millions de francs français.

(31) Les autorités françaises ont considéré que les interventions du FAC ne constituaient pas, pour le Crédit agricole, un substitut à sa politique de provisionnement dans la mesure où les créances douteuses et litigieuses des caisses régionales de crédit agricole n'avaient bénéficié, suivant les années, que de 15 à 19 % des dotations du FAC, 10 % des interventions ayant été faites sous forme d'abandons de créances, l'essentiel étant alloué en fonction de la situation des différents secteurs de production et de l'installation des jeunes agriculteurs. Le montant de l'aide moyenne par agriculteur (environ 6000 francs français) est modeste et a, selon les autorités françaises, une finalité sociale.

h) Remarques générales sur le régime du dépôt des notaires

(32) Les autorités françaises ont contesté le caractère de ressources d'État des dépôts des notaires et la distorsion de concurrence soulignée par la Commission dans l'ouverture de la présente procédure. Elles ont en particulier contesté tout manque à gagner de ressources d'État en ce qui concerne ce régime au regard du principe de non-vénalité des actes administratifs. Elles ont pour cette raison contesté tout élément d'aide afférent au régime de droits réservés du dépôt des notaires. Elles ont, à titre subsidiaire, considéré que ce régime n'était pas de nature à affecter les échanges intracommunautaires.

(33) Les autorités françaises ont par ailleurs considéré que le régime du dépôt des notaires avait été mis en place afin de préserver, dans les zones rurales, les impératifs d'intérêt général liés notamment à la profession notariale.

(34) Les autorités françaises ont enfin rappelé l'arrêt du Conseil d'État français du 27 mars 1997 selon lequel la réglementation du dépôt des notaires n'était pas contraire à l'article 82 du traité.

i) Évolution prévue du régime du dépôt des notaires

(35) Dans leur courrier du 9 avril 1998, les autorités françaises ont fait part à la Commission d'un réexamen prévu avant l'été 1998 du régime du dépôt des notaires, consistant à recentraliser auprès de la seule Caisse des dépôts et consignations l'intégralité de la conservation des dépôts des notaires, quelle que soit leur durée: de la sorte, le Crédit agricole perdrait l'avantage financier résultant du produit de la collecte des dépôts des notaires (voir, au considérant 61, les engagements pris par les autorités françaises dans leur courrier du 28 avril 1999).

V APPRÉCIATION DES MESURES D'AIDE VISÉES

V.1. Caractère d'aides d'État des mesures sous examen

a) Entreprise bénéficiaire des mesures en question

(36) Le Crédit agricole, dans sa réponse à l'ouverture de la présente procédure, a considéré que la Commission avait commis une erreur de fait et de droit en assimilant toutes les entités du groupe Crédit agricole à un seul et même bénéficiaire, le Crédit agricole.

(37) La Commission note que:

- le groupe Crédit agricole, malgré les formes spécifiques que lui donne, notamment au niveau local, son statut mutualiste, et l'autonomie de gestion dont paraît jouir chaque caisse de Crédit agricole, est néanmoins une entité économique formant un tout cohérent, qui en fait, selon le rapport 1997, du Crédit agricole un groupe uni et décentralisé, reposant sur une structure à trois niveaux (caisses locales, caisses régionales et caisse nationale) et disposant de ce fait d'une capacité financière qui doit être appréhendée globalement. Le rapport annuel 1997 note que "la communauté d'intérêts liant les caisses locales, les caisses régionales et la caisse nationale conduit le Crédit agricole à présenter des états financiers représentatifs de sa situation économique et comparables aux comptes consolidés des autres grands groupes bancaires". Il ne fait ainsi aucun doute pour la Commission, pas plus que pour les interlocuteurs et partenaires du Crédit agricole ainsi que pour les marchés financiers, que le Crédit agricole revêt toutes les formes juridiques et économiques permettant de le définir comme une entreprise. C'est sur la base de la comptabilité consolidée, faisant état d'un bilan consolidé de 2514 milliards de francs français au 31 décembre 1997, qu'est établie la notation que lui octroient les agences de notation: au 31 décembre 1997 la notation du groupe consolidé était de AA (Standard & Poor's) et Aa1 (Moody's). La notation d'un groupe, et tout particulièrement d'un établissement financier, détermine ses conditions d'accès aux marchés financiers et est donc un élément fondamental de formation de ses coûts susceptible de l'avantager ou de le désavantager dans la concurrence qu'il livre aux entreprises du même secteur,

- le Crédit agricole, dans le cadre de la présente procédure, a présenté un mémoire unique d'observations, cosigné par le directeur général de la Fédération nationale de crédit agricole et le directeur général adjoint de la CNCA. Cette réponse est celle présentée au nom du Crédit agricole; si le CNCA considère qu'il n'était pas visé par la présente procédure, alors la Commission voit mal pourquoi il a jugé nécessaire de présenter des observations en défense communes et solidaires avec celles de la Fédération nationale du crédit agricole,

- les autorités françaises ont souligné que l'une des raisons pour lesquelles le Crédit agricole avait été considéré comme éligible aux dépôts des notaires était la sécurité assurée par la garantie solidaire de l'ensemble des caisses régionales et de la CNCA.

(38) Sur la base de ces éléments, qui qualifient incontestablement le groupe Crédit agricole comme une entreprise, la Commission n'a donc aucune raison de modifier l'appréciation qu'elle avait faite lors de l'ouverture de la présente procédure concernant le bénéficiaire des droits réservés des dépôts des notaires, c'est-à-dire le Crédit agricole en tant que groupe [voir l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire 383-82, Intermills (8)]. La question de l'allocation interne au sein du groupe des avantages qu'il retire des droits réservés sur les dépôts des notaires est une considération d'intérêt secondaire dans laquelle la Commission n'a pas à entrer dans le cadre de cette procédure.

b) Caractère de ressources d'État des fonds collectés par les notaires

(39) Ainsi que les autorités françaises l'ont souligné, les notaires sont des officiers publics et ministériels dont la profession est strictement réglementée par les pouvoirs publics. Les autorités françaises ont notamment rappelé une jurisprudence de la Cour de cassation assimilant la comptabilité notariale, strictement réglementée, à une écriture publique. Les autorités françaises ont conclu sur cette base, dans leur courrier du 9 avril 1998, que l'ensemble des dispositions réglementaires en vigueur démontrait que "les fonds déposés par les notaires ne sont pas des fonds ordinaires. La réglementation des dépôts des notaires ne peut par conséquent pas être appréciée au regard des seules règles relatives à la profession bancaire, mais doit l'être aussi en fonction de considérations d'intérêt public". Il est pleinement établi, sur la base des informations présentées par les autorités dans le cadre de la présente procédure, que c'est sur la base d'actes formels de la puissance publique que le Crédit agricole a été à diverses reprises confirmé comme éligible, selon des conditions bien définies, aux dépôts des notaires.

(40) La Commission est ainsi pleinement en mesure de confirmer, ainsi qu'elle l'avait considéré dans l'ouverture de la présente procédure, que:

- l'intervention de l'État dans des conditions discrétionnaires, par l'octroi des droits réservés en question, apporte au Crédit agricole des ressources en découlant directement,

- l'État exerce un contrôle directif sur l'allocation des ressources constituées par les dépôts, obligatoires, des notaires, qui sont des officiers ministériels assujettis à l'autorité publique.

(41) Par conséquent, il convient de conclure, sur la base des éléments qui précèdent, que le mécanisme du dépôt des notaires mobilise des ressources devant être qualifiées de ressources d'État. Le fait que les autorités françaises aient souligné que la jurisprudence citée de la Cour de cassation française assimilait la comptabilité notariale à une écriture publique confirme cette analyse.

(42) Lors de la présente procédure, les autorités ont présenté des éléments qu'elles estimaient jouer un rôle de contrepartie venant en déduction des produits perçus par le Crédit agricole sur le dépôt des notaires et annulant l'avantage lié à la quasi-gratuité du dépôt des notaires pour le Crédit agricole. Ces éléments ne sauraient être considérés comme retirant au mécanisme en question le fait qu'il mobilise des ressources d'État.

c) Avantage pour le Crédit agricole et caractère d'aide des mesures en question

(43) Ainsi que l'a rappelé la Commission lors de l'ouverture de la présente procédure, "la notion d'aide comprend non seulement les prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également les interventions publiques qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d'une entreprise et ont des effets identiques à des subventions" [voir l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire C-387-92, Banco exterior de España (9)].

(44) Par ailleurs, également lors de l'ouverture de la présente procédure, la Commission avait souligné que l'État réalisait du fait de la renonciation à toute rémunération du dépôt des notaires (hormis la commission de 1 % au notaire), un manque à gagner de ressources qu'il aurait pu obtenir par l'intermédiaire du mécanisme en question. En effet, si cette opération avait été définie selon des conditions commerciales normales, l'État aurait pu, dès l'origine, se faire rémunérer sur les dépôts en question. Il aurait également pu imposer un prix (le taux d'intérêt sur les dépôts) qui soit révisé régulièrement pour tenir compte de l'évolution des taux d'intérêt et des gains de productivité réalisés au sein du secteur bancaire et des établissements éligibles au titre du mécanisme en question. Cette révision aurait pu bénéficier de la mise en concurrence des différents établissements bancaires en vue de sélectionner les plus compétitifs d'entre eux, sous réserve qu'ils satisfassent à un minimum de contraintes prudentielles afin de garantir la sécurité des dépôts, de sorte que les recettes de commissionnement d'intérêt perçues par l'État auraient pu être augmentées.

(45) La rémunération des ressources bancaires des dépôts supplémentaires que perçoit le Crédit agricole grâce aux droits réservés que lui octroie l'État serait assurément une charge grevant normalement le budget d'une entreprise bancaire, si ces ressources étaient allouées au Crédit agricole de manière concurrentielle, par exemple sous forme d'un appel d'offres aux banques. Or, le Crédit agricole ne rémunère pas la conservation des dépôts des notaires et se limite à verser à ceux-ci une commission de 1 % de l'encours collecté. Préalablement à l'ouverture de la présente procédure, les autorités françaises avaient justifié cette non- rémunération par l'interdiction, selon la loi française, du prêt à intérêt de moins d'un mois. Toutefois les autorités françaises n'ont nullement justifié, dans le cadre de la présente procédure, pourquoi, alors qu'une partie importante, estimée par elles, dans un courrier du 3 avril 1997, à environ 50 %, de l'encours des dépôts des notaires auprès du Crédit agricole a une durée comprise entre un et trois mois (les dépôts excédant trois mois ne sont pas conservés au Crédit agricole et sont replacés auprès de la Caisse des dépôts et consignations), ceux-ci ne peuvent pas faire l'objet d'une rémunération. Il en résulte que l'octroi de droits de collecte et de conservation sur les dépôts des notaires, à de telles conditions de quasi-gratuité, est dérogatoire aux conditions normales de marché qui s'appliqueraient pour la collecte de telles ressources.

(46) Dans le cadre de la présente procédure, la Commission a demandé à la France quel était le coût moyen de la ressource du Crédit agricole, et les autorités françaises ont indiqué que ce coût était inter alia de [...] % en 1987 et de [...] % en 1996. Toutefois, les coûts moyens de ressources du Crédit agricole paraissent inclure les ressources rémunérées telles que les emprunts à long terme et les ressources gratuites telles que les dépôts des particuliers. Pour déterminer l'aide afférente aux emprunts, c'est-à-dire l'allégement de charges du Crédit agricole par rapport aux conditions normales de marché, il convient de faire un raisonnement non pas au coût moyen, mais au coût marginal. À cette fin, il convient ainsi de noter que les taux d'intérêt à court terme en France étaient en 1987 de 8,3 % et en 1996 de 3,9 % (10). Il ne fait ainsi aucun doute que l'octroi au Crédit agricole de ressources quasiment gratuites (hormis le commissionnement de 1 % au notaire) allège les charges qui s'imputent normalement sur le compte d'exploitation d'une banque, et a un effet équivalent à celui d'une subvention.

(47) Par conséquent, il convient de conclure que les mesures en question sont des aides d'État, ayant le caractère d'aides au fonctionnement puisqu'elles allègent les charges normales d'exploitation de la banque.

d) Effet distorsif des aides

(48) Les aides au fonctionnement ont un effet particulièrement distorsif parce qu'elles ont un impact direct sur le résultat des entreprises aidées et leur permettent soit de maintenir des coûts d'exploitation plus élevés que leurs concurrents sans être pénalisées malgré leur manque de compétitivité, soit de réaliser des profits accrus et d'accroître de la sorte leurs capacités financières. Ces aides ont un effet d'autant plus distorsif qu'elles sont permanentes, que la concurrence est forte et que les marges des entreprises concurrentes sont étroites.

(49) Or, les données dont on dispose montrent que, au cours des années 1990, la concurrence bancaire s'est accrue et que les marges d'intérêt des banques se sont régulièrement érodées (11). En outre, la situation des banques françaises apparaît vulnérable: elles avaient ces dernières années l'une des rentabilités les plus faibles de toute la Communauté (voir le tableau 2) et ne se sont redressées que récemment, en 1998-1999. Dans un contexte de forte concurrence se traduisant par une érosion des marges d'intérêt et de la rentabilité, des aides au fonctionnement à un établissement de crédit ont incontestablement un effet distorsif particulièrement élevé. Cette tendance récente a une forte probabilité de se maintenir au cours des prochaines années: selon la Banque centrale européenne, l'achèvement de l'Union économique et monétaire va créer un environnement plus concurrentiel et exercer une pression accrue sur la rentabilité des banques (12). Il va accélérer l'intégration du secteur au niveau européen, notamment sous forme d'opérations transfrontalières (13).

<EMPLACEMENT TABLEAU>

(50) De plus, le Crédit agricole est une entreprise rentable ayant réalisé d'importants profits au cours des années écoulées. Les aides en question (à moins qu'elles ne soient compensées par des surcoûts équivalents, voir ci-après), qui n'étaient pas indispensables pour qu'il réalise des bénéfices, lui ont donc permis d'accroître ses profits et d'accumuler des capitaux propres supplémentaires avec les profits non distribués. Or, dans le secteur bancaire, la contrainte de solvabilité introduite par la directive 89-647-CEE du Conseil du 18 décembre 1989 relative à un ratio de solvabilité des établissements de crédit (14) (le noyau de fonds propres "durs" est fixé à un minimum de 4 % des actifs pondérés et les fonds propres au sens large doivent en représenter au minimum 8 %) introduit une obligation qui limite les capacités de croissance des institutions de crédit. En réalité, une telle contrainte de capitalisation existe dans l'absolu à moyen et long termes pour toute forme d'entreprise mais, dans le secteur bancaire, elle s'exerce de façon permanente et immédiate, est directement quantifiable et ne peut en raison des contraintes prudentielles être temporairement relâchée dans le cadre d'une stratégie de croissance suivie par un établissement de crédit. Une institution de crédit ne satisfaisant que strictement à la contrainte de solvabilité ne dispose pas de marge de croissance, tant qu'elle n'est pas en mesure d'attirer de nouveaux capitaux propres ou de faire croître ses capitaux propres par un niveau de profit significatif. De sorte qu'une institution inefficace voit sa croissance très directement "bridée", alors qu'une banque réalisant des bénéfices importants dispose d'une marge de croissance en relation avec sa rentabilité.

(51) Il résulte de la contrainte de solvabilité qu'une estimation conventionnelle très indicative de la distorsion de concurrence est possible, dans le cas d'aides à des établissements de crédit. Si les aides ont pour effet direct ou indirect une augmentation des fonds propres, alors la distorsion de concurrence peut s'apprécier en termes d'actifs pondérés. Une aide au fonctionnement de 1 milliard de francs français, se traduisant par une augmentation des profits après impôts de 0,6 milliard de francs (15), en supposant que ces profits ne soient pas distribués mais affectés à l'augmentation de fonds propres de la banque, permet d'accroître les actifs pondérés dans son bilan (compte tenu de la contrainte de solvabilité réglementaire de 4 à 8 %), et donc son niveau d'activités. Cette opération se traduit par une distorsion de concurrence potentielle, mesurée en termes d'actifs pondérés, de l'ordre de 7,5 à 15 milliards de francs français (sans l'aide en question, la banque n'aurait pas pu augmenter ses actifs pondérés). Une telle relation démontre un effet de levier considérable des aides dans le secteur financier. Ces fonds propres peuvent également contribuer à ce que l'institution aidée prenne des participations minoritaires ou majoritaires au sein d'autres entreprises. Le président du Crédit agricole, interrogé par un organe de la presse financière (16), déclarait ainsi en février 1999 que, sur les fonds propres de 140 milliards de francs français dont dispose le Crédit agricole, un tiers était disponible pour des opérations nouvelles.

(52) Il convient donc de conclure que les aides octroyées au Crédit agricole par la France, compte tenu de leur caractère d'aides au fonctionnement, de la situation économique du secteur bancaire en Europe, de la faible rentabilité des banques françaises et des contraintes de solvabilité particulières au secteur bancaire, ont un effet distorsif indéniable sur la concurrence au sein du secteur financier.

V.2. Affectation des échanges entre les États membres

(53) La Commission a pris note des arguments des autorités françaises et du Crédit agricole contestant toute affectation des échanges communautaires au vu du présent régime. Les éléments suivants doivent être pris en considération.

(54) Premièrement, puisque la Commission examine les effets possibles de ces aides au niveau de l'ensemble du groupe Crédit agricole, il convient d'examiner les activités internationales, et particulièrement européennes, de celui-ci. Selon le rapport annuel du Crédit agricole pour 1997, la banque s'est dotée, en 1997, des moyens d'être une banque de premier rang pour les grandes clientèles et pour l'international. Ses opérations avec la clientèle dans les États membres (hors France) représentaient 37,9 milliards de francs français en 1997, soit un montant certes très minoritaire dans ses opérations de clientèle (environ 3 % de celles-ci) mais non négligeable vu la taille du groupe, qui était fin 1997 le plus important groupe bancaire français et l'un des principaux (17) en Europe. La banque souligne notamment qu'elle s'est dotée en 1997 avec la création d'une nouvelle filiale, Indocam, d'un outil dont l'ambition est d'entrer dans le peloton de tête des gestionnaires d'actifs européens. La banque poursuit une politique active de développement en Europe, et a pris une part active dans la création de la deuxième banque italienne, Banca Intesa - issue de la fusion de Banco Ambrosiano Veneto et de Cariplo -, dont le Crédit agricole détient 30 % et est le premier actionnaire. Il détient en outre 20 % du groupe Banco Espírito Santo au Portugal. Le Crédit agricole dispose d'implantations dans la Communauté à Lisbonne, Madrid, Bilbao, Gibraltar, Barcelone, Luxembourg, Londres, Hambourg, Francfort, Stockholm, Oslo, Helsinki et Le Pirée. Le groupe note, dans son rapport annuel pour 1997, qu'il "restera attentif aux opportunités qui pourront se présenter afin de renforcer sa position sur le marché européen de la banque de détail. Sa solidité lui donne les moyens d'un tel développement." Ces développements internationaux du Crédit agricole requièrent des mouvements de capitaux permettant par exemple la prise de participation au sein d'établissements tels que la Banca Intesa ou le Banco Espírito Santo et affectent donc les échanges entre États membres. En outre, la banque d'affaires du groupe, Crédit agricole-Indosuez, est l'une des principales banques d'affaires françaises et réalise une part importante de son activité à l'étranger.

(55) Deuxièmement, même en supposant que l'on restreigne l'examen de l'effet de ces mesures au niveau des entités régionales du groupe, comme le suggère le Crédit agricole dans ses observations, il convient de noter que l'activité internationale n'est pas l'apanage du seul CNCA au sein du groupe Crédit agricole. Contrairement en effet à ce qu'indique le Crédit agricole dans ses observations, le rapport annuel 1997 du Crédit agricole souligne que "l'activité internationale des caisses régionales frontalières s'est également développée au cours de l'année 1997". Le rapport annuel souligne notamment le développement de la caisse régionale de Pyrénées-Gascogne dans le Pays basque espagnol, à la suite duquel la Bankoa, désormais détenue majoritairement par le Crédit agricole, a été incluse dans le périmètre de consolidation du groupe en 1997. Il note "que cette initiative s'inscrit dans le cadre des développements transfrontaliers des caisses régionales, qui étendent leur activité de banque de détail, en accord avec la CNCA, dans les pays limitrophes". Ces développements concernent ainsi non seulement les activités de marché et de banque d'entreprises (corporate banking) du Crédit agricole, mais aussi ses activités de banque de détail dont font partie les dépôts des notaires.

(56) Il apparaît donc que le supplément de ressources, et de profits qu'elles génèrent, obtenu grâce aux dépôts des notaires, a pu contribuer directement au financement du développement du Crédit agricole au sein d'autres États membres.

(57) En outre, l'impact potentiel des droits accordés au Crédit agricole ne se limite pas à ces effets sur l'expansion du Crédit agricole hors de France, dans les autres États membres. Comme l'a souligné la Commission dans l'ouverture de la présente procédure, bien que, en principe, les établissements de crédit puissent exercer sans frontières leur métier principalement basé sur les activités de collecte de dépôts, d'emprunts sur le marché et d'octroi de prêts, ils trouvent des obstacles à leur expansion à l'étranger. Ces obstacles sont souvent liés à la protection des banques domestiques contre la concurrence, qui rend moins avantageuse l'entrée sur le marché domestique pour les concurrents étrangers. Tel est le cas s'agissant des aides en question au Crédit agricole qui sont susceptibles de rendre le marché domestique français moins ouvert à la concurrence étrangère, que ce soit au niveau national du CNCA ou au niveau régional des caisses. Elles ont pour effet de maintenir un fort compartimentement national de certaines activités de dépôt bancaire qui va à l'encontre de l'ouverture du marché voulue par le traité, et ce alors que les opérations transfrontalières vont se multiplier dans le secteur bancaire, ainsi que l'indique la Banque centrale européenne. Cet effet d'intégration accrue des systèmes bancaires nationaux reste toutefois dépendant, indique la Banque centrale européenne, de l'abolition de différences fiscales et réglementaires entre les États membres (18).

(58) Par conséquent, il faut considérer que les mesures en question tombent sous le coup de l'article 87, paragraphe 1, du traité, puisqu'elles constituent des aides d'État qui faussent la concurrence dans une mesure susceptible d'affecter les échanges intracommunautaires.

VI CONCLUSIONS

(59) Les droits de collecte à titre quasiment gratuit (19) et de conservation, à titre gratuit, accordés au Crédit agricole par l'État français, sont des mesures contenant des aides d'État relevant de l'article 87, paragraphe 1, du traité.

(60) Dans la mesure où, sur la base des informations nouvelles soumises à la Commission dans le cadre de la présente procédure, il apparaît à présent que les aides en question sont des aides préexistantes à l'entrée en vigueur du traité, il en résulte que:

- les aides en question sont légales et aucune récupération n'est exigible,

- la Commission devrait, comme pour toute aide d'État existante, examiner leur compatibilité avec le traité et, si cet examen démontre leur incompatibilité avec l'intérêt commun, le cas échéant examiner avec l'État membre les mesures utiles prévues à l'article 88, paragraphe 1, du traité dès lors qu'une aide est jugée incompatible avec le marché commun.

(61) Toutefois, dans un courrier du 28 avril 1999, les autorités françaises ont formellement informé la Commission de leur intention de mettre fin aux droits du Crédit agricole sur les dépôts des notaires et de centraliser les dépôts des notaires auprès de la Caisse des dépôts et consignations, cette dernière étant désormais chargée de la conservation de l'ensemble des dépôts des notaires. Le Trésor public sera chargé de la collecte de ces dépôts, dans les zones rurales et urbaines. Les autorités ont annoncé que cette mesure prendrait effet le 1er janvier 2000. Sa mise en œuvre s'opérerait progressivement sur l'ensemble du territoire pour s'achever le 1er avril 2000. Les autorités se sont engagées à prendre les mesures réglementaires nécessaires à la modification du régime du dépôt des notaires dans un délai rapproché après la présente décision.

(62) La Commission prend acte de cet engagement des autorités françaises. Elle considère ce délai comme raisonnable et, vu le caractère complet et définitif de la suppression des droits de collecte et de conservation du Crédit agricole sur les dépôts des notaires, peut conclure que cette nouvelle mesure mettra fin aux aides au Crédit agricole visées par la présente procédure ouverte au titre de l'article 88, paragraphe 2, du traité. Sur la base d'un tel engagement, il n'apparaît pas nécessaire d'examiner leur compatibilité avec le traité ni d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 1, du traité. La Commission peut, dès lors, clore la présente procédure,

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

1. Les mesures prises par la France en faveur du Crédit agricole au titre de la collecte et de la conservation des dépôts des notaires dans les communes rurales constituent des aides d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité.

2. Les mesures visées au paragraphe 1 sont des aides existantes, préalables à l'entrée en vigueur du traité. La France s'étant engagée à les supprimer au plus tard le 1er avril 2000, la présente procédure est clôturée.

Article 2

La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu'elle a prises en vue de la suppression, au plus tard le 1er avril 2000, des droits accordés au Crédit agricole sur la collecte et la conservation des dépôts des notaires.

Article 3

La République française est destinataire de la présente décision.

(1) JO C 144 du 9.5.1998, p. 6.

(2) Classement selon l'agence de notation Moody's, fin 1997.

(3) À l'exception des communes dont la population est comprise entre 5001 et 30000 habitants et des communes qui font partie d'agglomérations de plus de 50000 habitants, et des communes situées en zones de rénovation rurale et d'économie de montagne, à l'exclusion des agglomérations de plus de 50000 habitants.

(4) Cette commission est en fait un taux d'intérêt annuel de 1 %, qui s'applique pro rata temporis sur les encours de dépôts. Ainsi un encours moyen de 20 milliards de francs sur une année donne lieu à un versement de commissions aux notaires d'un total de 200 millions de francs.

(5) Voir note 1 de bas de page.

(6) Secret d'affaires.

(7) Secret d'affaires.

(8) Recueil 1984, p. 3809, point 11 des motifs.

(9) Recueil 1994, p. I-902, point 13 des motifs.

(10) Taux domestiques nominaux à trois mois. Source: EC economic data pocket book, n° 12-1998, Commission européenne, Office des publications officielles des Communautés européennes.

(11) Banque centrale européenne, Possible effects of EMU on the EU banking systems on the medium to long term, février 1999, d'après des données de l'OCDE.

(12) Même référence, p. 4.

(13) Banque centrale européenne, Bulletin mensuel, avril 1999, "Banking in the euro area: structural features and trends".

(14) JO L 336 du 3.12.1989, p. 14.

(15) En supposant, pour simplifier, une imposition sur les résultats de 40 %.

(16) Interview dans Les Échos du mercredi 10 février 1999.

(17) Selon un classement établi par l'agence de notation Moody's (cité par le quotidien Le Monde des 17 et 18 janvier 1999), le Crédit agricole était, fin 1997, le cinquième groupe bancaire européen en termes d'actifs.

(18) Voir les notes 9 à 11 de bas de page.

(19) Hormis la commission de 1 % versée aux notaires sur la collecte.