Livv
Décisions

Cass. crim., 7 octobre 1998, n° 97-84.270

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. le Foyer de Costil

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié

TGI Bayonne, ch. corr., du 16 janv. 1997

16 janvier 1997

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par T Jean-Pierre, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, du 18 juin 1997, qui, pour tromperie et publicité fausse ou de nature à induire en erreur, l'a condamné à 50 000 F d'amende, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 388, 512, 485 et 593 du Code de procédure pénale, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense ;

" en ce que la cour d'appel a déclaré Jean-Pierre T coupable de tromperie et de publicité de nature à induire en erreur et a dit que ces infractions avaient été commises de mai 1993 à février 1994 ;

" alors que les tribunaux correctionnels ne peuvent statuer légalement que sur les faits relevés par l'ordonnance ou la citation qui les a saisis ; que cette règle fait partie intégrante du principe du procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la juridiction correctionnelle était saisie par la citation de faits circonscrits au 15 février, 6 avril et 15 juin 1994 et que, dès lors, en se saisissant en dehors de toute comparution volontaire du demandeur, de faits ayant prétendument eu lieu entre mai 1993 et février 1994, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et a excédé ses pouvoirs " ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" aux motifs que l'indication " moules de bouchots " désigne - selon la décision n° 84 du 25 avril 1984, prise par le comité interprofessionnel de la conchyliculture : " les moules triées et lavées provenant de supports plantés de manière ordonnée sur des concessions considérées sur le domaine public maritime et, de ce fait, ayant vécu sans contact avec le sol, commercialisées à partir d'établissements agréés " ; qu'elles se distinguent ainsi, selon cette décision :

- " des moules de corde : " moules triées et lavées provenant de supports en suspension, sous des installations fixes ou flottantes, concédées sur le domaine public maritime et, de ce fait, ayant vécu sans contact avec le sol, commercialisées à partir d'établissements agréés " ;

- " des moules de parc : " moules provenant de concessions du domaine public maritime où elles sont élevées sur le sol, retrempées, triées et lavées avant expédition dans des établissements agréés " ;

- " des moules de pêche : " moules retrempées provenant de bancs naturels, ensuite retrempées, triées et lavées dans des établissements agréés " ;

" que ce même organisme a eu l'occasion de se prononcer, par avis donné à la DGCCRF, le 20 août 1990, sur le procédé d'élevage sur tables et a expressément exclu que les moules ainsi élevées, qu'elles soient élevées en poches ou non, puissent recevoir la désignation de moules de bouchot, qui s'avérerait contraire à l'esprit de la décision n° 84 et donc abusive ; que cet avis se trouve conforté par les indications données par IFREMER, le 4 octobre 1990, qui rappelle que l'esprit de la décision n° 84 du CIC vise les élevages pratiqués sur supports plantés (pieux) sur l'estran (zone découvrante assurant une succession d'immersions - émersions) et qui précise que les différences qualitatives entre produits élevés sur pieux et produits élevés sur tables peuvent résulter notamment des conditions de circulation de l'eau, de l'exploitation d'une colonne d'eau ou d'une seule tranche d'eau, des conditions encore de croissance différentes sur un bouchot ou dans une poche ; que ces indications suffisent à caractériser le fait que, pour ces deux organismes, le terme " moule de bouchot " ne pouvait en aucun cas s'appliquer à des moules de corde, des moules de parc au sol ou sur tables, ainsi encore qu'à des moules de pêche ; que la décision n° 4 du 22 avril 1994 précise, en ses deux premiers articles les points suivants :

- " article 1er : l'appellation " moules de bouchot " correspond à la définition suivante : moules élevées exclusivement sur des pieux verticaux plantés de manière ordonnée et découvrant tout ou partie dans la limite des plus basses mers sur des concessions autorisées à cet usage ; ce mode d'élevage doit se pratiquer pendant une période minimale de six mois consécutifs, immédiatement avant leur mise en consommation ;

- " article 2 : l'appellation " moules de corde " correspond à la définition suivante : moules élevées exclusivement sur des supports en suspension, sous des installations fixes ou flottantes, sur des concessions autorisées à cet usage ; ce mode d'élevage doit se pratiquer pendant une période minimale de six mois consécutifs, immédiatement avant leur mise en consommation " ;

" que, si cette dernière décision, rendue le 22 avril 1994, est postérieure aux faits considérés par la présente poursuite, elle confirme toutefois par elle-même, tout en les précisant, les notions antérieurement définies par la décision du 25 avril 1984, quant à la distinction entre les moules de bouchot et les moules de corde ; qu'elle confirme encore implicitement, par la description faite des modes d'élevages, les moules de bouchot et moules de corde des autres types de moules : moules de table, moules de parc au sol et moules de pêche ; que ces décisions et avis, que le CIC puis le CNC étaient tout à fait en droit de poser, n'ont pas reçu, du seul fait de leur formulation et en l'absence de toute décision des pouvoirs publics, de caractère obligatoire ; que, toutefois, prenant en considération les adaptations et interprétations des définitions rendues nécessaires par les expériences nouvelles menées en matière d'élevage, ces avis et décisions ne font que pérenniser les distinctions anciennes, notamment celle existant entre la moule de bouchot, élevée selon une méthode traditionnelle sur pieux ou support fixe vertical et tous autres types d'élevage ; que la définition de la moule de bouchot ainsi donnée par le CIC en 1984 et précisée en 1990, doit donc être retenue comme constituant un usage loyal et constant de la profession, très largement connu du public, et a fortiori de Jean-Pierre T, professionnel de la vente de coquillages ;

" alors que, comme le soutenait le demandeur dans ses conclusions délaissées de ce chef, le comité interprofessionnel de la conchyliculture n'a pas compétence pour définir les conditions d'utilisation d'une appellation en sorte que la définition étroite donnée par cet organisme d'une prétendue appellation " moules de bouchot " est dépourvue de toute valeur ;

" alors que la cour d'appel a expressément constaté que la définition donnée par le comité interprofessionnel de la conchyliculture des " moules de bouchot " n'avait aucun caractère obligatoire, en l'absence de toute décision des pouvoirs publics, en sorte que la notion d'appellation ne pouvait être retenue pour entrer en voie de condamnation des chefs de tromperie et de publicité de nature à induire en erreur à l'encontre du demandeur ;

" alors que la seule formulation pour l'avenir de règles de production et de commercialisation par un organisme interprofessionnel ne vaut pas constatation d'un usage constant et loyal dès lors qu'un tel usage ne peut résulter que d'une pratique professionnelle passée ayant un caractère de continuité certain ;

" alors que l'édiction de telles normes, de surcroît non obligatoire en l'absence de toute décision de pouvoirs publics, sont insusceptibles à elles seules de créer un usage constant et loyal ;

" alors que la notion d'usage constant et loyal implique nécessairement une ancienneté de plusieurs décennies et que dès lors la décision du comité interprofessionnel de la conchyliculture, en date du 25 avril 1984, était insusceptible, à elle seule, à créer un usage constant et loyal " ;

Les moyens étant réunis ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'à la suite des contrôles effectués, les 16 février, 6 avril et 15 juin 1994, par des agents de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes au sein de l'établissement d'expédition de coquillages de la société X, Jean-Pierre T, dirigeant de la société, est poursuivi pour avoir, à ces trois dates, effectué une publicité de nature à induire en erreur et trompé le consommateur en ayant commercialisé sous la dénomination " moules de bouchot " des moules ne pouvant bénéficier de cette appellation valorisante ;

Que, pour le déclarer coupable des infractions commises au cours des mois de mai 1993 à février 1994, période sur laquelle ont porté les contrôles, la cour d'appel, après avoir écarté l'exception de nullité de la citation prise de l'inexactitude de la date des faits poursuivis, relève que le prévenu a vendu près de 123 tonnes de moules sous la dénomination inexacte de moules de bouchot, alors qu'il s'agissait de moules de parc, de moules de corde et de moules de pêche, dont le prix et la qualité sont inférieurs ;

Que les juges retiennent que, si la dénomination moules de bouchot n'est régie par aucune réglementation, le comité interprofessionnel de la conchyliculture, dans sa délibération du 25 avril 1984, applicable au moment des faits, a énoncé que cette appellation désignait des moules exclusivement élevées sur des supports plantés de manière ordonnée ; que cette définition, connue du public, est confirmée par l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) ; qu'ayant valeur d'usage commercial, elle s'impose au professionnel de la vente de coquillage qui ne peut désigner comme moules de bouchot des moules élevées, en suspension, sur cordes ou sur tables ;

Attendu qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel, qui n'a pas excédé sa saisine, a fait l'exacte application de l'article 8 du décret du 7 décembre 1984, devenu l'article R. 112-14 du Code de la consommation, et a ainsi justifié sa décision ;

Qu'en effet, en matière de fraude commerciale portant sur la dénomination d'un produit non réglementée, il appartient aux juges du fond de se référer aux usages commerciaux en vigueur dont ils apprécient souverainement l'existence ; d'où il suit que les moyens ne sauraient être accueillis ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 213-1, L. 217-8 et L. 421-1 du Code de la consommation, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'action civile de la section régionale de conchyliculture Ré-Centre-Ouest et a condamné Jean-Pierre T à lui payer la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, outre 10 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

" alors que sauf dispositions légales contraires, l'action civile d'une association n'est recevable qu'autant que celle-ci a été personnellement lésée par l'infraction imputée au prévenu ; que l'action civile de la section régionale de conchyliculture Ré-Centre-Ouest qui n'est ni un syndicat, ni une union de syndicats entrant dans les prévisions de l'article L. 217-8 du Code de la consommation, ni une association agréée au sens de l'article L. 421-1 du même Code, ne pouvait être déclarée recevable du chef de tromperie, dès lors que la cour d'appel ne constatait pas qu'elle ait été en relations contractuelles avec l'auteur de l'infraction et en ait été victime ;

" alors qu'en vertu des mêmes principes et des mêmes textes, la section régionale de conchyliculture Ré-Centre-Ouest ne pouvait être déclarée recevable en sa constitution de partie civile à l'encontre de Jean-Pierre T du chef de publicité mensongère, dès lors que la cour d'appel ne constatait pas que ladite association ait été victime de la publicité incriminée " ;

Attendu que la section régionale de la conchyliculture Ré-Centre-Ouest, organisme interprofessionnel doté de la personnalité morale, institué par la loi du 19 décembre 1991, auquel adhèrent obligatoirement les membres des professions qui se livrent aux activités de production, de distribution et de transformation des produits de la conchyliculture, s'est constituée partie civile et a demandé un franc de dommages-intérêts en réparation du préjudice découlant des faits poursuivis ;

Que, pour faire droit à cette demande, les juges énoncent que les agissements du prévenu sont contraires à la mission confiée à cette organisation et nuisent à la promotion des produits conchylicoles de la région considérée ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors qu'aux termes de la loi précitée, les missions de la partie civile comprennent notamment la représentation et la promotion des intérêts généraux de ces activités ainsi que " l'association à la mise en œuvre des mesures d'ordre et de précaution destinées à harmoniser les intérêts de ces secteurs ", la cour d'appel a justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.