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Décisions

Cass. crim., 5 février 1997, n° 95-86.116

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blin (faisant fonctions)

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. le Foyer de Costil

Conseiller :

Mme Verdun

Avocats :

SCP Vier, Barthélemy

TGI Paris, 31e ch., du 26 mai 1995

26 mai 1995

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par B Jean-Marie, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 11e chambre, du 20 novembre 1995, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, exercice illégal de la pharmacie et complicité d'escroqueries, l'a condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 120 000 F d'amende ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-6, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale ; en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Marie B coupable du délit de publicité de nature à induire en erreur et l'a condamné pénalement ;

Aux motifs que la Cour fait siens les motifs pertinents par lesquels les premiers juges ont dit Jean-Marie B, animateur de l'association XE et de la société Y, coupable de ce délit ; qu'il sera simplement relevé que constitue une publicité de nature à induire en erreur la publicité d'un produit présenté comme "un don du ciel" aux propriétés quasi-miraculeuses pouvant contribuer au soulagement et "même à la guérison" de maladies aussi graves que le cancer et le sida alors qu'il possède de simples propriétés d'oxygénation ou de renforcement de défenses immunitaires et que, s'agissant des qualités spécifiques qui lui sont prêtées, son efficacité n'a pas été démontrée; que Jean-Marie B soutient, à l'appui de sa demande de relaxe, que l'infraction n'est pas constituée, compte tenu des conclusions de l'expertise qui font apparaître des résultats du G et du L sur l'animal et un manque de recul pour juger de l'effet de ces produits sur l'homme; que cet argument ne peut être retenu dans la mesure où la publicité effectuée en ce qui concerne les produits en cause, - présentés comme efficaces voire "quasi-miraculeux" dans la lutte contre les maladies très graves et accompagnées de l'indication de cas de guérison -, constitue une publicité de nature à induire en erreur, au regard, précisément, des résultats de l'expertise précitée; qu'elle ne saurait être tenue pour une simple publicité à caractère emphatique et, comme telle, insusceptible d'influer sur le consommateur, alors que celui-ci, dans le domaine de la santé, est particulièrement vulnérable ;

Alors, d'une part, que le juge correctionnel ne peut prononcer de peine à raison d'un fait qualifié de délit qu'après avoir caractérisé les circonstances de fait exigées par la loi pour que ce fait soit punissable; que la publicité de nature à induire en erreur n'est constituée que si le fait annoncé est contraire à la réalité; qu'en affirmant que la publicité du produit G effectuée par Jean-Marie B était de nature à induire en erreur sans établir qu'elle était fallacieuse ou contraire à la réalité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Alors, d'autre part, que le délit de publicité de nature à induire en erreur comporte un élément intentionnel, l'article 121-3 du Code pénal exigeant la constatation d'une imprudence, d'une négligence ou d'une mise en danger délibérée de la personne d'autrui pour tout délit intentionnel ou non; qu'en retenant la culpabilité de Jean-Marie B sans avoir constaté les faits propres à caractériser l'élément intentionnel, intention en l'absence de laquelle il ne pouvait y avoir délit de publicité de nature à induire en erreur, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

Alors, enfin, que Jean-Marie B avait fait valoir devant la Cour qu'il n'avait fait que reprendre dans la publicité les termes et affirmations employés par Serge J dans son titre "Le G, une réponse au cancer et au sida", qu'en ne répondant pas à ce moyen et en ne recherchant pas si le docteur J - dont la Cour avait constaté qu'il avait transmis à Jean-Marie B les informations sur le produit G - ne pouvait être considéré comme auteur et a fortiori coauteur du délit dont elle avait déclaré coupable Jean-Marie B, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Y importait d'une société portugaise cogérée par Serge J du G dont elle était le distributeur exclusif en France, sous la qualification de complément alimentaire; que cette société était gérée en fait par Jean-Marie B, se disant magnétiseur et docteur en naturopathie, lequel a, par ailleurs, créé une association "X" dont il est demeuré l'animateur; que cette association a fait insérer dans diverses revues, sous la rubrique "santé", une annonce intitulée "espoir pour les malades" proposant aux personnes souffrant d'affections graves une documentation sur demande; que le lecteur intéressé recevait une lettre de l'association vantant les propriétés du G accompagnée d'extraits d'un livre de Serge J, vendu par elle sous le titre "le G, une réponse au cancer et sida", et d'un bon de commande de l'ouvrage; que Jean-Marie B est poursuivi pour publicité de nature en erreur notamment sur les propriétés, les qualités substantielles et les résultats qui peuvent être attendus de traitements à base de G ;

Attendu que pour le déclarer coupable de ce délit, les juges énoncent que la lettre adressée par l'annonceur, en réponse à la demande d'information du lecteur, affirmait, exemples de guérison à l'appui, que le G, "véritable don du ciel", "aux propriétés quasi-miraculeuses" pouvait participer activement au soulagement et même à la guérison de maladies telles le cancer ou le sida et présentait l'achat du livre comme un "geste dont peut dépendre une santé ou même une vie" ;que les juges relèvent que le produit ne possède en réalité que de simples propriétés d'oxygénation et de renforcement des défenses immunitaires et que son efficacité quant aux qualités spécifiques qui lui sont prêtées n'est pas démontrée; qu'ils retiennent que la publicité ainsi effectuée par l'association est de nature à induire en erreur le consommateur, particulièrement vulnérable dans le domaine de la santé, et ne saurait être tenue pour une publicité à caractère emphatique ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui caractérisent les éléments tant matériels que moral du délit imputé au dirigeant de l'association pour le compte de laquelle la publicité a été diffusée, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ;d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 1er 2 de la directive 65165- CEE du conseil des communautés européennes, de l'article L. 511, L. 512 et L. 517 du Code de la santé publique, des articles 591 et 592 du Code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ; en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Jean-Marie B coupable du délit d'exercice illégal de la pharmacie et l'a condamné pénalement ;

Aux motifs qu'il résulte des dispositions des articles L. 512 et L. 511 du Code de la santé publique que sont réservées aux pharmaciens, sauf dérogation, la vente en gros, la vente au détail et toute dispensation au public des médicaments; qu'on entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l'homme ou à l'animal, en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques; qu'il est établi en la cause que Jean-Marie B, gérant de fait de la société Y, a commercialisé du G et du L, de février 1990 à juillet 1991, en qualifiant ces produits de compléments alimentaires, alors que dans des publicités diffusées par ses soins, il présentait ces mêmes substances comme ayant des vertus curatives à l'égard de maladies humaines, comme le cancer ou le sida ; que de tels produits entrent dans les prévisions des textes précités et qu'en conséquence, Jean-Marie B, n'étant pas titulaire du diplôme de pharmacien, doit être déclaré coupable du délit poursuivi, ainsi que l'a justement retenu le tribunal; qu'il n'importe, contrairement à ce qui est soutenu par la défense, que Jean- Marie B n'ait pas été personnellement au contact des particuliers, ou que les produits en cause aient été considérés comme des préparations alimentaires par les Douanes françaises, ces circonstances étant indifférentes au regard des dispositions des textes précités du Code de la santé publique ;

Alors, d'une part, que la vente du produit G pour ses qualités de complément alimentaire ne peut en aucun cas être considérée comme constituant la vente d'un médicament avec les conséquences qui s'y attachent sur le fondement du monopole des pharmaciens, si bien qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Alors, d'autre part, que la cour d'appel, qui a retenu l'absence de preuve de l'efficacité du G en l'état actuel des connaissances scientifiques, ne pouvait, sans se contredire, retenir la qualification de médicament ;

Alors, qu'en outre, il appartient aux juges du fond de procéder à une analyse concrète au sens de la jurisprudence communautaire, afin de vérifier si les produits visés dans la prévention d'atteinte au monopole pharmaceutique sont des médicaments, c'est-à-dire s'ils possèdent des propriétés curatives ou préventives ou s'ils peuvent être administrés en vue de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques et de rechercher les propriétés pharmacologiques de ces produits, en l'état actuel de la diffusion et la connaissance qu'en ont les consommateurs; qu'en retenant la culpabilité de Jean-Marie B au motif inopérant qu'il présentait les substances litigieuses comme ayant des vertus curatives à l'égard de maladies humaines pour en déduire que les produits en cause étaient des médicaments sans indiquer si les produits litigieux pouvaient restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques ni rechercher leurs propriétés pharmacologiques en l'état actuel de la connaissance scientifique, de leurs modalités d'emploi, de l'ampleur de leur diffusion et de la connaissance qu'en ont les consommateurs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Alors, enfin, que l'exercice illégal de la pharmacie prévu et réprimé par l'article 517 du Code de la santé publique est un délit intentionnel; qu'en retenant la culpabilité de Jean-Marie B sans avoir constaté les faits propres à caractériser légalement l'intention d'exercer illégalement la pharmacie, intention en l'absence de laquelle il ne pouvait avoir agi sciemment, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Attendu que, pour déclarer Jean-Marie B également coupable d'exercice illégal de la pharmacie, la cour d'appel retient que les produits, commercialisés par la société Y comme complément alimentaire, sont présentés dans la publicité qu'il diffuse, sous le couvert de l'association "X", comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte que le prévenu a agi en connaissance de cause, la cour d'appel, qui n'avait pas à tenir compte des propriétés effectives du produit, a fait l'exacte application de la définition du médicament par présentation contenue à l'article L. 511 du Code de la santé publique ;

Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 121-6 et 121-7, 313-1 et 313-7 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ; en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Marie B coupable de complicité d'escroquerie ;

Aux motifs que, cependant, sous la qualification initiale d'escroquerie, les poursuites ont entendu stigmatiser le comportement de Jean-Marie B qui avait pris part à l'entreprise frauduleuse montée par Serge J lequel, en se faisant passer pour médecin, avait réussi, sous le couvert de l'association X et de la société Y toutes deux animées par Jean-Marie B, à exploiter des victimes d'autant plus crédules que leur cas était désespéré, du point de vue médical; qu'il ressort encore du jugement que Serge J a utilisé la fausse qualité de docteur en médecine ou a abusé de sa qualité vraie de naturopathe ou de celle découlant de titres délivrés par des organismes de pays étrangers; que, par ces moyens, il a réussi à capter la confiance de ses interlocuteurs persuadés de ses compétences médicales, ce qui a conféré à des allégations une crédibilité certaine quant à l'efficacité de ses traitements au G; que ces éléments ont déterminé de très nombreuses personnes à acquérir le produit miraculeux à un coût prohibitif, et donc à lui remettre des fonds, ainsi que l'ont démontré les recherches effectuées en cours d'instruction; qu'il résulte aussi du dossier, et des déclarations de Jean-Marie B au cours de l'information, que celui-ci - qui savait que Serge J n'avait pas de titre pour exercer la médecine en France -, a admis avoir transmis le contenu de prescriptions que Serge J, de son domicile au Portugal, adressait par son intermédiaire en France à des clients suivis pour des maladies extrêmement graves comme le cancer (cf les cas de MM. ou Mmes C, S, G, B) ; que ces agissements constituent des faits de complicité par aide et assistance relatifs au délit d'escroquerie commis à titre principal par Serge J ;

Alors que la complicité par aide ou assistance n'est punissable qu'autant que le complice agit avec connaissance et conscience de l'aide apportée à une infraction; qu'en se bornant à énoncer que Jean-Marie B savait que Serge J n'avait pas de titre pour exercer la médecine en France et avait admis avoir transmis le contenu de prescriptions que Serge J, de son domicile au Portugal, adressait par son intermédiaire en France à des clients suivis pour maladie grave, sans constater que Jean-Marie B avait eu conscience du but assigné par Serge J aux manœuvres auxquelles celui-ci l'avait fait participer, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;

Attendu que Jean-Marie B ainsi que Serge J ont été poursuivis pour s'être, par la fausse qualité de "docteur" ou "professeur", fait remettre des fonds et avoir ainsi escroqué tout ou partie de la fortune de nombreuses victimes ;

Attendu que pour déclarer Jean-Marie B coupable, non comme auteur principal, mais comme complice des escroqueries commises par son coprévenu, les juges énoncent que Serge J, présenté dans son ouvrage comme un spécialiste mondial de la médecine biologique, a fait usage de la fausse qualité de docteur en médecine et abusé de sa qualité vraie de naturopathe pour capter la confiance de ses interlocuteurs, rendre crédibles ses affirmations sur l'efficacité du germanium et les déterminer à acquérir ce produit à un prix élevé; que les juges retiennent que Jean-Marie B, qui savait que Serge J ne possédait pas le titre nécessaire à l'exercice de la médecine en France, a transmis des prescriptions de celui-ci à des clients atteints de maladies graves ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs d'où il résulte que le prévenu a prêté, en connaissance de cause, son aide et assistance à la réalisation de l'escroquerie, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué ;

Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi.