CJCE, 5e ch., 22 mars 2001, n° C-17/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
République française
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. La Pergola
Avocat général :
M. Alber
Juges :
MM. Wathelet (rapporteur), Sevón, von Bahr, Timmermans
LA COUR (cinquième chambre):
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 janvier 1999, la République française a, en vertu de l'article 173, premier alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, premier alinéa, CE), demandé l'annulation de la décision 1999-378-CE de la Commission, du 4 novembre 1998, concernant l'aide de la France en faveur de Nouvelle filature lainière de Roubaix (JO 1999, L 145, p. 18, ci-après la "décision attaquée").
Le cadre juridique
2. À la date de l'adoption de la décision attaquée, la Commission appréciait les aides d'État au sauvetage et à la restructuration des entreprises en difficulté à la lumière des lignes directrices communautaires publiées au Journal officiel des Communautés européennes en 1994 (JO C 368, p. 12, ci-après les "lignes directrices").
3. Aux termes du point 3.2.1 des lignes directrices:
"Les aides à la restructuration posent des problèmes particuliers en matière de concurrence étant donné qu'elles peuvent aboutir à transférer une part inéquitable de la charge d'une adaptation structurelle et des problèmes sociaux et industriels qui en découlent à d'autres producteurs qui ne bénéficient pas d'une aide, ainsi qu'à d'autres États membres. Le principe général devrait donc être de n'autoriser une aide à la restructuration que dans les cas où l'on peut démontrer qu'il est dans l'intérêt de la Communauté qu'elle le soit. Cela ne sera possible que si elle satisfait à des critères stricts et que si l'on a pleinement tenu compte des distorsions éventuelles qu'elle pourrait entraîner."
4. Conformément au point 3.2.2 des lignes directrices, il faut, pour que la Commission puisse approuver une aide, que le plan de restructuration remplisse les conditions générales concernant notamment le retour à la viabilité à long terme de l'entreprise, la prévention des distorsions de concurrence indues et le caractère proportionné de l'aide aux coûts et aux avantages de la restructuration.
5. S'agissant tout d'abord du retour à la viabilité, le point 3.2.2, A, premier alinéa, des lignes directrices prévoit:
"La condition sine qua non de tous les plans de restructuration est qu'ils doivent permettre de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise, sur la base d'hypothèses réalistes en ce qui concerne ses conditions d'exploitation futures. [...]"
6. Ensuite, afin de prévenir des distorsions de concurrence indues, des mesures doivent être prises "pour atténuer autant que possible les conséquences défavorables pour les concurrents". En particulier, le point 3.2.2, B, deuxième alinéa, des lignes directrices précise:
"Lorsqu'une évaluation objective de la situation de l'offre et de la demande montre qu'il existe une surcapacité structurelle sur un marché en cause de la Communauté européenne sur lequel le bénéficiaire de l'aide poursuit des activités, le plan de restructuration doit contribuer, en proportion de l'aide reçue, à la restructuration du secteur desservant ce marché dans la Communauté européenne, par une réduction ou une fermeture irréversibles des capacités de production. [...]"
7. Enfin, pour ce qui est de la proportionnalité de l'aide aux coûts et aux avantages de la restructuration, le point 3.2.2, C, premier alinéa, des lignes directrices énonce:
"Le montant et l'intensité de l'aide doivent être limités au strict minimum nécessaire pour permettre la restructuration et doivent être en rapport avec les avantages escomptés du point de vue communautaire. Pour ces raisons, les bénéficiaires de l'aide doivent normalement contribuer de manière importante au plan de restructuration sur leurs propres ressources ou par un financement extérieur obtenu aux conditions du marché. Pour limiter les distorsions de concurrence, il convient d'éviter que l'aide ne soit accordée sous une forme qui amène l'entreprise à disposer de liquidités excédentaires qu'elle pourrait consacrer à des activités agressives susceptibles de provoquer des distorsions sur le marché et qui ne seraient pas liées au processus de restructuration. L'aide ne doit pas servir non plus à financer de nouveaux investissements qui ne sont pas nécessaires pour la restructuration. [...]"
Les faits du litige
8. Au cours des mois de mai et de septembre 1996, la Commission a été saisie de plusieurs plaintes à l'encontre d'aides octroyées ou potentiellement octroyées par le Gouvernement français en faveur de la société Nouvelle filature lainière de Roubaix dans le cadre du redressement judiciaire du groupe SA Filature lainière de Roubaix (ci-après les "aides litigieuses"). Ces plaintes mettaient en cause un moratoire de huit ans, accordé à celui-ci par le comité interministériel de restructuration industrielle, pour le paiement de sa dette sociale et fiscale, d'un montant de 82 000 000 FRF, ainsi qu'une demande d'intervention de la part dudit comité pour éviter le dépôt de bilan de cette société.
9. En réponse à une demande d'information de la Commission, les autorités françaises ont informé cette dernière, par lettres des 18 juin et 15 juillet 1996, que le groupe SA Filature lainière de Roubaix avait traversé, à partir du début des années 90, une période de graves difficultés d'exploitation ayant conduit à d'importantes tensions de trésorerie et à des retards de paiement de sa dette sociale et fiscale. Repris en 1993 par M. Verbeke, ce groupe a présenté un plan de restructuration prévoyant le paiement intégral du montant de ladite dette, sous réserve d'un étalement des remboursements sur une période de huit ans. Toutefois, de nouvelles difficultés économiques et financières sont survenues à partir de 1995. Incapables de faire face à leurs échéances, les dirigeants du groupe ont déposé une déclaration de cessation des paiements auprès du Tribunal de commerce de Roubaix (France) qui a ouvert la procédure de redressement judiciaire le 30 avril 1996.
10. Après avoir constaté que la situation économique et sociale dudit groupe ne rendait pas possible un plan de redressement et après avoir procédé à un appel d'offres en vue de la cession de celui-ci, le Tribunal de commerce de Roubaix a ordonné, par jugement du 17 septembre 1996, la cession du groupe à M. Chapurlat au prix de 4 278 866 FRF, le repreneur s'étant engagé à poursuivre les contrats de travail de 225 salariés sur les 587 qui constituaient l'effectif du personnel et à payer une somme de 50 000 FRF par emploi supprimé dans l'année suivant la date d'entrée en jouissance. En outre, ledit tribunal a autorisé le licenciement de 362 salariés et désigné un liquidateur en raison de la dissolution de plein droit du groupe SA Filature lainière de Roubaix découlant de son jugement.
11. En septembre 1996, les autorités françaises ont notifié à la Commission la mesure d'aide à la restructuration qu'elles envisageaient en faveur de la nouvelle société créée par M. Chapurlat, sous le nom de "Nouvelle filature lainière de Roubaix", dont le capital social s'élevait à la somme de 510 000 FRF. Cette mesure d'aide pour un montant total de 40 000 000 FRF se décomposait en un prêt participatif d'un montant de 18 000 000 FRF et en une subvention d'un montant de 22 000 000 FRF.
12. À la demande de la Commission, le Gouvernement français a par la suite fourni des informations complémentaires relatives à ladite mesure d'aide.
13. Par lettre du 18 août 1997, la Commission a notifié au Gouvernement français sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE). Cette décision comportait une description détaillée des faits ainsi qu'une appréciation provisoire de ceux-ci par la Commission au regard des lignes directrices. Cette dernière y faisait également état de l'insuffisance des informations fournies en vue d'une appréciation finale et, en particulier, d'une autorisation des aides litigieuses. Dans cette perspective, l'absence d'un plan de restructuration répondant aux exigences communautaires était explicitement soulignée par la Commission. En conclusion, celle-ci invitait formellement les autorités françaises à lui adresser "toute autre information qu'elles jugeraient utile pour l'appréciation de l'aide en cause".
14. La République française a formulé ses observations dans une lettre du 24 septembre 1997 et a fourni des informations complémentaires par lettres des 8 mai, 21 juillet, 16 et 30 octobre 1998, lesquelles font notamment ressortir que, en 1997, la société Nouvelle filature lainière de Roubaix a subi une perte d'exploitation de 897 497 FRF.
15. La procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité a été clôturée par l'adoption de la décision attaquée, dont le dispositif est libellé comme suit:
"Article premier
L'aide sous forme de prime d'investissement accordée par la France en faveur de Nouvelle filature lainière de Roubaix pour un montant de 7,77 millions de FRF peut être considérée comme compatible avec le marché commun sur la base de l'article 92, paragraphe 3, point c), du traité.
Article 2
L'aide sous forme de prime d'investissement accordée par la France en faveur de Nouvelle filature lainière de Roubaix pour un montant de 14,23 millions de FRF est incompatible avec le marché commun.
Article 3
1. Le prêt participatif de 18 millions de FRF constitue une aide dans la mesure où le taux appliqué à ce prêt par la France est inférieur au taux de référence de 8,28 % applicable au moment de l'octroi du prêt.
2. L'aide visée au paragraphe 1 accordée par la France en faveur de Nouvelle filature lainière de Roubaix est incompatible avec le marché commun.
Article 4
1. La France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire Nouvelle filature lainière de Roubaix l'aide visée à l'article 2 et déjà illégalement mise à sa disposition.
2. La récupération a lieu conformément aux procédures du droit national. Les sommes à récupérer produisent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire jusqu'à leur récupération effective. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l'équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale.
3. La France supprime sans retard l'aide visée à l'article 3 par l'application des conditions normales du marché correspondant au minimum au taux de référence de 8,28 % applicable au moment de l'octroi du prêt.
Article 5
La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s'y conformer.
Article 6
La République française est destinataire de la présente décision."
16. C'est dans ces conditions que la République française a introduit le présent recours contre la décision attaquée.
17. Lors de l'audience du 23 novembre 2000, l'agent représentant la République française a informé la Cour que, entre-temps, la société Nouvelle filature lainière de Roubaix a fait l'objet d'une liquidation judiciaire.
Sur le fond
18. À l'appui de son recours, le Gouvernement français soulève trois moyens tirés respectivement de la violation de l'obligation d'injonction préalable à l'adoption d'une décision en matière d'aides d'État, de la violation de l'obligation de motivation ainsi que de la violation de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE).
Sur la violation de l'obligation d'injonction préalable
19. Par son premier moyen, le Gouvernement français soutient qu'il a apporté à la Commission, tout au long de la procédure administrative, une coopération totale en répondant systématiquement et de manière détaillée à toutes les demandes d'information qui lui avaient été adressées et en se déclarant disposé à produire tout complément d'information souhaité par la Commission. Nonobstant une telle attitude des autorités françaises, la décision attaquée serait principalement fondée sur l'argument selon lequel ledit gouvernement n'aurait pas fourni de plan de restructuration à la Commission et, partant, cette dernière n'aurait pas disposé des informations suffisantes pour être en mesure d'apprécier en pleine connaissance de cause la viabilité à long terme de la société bénéficiaire des aides litigieuses. Pour le Gouvernement français, à supposer même que ce soit le cas, la Commission aurait dû non pas adopter une décision définitive, mais se contenter de prendre des mesures provisoires en prescrivant aux autorités françaises de lui fournir toutes les informations nécessaires à ladite appréciation.
20. En adoptant la décision attaquée, la Commission aurait méconnu la jurisprudence de la Cour (arrêts du 14 février 1990, France/Commission, dit "Boussac Saint Frères", C-301-87, Rec. p. I-307, et du 13 avril 1994, Allemagne et Pleuger Worthington/Commission, C-324-90 et C-342-90, Rec. p. I-1173) et se serait écartée d'une règle dont elle aurait pourtant admis qu'elle s'imposait à elle, en particulier dans sa publication "Droit de la concurrence dans les Communautés européennes", vol. II B, intitulé "Explication des règles applicables aux aides d'État: Situation en décembre 1996", ainsi que de sa propre pratique décisionnelle.
21. La Commission soutient tout d'abord que le premier moyen repose sur une prémisse erronée. En effet, la décision attaquée ne serait nullement fondée sur l'absence d'un plan de restructuration, la Commission n'ayant fait état de cette absence que dans un bref passage des motifs de cette décision. La Commission fait valoir que l'analyse contenue dans la partie IV, point 3, de ladite décision montre que celle-ci repose sur l'inexistence des conditions de fait permettant, au regard des lignes directrices, d'autoriser les aides litigieuses et non sur l'absence comme telle d'informations relatives à celles-ci.
22. Ensuite, la Commission soutient, à titre subsidiaire, que le premier moyen est fondé sur une interprétation juridiquement erronée des règles de la procédure applicables en matière de contrôle des aides d'État.
23. Il serait, en effet, de jurisprudence constante qu'il incombe à l'État membre qui sollicite l'autorisation d'octroyer des aides à une entreprise de fournir à la Commission tous les éléments nécessaires pour permettre à cette dernière de vérifier que les conditions d'octroi de telles aides sont remplies (arrêt du 28 avril 1993, Italie/Commission, C-364-90, Rec. p. I-2097, point 20). À cet égard, dans son arrêt Boussac Saint Frères, précité, la Cour aurait répondu à la thèse de la Commission selon laquelle, dès lors qu'une aide est illégale pour avoir été mise à exécution par un État membre en violation de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 3, du traité, la circonstance que cette aide serait compatible avec le marché commun en application de l'article 92, paragraphe 3, du même traité ne saurait faire disparaître son illégalité et, partant, la récupération d'une telle aide pourrait être ordonnée par la Commission. Selon cette dernière, c'est dans ce contexte que la Cour a rappelé que la Commission a le pouvoir d'adopter des mesures conservatoires visant à maintenir le statu quo lorsque des pratiques des États membres mettent en échec le régime institué par les articles 92 et 93 du traité. Lors de l'adoption de ce type de mesures, la Commission devrait cependant veiller à sauvegarder les intérêts légitimes des États membres. La Commission serait ainsi habilitée, sans y être tenue, à prescrire de telles mesures conservatoires. Dans le cas où l'État membre refuserait de fournir à la Commission les renseignements sollicités en vue de la décision qu'elle envisage d'adopter, la Commission aurait le pouvoir de mettre fin à la procédure et de prendre une décision définitive sur la base des éléments dont elle dispose.
24. Selon la Commission, l'arrêt Allemagne et Pleuger Worthington, précité, n'est pas davantage de nature à soutenir l'interprétation donnée par le Gouvernement français des règles régissant la procédure de contrôle des aides d'État dès lors que, d'une part, dans l'affaire ayant donné lieu audit arrêt, à la différence de la présente espèce, l'État membre concerné s'était refusé à toute collaboration avec la Commission et, d'autre part, ledit arrêt portait sur l'existence même d'un programme d'aides et non sur l'appréciation, par la Commission, de la compatibilité des aides avec le marché commun.
25. Enfin, la Commission soutient que la publication à laquelle se réfère le Gouvernement français ne constituerait pas une prise de position officielle, mais serait l'œuvre d'un avocat, laquelle ne lierait en rien la Commission. De même, la décision attaquée ne s'opposerait nullement à la pratique décisionnelle de la Commission en matière d'aides d'État, cette dernière n'ayant adressé des injonctions formelles qu'aux États membres qui refusaient de coopérer et de fournir les éléments matériels nécessaires lui permettant de se prononcer sur l'existence d'une aide.
26. À cet égard, il convient de constater que le premier moyen repose sur une lecture erronée de la décision attaquée.
27. En effet, s'il est vrai que celle-ci relève que le Gouvernement français n'a pas présenté de plan de restructuration, cette constatation s'inscrit dans de longs développements consacrés précisément à la compatibilité des aides litigieuses avec l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité. En ce sens, loin d'exprimer l'idée selon laquelle la Commission ne disposait pas des informations indispensables pour pouvoir procéder à une telle appréciation, elle souligne le fait que les conditions auxquelles une aide à la restructuration doit répondre pour être autorisée conformément aux lignes directrices, en particulier l'existence même d'un plan cohérent de restructuration au moment de l'octroi de l'aide, n'étaient pas remplies en l'espèce.
28. Dans ces conditions, il n'y avait pas lieu pour la Commission, qui était en mesure de porter une appréciation définitive en ce qui concerne la compatibilité des aides litigieuses avec le marché commun sur la base des informations dont elle disposait, de prescrire à la République française, par une décision provisoire, de lui fournir d'autres informations qui auraient pu établir l'existence d'un plan de restructuration suffisant à la date de l'octroi desdites aides.
29. Ainsi que le relève M. l'avocat général aux points 49 et 50 de ses conclusions, il en est d'autant plus ainsi que, dans sa décision d'ouverture de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, la Commission avait explicitement attiré l'attention des autorités françaises sur le fait que, à la lumière des informations pertinentes dont elle disposait, elle ne pouvait conclure qu'à l'inexistence d'un plan de restructuration crédible.
30. À cet égard, le Gouvernement français fait précisément valoir devant la Cour qu'il s'était efforcé, au cours de la procédure administrative, de coopérer pleinement avec la Commission et avait répondu de manière systématique et détaillée à toutes les demandes d'information qui lui étaient adressées par cette dernière. Toutefois, une telle argumentation corrobore le fait que la décision attaquée n'a pas été prise à la suite d'une information insuffisante de la Commission, que les autorités françaises auraient pu compléter si elles avaient été invitées à le faire par cette dernière, mais que cette décision a été adoptée en raison de la méconnaissance par lesdites autorités des conditions prévues par les lignes directrices en matière d'aides à la restructuration, une telle méconnaissance ressortant de l'ensemble des informations communiquées par le Gouvernement français au cours de la procédure administrative.
31. Le premier moyen doit donc être rejeté comme non fondé.
Sur la violation de l'obligation de motivation
32. Par son deuxième moyen, le Gouvernement français soutient que la Commission a violé l'obligation de motivation, telle qu'énoncée à l'article 190 du traité CE (devenu article 253 CE), en faisant grief à de nombreuses reprises aux autorités françaises de ne pas lui avoir fourni les informations nécessaires à l'appréciation de la compatibilité des aides litigieuses avec le marché commun. Ce faisant, la Commission chercherait "manifestement à justifier les multiples absences ou insuffisances de motivation" dont souffrirait la décision attaquée.
33. Selon le Gouvernement français, la décision attaquée serait également entachée de défauts de motivation sur des points spécifiques. Il en serait ainsi tout d'abord lorsque la Commission déduit des prix élevés pratiqués par la société bénéficiaire des aides litigieuses sur le marché du "Lycra laine" que cette dernière est parmi les moins compétitives du marché. Ensuite, la Commission n'aurait tenu aucun compte des éléments de nature à corroborer la viabilité à long terme de ladite société, lesquels ont été transmis dans la note du Gouvernement français du 30 octobre 1998. Enfin, la décision attaquée ne serait pas suffisamment précise et circonstanciée quant au critère de la prévention des distorsions de concurrence indues.
34. La Commission rétorque que la décision attaquée satisfait aux exigences en matière de motivation découlant de la jurisprudence constante de la Cour (voir, notamment, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I-1719, point 63).
35. À cet égard, il y a lieu de rappeler que l'obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l'acte litigieux. La motivation exigée par l'article 190 du traité doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d'exercer son contrôle (arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, points 67 et 63).
36. Ainsi que l'a rappelé à juste titre la Commission, cette exigence doit être appréciée en fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires ou d'autres personnes concernées directement et individuellement par l'acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n'est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d'un acte satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité, point 63).
37. En l'occurrence, il est constant que la décision attaquée énonce les motifs pour lesquels les aides litigieuses n'étaient pas justifiées au regard des lignes directrices, à savoir, en substance, le défaut d'un plan de restructuration suffisant, l'absence d'une démonstration satisfaisante quant à la viabilité à long terme de la société Nouvelle filature lainière de Roubaix, et la disproportion desdites aides au regard des contributions de ses bénéficiaires.
38. Il ne saurait être question d'examiner, au titre du contrôle du respect de l'obligation de motivation, la légalité au fond des motifs ainsi invoqués par la Commission pour justifier la décision attaquée. Cet examen relève, en réalité, du troisième moyen tiré de la violation de l'article 92 du traité.
39. Dans ces conditions, il y a lieu également de rejeter le deuxième moyen.
Sur la violation de l'article 92 du traité
40. Par son troisième moyen, le Gouvernement français soutient que la Commission a commis plusieurs erreurs manifestes d'appréciation en déclarant les aides litigieuses incompatibles avec le marché commun sur le fondement de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité; il en serait ainsi notamment dans les développements de la décision attaquée consacrés au retour à la viabilité à long terme de la société bénéficiaire desdites aides, à la proportionnalité de celles-ci aux coûts et aux avantages de la restructuration ainsi qu'aux prétendues distorsions de concurrence résultant de l'octroi de telles aides. Elle aurait également fait une application erronée des lignes directrices. Le Gouvernement français ajoute que la décision attaquée, d'une part, contient un certain nombre de contradictions internes qui vicient le raisonnement de l'institution et, d'autre part, est insuffisamment motivée.
41. Tout en réfutant les différents griefs soulevés par le Gouvernement français, la Commission fait valoir, à titre principal, que, pour être déclarées compatibles avec l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, les aides à des entreprises en difficulté doivent être liées à un plan de restructuration visant à réduire ou à réorienter leurs activités (voir arrêt de la Cour du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278-92 à C-280-92, Rec. p. I-4103, point 67; voir, également, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BFM et EFIM/Commission, T-126-96 et T-127-96, Rec. p. II-3437, point 99). Or, en l'occurrence, il a été constaté, dans la partie IV, point 3, quatrième alinéa, de la décision attaquée, que "le Gouvernement français n'a pas présenté à la Commission un plan de restructuration crédible" et que, "depuis l'ouverture de la procédure, un tel plan n'a pas été soumis à la Commission par les autorités françaises".
42. La Commission précise que, en promettant les aides litigieuses dans le cadre de la procédure qui devait aboutir au jugement du Tribunal de commerce de Roubaix, les autorités françaises n'avaient pas pris une décision qui s'inscrivait dans le contexte d'un plan de restructuration, comme le montrerait le fait que ces mêmes aides ont également été offertes ultérieurement à l'appui d'une proposition de restructuration concurrente, laquelle n'a pas non plus été considérée par le tribunal comme présentant des garanties suffisantes.
43. Selon la Commission, l'absence d'un plan de restructuration conforme aux exigences des lignes directrices est de nature à justifier, à elle seule, la décision attaquée.
44. Il convient de rappeler que, aux termes de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun "les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun".
45. Ainsi qu'il ressort des lignes directrices, pour être déclarées compatibles avec l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, les aides à des entreprises en difficulté doivent être liées à un plan de restructuration visant à réduire ou à réorienter leurs activités (voir arrêt Espagne/Commission, précité, point 67). Ce plan, qui doit être présenté à la Commission avec toutes les précisions nécessaires, doit permettre, aux termes du point 3.2.2, A, desdites lignes directrices, "de rétablir dans un délai raisonnable la viabilité à long terme de l'entreprise, sur la base d'hypothèses réalistes en ce qui concerne ses conditions d'exploitation futures", tout en limitant "autant que possible les conséquences défavorables pour les concurrents" (point 3.2.2, B) et en garantissant la proportionnalité des aides aux coûts et aux avantages de la restructuration (point 3.2.2, C). Il incombe à l'entreprise concernée de mettre en œuvre intégralement le plan de restructuration tel qu'il a été accepté par la Commission (point 3.2.2, D), cette mise en œuvre et le bon déroulement dudit plan intervenant sous le contrôle de cette dernière, à laquelle des rapports annuels détaillés devront être présentés (point 3.2.2, E).
46. À cet égard, il convient de constater que ni les pièces du dossier ni les explications fournies au cours de l'audience ne font apparaître de façon concluante que les autorités françaises auraient effectivement disposé, à la date de l'octroi des aides litigieuses, d'un plan de restructuration conforme aux exigences rappelées au point précédent du présent arrêt et susceptible d'être présenté à la Commission, ainsi que cette dernière avait invité lesdites autorités à le faire dans sa décision d'ouverture de la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité.
47. En particulier, ainsi que le relève M. l'avocat général aux points 57 et 58 de ses conclusions, il est constant que n'ont pas été mises à la disposition de la Commission des données précises et fiables relatives à l'évolution de la rentabilité à long terme de la société bénéficiaire des aides litigieuses sur la base d'un plan de restructuration qui permette d'apprécier le retour à la viabilité de celle-ci et la nécessité de telles aides. Au contraire, il ressort du dossier qu'un certain nombre de postes du projet de restructuration auquel se réfèrent les autorités françaises n'étaient pas chiffrés et que, en ce qui concerne certains autres, lesdites autorités ne précisaient pas clairement si la charge des coûts d'un tel projet devait être réellement supportée par ladite société. Quant à l'évolution des résultats de cette dernière, il n'était pas possible, sur la base des bilans prévisionnels fournis, d'apercevoir clairement la manière dont les chiffres qui y étaient mentionnés auraient pu être réalisés.
48. En tout état de cause, il résulte des considérations qui précèdent que la République française n'a pas établi que la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation à cet égard.
49. Dans ces conditions, la Commission était fondée, en l'absence d'un plan de restructuration crédible, à refuser l'autorisation des aides litigieuses en application des lignes directrices.
50. Il y a lieu, en conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs invoqués par le Gouvernement français au soutien du troisième moyen, de rejeter celui-ci.
51. Aucun des trois moyens invoqués par la République française n'étant fondé, il convient, en conséquence, de rejeter le présent recours.
Sur les dépens
52. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1°) Le recours est rejeté.
2°) La République française est condamnée aux dépens.