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Décisions

CJCE, 6e ch., 21 mars 2002, n° C-36/00

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Royaume d'Espagne

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Macken

Avocat général :

M. Geelhoed

Juges :

MM. Gulmann, Schintgen, Skouris, Cunha Rodrigues

CJCE n° C-36/00

21 mars 2002

LA COUR (sixième chambre):

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 février 2000, le Royaume d'Espagne a, en vertu de l'article 230, premier alinéa, CE, demandé l'annulation de la décision 2000-131-CE de la Commission, du 26 octobre 1999, concernant l'aide d'État octroyée par l'Espagne aux chantiers navals publics (JO 2000, L 37, p. 22, ci-après la "décision attaquée").

La réglementation applicable

2. La directive 90-684-CEE du Conseil, du 21 décembre 1990, concernant les aides à la construction navale (JO L 380, p. 27), dont l'application a été prolongée par le règlement (CEE) n° 3094-95 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif aux aides à la construction navale (JO L 332, p. 1), prévoit des règles spécifiques applicables aux aides à ce secteur, qui constituent une exception à l'interdiction générale énoncée à l'article 87, paragraphe 1, CE.

3. Par le règlement (CE) n° 1013-97 du Conseil, du 2 juin 1997, concernant les aides en faveur de certains chantiers navals en cours de reconstruction (JO L 148, p. 1), le Conseil a approuvé les aides à la restructuration des chantiers navals de différents États membres, dont les chantiers navals publics espagnols.

4. L'article 1er du règlement n° 1013-97 dispose:

"1. Nonobstant les dispositions du règlement (CE) n° 3094-95, dans le cas des chantiers en cours de restructuration visés aux paragraphes 2, 3 et 4 du présent article, la Commission peut déclarer que de nouvelles aides au fonctionnement sont compatibles avec le marché commun pour autant qu'elles respectent les objectifs spécifiques et les plafonds fixés.

[...]

4. Les aides à la restructuration envisagées en faveur des chantiers navals publics espagnols peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun, dans les limites d'un plafond de 135,028 milliards de pesetas espagnoles et sous les formes suivantes:

- paiements d'intérêts à concurrence de 62 028 millions de pesetas espagnoles correspondant à la période 1988-1994 sur les prêts contractés pour couvrir le non-versement des aides précédemment autorisées,

- crédits d'impôt pour la période 1995-1999, à concurrence de 58 000 millions de pesetas espagnoles,

- injection de capitaux en 1997, à concurrence de 15 000 millions de pesetas espagnoles.

Toutes les autres dispositions de la directive 90-684-CEE sont applicables à ces chantiers.

Le Gouvernement espagnol convient de procéder, selon un calendrier approuvé par la Commission et, en tout état de cause, avant le 31 décembre 1997, à une réduction réelle et irréversible de capacité de 30 000 tjbc."

5. Conformément au règlement n° 1013-97, la Commission a adopté, le 6 août 1997, une décision qui autorise, entre autres, des aides en faveur des chantiers navals publics espagnols (ci-après la "décision d'autorisation").

6. À la suite d'un échange de correspondance entre les autorités espagnoles et la Commission et l'ouverture par celle-ci de la procédure d'enquête prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE), la Commission a, le 26 octobre 1999, adopté la décision attaquée.

Le cadre factuel

7. Le cadre factuel, tel qu'il est exposé aux points 6 à 9 des motifs de la décision attaquée, est le suivant:

"(6) Par une décision datée d'août 1997 [aide d'État C 56-95 [JO 1997, C 354, p. 2]], la Commission a autorisé des aides à la restructuration en faveur des chantiers navals publics espagnols jusqu'à concurrence de 229,008 milliards de pesetas espagnoles (ESP). Le projet d'aide autorisé prévoyait des crédits d'impôt (spéciaux) plafonnés à 58 milliards d'ESP pour la période 1995-1999.

(7) Le projet prévoyait ces crédits d'impôt, car au moment de l'élaboration du plan de restructuration, les chantiers faisaient toujours partie du groupe INI (Instituto Nacional de Industria) et pouvaient réduire leurs pertes après impôt de 28 % par son intermédiaire, au titre des règles générales applicables en Espagne, en les compensant par les bénéfices réalisés ailleurs dans le groupe. Les projections financières sur lesquelles était fondé le plan de restructuration reposaient sur l'idée que les chantiers continueraient de bénéficier de ces crédits d'impôt, bien qu'ils fussent passés sous le contrôle du holding d'État déficitaire Agencia Industrial del Estado (AIE) depuis le 1er août 1995. Une loi a par conséquent été adoptée [loi 13-96 du 30 décembre 1996, BOE n° 315, du 31 décembre 1996, p. 38974] pour permettre aux entreprises dans cette situation de continuer, jusqu'au 31 décembre 1999, de recevoir de l'État un traitement fiscal équivalent à celui auquel elles auraient eu droit au titre du régime de consolidation fiscale. Sur la base des pertes prévues par le plan de restructuration, ces crédits d'impôt en faveur des chantiers navals publics devaient s'élever à 58 milliards d'ESP. [...]

(8) Le 1er septembre 1997, les chantiers sont passés sous le contrôle de Sociedad Estatal de Participaciones Industriales (SEPI) qui peut bénéficier, comme le groupe INI, des règles générales applicables en matière de consolidation fiscale pour compenser ses pertes par ses bénéfices.

(9) L'autorisation du projet d'aide avait été subordonnée à la condition que le montant total des aides, y compris les montants par catégorie d'aide, soit plafonné. [...] Selon les informations recueillies par la Commission dans le cadre du contrôle de la mise en œuvre du plan de restructuration, les chantiers ont bénéficié en 1998 d'un crédit d'impôt spécial de 18,451 milliards d'ESP, bien qu'ils aient également obtenu la même année un crédit d'impôt correspondant à leurs pertes de 1997, au titre des règles générales applicables en Espagne en matière de consolidation fiscale, à la suite de leur passage sous le contrôle de SEPI."

8. Dans ces circonstances, la Commission a émis des doutes quant à la conformité du crédit d'impôt spécial de 18,451 milliards d'ESP avec la décision d'autorisation et quant à sa compatibilité avec le marché commun.

La décision attaquée

9. Au point 57 des motifs de la décision attaquée, la Commission conclut que les chantiers publics espagnols ont bénéficié d'une aide octroyée sous la forme d'un crédit d'impôt spécial de 18,451 milliards d'ESP, qui n'était pas fondée en droit. Elle constate que, même si le montant total autorisé pour ce type d'aides n'a pas été dépassé, ledit montant ne constituait qu'un plafond. Dans la limite de ce plafond, les aides ne devaient, selon elle, correspondre qu'aux résultats nets avant impôts et reposaient sur l'hypothèse que les chantiers ne pouvaient pas bénéficier de crédits d'impôt au titre du régime général espagnol de consolidation fiscale (ci-après les "crédits d'impôt généraux"). Pour la Commission, il s'agissait d'une condition essentielle à l'autorisation de ces aides et donc à leur compatibilité avec le marché commun, conformément à l'article 87, paragraphe 3, sous e), CE.

10. Au point 58 des motifs de la décision attaquée, la Commission, considérant que, dans les circonstances de l'espèce, le crédit d'impôt spécial de 18,451 milliards d'ESP consenti en 1998 n'était plus compatible avec l'article 87, paragraphe 3, sous e), CE ni avec le marché commun au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, a décidé que cette somme, majorée des intérêts, devait être récupérée.

11. La décision attaquée a été notifiée au Royaume d'Espagne le 2 décembre 1999.

Le recours

12. Le Gouvernement espagnol, qui invoque quatre moyens à l'appui de son recours, demande qu'il plaise à la Cour annuler la décision attaquée et condamner la Commission aux dépens.

13. La Commission conclut au rejet du recours comme étant non fondé et à la condamnation du Royaume d'Espagne aux dépens.

Sur le premier moyen

Arguments des parties

14. Par son premier moyen, le Gouvernement espagnol soutient, tout d'abord, que la décision attaquée viole l'article 88, paragraphe 1, CE par inapplication de cette disposition. Selon ce gouvernement, dès lors que la Commission considérait que les aides visées par la décision attaquée étaient devenues incompatibles avec le marché commun, elle était obligée de les réviser, conformément à cette disposition, en tant qu'aides existantes et non, comme elle l'a fait, en tant qu'aides nouvelles.

15. Le Gouvernement espagnol fait ensuite valoir que la décision attaquée est fondée sur le prétendu non-respect par les autorités espagnoles d'une condition prévue par la décision d'autorisation, cette condition étant que les chantiers navals continuent de relever d'un régime fiscal ne leur permettant pas de bénéficier de crédits d'impôt généraux. Dès lors, au lieu d'attendre la fin des paiements, précédemment autorisés, avant d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, la Commission aurait dû informer les autorités nationales de ce soi-disant manquement. Faute d'avoir agi ainsi, elle aurait porté atteinte aux principes de sécurité juridique et de bonne administration.

16. Enfin, en considérant que, à partir du moment où les chantiers navals avaient de nouveau pu bénéficier de crédits d'impôt généraux, les aides préalablement autorisées sous la forme de crédits d'impôt spéciaux étaient devenues incompatibles avec le marché commun car elles n'étaient plus indispensables, la Commission aurait, sans aucun avertissement, introduit un nouveau critère d'incompatibilité des aides après l'approbation expresse de celles-ci. Ce faisant, elle aurait violé les principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, de coopération loyale et de bonne foi. De surcroît, quand bien même il serait nécessaire de justifier l'application d'aides déjà approuvées, en l'espèce, la complexité et l'insuffisance de motivation de la décision d'autorisation exigeaient, tout au moins, que la Commission en avertisse les autorités espagnoles.

17. La Commission conteste la prémisse sur laquelle le Gouvernement espagnol fonde son premier moyen. Les aides fiscales ne pourraient être considérées comme autorisées que si elles respectent toutes les conditions de la décision d'autorisation. Dans le cas où celles-ci n'ont pas été respectées, lesdites aides seraient automatiquement dépourvues de la protection qu'octroie cette décision et devraient donc être considérées comme des aides nouvelles. S'agissant d'aides nouvelles, la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, qui a été suivie en l'espèce, serait la procédure adéquate pour analyser la compatibilité desdites aides avec le marché commun.

18. La Commission considère que, dans les circonstances de l'espèce, elle n'était pas tenue d'indiquer les conséquences du passage des chantiers navals sous le contrôle de la SEPI lorsque celui-ci s'est produit. En effet, cette prise de contrôle n'aurait pas impliqué en soi une infraction aux dispositions de la décision d'autorisation. De plus, dès que la Commission a eu connaissance de l'infraction, elle a lancé l'enquête préliminaire qui a abouti à l'ouverture de la procédure visée à l'article 88, paragraphe 2, CE.

19. Selon la Commission, il appartenait au Gouvernement espagnol de l'informer de sa décision de continuer à accorder des crédits d'impôt spéciaux aux chantiers navals, en dépit de leur prise de contrôle par la SEPI. Faute de l'avoir fait, ce gouvernement ne saurait se prévaloir d'une confiance légitime.

Appréciation de la Cour

20. À titre liminaire, il convient de rappeler les règles pertinentes du système de contrôle des aides d'État institué par le traité.

21. Selon l'article 87, paragraphe 1, CE, sauf dérogations prévues par le traité, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions sont incompatibles avec le marché commun dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres.

22. L'article 88 CE prévoit une procédure spéciale organisant l'examen permanent et le contrôle des aides d'État par la Commission.

23. Les règles de procédure établies par le traité diffèrent selon que les aides en cause constituent des aides existantes ou des aides nouvelles. Tandis que les premières sont soumises à l'article 88, paragraphes 1 et 2, CE, les secondes sont régies par l'article 88, paragraphes 2 et 3, CE (arrêt du 30 juin 1992, Italie/Commission, C-47-91, Rec. p. I-4145, point 22).

24. Lorsque la Commission constate qu'une aide, dont il est soutenu qu'elle a été octroyée en application d'un régime d'aides préalablement autorisé, ne respecte pas les conditions prévues dans sa décision d'approbation du régime et n'est pas dès lors couverte par celle-ci, cette aide doit être considérée comme une aide nouvelle (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 1994, Italie/Commission, C-47-91, Rec. p. I-4635, points 24 à 26).

25. En effet, si, lors de l'octroi d'une aide en application d'un régime préalablement autorisé, l'État membre ne respecte pas les conditions auxquelles la Commission a soumis sa décision d'approbation dudit régime, l'aide versée étant une aide nouvelle, la Commission a l'obligation d'ouvrir la procédure spéciale prévue à l'article 88, paragraphe 2, premier alinéa, CE (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 1992, British Aerospace et Rover/Commission, C-294-90, Rec. p. I-493, point 13).

26. Il y a lieu d'examiner les faits de l'espèce à la lumière de ces constatations.

27. Il ressort de la décision d'autorisation que c'est au regard de la situation juridique et fiscale des chantiers navals publics espagnols, telle qu'elle se présentait à l'époque, que la Commission a autorisé des aides sous la forme de crédits d'impôt spéciaux, à concurrence de 58 milliards d'ESP. En effet, ces aides avaient pour objet de permettre auxdits chantiers navals, qui, lorsqu'ils faisaient partie du groupe INI, pouvaient réduire leurs pertes après impôts de 28 % en vertu des règles générales applicables en matière de consolidation fiscale (crédits d'impôt généraux), de continuer à bénéficier du même traitement, même après qu'ils eurent cessé de faire partie de l'INI.

28. Lorsqu'ils appartenaient à l'INI, les chantiers navals avaient la possibilité de compenser leurs pertes après impôts par les bénéfices réalisés ailleurs dans le groupe. Lorsque cette compensation des pertes ne fut plus possible, après l'absorption des chantiers navals par l'AIE, la loi 13-96 leur permit néanmoins de continuer à bénéficier d'un traitement fiscal équivalent à celui auquel ils avaient droit auparavant.

29. Or, il est constant que, à la suite de leur passage, le 1er septembre 1997, sous le contrôle de la SEPI, les chantiers navals ont pu de nouveau compenser leurs pertes après impôts par les bénéfices réalisés ailleurs au sein de ce groupe. Ils pouvaient donc bénéficier des crédits d'impôt généraux, comme lorsqu'ils faisaient partie de l'INI, tout en recevant des crédits d'impôt spéciaux à titre d'aides d'État autorisées par la décision d'autorisation.

30. Dans ces conditions, la Commission était en droit de considérer que les conditions permettant l'octroi des aides n'étaient plus remplies et que le versement en 1998 par le Gouvernement espagnol de la somme de 18,451 milliards d'ESP sous la forme de crédits d'impôt spéciaux n'était plus conforme à la décision d'autorisation.

31. Il en découle que les aides litigieuses ne sont pas couvertes par la décision d'autorisation.

32. Par conséquent, les aides octroyées en 1998 au titre de l'exercice 1997 sous la forme de crédits d'impôt spéciaux doivent être qualifiées d'aides nouvelles au sens de l'article 88, paragraphe 3, CE.

33. L'argument du Gouvernement espagnol, selon lequel la Commission aurait dû l'informer, antérieurement au paiement des aides en cause, que celles-ci étaient devenues incompatibles avec le marché commun à la suite d'une modification des circonstances, ne saurait être retenu.

34. En effet, la Commission n'était pas obligée de déduire du fait que les chantiers navals étaient, dans le courant de l'année 1997, passés de nouveau sous le contrôle d'un holding auquel le régime général de consolidation fiscale était applicable, que le Gouvernement espagnol continuerait à leur octroyer des crédits d'impôt spéciaux.

35. Enfin, l'allégation du Gouvernement espagnol, selon laquelle la Commission aurait, par la décision attaquée, édicté un nouveau critère de compatibilité avec le marché commun des aides visées par la décision d'autorisation, n'est pas fondée.

36. En effet, ainsi qu'il ressort des points 27 à 30 du présent arrêt, la Commission a fondé son appréciation de l'incompatibilité desdites aides sur le non-respect par les autorités espagnoles de la décision d'autorisation.

37. Dans ces conditions, les griefs du Gouvernement espagnol tirés de la violation des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de bonne administration publique, qui reposent sur cette allégation, doivent être écartés.

38. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen.

Sur le deuxième moyen

Arguments des parties

39. Par son deuxième moyen, le Gouvernement espagnol reproche à la Commission, à titre subsidiaire, une absence totale de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne l'existence d'une aide d'État nouvelle. La décision attaquée ne mentionnerait même pas l'existence de deux des quatre conditions prévues à l'article 87, paragraphe 1, CE, qui doivent être réunies pour que des mesures constituent une aide d'État, à savoir que ces mesures "affectent les échanges entre États membres" et qu'elles "faussent ou [...] menacent de fausser la concurrence".

40. Selon le Gouvernement espagnol, même dans les cas où il ressort des circonstances dans lesquelles l'aide a été accordée qu'elle est de nature à affecter le commerce entre États membres, la Commission n'est pas exempte de l'obligation d'évoquer ces circonstances.

41. Le Gouvernement espagnol affirme que, contrairement à ce que prétend la Commission, la décision attaquée ne renvoie pas aux décisions ou dispositions antérieures afin d'apprécier si la condition d'affectation des échanges est remplie.

42. La Commission souligne que, en l'espèce, la nature d'aides d'État des mesures de soutien aux chantiers navals était déjà établie et acceptée par toutes les parties, ainsi qu'il ressort de la décision d'autorisation. Dans la décision attaquée, la seule question en cause était donc la possibilité de déclarer les aides compatibles avec le marché commun. Dans ces circonstances, la Commission considère qu'elle n'était pas tenue d'entamer une discussion sur l'affectation des échanges entre États membres et la distorsion de la concurrence.

43. En tout état de cause, dans un secteur tel que celui en cause, qui serait caractérisé par une grave surcapacité structurelle et où la concurrence internationale serait indéniable, il serait évident que toute mesure d'aide implique des risques pour la concurrence et les échanges intracommunautaires.

44. La Commission ajoute que les aides litigieuses doivent être considérées comme n'ayant pas été notifiées, de sorte qu'elle n'est pas tenue de démontrer l'effet réel de celles-ci. Par ailleurs, la Commission estime que le renvoi exprès qui est fait dans la décision attaquée à la directive 90-684, au règlement n° 1013-97 et, surtout, à la décision d'autorisation suffit pour que la décision attaquée soit considérée comme suffisamment motivée quant aux éléments invoqués par la requérante.

Appréciation de la Cour

45. Il convient de rappeler que le règlement n° 1013-97, en application duquel la Commission a adopté la décision d'autorisation, a été arrêté sur la base, notamment, de l'article 92, paragraphe 3, sous e), du traité CE [devenu, après modification, article 87, paragraphe 3, sous e), CE].

46. En vertu de cette disposition, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les catégories d'aides déterminées par décision du Conseil.

47. Ainsi qu'il ressort des points 30 et 33 de l'arrêt du 18 mai 1993, Belgique/Commission (C-356-90 et C-180-91, Rec. p. I-2323), lorsque des aides sont visées par un régime dérogatoire adopté en vertu de ladite disposition, ces aides sont, par principe, au départ incompatibles avec le marché commun et ne sont considérées comme compatibles qu'à la condition qu'elles satisfassent aux critères de dérogation contenues dans la décision d'approbation dudit régime.

48. Dès lors, lorsque la Commission constate que des aides autorisées dans le cadre d'un régime dérogatoire adopté en vertu de l'article 87, paragraphe 3, sous e), CE ne relèvent plus de ce régime, elle n'est pas tenue de procéder à une nouvelle vérification de la compatibilité des aides par rapport aux critères visés à l'article 87, paragraphe 1, CE et d'examiner si elles affectent les échanges entre États membres et entraînent une distorsion de la concurrence.

49. Une telle exigence serait illogique compte tenu du contexte du marché et de l'impératif de gestion en cause, la nature d'aides d'État des mesures de soutien aux chantiers navals étant déjà établie et acceptée par toutes les parties.

50. Par ailleurs, s'agissant d'un régime dérogatoire, il est présupposé nécessairement que les aides visées sont au départ incompatibles avec le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Belgique/Commission, précité, point 33).

51. Il en ressort que la validité de la décision attaquée ne saurait être affectée par un prétendu défaut de motivation quant à l'existence d'une aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE.

52. Il s'ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur le troisième moyen

Arguments des parties

53. Par son troisième moyen, qui s'articule en trois branches, le Gouvernement espagnol soutient que, sur le fond, la décision attaquée viole l'article 87, paragraphes 1 et 3, sous e), CE, le règlement n° 1013-97 et le principe de protection de la confiance légitime.

54. Par la première branche de ce moyen, le Gouvernement espagnol fait valoir qu'il ressort du règlement n° 1013-97 et de la décision d'autorisation que la condition de l'autorisation des aides y visées est "une réduction réelle et irréversible de capacité de 30 000 tjbc". En estimant le contraire, la Commission aurait violé ce règlement ainsi que la confiance légitime née de la décision d'autorisation. En effet, si la décision d'autorisation entendait subordonner le versement d'une partie des aides au maintien d'une certaine situation de fait, la Commission aurait dû le mentionner, ce qu'elle n'aurait pas fait.

55. Le Gouvernement espagnol soutient également que le montant des réductions des pertes après impôts que les chantiers navals auraient obtenues en restant sous le régime de consolidation fiscale ne pouvait pas être prévu à l'avance, puisqu'il dépend de la base imposable de la société subissant des pertes. Si, comme la Commission le prétend, la décision d'autorisation avait autorisé l'octroi d'aides versées aux chantiers navals en compensation de ce qu'ils cessaient de percevoir au titre du régime de consolidation fiscale, elle aurait indiqué qu'il pourrait leur être remis chaque année, en tant qu'aide d'État autorisée, une somme à déterminer en vertu de la base imposable.

56. Par la deuxième branche du troisième moyen, le Gouvernement espagnol considère que l'interprétation que la Commission donne du caractère maximal des aides autorisées viole l'article 87, paragraphe 3, CE ainsi que les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, puisqu'elle reviendrait à nier le caractère définitif de la décision d'autorisation. Si l'interprétation avancée par la Commission était retenue, la décision d'autorisation ne serait qu'une sorte de déclaration d'intention provisoire qui obligerait les autorités espagnoles, lors de la réalisation du plan, à justifier de nouveau la nécessité d'accorder les aides approuvées.

57. Selon le Gouvernement espagnol, la Commission porterait également atteinte à l'article 1er du règlement n° 1013-97, qui dispose qu'elle "peut déclarer que de nouvelles aides au fonctionnement sont compatibles avec le marché commun pour autant qu'elles respectent les objectifs spécifiques et les plafonds fixés". La décision d'autorisation aurait autorisé les aides visées dans leur totalité, ce qui justifierait qu'elles soient toutes déclarées compatibles avec le marché commun en vertu d'une décision définitive de la Commission.

58. Enfin, par la dernière branche du troisième moyen, le Gouvernement espagnol soutient que, en ajoutant aux aides autorisées les montants versés au titre d'un régime général, qui ne constituent pas des aides, la Commission viole l'article 87, paragraphe 1, CE. En effet, il serait contradictoire d'affirmer, comme le ferait la Commission, que le cumul des aides autorisées, à savoir les crédits d'impôt spéciaux versés aux chantiers navals au titre de la loi 13-96, et des mesures générales, à savoir les crédits d'impôt généraux auxquels ils ont droit au titre des règles générales applicables en Espagne en matière de consolidation fiscale, a pour résultat que les chantiers navals reçoivent des aides d'État illégales.

59. La Commission réplique que le troisième moyen du Gouvernement espagnol méconnaît la décision d'autorisation dans la mesure où il prétend que celle-ci n'impose aucune autre condition à l'autorisation des crédits d'impôt spéciaux que le respect du plafond de 58 milliards d'ESP et de l'engagement de procéder aux réductions de capacité convenues. Or, l'autorisation aurait également été justifiée par le fait que les chantiers navals ne pouvaient, à la suite de leur passage sous le contrôle de l'AIE, continuer à bénéficier des crédits d'impôt généraux auxquels ils avaient droit lorsqu'ils appartenaient à l'INI. Cette justification ayant disparu, l'autorisation aurait également disparu. Selon la Commission, le troisième moyen doit donc être écarté d'emblée.

Appréciation de la Cour

60. Il convient d'examiner, à titre liminaire, l'affirmation du Gouvernement espagnol selon laquelle les aides fiscales étaient autorisées en contrepartie d'une réduction de capacité des chantiers navals, en sorte que ces aides étaient légales dès lors qu'elles respectaient les plafonds d'aide prévus par le règlement n° 1013-97.

61. À cet égard, ainsi qu'il ressort des points 27 et 28 du présent arrêt, l'autorisation par la Commission d'aides sous la forme de crédits d'impôt spéciaux à concurrence de 58 milliards d'ESP était fondée sur l'impossibilité pour les chantiers navals de continuer à bénéficier d'un traitement fiscal avantageux à la suite de leur passage de l'INI à l'AIE.

62. En effet, le fait que la Commission était tenue, lorsqu'elle a adopté la décision d'autorisation, d'assurer que les montants d'aides autorisées ne dépasseraient pas les plafonds prévus par le règlement n° 1013-97, ne limite pas les conditions à respecter lors de l'octroi d'une aide aux chantiers navals espagnols du montant maximal d'une telle aide.

63. Il s'ensuit que le troisième moyen du Gouvernement espagnol est fondé sur une prémisse erronée.

64. S'agissant de la première branche de ce moyen, il convient de constater que c'est à bon droit que la décision d'autorisation a subordonné l'octroi des aides concernées à l'impossibilité pour les chantiers navals d'obtenir les avantages fiscaux dont ils bénéficiaient avant le 1er août 1995.

65. Il s'ensuit que la première branche n'est pas fondée.

66. En ce qui concerne la deuxième branche, selon laquelle la décision attaquée nierait le caractère définitif de la décision d'autorisation, il y a lieu de relever que, dans cette décision, la Commission a constaté l'existence d'aides nouvelles dans la mesure où les aides sous la forme de crédits d'impôt spéciaux n'avaient été autorisées qu'afin de compenser l'exclusion des chantiers navals du bénéfice des crédits d'impôt généraux.

67. La Commission ne met pas ainsi en cause la nature définitive de la décision d'autorisation, mais se borne à assurer le respect des conditions prévues par celle-ci.

68. Il en résulte que la deuxième branche doit être rejetée.

69. Enfin, pour ce qui est de la troisième branche, tirée du prétendu cumul par la Commission des aides autorisées et des mesures générales pour fonder sa constatation du caractère illégal des aides en cause, elle méconnaît la décision attaquée. En effet, dans cette décision, l'analyse de ces aides ne repose pas sur leur cumul avec les crédits d'impôt généraux, mais uniquement sur le non-respect par les autorités espagnoles de la condition édictée dans la décision d'autorisation lors de l'octroi desdites aides sous la forme de crédits d'impôt spéciaux.

70. Le troisième moyen doit, dès lors, être rejeté.

Sur le quatrième moyen

Arguments des parties

71. Par son quatrième moyen, le Gouvernement espagnol fait valoir, à titre subsidiaire, que, même à supposer que les chantiers navals ne puissent pas cumuler les aides octroyées sous la forme de crédits d'impôt spéciaux et les crédits d'impôt généraux, les 58 milliards d'ESP d'aide versés n'en seraient pas moins justifiés au regard des pertes réelles de ces chantiers durant la période pendant laquelle ils étaient sous le contrôle de l'AIE. Dès lors, en adoptant la décision attaquée, la Commission aurait commis une erreur manifeste d'appréciation et violé le principe de protection de la confiance légitime.

72. En effet, selon ce gouvernement, si les crédits d'impôt généraux perçus par les chantiers navals correspondaient à 28 % de la base imposable négative de chaque exercice, le calcul des aides autorisées sous la forme de crédits d'impôt spéciaux ne s'est en revanche pas fait par référence aux 28 % de la base imposable négative prévisible pour les exercices 1995 à 1998. Puisque les aides ont été calculées sur la base des résultats nets avant impôts, et non sur la base imposable, le calcul se serait toujours fait en fonction du critère des pertes avant impôts, ou pertes réelles. Dans ce cas, l'ensemble des aides versées, soit les 58 milliards d'ESP, serait couvert par la décision d'autorisation, car les pertes auraient été plus importantes que prévu.

73. La Commission considère que le quatrième moyen du Gouvernement espagnol repose, à l'instar du troisième moyen, sur une analyse erronée. Pour calculer le montant des aides déclarées incompatibles par la décision attaquée, la Commission s'est fondée sur les aides autorisées, puisque celles-ci se sont trouvées privées de justification et, dès lors, d'autorisation. Or, les aides autorisées ne représentaient pas, contrairement à ce qu'affirme la requérante, 28 % des pertes prévues durant la période considérée, mais des aides destinées à compenser l'impossibilité de continuer à bénéficier des crédits d'impôt généraux découlant de l'appartenance des chantiers navals à un holding globalement bénéficiaire.

Appréciation de la Cour

74. À cet égard, ainsi qu'il ressort des points 27 et 28 du présent arrêt, l'octroi des aides fiscales par les autorités espagnoles, en vertu de la loi 13-96, qui a été autorisé par la décision d'autorisation, se justifiait par la perte de la possibilité pour les chantiers navals de compenser leurs pertes après impôts par les bénéfices réalisés ailleurs au sein du groupe auquel ils appartenaient alors.

75. Lorsque la Commission a calculé le montant des aides, octroyées sous la forme de crédits d'impôt spéciaux versés aux chantiers navals au titre de la loi 13-96, qu'elle jugeait incompatibles avec le marché commun, elle s'est conformée aux dispositions de cette même loi qui prévoit le calcul du montant de tels crédits d'impôt sur le fondement de la base imposable.

76. Or, contrairement à ce que le Gouvernement espagnol prétend, lorsque l'octroi de ces crédits d'impôt spéciaux a cessé d'être justifié, à la suite de la prise de contrôle par la SEPI, le 1er septembre 1997, des chantiers navals - donnant de nouveau à ces derniers la possibilité de compenser leurs pertes après impôts par les bénéfices réalisés ailleurs au sein de ce groupe -, les aides illégales ainsi octroyées devaient être calculées en tenant compte de la législation en vertu de laquelle les crédits d'impôt généraux sont octroyés.

77. Il s'ensuit que les critiques émises par le Gouvernement espagnol concernant le calcul du montant des aides illégales ne sont pas fondées et que la Commission, en adoptant la décision attaquée, ne saurait se voir reprocher ni une violation du principe de protection de la confiance légitime ni une erreur manifeste d'appréciation.

78. Le quatrième moyen doit donc être rejeté.

79. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, le recours doit être rejeté dans sa totalité.

Sur les dépens

80. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d'Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

déclare et arrête:

1°) Le recours est rejeté.

2°) Le Royaume d'Espagne est condamné aux dépens.