Cass. crim., 25 juin 1997, n° 96-83.761
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Blin (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Amiel
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Mes Choucroy, Roger
Rejet du pourvoi formé par D Guy, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, du 10 janvier 1996, qui, pour exercice illégal de l'art dentaire et publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 F d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
LA COUR : - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 356, L. 360, L. 373, L. 375 et L. 376 du Code de la santé publique, 111-4 du Code pénal, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'exercice illégal de l'art dentaire ;
" aux motifs que le demandeur n'est qu'un prothésiste dentaire et qu'il ne possède pas de diplôme de chirurgien dentiste ; qu'il a accepté la gérance d'un laboratoire dont l'objet déclaré était la fabrication, la réparation et la modification de prothèses dentaires ; que cette activité est licite tant qu'elle est réalisée sur instructions de praticien diplômé ; que l'article 15 de la Convention collective nationale des prothésistes dentaires et laboratoires de prothèses dentaires, cabinet d'odontologie, définit en effet la profession de technicien de laboratoire dentaire comme celle qui consiste " sur les indications et les empreintes fournies par le praticien, qui reste seul responsable de tous les stades de la conception du traitement prothétique, à confectionner, à réparer ou à modifier tous les appareillages destinés à la restauration et au rétablissement fonctionnel et esthétique du système manducateur" ; "qu'il ressort que le rôle du prothésiste dentaire consiste à réaliser la partie mécanique des travaux en laboratoire, suite aux prescriptions des praticiens compétents ; que le prévenu a refusé de façon constante de préciser le nom des praticiens avec lesquels il travaillait ; que l'information judiciaire a également permis d'établir qu'avant les faits incriminés et après les faits incriminés, dans son cabinet d'Annemasse, Guy D a posé des appareils dentaires sur des clients, en les réparant sans intervention d'un professionnel, a fortiori en prenant des empreintes ou en procédant à l'adaptation de ces appareils comme l'ont déclaré Mme Blanc, M. Mordanisi et Mme Parat ; qu'en juin 1990, le cabinet "E" à Saint-Julien-en-Genevois a disparu ; "que Guy D a, d'ailleurs, fait disparaître le nom de ses clients, remettant un carnet de rendez-vous déchiré aux enquêteurs prétendant que sa fille en avait déchiré les pages ; que l'exercice illégal de l'art dentaire commis à Annemasse apparaît comme confortant la preuve de l'exercice illégal commis par Guy D à Saint-Julien-en-Genevois ; "qu'en effet l'établissement d'un devis rend nécessaire l'établissement d'un diagnostic ; que l'adaptation ou la réparation d'un appareil dentaire implique nécessairement des vérifications qui relèvent incontestablement de l'art dentaire ; "que le prévenu doit donc être déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés, en limitant l'exercice illégal de l'art dentaire à Saint-Julien-en-Genevois à la période du 16 novembre 1988 à juin 1990, et ce par confirmation du jugement déféré ;
" alors, d'une part, que les juges ne peuvent légalement statuer que sur les faits dont ils sont régulièrement saisis ; qu'ainsi la juridiction correctionnelle, saisie par la citation de l'infraction d'exercice illégal de l'art dentaire pour des faits qui se sont déroulés à Saint-Julien-en- Genevois, entre le 9 mai 1986 et le 9 mai 1989, excède ses pouvoirs en invoquant des faits qui se sont déroulés à Annemasse, avant et après les faits incriminés, puis limite à la période du 16 novembre 1988 à juin 1990 les faits incriminés, en dehors des dates visées à la prévention ;
"alors, d'autre part, que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui se borne à reproduire textuellement les motifs du jugement et se fonde, pour entrer en voie de condamnation, sur la Convention collective nationale des prothésistes dentaires et laboratoires de prothèses dentaires, en dehors de toute référence à l'article L. 373 du Code de la santé publique, a violé l'article 111-4 du Code pénal ;
" alors, enfin, que seules les opérations de prise d'empreinte, d'adaptation et de pose d'appareil de prothèse dentaire relèvent de l'exercice de l'art dentaire au sens de l'article L. 373 du Code de la santé publique ; qu'en l'espèce la cour d'appel, qui se borne, à propos du délit de publicité mensongère, à constater que le demandeur a établi des devis, reçu des clients et procédé à des réparations d'appareils, n'a pas mentionné d'actes relevant de l'art dentaire au sens de la loi et, par suite, violé par fausse interprétation, le texte incriminé " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Guy D, prothésiste dentaire qui n'est pas titulaire du diplôme de chirurgien-dentiste, est poursuivi pour avoir exercé illégalement l'art dentaire, infraction prévue et réprimée par les articles L. 373 et L. 376 du Code de la santé publique ; que, pour le déclarer coupable de ce délit, la cour d'appel retient que le prévenu, cogérant de la société "E" exploitant à Saint-Julien-en-Genevois un laboratoire de prothèses dentaires, a, sans l'intervention de dentiste, effectué pour des clients reçus à son cabinet des réparations de prothèses et établi des devis ; que les juges énoncent que l'établissement d'un devis rend nécessaire la pose d'un diagnostic et que l'adaptation ou la réparation d'un appareil dentaire implique des vérifications qui relèvent de l'art dentaire ; qu'en l'état de ces seuls motifs la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir aucun des griefs allégués ; qu'en effet constituent des actes prothétiques relevant de l'art dentaire, visés à l'article L. 373, 1° du Code de la santé publique, les opérations de prise d'empreintes, d'adaptation et de pose d'un appareil dentaire, sans qu'il y ait lieu de distinguer si ces interventions ont pour objet d'installer un premier appareil ou d'ajuster ou remplacer une prothèse existante ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121- 6, alinéa 1, du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de publicité mensongère ;
" aux motifs que les publicités incriminées parues du 28 février 1989 au 6 mars 1989 dans le "74", journal local gratuit de grande distribution et non spécialisé n'étaient pas adressées aux chirurgiens-dentistes mais aux particuliers, clients locaux potentiels dans ces termes : "Vous avez des problèmes avec vos appareils dentaires" : "qu'elles mentionnaient : "E", Laboratoire de prothésistes libéraux, diplômé du collège Mont-Petit Montréal (Canada), devis gratuit, entretien, conseil, exemples : prothèse haut : 3 200 F ; stellite : 4 400 F ; réparation : 250 F en accord avec l'article L. 373 du Code de la santé publique, tél. : <n° de téléphone>" ; "que l'article L. 373 du Code de la santé publique énonce : "la pratique de l'art dentaire comporte le diagnostic et le traitement des maladies de la bouche, des dents et des maxillaires, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, dans les conditions prévues par le Code de la déontologie des chirurgiens-dentistes ; qu'exerce illégalement l'art dentaire : toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un praticien, à la pratique de l'art dentaire, par consultation, acte personnel ou tous autres procédés, quels qu'ils soient, notamment prothétiques" ; "que la publicité litigieuse qui comprend le prix des services offerts laisse entendre que les prothésistes mentionnés sont habilités ou font sous le contrôle de personnes habilitées des diagnostics nécessaires à l'établissement de devis de prothèses dentaires, ainsi que tous les actes nécessaires à la confection de ces prothèses qui sont inclus dans le forfait mentionné ; "que Guy D ne justifie pas la réalité de cette affirmation ; "qu'il ressort au contraire des éléments du dossier que Guy D revendique le droit de recevoir de la clientèle à son cabinet et de procéder à des actes tels des devis ou des réparations de prothèses, sans l'intervention d'un dentiste ; que cette appréciation est contraire à l'appréciation jurisprudentielle de l'article 373 du Code de la santé publique ; que selon la jurisprudence : " constituent des actes prothétiques relevant de l'art dentaire, visés à l'article L. 373-1 du Code de la santé publique, les opérations de prise d'empreinte, d'adaptation et de pose d'un appareil dentaire, sans qu'il y ait lieu de distinguer si ces interventions ont pour objet d'installer un premier appareil ou d'ajuster ou de remplacer une prothèse" ; "que, d'ailleurs, la convention collective applicable dans les laboratoires de prothèses dentaires, rappelle que les prothésistes agissent sous la responsabilité directe des praticiens, quelle que soit la forme juridique du rattachement de ces laboratoires au cabinet d'odontologie ; "que le prévenu, qui ne justifie pas de ce qu'il travaillait sous la responsabilité et avec le concours d'un dentiste et qui n'ignorait pas les divergences entre son interprétation de l'article "L. 373 du Code de la santé publique" et celle de la jurisprudence dominante, s'est donc rendu coupable du délit de publicité mensongère ;
" alors que le juge correctionnel ne peut prononcer une peine à raison d'un fait pénalement réprimé que s'il constate dans sa décision l'existence de tous les éléments constitutifs de l'infraction ; que le délit de publicité mensongère suppose que le message incriminé puisse induire en erreur un consommateur moyen et porte sur l'un des éléments cités par la loi ; que l'élément intentionnel doit être établi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui se borne à constater que le demandeur ne justifie pas qu'il travaillait sous la responsabilité et avec le concours d'un dentiste et qui n'ignorait pas les divergences entre son interprétation de l'article L. 373 du Code de la santé publique et celle de la jurisprudence dominante, n'a pas caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction incriminée et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles visés au moyen " ;
Attendu que le prévenu est encore poursuivi pour avoir effectué une publicité comportant des allégations de nature à induire en erreur la clientèle sur les qualités ou aptitudes du prestataire de service ; que, pour le déclarer coupable de ce délit, l'arrêt attaqué relève que Guy D a fait insérer, dans un journal local gratuit largement diffusé auprès du public, un encart publicitaire intitulé "Vous avez des problèmes avec vos appareils dentaires ?", proposant un devis gratuit et un "entretien conseil " et comportant des exemples de prix, suivis de la mention "en accord avec l'article L. 373 du Code de la santé publique" ;
Que les juges retiennent que cette publicité laisse entendre que l'annonceur est habilité à poser un diagnostic indispensable à l'établissement d'un devis, ainsi qu'à accomplir toutes les opérations nécessaires à la réalisation de prothèses dentaires, incluses dans le prix indiqué, alors qu'il ne remplissait pas les conditions exigées pour l'exercice d'actes prothétiques relevant de la pratique de l'art dentaire ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, qui caractérisent en tous ses éléments, tant matériels que moral, la publicité trompeuse, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ; que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.