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Décisions

Conseil Conc., 18 août 2003, n° 03-D-42

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre par Suzuki et autres sur le marché de la distribution des motocycles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Aloy, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, MM. Flichy, Gauron, Robin, membres.

Conseil Conc. n° 03-D-42

18 août 2003

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu la lettre enregistrée le 16 mai 2003 sous les numéros 03-0035 F et 03-0036 M, par laquelle le Centre national des professionnels de l'automobile (CNPA) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Suzuki France, Yamaha Motor France, Honda Motor South, Kawasaki Motor Fance, MBK, Peugeot, Motana-Derbi et Piaggio qu'il estime anticoncurrentielles et a demandé le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par les sociétés Suzuki France, Yamaha Motor France, Honda Motor South, Kawasaki Motor Fance, MBK, Peugeot et Motana-Derbi et par le commissaire du Gouvernement ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement, le CNPA, les sociétés Suzuki France, Yamaha Motor France, Honda Motor South, Kawasaki Motor Fance, MBK, Peugeot et Motana-Derbi entendus lors de la séance du 16 juillet 2003;

I. - Sur la saisine

Sur la recevabilité de l'action du CNPA

1. La société Yamaha fait valoir que la saisine du Conseil de la concurrence par le CNPA vise à défendre les intérêts d'une profession, celle de distributeur, en allant à l'encontre de l'intérêt d'une autre profession, celle de constructeur, relevant l'une et l'autre du secteur de l'automobile, et que cette action est contraire à l'objet statutaire du CNPA défini dans l'article 4.1 des statuts, selon lequel cette organisation professionnelle "réunit en vue d'une action commune tous les professionnels dont l'activité est liée ou apparentée au Commerce, à la Réparation Automobile et aux services de l'Automobile".

2. Les sociétés Honda, Kawasaki, Suzuki, MBK, Peugeot et Motana relèvent que, contrairement aux dispositions de l'article 30 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, le saisissant n'a pas fourni, avec la saisine, les statuts du CNPA ni le mandat donné à son représentant et que la saisine doit donc être déclarée irrecevable sur le fondement de l'article L. 462-8 du Code de commerce.

3. Selon les statuts du CNPA versés par Yamaha, cet organisme est un syndicat à cadre fédéral régi par les lois du 21 mars 1884 et 12 mars 1920. Ce syndicat comporte 17 branches professionnelles ou commissions professionnelles, qui correspondent à chacune des activités et professions représentées en son sein, ainsi que des secteurs départementaux et régionaux communs à tous les adhérents du CNPA. Une "branche nationale des cycles, motocycles et mini-voitures" représente les intérêts des professionnels des cycles, motocycles et mini voitures. Seul le siège central du CNPA dispose d'une personnalité morale. En engageant une action qui vise à défendre les intérêts de la profession des concessionnaires de véhicules à deux roues, le CNPA défend les intérêts dont il a la charge.

4. Par ailleurs, l'auteur de la saisine est le CNPA pris en la personne de son président national, M. Roland Gardin conformément à l'article 72 des statuts de cette organisation professionnelle qui prévoit que "Le Président National préside de droit toutes les instances du CNPA. Le Conseil national lui confère une délégation permanente et les pouvoirs les plus étendus pour l'administration intérieure du CNPA et l'application de la politique professionnelle telle qu'elle résulte des différentes instances nationales. Il représente le CNPA en justice, en demande et en défense et peut, à cet effet, donner mandat spécial à un élu national, régional ou départemental". Faute d'autres dispositions dans les statuts restreignant les pouvoirs du président, notamment en soumettant son pouvoir de saisir le Conseil à une décision des instances nationales, le président a qualité pour saisir le Conseil de la concurrence. Pour cette raison, la saisine du Conseil par le CNPA est régulière.

Sur la recevabilité des mémoires complémentaires du CNPA du 23 juin et du 11 juillet 2003

5. Dans la lettre de transmission de la saisine, le rapporteur général avait indiqué aux parties à la présente procédure qu'elles pouvaient remettre leurs observations jusqu'au 4 juillet 2003. La partie saisissante a produit un mémoire complémentaire à sa saisine, qui a été enregistré au Conseil de la concurrence le 23 juin 2003 et adressé aux sociétés mises en cause ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, le 4 juillet 2003.

6. La société Yamaha soutient, dans ses observations complémentaires déposées le 11 juillet 2003, que ce mémoire complémentaire n'est pas recevable comme ayant été déposé pendant la période fixée par le rapporteur général pour l'exercice des droits de la défense des sociétés mises en cause. Elle ajoute que la remise tardive de ce mémoire l'a privée du temps utile pour préparer sa défense.

7. La société Peugeot considère, dans ses observations complémentaires en date du 11 juillet 2003, qu'aucune évolution depuis la date de la saisine initiale du 16 mai 2003 ne justifie le dépôt d'un mémoire complémentaire par la partie saisissante et que les éléments qu'il contient auraient pu être inclus dans la saisine initiale. Elle indique que la remise tardive de ce document constitue une atteinte aux droits de la défense et qu'il doit, en conséquence être déclaré irrecevable.

8. Le CNPA a produit, le 11 juillet 2003, de "brèves observations en réponse" dans lesquelles il précise "Dans un souci de rapidité, j'adresse copie de la présente et des pièces nouvelles directement à mes contradicteurs par fax et vous déposerai mardi matin le nombre de pièces requis". Ce document, enregistré au Conseil le 15 juillet 2003, a également été diffusé par télécopie à l'ensemble des parties. La société Yamaha a produit, le 15 juillet 2003, de "brèves observations en réponse consécutivement aux observations en réponse du CNPA" dans lesquelles elle indique "Pour que le contradictoire soit parfaitement respecté, j'adresse également copie des présentes directement par fax au CNPA et aux conseils des autres marques fournisseurs ainsi qu'à Monsieur le commissaire du Gouvernement".

9. Lors de la séance, les sociétés Peugeot et Honda ont fait valoir que le saisissant avait organisé la procédure à sa guise en procédant à la remise de mémoires complémentaires successifs et que les principes du contradictoire avaient été violés.

10. Comme l'a déjà relevé le Conseil de la concurrence [1], aucune disposition du Code de commerce et du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 n'impose de délais pour la mise en état des procédures de mesures conservatoires, qui se caractérisent par l'urgence et dont l'instruction doit permettre, dans un temps nécessairement restreint, de réunir le plus d'éléments possibles sur le bien-fondé de la demande. Lorsque le rapporteur général, usant de la faculté qu'il tient de l'article 34 du décret précité, décide, en vue d'assurer une meilleure organisation du débat de fixer des délais aux parties pour le dépôt de leurs écritures, le dépôt de pièces après l'expiration du temps imparti ne saurait justifier, sur ce seul fondement, leur rejet de la procédure, dès lors que les parties adverses ont bénéficié d'un temps suffisant pour y répondre et assurer ainsi leur défense au regard des pièces ainsi produites.

11. En l'espèce, le mémoire complémentaire du CNPA, enregistré le 23 juin au Conseil, a été diffusé aux parties mises en cause le 4 juillet, soit plus d'une semaine avant la tenue de la séance fixée au 16 juillet 2003. Les sociétés mises en cause ont donc bénéficié d'un temps raisonnable pour en prendre connaissance et produire des observations écrites. Les sociétés Yamaha, Peugeot et Suzuki ont, d'ailleurs, usé de cette possibilité en déposant, le 11 juillet, des observations complémentaires qui ont été diffusées à l'ensemble des parties. Il a été également possible à ces dernières de répliquer aux "brèves observations en réponse" du CNPA qu'elles avaient reçues le 11 juillet, soit par écrit comme Yamaha, soit en séance. Le principe du contradictoire a donc été respecté, les sociétés ayant pu organiser leur défense au vu des éléments apportés par ces écritures. Il n'y a pas lieu, en conséquence, d'écarter du dossier tant le mémoire complémentaire du saisissant enregistré le 23 juin 2003, que les observations des parties en réponse à ce mémoire, les "brèves observations en réponse" du CNPA et la réplique de Yamaha.

Sur le marché pertinent

12. Conformément à la jurisprudence du Conseil [2], il convient de distinguer deux marchés de véhicules à moteur à deux roues, selon qu'ils sont immatriculés ou non, la dimension géographique de ces marchés étant celle du territoire français.

13. Le marché des cyclomoteurs non immatriculés n'excédant pas 50 cc a représenté en 2002, 166 124 véhicules, d'après la Chambre syndicale nationale des motocycles (CSNM) et voit son volume baisser par rapport à ce qu'il était au milieu des années 1990 [3]. Il est composé de plusieurs segments : les cyclomoteurs traditionnels qui sont en forte baisse, les scooters dont la part a fortement crû dans les années 90 et qui représentent dorénavant la part la plus importante des cyclomoteurs, devançant ainsi les cyclomoteurs traditionnels, et enfin, les cyclomoteurs à boîte de vitesses, apparus au milieu des années 1990 et qui sont en croissance. Ce marché est desservi par Peugeot (dont la part de marché en 2002 est de 32,1 %, d'après la CSNM), par MBK (28,2 %), par Yamaha (11,6 %), par Piaggio (9,1 %), Derbi (8,2 %), Aprilia (4,2 %) ainsi que par 8 autres marques dont la part de marché individuelle est inférieure à 2 % [4].

14. Le marché des motocyclettes immatriculées a représenté 168 754 véhicules en 2002, d'après la CSNM. Il avait connu une forte hausse des volumes à partir de 1996 [5] , mais les ventes connaissent une baisse relative ces deux dernières années. Il est composé de deux segments : les motocyclettes légères n'excédant pas 125 cc et 11 kw et les motocyclettes supérieures à 125 cc ou 11 kw, ces grosses cylindrées représentant la majorité des ventes [6]. Ce marché est desservi par Yamaha (dont la part de marché est de 26 % en 2002, d'après la CSNM), par Honda (19 %), Suzuki (17 %), Kawasaki (7 %), Piaggio (6 %), BMW (4 %), Aprilia (3 %) ainsi que par d'autres marques représentant individuellement moins de 2 % du marché.

15. Le saisissant ne précise pas le marché qui est concerné par les pratiques dénoncées dans la saisine au fond. Il dénonce tout d'abord "des mesures anticoncurrentielles de la société Suzuki France et de ses partenaires ainsi que de diverses pratiques mises en œuvre sur le marché du 2 roues motorisées notamment par les marques dominantes, Yamaha, Honda, Kawasaki, MBK et Peugeot", en visant les quatre principaux offreurs du marché des motos immatriculées ainsi que les deux principaux offreurs du marché des cyclomoteurs non immatriculés. Mais, dans la suite de sa saisine (p. 21 à 71), il fournit, à titre principal, des éléments sur les contrats de Suzuki, Honda, Kawasaki, Yamaha, offreurs du marché des motos immatriculées. Les indications sur les contrats de MBK sont relativement isolées et, ainsi que le soulignent Peugeot et Motana dans leurs observations du 4 juillet 2003, ces sociétés ne sont pas citées dans le corps de la saisine. Enfin, la troisième section de la saisine s'intitule "Sur l'absence d'exemption des contrats de distribution moto" et la quatrième "Sur les autres pratiques communes des fabricants japonais de motocycles". Le commissaire du Gouvernement observe que "au vu des pratiques décrites par le CNPA, il semblerait que le marché pertinent devant être retenu pour l'examen de ce dossier soit celui des véhicules à moteur à deux roues immatriculés".

16. Au vu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que le marché concerné par la saisine du CNPA est celui des véhicules à moteur à deux roues immatriculés.

Sur les pratiques dénoncées

17. Selon le CNPA, "Soucieux d'accroître l'état de dépendance économique de leurs concessionnaires, tous les concédants ont imposé à leurs partenaires commerciaux des contrats restrictifs de concurrence visant à fermer le marché et à exclure toute concurrence intermarque par des pratiques tombant sous le coup des articles L. 420-1, L. 420-2 du Code de commerce et 81 du traité de Rome [7]". Il reproche aux concédants de véhicules à deux roues d'avoir imposé à leurs réseaux des contrats qui contreviendraient manifestement au règlement communautaire 2790-99 du 22 décembre 1999 [8] et soutient que l'organisation des principaux réseaux de distribution selon des modalités juridiques et économiques proches entraînerait un effet cumulatif de nature à réduire la concurrence au stade de la vente au détail. De plus, selon le CNPA, les nouvelles dispositions contractuelles placent les concessionnaires en situation de dépendance économique à l'égard des concédants et ces derniers peuvent abuser de ces situations de dépendance pour imposer à leurs concessionnaires "des sujétions économiquement et objectivement injustifiables" [9].

Sur les contrats de distribution de Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki

18. Le règlement communautaire 2790-99 du 22 décembre 1999 énumère un certain nombre de restrictions caractérisées qui ont pour effet d'entraîner l'exclusion de l'intégralité de l'accord vertical du champ d'application dudit règlement même si le seuil de part de marché n'est pas dépassé. Aux termes de l'article 4 point c) de ce règlement, les limitations des ventes passives et actives aux utilisateurs finals imposées aux distributeurs d'un système sélectif de distribution constituent une de ces restrictions. Les limitations des ventes passives imposées aux distributeurs d'un système bénéficiant d'une exclusivité de territoire constituent aussi une restriction caractérisée, aux termes de l'article 4 point b).

19. Le CNPA fait valoir que les nouveaux contrats de distribution mis en place par Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki combinent l'exclusivité de territoire avec la sélection des distributeurs et qu'ils comporteraient des restrictions de concurrence caractérisées ou "clauses noires". Dans le cas d'un système exclusif et sélectif de distribution, le point 53 des lignes directrices sur les restrictions verticales [10] prévoit, en ce qui concerne la restriction caractérisée visée à l'article 4 point c, que "La distribution sélective peut être combinée avec une distribution exclusive sous réserve que les ventes actives et passives ne soient nulle part limitées". En outre, le point 186 des lignes directrices prévoit que "La distribution sélective, qu'elle soit qualitative ou quantitative, bénéficie de l'exemption par catégorie pour autant que la part de marché n'excède pas 30 %, même si elle est associée à d'autres restrictions verticales qui ne sont pas caractérisées, telles qu'une obligation de non-concurrence ou la distribution exclusive, sous réserve que les distributeurs agréés puissent procéder à des ventes actives tant entre eux qu'aux consommateurs finals".

20. Par ailleurs, le onzième considérant du règlement communautaire prévoit qu'"afin de garantir l'accès au marché pertinent ou de limiter la collusion sur ce marché, l'exemption par catégorie doit être subordonnée à plusieurs conditions. A cette fin, l'exemption des obligations de non-concurrence doit être limitée aux obligations qui ne dépassent pas une certaine durée ; pour les mêmes raisons, toute obligation directe ou indirecte, imposant aux membres d'un système de distribution sélective de ne pas vendre des marques de fournisseurs concurrents déterminés doit être exclue du bénéfice du présent règlement". L'article 5 du règlement communautaire exclut certaines obligations du bénéfice de l'exemption même si le seuil de part de marché n'est pas dépassé, mais le règlement continue à s'appliquer aux dispositions restantes de l'accord vertical si celles-ci sont dissociables des obligations non exemptées, ces clauses étant dites "clauses rouges". Le CNPA fait valoir que les nouveaux contrats de distribution mis en place par Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki comportent de telles "clauses rouges".

Les contrats de concession Suzuki

21. L'article 2 du contrat de distribution de Suzuki dispose que "Le concessionnaire s'interdit toute vente active ou passive à partir d'un lieu d'établissement non autorisé par Suzuki France. Le concessionnaire s'interdit toute vente à des revendeurs non agréés", et l'article 13, que "Il (le concessionnaire) s'interdit de revendre les produits à des distributeurs non agréés Suzuki dans l'Union européenne". Ces clauses pourraient constituer une protection territoriale absolue ou une limitation des reventes aux utilisateurs finals. En outre, l'article 16 des contrats monomarques et multimarques de ce concédant stipule qu'ils sont conclus "intuitu personae c'est-à-dire en considération de la personnalité des parties". Le maintien d'une telle clause pourrait constituer un obstacle à la sélection objective des concessionnaires dès lors que les critères d'agrément ne seraient pas préalablement définis et communiqués à tout opérateur souhaitant intégrer le réseau.

22. Suzuki ne conteste pas que ses contrats de distribution cumulent exclusivité du territoire et sélection des distributeurs, mais fait valoir que, dans une lettre en date du 23 mai 2003, la DGCCRF, qui a examiné le contrat de distribution Suzuki, n'a formulé aucune objection contre ce cumul de l'exclusivité et de la sélection et que ce silence conduit à considérer qu'il n'existe pas d'éléments suffisamment probants dans la plainte du CNPA pour la juger recevable en ce qu'elle concerne le cumul de l'exclusivité et de la sélection.

23. Mais la lettre de la DGCCRF, envoyée en cours d'instruction de la présente affaire, ne constitue nullement une décision susceptible de faire grief ou, au contraire, de mettre hors de cause la société Suzuki. Le commissaire du Gouvernement, dans ses observations, reconnaît, d'ailleurs, qu'un examen au fond des contrats de distribution est justifié au regard de l'article L. 420-1 du Code de commerce, de l'article 81 du traité de Rome et du règlement communautaire sur les restrictions verticales.

24. L'article 3 du contrat multimarque Suzuki contient une interdiction de distribuer pendant le cours de l'exécution du contrat, directement ou indirectement, toute marque se rapportant à des produits concurrents que ceux qui font l'objet du contrat. L'article 18 du même contrat prévoit un engagement de non-concurrence post contractuel d'une durée de 6 mois dans le cas où la résiliation du contrat intervient à l'initiative du concessionnaire.Dans ses observations en réponse à la saisine, Suzuki mentionne, sur ces points, la lettre que lui a adressée la DGCCRF le 23 mai 2003 et dans laquelle cette dernière considère que la clause de non-concurrence "paraît excessive au regard des principes énoncés par la Commission européenne dans son règlement d'exemption". Elle indique que "Bien évidemment, Suzuki France se réserve d'apporter à ses contrats les modifications qui s'avéreraient nécessaires". Enfin, Suzuki a admis, lors de la séance, que la mise en conformité de ses contrats de distribution avec le règlement communautaire méritait un examen approfondi.

25. Il ne peut donc être exclu, à ce stade de la procédure et sous réserve d'une instruction au fond, que les limitations des débouchés des concessionnaires Suzuki contreviennent aux dispositions de l'article 4 du règlement sur les restrictions verticales et que les engagements de non-concurrence contenus dans ces contrats contreviennent aux dispositions de l'article 5 dudit règlement.

Les contrats de concession Kawasaki

26. Le saisissant soutient que les contrats de Kawasaki cumulent l'exclusivité et la sélection et qu'ils comportent des restrictions qui ne peuvent être autorisées que dans un système de distribution sélective. Kawasaki interdit à ses concessionnaires "une politique active de revente à l'extérieur du territoire à partir d'un établissement non autorisé" et leur interdit également "de revendre des produits à des revendeurs ne faisant pas partie du réseau". Par ailleurs, le contrat multimarques Kawasaki comporte une clause qui subordonne à l'autorisation du concédant la représentation d'autres marques que celles énoncées dans le contrat.Sans apporter de réponses sur ces points, la société Kawasaki a indiqué, lors de la séance, qu'elle était ouverte à des amendements à ses contrats afin de les mettre en conformité avec le règlement communautaire.

27. Il ne peut donc être exclu, à ce stade de la procédure et sous réserve d'une instruction au fond, que les contrats de Kawasaki cumulent des dispositions exclusives et sélectives, qu'ils contiennent des limitations des débouchés des concessionnaires contraires aux dispositions de l'article 4 du règlement sur les restrictions verticales et que les engagements de non-concurrence qu'ils contiennent contreviennent aux dispositions de l'article 5 du même règlement.

Les contrats de concession Honda

28. Le saisissant soutient que les contrats mis en place par la société Honda cumulent sélection des distributeurs et exclusivité de territoire, et que la fixation d'objectifs de ventes à atteindre au sein d'un territoire constitue une limitation indirecte des ventes passives des concessionnaires. Honda précise que les motos de plus de 125 cc sont distribuées dans le cadre de contrats de distribution sélective et que celles de moins de 125 cc le sont dans le cadre d'un système exclusif. Elle souligne que les dispositions sur les objectifs au sein d'un territoire sont contenues dans le contrat exclusif, et que les objectifs de parts de marché présentés par le saisissant comme des limitations aux ventes passives, ne sont pas assignés au seul concessionnaire exclusif de la zone, mais qu'il s'agit d'un objectif de parts de marché des produits Honda sur ce territoire et qui comprend les ventes réalisées par des concessionnaires extérieurs, comme l'indique l'article 7.2 du contrat exclusif, selon lequel : "afin d'éviter toute ambiguïté, (.), que tous les produits immatriculés sur ce territoire, y compris ceux vendus par un tiers, seront pris en compte pour déterminer si la couverture minimale a été atteinte".

29. Toutefois, l'article 29 du contrat de distribution sélective prévoit que ce contrat est conclu intuitu personae, "en considération de la personne du concessionnaire, et notamment de la forme juridique de son entreprise, de l'identité et de la qualification de ses propriétaires et dirigeants de droit ou de fait, directs ou indirects et de celle de ses gestionnaires". L'existence d'une telle clause pourrait constituer un obstacle à la sélection objective des concessionnaires dès lors que les critères d'agrément ne seraient pas préalablement définis et communiqués à tout opérateur souhaitant intégrer le réseau.

30. L'article 2 du contrat Honda prévoit que "le concédant désigne le concessionnaire en qualité de concessionnaire exclusif des produits dans le territoire. Pendant toute la durée du présent contrat, le concédant s'interdit de nommer d'autres concessionnaires pour les produits dans le territoire". Le contrat prévu par Honda pour la distribution des motos de plus de 125 cc combine donc la sélection des distributeurs et l'exclusivité de territoire.

31. Aux termes de l'article 6 de ce contrat, intitulé "activité en dehors du territoire convenu", il est prévu que "pendant la durée du présent contrat, le concessionnaire s'engage à ne pas prospecter la clientèle pour les produits ou entretenir des succursales ou dépôts pour la distribution des produits en dehors du territoire". La formulation de cet article pourrait limiter les incitations des concessionnaires à développer les ventes actives et passives en dehors de leur zone.

32. Enfin, le contrat sélectif de Honda contient en son article 3.2, une clause de non-concurrenceainsi rédigée : "Pendant toute la durée du contrat, le concessionnaire s'interdit, directement ou indirectement, de fabriquer acheter, utiliser, vendre, louer ou mettre à disposition par tout autre moyen, des produits concurrents des produits sans l'accord préalable et écrit du Concédant". Dans ses observations et au cours de la séance, Honda a soutenu que l'article 5 point c du règlement communautaire stipule que la clause de non-concurrence doit viser des concurrents "déterminés" pour être interdite, et qu'en l'absence d'une identification précise des sociétés, cette clause de non-concurrence est valide.

33. Mais le point 61 des lignes directrices précise : "le règlement d'exemption par catégorie couvre la distribution sélective assortie d'une obligation de non-concurrence, qui interdit aux distributeurs de revendre des marques concurrentes d'une manière générale. Toutefois, si le fournisseur empêche ses distributeurs désignés, soit directement, soit indirectement, d'acheter des produits à certains fournisseurs concurrents en vue de la revente, cette obligation ne peut bénéficier de l'exemption par catégorie. En excluant cette obligation, l'objectif poursuivi est d'éviter qu'un certain nombre de fournisseurs qui utilisent les mêmes points de vente de distribution sélective n'empêchent un ou plusieurs concurrents déterminés de passer par ces mêmes points de vente pour distribuer leurs produits.". Le contrat de distribution de Honda étant un contrat multimarque, son article 3.2 pourrait créer les conditions d'une limitation de la pénétration de fournisseurs concurrents au sein d'un point de vente.

34. Au vu de ce qui précède, il ne peut être exclu, à ce stade de la procédure et sous réserve d'une instruction approfondie, que le contrat de distribution des motocycles immatriculés de plus de 125 cc de Honda combine la sélection des distributeurs et l'exclusivité territoriale, et que les limitations des débouchés des distributeurs qu'il contient contreviennent aux dispositions de l'article 4 du règlement sur les restrictions verticales. Il ne peut non plus être exclu, à ce stade de la procédure et sous les mêmes réserves, que les engagements de non-concurrence des contrats Honda contreviennent aux dispositions de l'article 5 dudit règlement.

Les contrats de concession Yamaha.

35. Le saisissant soutient que les contrats mis en place par Yamaha cumulent l'exclusivité et la sélectivité. Il ajoute que les clauses de non-concurrence contenues dans les contrats de distribution de Yamaha sont contraires au règlement sur les restrictions verticales.

36. La société Yamaha, dans ses observations, démontre que le contrat de distribution exclusif et sélectif, qui est en vigueur pour la distribution des motos de plus de 125 cc, ne restreint d'aucune manière la possibilité pour un concessionnaire de vendre des produits à des consommateurs finals ou à d'autres membres du réseau. Elle fait valoir, en outre, que la clause d'engagement de non-concurrence du contrat de distribution exclusif et sélectif qui est en vigueur pour la distribution des motos de plus de 125 cc, n'est pas, en elle-même, contraire aux dispositions de l'article 5 puisqu'elle est limitée à 5 ans et que le bénéfice de l'exemption de cette clause ne peut être perdu pour ce motif.

37. Il résulte de tout ce qui précède que la saisine comporte suffisamment d'éléments probants pour justifier un examen au fond des contrats de distribution mis en œuvre par Suzuki, Honda et Kawasaki sur le marché des motocycles immatriculés. L'article 7 du règlement communautaire prévoit que les autorités nationales de concurrence ont compétence pour effectuer le retrait du bénéfice de l'exemption lorsque les accords verticaux en cause ont des effets sur le territoire d'un État membre et que le marché géographique concerné est distinct. Les contrats en cause constituent des accords verticaux qui limitent les distributeurs admis à distribuer les produits des fournisseurs et donc à faire partie des réseaux de distribution. Les articles 81, paragraphe 1er,du traité de Rome, d'une part, et l'article L. 420-1 du Code de commerce, d'autre part, interdisent en des termes sensiblement voisins les accords entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. La saisine est donc recevable en ce qu'elle concerne les contrats de distribution de Suzuki, de Honda et de Kawasaki pris isolément. En revanche, il n'existe pas au dossier d'éléments suffisamment probants concernant le contrat de Yamaha. Il convient, en conséquence, de faire application de l'article L. 462-8 du Code de commerce et de rejeter la saisine au fond en ce qu'elle concerne les clauses du contrat Yamaha pris isolément.

Sur les effets cumulatifs des contrats de distribution de Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki

38. Le saisissant soutient que l'adoption de contrats de distribution similaires par les 4 principaux concédants de motocycles, qui détiennent ensemble près de 70 % du marché, restreint l'accès au marché final pour les nouveaux entrants et limite la concurrence entre les marques présentes. Il fait valoir que "l'absence de concurrence par les prix découle de la limitation de la concurrence intermarque par la souscription imposée et généralisée entre les quatre marques japonaises d'un monomarquisme ou d'un faux multimarquisme ; de la limitation conjuguée de la concurrence intramarque par l'octroi d'une exclusivité territoriale" [11]. Il considère que, conformément à son article 8, le règlement communautaire d'exemption de groupe ne s'applique pas aux réseaux parallèles de restrictions verticales qui couvrent plus de 50 % du marché.

39. Le CNPA soutient encore que les prix moyens des véhicules vendus par les principaux constructeurs sont très proches et qu'il existe une "augmentation progressive et constante des prix de vente". Il ajoute que "Si le CNPA reconnaît ne pouvoir démontrer une action concertée entre les principaux acteurs de ce marché, le choix d'un modèle de distribution similaire favorise les risques de collusion qui se traduisent pour les 5 acteurs dominants par l'élimination de toute concurrence intermarque au stade de la vente de détail et par une homogénéisation des prix par l'obligation faite aux concessionnaires de suivre les politiques promotionnelles du concédant [12]."

40. Mais, en premier lieu, la saisine ne fournit aucun élément de comparaison des niveaux de prix entre des modèles directement substituables. Au surplus, il ne peut être soutenu, à partir des éléments fournis par le saisissant sur le prix moyen de l'ensemble des véhicules vendus par chacun des concédants en 2001, que Suzuki, Kawasaki, Honda et Yamaha pratiquent des prix qui sont proches. En effet, il existe une différence de 19,8 % entre le prix moyen des véhicules vendus le plus faible (Yamaha, 42 789 FF) et le plus élevé (Kawasaki, 51 284 F).

41. En deuxième lieu, l'évolution des prix n'est pas uniforme, d'après les constructeurs. Selon les informations fournies par le saisissant, le prix moyen de Honda a augmenté de 1,7 % entre 2000 et 2001 ; celui de Kawasaki a augmenté de 3,8 % et celui de Yamaha de 9,2 %. Suzuki fait valoir qu'entre 2000 et 2001, les hausses de prix, tous modèles confondus, n'ont été que de 3,4 % et non de 16 % comme l'indique par erreur le saisissant, et qu'entre 2001 et 2002, les prix ont baissé de 0,11 %. Ainsi, les éléments figurant au dossier ne constituent pas des éléments suffisamment probants d'un parallélisme de comportement ou d'un alignement des prix ; au contraire, l'écart entre les prix moyens selon les constructeurs ainsi que les différences d'évolutions semblent traduire l'indépendance et l'autonomie des offreurs.

42. En troisième lieu, le Conseil avait relevé, en 1991, que "Honda, comme les grandes marques, n'est pas à l'abri de fluctuations dues à des phénomènes de mode et au succès particulier d'un modèle d'une autre marque faisant ainsi reculer sa position de l'année dans une catégorie." [13]. D'après les éléments apportés par Honda sur l'évolution des parts de marché des quatre constructeurs japonais depuis 1980, les fluctuations des positions individuelles sont importantes. Ainsi, à titre d'illustration, Honda, qui détient près de 19 % du marché en 2002, en détenait 25 % en 1995, 20 % en 1991, 33 % en 1985 et plus de 38 % en 1980 ; la part de marché de Suzuki, qui s'élève à près de 18 % en 2002, était de 12 % en 1995, de 20 % en 1991, de 7 % en 1984 et de 11 % en 1980. L'analyse que le Conseil avait développée en 1991 est toujours d'actualité et les producteurs de motocycles présents sur le marché ne semblent pas en mesure de s'abstraire de la concurrence qu'ils font peser les uns sur les autres.

43. Au surplus, d'après les éléments fournis par Honda, la part des principaux constructeurs japonais (Honda, Yamaha, Suzuki et Kawasaki) a chuté depuis 1980. En effet, ces marques représentaient, prises ensemble, près de 88 % du marché des motocycles en 1980, contre 77 % en 1990 et 68 % en 2000. Les principaux acteurs du marché des motocycles n'ont donc pas non plus les moyens de s'abstraire de la concurrence qu'exercent les autres constructeurs.

44. Au vu de ce qui précède, les éléments au dossier sont insuffisants pour considérer qu'il n'existe pas de concurrence sur le marché de la distribution des motocycles et que le cumul d'obligations contractuelles similaires par les principaux fournisseurs serait à l'origine d'une atteinte à la concurrence. Il convient donc de faire application de l'article L. 462-8 et de rejeter la saisine au fond en ce qu'elle concerne l'effet cumulatif des contrats.

Sur les autres pratiques dénoncées dans la saisine

45. Le saisissant fait état d'un accroissement de la dépendance des concessionnaires à l'égard des concédants qui serait dû, d'une part, à l'exclusivité ou à la quasi-exclusivité de marque dans laquelle se trouvent les distributeurs, d'autre part, aux objectifs de vente et d'achat pratiqués par les concédants, et enfin, aux obligations en termes de stocks et de représentativité de la marque ;

46. Mais, selon la jurisprudence constante du Conseil, quatre critères doivent être cumulativement remplis pour établir qu'un distributeur se trouve sous la dépendance de son fournisseur : la part du produit dans le chiffre d'affaires du revendeur, la notoriété de la marque du fournisseur, la part de marché du fournisseur et l'impossibilité pour un revendeur de trouver une solution alternative [14]. Le Conseil a eu l'occasion de rappeler, postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001, que l'état de dépendance implique "l'impossibilité dans laquelle se trouve une entreprise de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées [15] ". Le moyen de la saisine, selon lequel la modification de l'article L. 420-2 de la loi du 15 mai 2001, qui a éliminé du texte de cet article la référence à la notion de "solution équivalente", permettrait au Conseil de s'affranchir de la quatrième condition lorsqu'il analyse une éventuelle situation, doit être écarté. En effet, la notion même de dépendance suppose l'absence de solution équivalente.

47. Afin d'appréhender l'importance d'une marque pour un distributeur, le saisissant invoque une tendance au monomarquisme, en s'appuyant sur le fait que les contrats de distribution des quatre concédants (Suzuki, Honda, Kawasaki et Yamaha) contiennent des engagements de non-concurrence.

48. Mais les éléments apportés par le saisissant sur la répartition des concessions monomarques et multimarques de chacun de ces concédants [16] , et selon lesquels sont monomarques 70 % des concessions Honda, 40 % des concessions Suzuki, 67 % des concessions Yamaha et 31 % des concessions Kawasaki, montrent que l'activité de la majorité des distributeurs de motocycles ne dépend pas que d'une seule marque. Par ailleurs, le Conseil a établi qu'un concessionnaire automobile (monoproduit, monomarque) ne se trouve pas en situation de dépendance à l'égard de son concédant dès lors que les concessionnaires peuvent passer d'un réseau de constructeur à un autre et qu'il existe d'autres solutions de conversion pour le concessionnaire évincé. [17].

49. La saisine n'apporte aucun élément probant permettant d'apprécier les différences de notoriété de chacune des marques de motocycles immatriculées afin de conclure à leur caractère indispensable pour l'activité des concessionnaires. Au contraire, l'offre est assurée par un oligopole sans qu'il existe véritablement de marque dominante et même si 70 % du marché est desservi par les quatre marques principales, il demeure que ces marques paraissent substituables aux yeux des consommateurs. En l'absence de véritable prééminence d'une marque, le troisième critère sur la part de marché du fournisseur n'est pas non plus rempli.

50. Enfin, la saisine ne produit aucun élément sur l'absence de solutions équivalentes pour les distributeurs. Au contraire, la société Honda apporte des exemples de concessionnaires qui ont quitté son réseau pour distribuer d'autres marques japonaises (6 sur 131 résiliations entre 1994 et 2001). La société Yamaha avance qu'elle n'est à l'origine que de 5 résiliations de concessions sur les 18 constatées dans ce réseau depuis 1996 et que, sur ces 5 résiliations, 3 concessionnaires ont retrouvé un autre panneau. Au vu de ce qui précède, il convient de faire application de l'article L. 462-8 et de rejeter la saisine en ce qu'elle concerne un état de dépendance d'un réseau de distributeurs à l'égard d'un des concédants au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce.

51. Par ailleurs, en l'absence d'éléments concrets sur la dépendance de concessionnaires particuliers vis-à-vis de l'un ou l'autre des concédants, la saisine suggère qu'il y aurait lieu de considérer la dépendance que subirait une profession entière (les concessionnaires motos) vis-à-vis de l'ensemble des constructeurs du fait des contrats de distribution. Cependant, une telle approche est contraire à l'article L. 420-2 du Code de commerce, aux termes duquel "Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise client ou fournisseur". Les situations de dépendance relevant de la disposition précitée du Code de commerce s'inscrivent dans le cadre de relations bilatérales entre deux entreprises et doivent donc être évaluées au cas par cas, et non pas globalement pour toute la profession.

II. - Sur la demande de mesures conservatoires

52. A la suite de la transposition en droit national de directives européennes [18] fixant la procédure communautaire de réception et d'homologation des véhicules à deux roues et des normes d'émission, dites Euro 1, seuls les véhicules neufs conformes à cette réglementation et les véhicules d'occasion (ayant fait l'objet d'une immatriculation avant cette date) pourront, à compter du 18 septembre 2003, être mis en circulation.

53. La partie saisissante dénonce la façon dont les concédants ont organisé la vente aux concessionnaires des modèles qui ne seront plus conformes aux dispositions des directives européennes après le 17 septembre 2003. Elle fait état de pressions, de ventes forcées et de ventes liées. Elle souligne que "les ventes forcées entraîneront une déstabilisation générale du marché du deux roues motorisées à court terme puisque l'ensemble des concessionnaires des réseaux de marque devront subir à compter du 17 septembre 2003 les incidences financières de cette transformation artificielle de véhicules neufs en véhicules d'occasion."

54. Le CNPA demande, en conséquence, au Conseil, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, d'enjoindre, sous astreinte, à Yamaha, MBK, Honda, Kawasaki, Derbi, Piaggio, Peugeot et Suzuki de :

1. "reprendre à compter du 18 septembre 2003 au prix facturé au concessionnaire, frais de publicité et transport compris, les véhicules non conformes à l'homologation européenne restant en stock chez le distributeur ;

2. livrer les véhicules conformes demandés sans les subordonner à l'acquisition de véhicules non conformes ;

3. supprimer immédiatement des pré-commandes les véhicules non conformes à la réglementation européenne."

55. Un lien de causalité direct et certain doit exister entre les pratiques anticoncurrentielles dénoncées dans la saisine au fond et l'atteinte grave et immédiate dont il est fait état dans la demande de mesures conservatoires. La Cour de cassation énonce, en effet, dans un arrêt du 18 avril 2000, Numéricâble : "des mesures conservatoires peuvent être décidées sur le fondement de l'article 12 de l'ordonnance de 1986 par le Conseil de la concurrence, dans les limites de ce qui est justifié par l'urgence, en cas d'atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante, même sans constatation préalable de pratiques manifestement illicites au regard des articles 7 et 8 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dès lors que les faits dénoncés et visés par l'instruction dans la procédure au fond, sont suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte relevée" ;

56. Or, la demande de mesures conservatoires présentée par le CNPA ne trouve pas son origine dans les conséquences des pratiques dénoncées dans la saisine au fond.

57. D'un point de vue formel, les pratiques dénoncées dans la saisine au fond ne sont pas invoquées au titre des mesures conservatoires et, réciproquement, la demande de mesures conservatoires est fondée sur des faits distincts de ceux auxquels il est fait allusion dans la saisine au fond.

58. Le marché des cyclomoteurs non immatriculés dont le saisissant précise, dans son mémoire complémentaire du 23 juin 2003, qu'il sera concerné au premier chef par la mise en œuvre des dispositions communautaires n'est pas abordé dans la saisine au fond, qui ne concerne que le marché des motocycles immatriculés. En outre, certaines des sociétés visées dans la demande de mesures conservatoires ne sont pas visées par la saisine au fond, qui ne concerne que les principaux acteurs de la vente de motocycles immatriculés.

59. D'un point de vue pratique, il n'existe aucun rapport entre les pratiques d'ententes verticales ou d'abus de dépendance dénoncées dans la saisine, qui prendraient place sur le marché des motocycles immatriculés, et celles qui fondent la demande de mesures conservatoires. Les pratiques dénoncées dans la demande de mesures conservatoires sont présentées comme des "contraintes". Le saisissant avance : "Fin 2002/début 2003, tous les concédants, sans exception, ont mené une politique active de stockage auprès de leurs concessionnaires tout en omettant de préciser que ces véhicules ne pourraient plus être commercialisés quelques semaines plus tard (...) Autrement dit, les concédants et fabricants ont contraint leurs distributeurs à acheter des véhicules dont ils savaient depuis 4 ans qu'ils ne pourraient les commercialiser après le 17 juin 2003". Mais aucun élément n'est apporté qui permettrait de conclure à l'exercice d'une contrainte exercée sur les concessionnaires par les concédants.

60. Selon le saisissant, l'examen des bons de pré-commande de Peugeot et de MBK (pièce 78) montre que ces concédants ont organisé des ventes forcées. Or, ces bons de pré-commande listent les véhicules que peuvent acheter les concessionnaires et comprennent des modèles qui ne seront plus conformes aux nouvelles normes européennes à compter du 17 septembre 2003 et des modèles qui seront conformes. Le choix de l'approvisionnement est laissé au concessionnaire et aucun élément ne permet donc d'en déduire une vente forcée.

61. La lettre émanant d'un inspecteur commercial régional de Suzuki (pièce 100) démontrerait, selon la partie saisissante, qu'un concessionnaire se serait vu imposer la livraison d'un modèle non conforme, ce qui établirait que ce concédant a eu recours à des ventes forcées. Mais Suzuki a fourni, le 11 juillet 2003, une lettre de ce commercial qui indique "En effet, lors de la mise en promotion de la GZ 125 K2 à un tarif possible de 1 999 euro, j'ai adressé un fax à mes clients ne possédant pas cette moto en stock pour leur proposer cette excellente affaire (prix possible avant promotion : 2 590 euro). Mon but était de leur proposer cette excellente affaire car les quantités en stock chez Suzuki France étaient faibles, je leur permettais ainsi de bénéficier d'au moins une unité. (...) AZ moto a refusé ma proposition.ce qui ne l'a pas empêché d'en commander 6 sur le mois de mai et de se plaindre (...) de ne pouvoir en acheter plus". Il convient donc d'écarter la mise en œuvre d'une quelconque pression de la part de Suzuki.

62. Selon la partie saisissante, MBK aurait, elle aussi, organisé des ventes liées. Le bon de commande de MBK intitulé "conditions spéciales pré-saison mai/septembre 2003" (pièce 79) prévoit une "obligation de commander une unité de XLIMITSM/SL 2002 [modèle qui ne sera plus conforme à compter du 17 septembre 2003] pour toute commande de modèle 2003". Aucun autre élément ne permet de qualifier cette vente subordonnée de pratique anticoncurrentielle contraire aux dispositions des articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elle résulterait d'une entente entre MBK et ses distributeurs et qu'aucun élément ne permet de penser que MBK aurait une position dominante ou tiendrait des distributeurs dans sa dépendance.

63. Par ailleurs, les autres constructeurs s'expliquent sur la façon dont ils ont organisé les ventes des modèles non conformes à compter du 18 septembre 2003 et aucun élément de contrainte ne peut en être déduit.

64. Au vu de ce qui précède, il apparaît, d'une part, que la demande de mesures conservatoires n'est pas liée à la saisine au fond et, d'autre part, il n'est pas établi que les faits invoqués au soutien de cette demande puissent être qualifiés de pratiques anticoncurrentielles, au sens des dispositions du livre IV du Code de commerce. Dès lors, la demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 03-0036 M doit être rejetée.

DÉCISION

Article 1er : La saisine numéro 03-0035 F du CNPA est rejetée en ce qu'elle concerne les clauses du contrat Yamaha, en ce qu'elle concerne l'effet cumulatif des contrats de Suzuki, Yamaha, Honda et Kawasaki sur le marché des véhicules à moteur à deux roues immatriculés et en ce qui concerne l'abus de la dépendance économique dans laquelle chacun de ces constructeurs, ou l'ensemble d'entre eux, tiendraient les concessionnaires.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrées sous le numéro 03-0036 M est rejetée.

[1] Décision 01-MC-07 du 21 décembre 2001

[2] Décision 91-D-31 du 18 juin 1991

[3] En 1995, 218 198 véhicules, en 1996, 220 099 et en 1997, 214 979.

[4] Toutes les parts de marché sont fournies par la CSNM.

[5] En 1995, 84 249 véhicules vendus, en 1996, 115 958, en 1997, 147 890, en 1998, 172 336 en 1999, 192 744.

[6] En 2002, 113 852 véhicules de plus de 125 cc vendus contre 54 902 entre 50 cc et 125 cc.

[7] Saisine du 16 mai, page 72.

[8] Règlement CE n° 2790-1999 du 22 décembre 1999 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, JOCE n° L 336 du 29/12/1999, pp 21-25, ci après "le règlement communautaire".

[9] Mémoire du 11 juillet 2003.

[10] Communication de la Commission "Lignes directrices sur les restrictions verticales", n° 2000-C 291-01, JOCE C 291-1 du 13/10/2000, ci après "les lignes directrices".

[11] Page 37 de la saisine

[12] Saisine du 16 mai 2003, page 74.

[13] Décision 91-D-31 du 18 juin 1991

[14] Décision 89-D-16 du 2 mai 1989, décision 90-D-23 du 3 juillet 1990, CA Paris 12 juillet 1990, 13 juin 19991 et 7 juillet 1995.

[15] Décision 2001-D-49 du 31 août 2001.

[16] Page 8 de la saisine

[17] Décision 89-D-16

[18] Directive communautaire du Conseil relative à la réception des véhicules à moteur à 2 ou 3 roues, JOCE, L 225 du 10.10.92, p. 72-100, et directive communautaire 97-24 du parlement européen et du Conseil du 17 juin 1997, relative à certains éléments ou caractéristiques des véhicules à moteur à deux ou 3 roues, JOCE L 226 du 18 août 1997. La transposition en droit national s'est faite par un arrêté en date du 7 juillet 1995 (JO n° 178 du 01.08.95), modifié par un arrêté du 3 septembre 1997 (JO n° 224, 26.09.97). Ce dernier texte avait prévu une date butoir à compter de laquelle les véhicules neufs ne pourront être mis en circulation que s'ils ont été réceptionnés conformément aux dispositions de la directive. Ce délai, fixé intialement au 17 juin 2003, a été reporté au 17 septembre 2003.