CJCE, 5e ch., 8 novembre 2001, n° C-143/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Adria-Wien Pipeline GmbH, Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke GmbH
Défendeur :
Finanzlandesdirektion für Kärnten
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jann
Avocat général :
M. Mischol
Juges :
MM. La Pergola, Sevón, Timmermans, Wathelet (Rapporteur)
Avocat :
Me Arnold.
LA COUR (cinquième chambre), rend le présent arrêt:
1. Par ordonnance du 10 mars 1999, parvenue à la Cour le 21 avril suivant, le Verfassungsgerichtshof a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), deux questions relatives à l'interprétation de l'article 92 du traité (devenu, après modification, article 87 CE).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant Adria-Wien Pipeline GmbH et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke GmbH, d'une part, et la Finanzlandesdirektion für Kärnten, d'autre part, au sujet du remboursement de taxes sur l'énergie.
3. À l'occasion d'une réforme fiscale et dans le cadre du Strukturanpassungsgesetz (loi sur l'adaptation des structures) de 1996 (BGBl. 1996, n° 201), la République d'Autriche a adopté, publié et fait entrer en vigueur simultanément trois lois, à savoir:
- l'Elektrizitätsabgabegesetz (loi relative à la taxe sur l'énergie électrique, ci-après l'"EAG");
- l'Erdgasabgabegesetz (loi relative à la taxe sur le gaz naturel, ci-après l'"EGAG");
- l'Energieabgabenvergütungsgesetz (loi relative au remboursement des taxes sur l'énergie, ci-après l'"EAVG").
4. L'EAG prévoit une taxe de 0,00726728 euro par kilowattheure d'énergie électrique consommée. En vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de l'EAG, sont soumises à la taxe sur l'électricité:
- la fourniture d'énergie électrique, sauf celle destinée aux entreprises de distribution d'énergie électrique, ainsi que
- la consommation d'énergie électrique par les entreprises de distribution d'énergie électrique et la consommation d'énergie électrique produite par le consommateur lui-même ou d'énergie électrique transférée dans le champ d'application territorial de la taxe.
5. En vertu de l'article 6, paragraphe 3, de l'EAG, le fournisseur d'électricité répercute la taxe sur le destinataire.
6. L'EGAG prévoit des règles analogues pour la fourniture et la consommation de gaz naturel.
7. L'EAVG prévoit un remboursement partiel des taxes sur l'énergie frappant le gaz naturel et l'énergie électrique conformément à l'EGAG et à l'EAG. En vertu de l'article 1er, paragraphe 1, de cette loi, lesdites taxes doivent être remboursées sur demande dans la mesure où elles dépassent, au total, 0,35 % de la valeur nette de la production du consommateur d'énergie. Le montant du remboursement est versé après déduction d'une franchise de 5 000 ATS au maximum.
8. Toutefois, en vertu de l'article 2, paragraphe 1, de l'EAVG, seules les entreprises dont il est prouvé qu'elles ont pour activité principale la fabrication de biens corporels ont droit au remboursement des taxes sur l'énergie.
9. Des entreprises qui ne remplissaient pas cette dernière condition ont vu leur demande de remboursement rejetée. Ainsi en a-t-il été d'Adria-Wien Pipeline GmbH, première requérante au principal, dont l'activité consiste notamment à construire et à exploiter des oléoducs.
10. Saisi de recours contre des refus de remboursement des taxes sur l'énergie, le Verfassungsgerichtshof se demande si les dispositions de l'EAVG constituent une aide d'État au sens de l'article 92 du traité.
11. Le Verfassungsgerichtshof éprouve plus précisément des doutes quant au caractère sélectif du remboursement des taxes sur l'énergie. Il estime que n'a pas été résolue la question de savoir si une différence dans le remboursement de ces taxes entre les entreprises produisant des biens corporels et celles qui fournissent des services suffit à rendre la mesure sélective et, par voie de conséquence, est susceptible de la faire relever des règles applicables aux aides d'État.
12. En cas de réponse affirmative, la juridiction de renvoi se demande si la qualification d'aide d'État devrait également être retenue dans l'hypothèse où toutes les entreprises pourraient bénéficier d'un remboursement des taxes sur l'énergie.
13. Le Verfassungsgerichtshof a dès lors posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Les mesures législatives d'un État membre qui prévoient un remboursement partiel des taxes sur l'énergie frappant le gaz naturel et l'énergie électrique, mais n'accordent ce remboursement qu'aux entreprises dont il est prouvé qu'elles ont pour activité principale la fabrication de biens économiques corporels, doivent-elles être considérées comme une aide d'État au sens de l'article 92 du traité CE?
2) En cas de réponse affirmative à la première question: une telle mesure législative doit-elle être considérée comme une aide d'État au sens de l'article 92 du traité CE, même si elle s'applique à toutes les entreprises, sans considération de la question de savoir s'il est prouvé que leur activité principale consiste en la fabrication de biens économiques corporels?"
Sur la recevabilité des questions préjudicielles
14. Le Gouvernement autrichien s'interroge sur la pertinence des questions préjudicielles aux fins des litiges au principal, compte tenu de la répartition des compétences entre les juridictions autrichiennes.
15. Il expose que la constitution autrichienne répartit le contrôle juridictionnel des décisions administratives entre le Verwaltungsgerichtshof et le Verfassungsgerichtshof. Ce dernier ne pourrait connaître, en tant que manquements à la constitution, que des violations qualifiées et donc également manifestes de dispositions normatives simples. En dehors de cette hypothèse, il devrait laisser au Verwaltungsgerichtshof le soin d'exercer un contrôle.
16. Or, à supposer que la mesure litigieuse soit une aide d'État, le législateur national n'aurait commis aucune violation manifeste des dispositions communautaires en la matière. Comme cela ressortirait des motifs de l'ordonnance de renvoi, le Verfassungsgerichtshof lui-même éprouverait des doutes à cet égard. Ce dernier n'aurait donc aucune compétence pour trancher les litiges au principal.
17. Conformément à une jurisprudence constante, il appartient aux juridictions nationales saisies d'un litige d'apprécier tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Celle-ci peut toutefois refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale notamment lorsqu'il apparaît, de manière manifeste, que l'interprétation du droit communautaire demandée par celle-ci n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal (voir, par exemple, arrêt du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379-98, Rec. p. I- 2099, points 38 et 39).
18. Tel n'est pas le cas des litiges au principal, puisque ceux-ci sont relatifs à des dispositions nationales prévoyant un remboursement de taxes sur l'énergie et que la juridiction de renvoi demande si ce remboursement constitue une aide au sens de l'article 92 du traité.
19. Par ailleurs, en ce qui concerne la prétendue incompétence de la juridiction de renvoi, il n'appartient pas à la Cour de vérifier si la décision de renvoi a été prise conformément aux règles nationales d'organisation et de procédure judiciaires (voir arrêts du 14 janvier 1982, Reina, 65-81, Rec. p. 33, point 7; du 20 octobre 1993, Balocchi, C-10-92, Rec. p. I-5105, point 16, et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39-94, Rec. p. I-3547, point 24).
20. Il découle de ce qui précède que les questions posées par le Verfassungsgerichtshof sont recevables.
Sur les questions
Observations liminaires
21. À titre liminaire, il convient de rappeler le système de contrôle des aides d'État institué par le traité et les rôles qu'assument respectivement, dans sa mise en œuvre et sous le contrôle de la Cour, la Commission et les juridictions nationales.
22. D'après l'article 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous g), CE], l'action de la Communauté comporte l'établissement d'un régime assurant que la concurrence n'est pas faussée dans le marché intérieur. Dans ce cadre, l'article 92, paragraphe 1, du traité déclare incompatibles avec le Marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
23. Pour assurer l'efficacité de cette interdiction, l'article 93 du traité CE (devenu article 88 CE) impose, à la Commission, un devoir spécifique de contrôle et, aux États membres, des obligations précises en vue de faciliter cette tâche de la Commission et d'éviter que celle-ci ne soit placée devant un fait accompli.
24. En ce qui concerne les projets tendant à instituer ou à modifier des aides, l'article 93, paragraphe 3, du traité exige d'abord que la Commission en soit informée en temps utile pour présenter ses observations. Ce paragraphe oblige, ensuite, la Commission à ouvrir sans délai la procédure contradictoire prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, si elle estime que le projet notifié n'est pas compatible avec le Marché commun. Enfin, l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité interdit, dans des termes non équivoques, à l'État membre de mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale.
25. Ainsi que la Cour l'a souligné, notamment dans son ordonnance du 20 septembre 1983, Commission/France (171-83 R, Rec. p. 2621, point 12), l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité constitue la sauvegarde du mécanisme de contrôle institué par cet article, lequel, à son tour, est essentiel pour garantir le fonctionnement du Marché commun.
26. L'intervention des juridictions nationales dans le système de contrôle des aides d'État résulte de l'effet direct reconnu à l'interdiction qu'édicte l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité de mettre à exécution des projets d'aide.
27. Les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences d'une violation de cette disposition seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d'éventuelles mesures provisoires (voir arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C-354-90, Rec. p. I-5505, point 12).
28. Étant conscient des principes rappelés ci-dessus, le Verfassungsgerichtshof n'a posé des questions préjudicielles à la Cour qu'en vue d'être en mesure, le cas échéant, de tirer les conséquences de l'inobservation de l'article 93, paragraphe 3, dernière phrase, du traité, la législation nationale en cause au principal n'ayant pas fait l'objet d'une notification à la Commission.
29. En effet, si les juridictions nationales sont amenées, à cette fin, à déterminer si une mesure nationale doit ou non être qualifiée d'aide d'État au sens du traité, elles ne peuvent pas, pour autant, se prononcer sur la compatibilité des mesures d'aide avec le Marché commun, cette appréciation relevant de la compétence exclusive de la Commission, sous le contrôle de la Cour (voir, en ce sens, arrêt Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, précité, point 14).
30. À cet égard, il convient de rappeler que l'interdiction de principe des aides d'État n'est ni absolue ni inconditionnelle. Ainsi, l'article 92, paragraphe 3, du traité accorde à la Commission un large pouvoir d'appréciation en vue de déclarer certaines aides compatibles avec le Marché commun par dérogation à l'interdiction générale formulée à l'article 92, paragraphe 1, du traité.
31. Il y a lieu de relever à ce propos que les exigences de la protection de l'environnement sont susceptibles de constituer un objectif en vertu duquel certaines aides d'État peuvent être déclarées compatibles avec le Marché commun (voir, notamment, la communication de la Commission relative à l'encadrement communautaire des aides d'État pour la protection de l'environnement, JO 1994, C 72, p. 3).
32. Il résulte des considérations qui précèdent que la réponse que la Cour est amenée à donner à la juridiction de renvoi quant à l'éventuelle nature d'aide d'État des mesures en cause au principal ne saurait préjuger de leur compatibilité avec le traité.
Sur la seconde question
33. Par sa seconde question, qu'il convient d'aborder en premier lieu, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si des mesures nationales telles que celles en cause au principal constituent des aides d'État au sens de l'article 92 du traité, même si elles s'appliquent à toutes les entreprises situées sur le territoire national, indépendamment de l'objet de leur activité.
34. Ainsi que cela ressort du texte de l'article 92, paragraphe 1, du traité, un avantage économique concédé par un État membre ne revêt le caractère d'une aide que si, présentant une certaine sélectivité, il est de nature à favoriser "certaines entreprises ou certaines productions".
35. En conséquence, une mesure étatique qui profite indistinctement à l'ensemble des entreprises situées sur le territoire national n'est pas susceptible de constituer une aide d'État.
36. Il y a dès lors lieu de répondre à la seconde question préjudicielle que des mesures nationales telles que celles en cause au principal ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 92 du traité lorsqu'elles s'appliquent à toutes les entreprises situées sur le territoire national, indépendamment de l'objet de leur activité.
Sur la première question
37. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si des mesures nationales qui ne prévoient un remboursement partiel des taxes sur l'énergie frappant le gaz naturel et l'énergie électrique qu'en faveur des entreprises dont il est prouvé qu'elles ont pour activité principale la fabrication de biens corporels doivent être considérées comme des aides d'État au sens de l'article 92 du traité.
38. Selon une jurisprudence constante, la notion d'aide est plus générale que celle de subvention. Elle comprend non seulement des prestations positives, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d'une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêts du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 30-59, Rec. p. 1, 39; du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C-387-92, Rec. p. I-877, point 13, et du 1er décembre 1998, Ecotrade, C- 200-97, Rec. p. I-7907, point 34).
39. En application de ces principes, la Cour a déjà jugé que peut être qualifiée d'aide d'État la tarification, en faveur d'une catégorie d'entreprises, d'une source d'énergie à un niveau inférieur à celui qui aurait été normalement choisi, lorsque cette tarification, arrêtée par un organisme agissant sous le contrôle et les directives des pouvoirs publics, est imputable à l'État membre concerné et que celui-ci, à la différence d'un opérateur économique ordinaire, utilise ses pouvoirs pour faire bénéficier les consommateurs d'énergie d'un avantage pécuniaire en renonçant au profit qu'il pourrait normalement réaliser (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, point 28).
40. Au vu des considérations qui précèdent, la fourniture d'énergie à des conditions préférentielles aux entreprises productrices de biens corporels à laquelle aboutit une législation nationale telle que celle en cause au principal est susceptible de constituer une aide d'État (voir, en ce sens, arrêt SFEI e.a., précité, point 59).
41. Aux fins de l'application de l'article 92 du traité, il est indifférent que la situation du bénéficiaire présumé de la mesure se soit améliorée ou aggravée par rapport à l'état du droit antérieur ou, au contraire, n'ait pas connu d'évolution dans le temps (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 1988, Grèce/Commission, 57-86, Rec. p. 2855, point 10). Il convient uniquement de déterminer si, dans le cadre d'un régime juridique donné, une mesure étatique est de nature à favoriser "certaines entreprises ou certaines productions" au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité par rapport à d'autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regardde l'objectif poursuivi par la mesure concernée (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C-75-97, Rec. p. I-3671, points 28 à 31).
42. Conformément à la jurisprudence de la Cour, ne remplit pas cette condition de sélectivité une mesure qui, quoique constitutive d'un avantage pour son bénéficiaire, se justifie par la nature ou l'économie générale du système dans lequel elle s'inscrit (voir arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173-73, Rec. p. 709, point 33, et Belgique/Commission, précité, point 33).
43. À cet égard, le Gouvernement autrichien fait valoir que l'introduction des taxes sur l'énergie et leur remboursement partiel s'est faite non pas isolément, mais dans le cadre du Strukturanpassungsgesetz de 1996 qui prévoit un dispositif global de mesures destinées à consolider le budget. Composé de mesures générales, socialement équilibrées, touchant l'ensemble des catégories socioprofessionnelles, ce dispositif devrait être envisagé dans son intégralité.
44. Toujours selon le Gouvernement autrichien, il est fréquent, s'agissant de ce type de dispositif global, que des mesures nouvelles frappant de façon disproportionnée une catégorie d'opérateurs ne soient pas pleinement applicables à celle-ci pendant la phase de leur mise en place. La limitation du remboursement des taxes sur l'énergie aux entreprises fabriquant des biens corporels trouverait précisément sa justification dans le fait que ces entreprises auraient été proportionnellement plus affectées que les autres par lesdites taxes.
45. D'après le Gouvernement autrichien, ce type de mesure étant fondé sur des critères objectifs et bénéficiant à un très grand nombre d'entreprises, il n'aurait pas le caractère sélectif requis par l'article 92, paragraphe 1, du traité.
46. Le Gouvernement danois considère également que les règles autrichiennes en cause au principal constituent des mesures générales échappant au champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité.
47. Tout d'abord, la perception des taxes sur l'énergie en cause au principal, qui auraient un champ d'application général, serait opérée sur la base de critères objectifs. Ensuite, les règles en matière de remboursement de ces taxes feraient partie intégrante du système global de taxation de l'énergie. Enfin, les conditions auxquelles est subordonné ledit remboursement étant directement déterminées par le législateur, les autorités compétentes ne seraient habilitées ni à exercer un quelconque pouvoir d'appréciation en ce qui concerne le choix des entreprises susceptibles de bénéficier de cet avantage ni à en moduler l'étendue.
48. Il convient de rappeler en premier lieu que ni le nombre élevé d'entreprises bénéficiaires ni la diversité et l'importance des secteurs auxquels ces entreprises appartiennent ne permettent de considérer une initiative étatique comme une mesuregénérale de politique économique (voir, en ce sens, arrêt Belgique/Commission, précité, point 32).
49. En second lieu, l'octroi d'avantages aux entreprises dont l'activité principale est la fabrication de biens corporels ne trouve pas de justification dans la nature ou l'économie générale du système d'imposition instauré en vertu du Strukturanpassungsgesetz de 1996.
50. En effet, d'une part, des entreprises fournisseuses de services peuvent, à l'instar d'entreprises productrices de biens corporels, être de grosses consommatrices d'énergie et exposer des taxes sur l'énergie supérieures à 0,35 % de la valeur nette de leur production, ce qui suffit à ouvrir le droit au remboursement des taxes sur l'énergie pour les entreprises produisant principalement des biens corporels.
51. À cet égard, rien dans la législation nationale en cause au principal ne permet d'analyser le régime de remboursement réservé aux entreprises produisant principalement des biens corporels comme une mesure purement temporaire permettant leur adaptation progressive au nouveau régime, en raison du fait qu'elles seraient proportionnellement plus touchées par celui-ci, ainsi que le soutient le Gouvernement autrichien.
52. D'autre part, les considérations d'ordre écologique à la base de la législation nationale en cause au principal ne justifient pas que l'utilisation de gaz naturel ou d'énergie électrique par le secteur des entreprises fournisseuses de services soit traitée différemment de l'utilisation de ces énergies par le secteur des entreprises productrices de biens corporels. La consommation d'énergie par chacun de ces secteurs est aussi dommageable pour l'environnement.
53. Des considérations qui précèdent, il découle que, bien qu'objectif, le critère de distinction utilisé par la législation nationale en cause au principal ne se justifie ni par la nature ni par l'économie générale de celle-ci, en sorte qu'il ne saurait enlever à la mesure litigieuse son caractère d'aide d'État.
54. Au demeurant, comme l'a relevé à juste titre la Commission, il ressort de l'exposé des motifs du projet ayant abouti à la législation nationale en cause au principal que l'octroi de conditions avantageuses au secteur des entreprises productrices de biens corporels était destiné à préserver sa compétitivité, notamment à l'intérieur de la Communauté.
55. Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que des mesures nationales qui ne prévoient un remboursement partiel des taxes sur l'énergie frappant le gaz naturel et l'énergie électrique qu'en faveur des entreprises dont il est prouvé qu'elles ont pour activité principale la fabrication de biens corporels doivent être considérées comme des aides d'État au sens de l'article 92 du traité.
Sur les dépens
56. Les frais exposés par les Gouvernements autrichien, danois et finlandais, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le Verfassungsgerichtshof, par ordonnance du 10 mars 1999, dit pour droit:
1°) Des mesures nationales qui prévoient un remboursement partiel des taxes sur l'énergie frappant le gaz naturel et l'énergie électrique ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 92 du traité CE (devenu, après modification, article 87 CE) lorsqu'elles s'appliquent à toutes les entreprises situées sur le territoire national, indépendamment de l'objet de leur activité.
2°) Des mesures nationales qui ne prévoient un remboursement partiel des taxes sur l'énergie frappant le gaz naturel et l'énergie électrique qu'en faveur des entreprises dont il est prouvé qu'elles ont pour activité principale la fabrication de biens corporels doivent être considérées comme des aides d'État au sens de l'article 92 du traité.