CJCE, 4e ch., 15 mai 1997, n° C-278/95 P
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Siemens (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Murray
Avocat général :
M. Elmer
Juges :
MM. Kapteyn, Ragnemalm (rapporteur)
Avocats :
Mes Waelbroeck, Stuyck, Speltdoorn.
LA COUR (quatrième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 17 août 1995, Siemens SA a, en vertu de l'article 49 du statut CE de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 8 juin 1995, Siemens/Commission (T-459-93, Rec. p. II-1675, ci-après l'"arrêt entrepris"), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation des articles 1er, sous c), et 2 de la décision 92-483-CEE de la Commission, du 24 juin 1992, relative à des aides accordées par la région de Bruxelles (Belgique) en faveur des activités de Siemens SA dans le domaine de l'informatique et des télécommunications (JO L 288, p. 25, ci-après la "décision litigieuse").
2. La décision litigieuse concerne des aides accordées par la région de Bruxelles-Capitale entre les mois de novembre 1985 et janvier 1988, en application de la loi belge du 17 juillet 1959, "loi instaurant et coordonnant des mesures en vue de favoriser l'expansion économique et la création d'industries nouvelles" (ci-après la "loi de 1959"). Par sa décision, la Commission a constaté l'incompatibilité avec le Marché commun d'une partie de ces aides et ordonné au Royaume de Belgique de s'abstenir de procéder au paiement de la somme de 28 694 000 BFR et de recouvrer auprès de la requérante celle de 227 751 000 BFR, majorée des intérêts.
3. Il ressort des constatations faites par le Tribunal dans l'arrêt entrepris (points 3 à 5):
- La loi de 1959 établit un régime d'aides générales en faveur des opérations, visées à son article 1er, sous a), "contribuant directement à la création, l'extension, la conversion, la modernisation d'entreprises industrielles ou artisanales, que lesdites opérations soient effectuées par ces entreprises elles-mêmes, ou par d'autres personnes physiques ou morales, de droit privé ou public, mais pour autant qu'elles répondent à l'intérêt économique général". En son article 3, sous a), elle précise que des subventions peuvent être accordées aux organismes de crédit agréés à cette fin pour leur permettre de consentir en faveur des opérations visées à l'article 1er des prêts à taux d'intérêt réduit, à la condition que ces prêts servent à l'une des fins qui y sont énoncées, parmi lesquelles figure notamment le financement direct des investissements en immeubles bâtis ou non bâtis et en outillages ou matériels, nécessaires à la réalisation desdites opérations.
- Par la décision 75-397-CEE, du 17 juin 1975, concernant les aides accordées par le Gouvernement belge en application de la loi belge du 17 juillet 1959 instaurant et coordonnant des mesures en vue de favoriser l'expansion économique et la création d'industries nouvelles (JO L 177, p. 13, ci-après la "décision 75-397"), la Commission a considéré que ce régime d'aides générales était incompatible avec le Marché commun. Toutefois, elle a estimé, à l'article 1er de sa décision, qu'étaient compatibles avec le Marché commun et ne devaient donc pas être notifiées préalablement en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité CE, les aides octroyées sur la base du régime général qui s'insèrent dans un programme de caractère sectoriel ou régional, communiqué préalablement à la Commission, ou qui ne sont pas significatives. Les seuils à partir desquels les aides deviennent significatives et doivent être notifiées sont fixés par l'article 2 de la décision 75-397 et par la lettre SG (79) D10478 du 14 septembre 1979 de la Commission aux États membres, relative à la "notification des cas d'application des régimes d'aides généraux à l'investissement".
- En ce qui concerne la forme des aides, la loi de 1959 prévoit notamment des bonifications d'intérêts sur les emprunts contractés avec les organismes de crédit agréés. De son côté, l'article 176 de la loi du 22 décembre 1977, relative aux propositions budgétaires 1977-1978 (ci-après la "loi de 1977"), permet, en combinaison avec l'arrêté royal du 24 janvier 1978 (ci- après l'"arrêté royal de 1978"), l'octroi de primes en capital non récupérables d'un montant équivalant aux bonifications d'intérêts lorsque les opérations visées à l'article 1er de la loi de 1959 sont financées par les fonds propres de l'entreprise. Par lettre du 25 mai 1978, adressée aux autorités belges, la Commission a autorisé ces mesures. Dans le cas d'espèce, les aides octroyées sont des primes en capital non récupérables.
4. S'agissant de la décision litigieuse, le Tribunal a relevé, aux points 6 à 13:
- Par lettre du 18 juillet 1991, la Commission a ouvert la procédure, prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, à la suite d'informations publiées dans la presse belge sur le fait que la Cour des comptes belge avait soulevé des objections quant à la légalité des aides en cause. Après avoir entendu les autorités belges en leurs observations, elle a adopté la décision litigieuse.
- Cette décision, qui porte sur plusieurs mesures d'aide, opère une distinction entre sept catégories d'opérations bénéficiant de ces aides, à savoir la location de matériel aux clients, l'achat de matériel pour usage interne, les coûts de développement de logiciels, les coûts de formation, l'acquisition d'un bâtiment, les campagnes de publicité et les études de marché.
- La Commission considère que les aides destinées au matériel pour usage interne ont été octroyées légalement, étant donné, d'une part, que ces dépenses correspondent aux types d'investissements expressément admis au bénéfice de l'aide en vertu de la loi de 1959 et, d'autre part, que le volume de ces investissements est constitué par des programmes individuels indépendants, qui n'excèdent pas les seuils de notification fixés dans la lettre aux États membres du 14 septembre 1979.
- En revanche, la Commission estime que les coûts de formation, les campagnes de publicité et les études de marché ne figurent pas parmi les postes admissibles au bénéfice des aides prévues par la loi de 1959 et que l'octroi des aides les concernant constitue une intervention ad hoc qui aurait dû lui être notifiée en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité. Néanmoins, la Commission considère que les aides destinées aux coûts de formation bénéficient de la dérogation prévue par l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité CE, du fait qu'elles sont destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques et n'altèrent pas de manière préjudiciable les conditions de concurrence.
- Enfin, les dépenses pour le matériel loué aux clients ne remplissent pas, selon la Commission, les conditions prévues par les articles 1er et 3, sous a), de la loi de 1959 et approuvées par la Commission, du fait qu'elles ne contribuent pas à la création, à l'extension, à la conversion ou à la modernisation de la structure de Siemens. En outre, les aides au financement de ces opérations ne seraient pas non plus des aides en faveur des entreprises clientes, puisque celles-ci paieraient l'intégralité des loyers fixés de manière discrétionnaire par Siemens. Ces aides auraient donc la nature d'aides permanentes au fonctionnement de cette société. La Commission ajoute que, même si la loi de 1959 avait été applicable à ces dernières subventions, celles-ci auraient dû être notifiées, en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité, à cause du dépassement des seuils établis par la lettre aux États membres du 14 septembre 1979.
- La Commission estime, par ailleurs, que les aides, qui sortent du champ d'application de la décision 75-397, ne peuvent bénéficier d'aucune dérogation prévue par l'article 92 du traité. D'une part, le paragraphe 2 de cet article ne serait pas applicable en l'espèce, du fait que les aides ne poursuivent pas les objectifs visés par cette disposition du traité. D'autre part, les aides en question n'auraient pas une finalité régionale ou sectorielle et, partant, ne pourraient bénéficier des dérogations prévues aux points a) et c) du paragraphe 3 de ce même article. De même, ne seraient pas applicables au cas d'espèce les dérogations prévues au point b) du même paragraphe, étant donné que ces aides n'étaient pas destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie belge.
- Sur la base de ces considérations, la Commission a décidé, à l'article 1er de la décision litigieuse:
"Sur le montant total des aides considérées, qui est de 335 980 000 BFR, accordées sous la forme de subventions par l'exécutif dans le cadre du régime d'aides instauré par la loi d'expansion économique du 17 juillet 1959, en faveur de dépenses de Siemens s'élevant à 2 647 294 000 BFR:
c) l'aide d'un montant de 256 445 000 BFR pour des dépenses consacrées à du matériel fourni en location-financement à des clients, à des campagnes de publicité et des études de marché a été accordée illégalement en violation des dispositions de l'article 93, paragraphe 3, du traité et, après examen, ne remplit pas les conditions nécessaires pour que s'applique l'une des dérogations prévues à l'article 92, paragraphes 2 et 3, du traité; par conséquent, cette aide est incompatible avec le Marché commun au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité."
- Par l'article 2 de la décision litigieuse, la Commission a interdit à l'exécutif de la région Bruxelles-Capitale de procéder au paiement des aides accordées illégalement et non encore versées et l'a obligé à demander le recouvrement des sommes versées pour les aides jugées incompatibles avec le Marché commun, en suivant les procédures et les dispositions de la législation nationale, notamment celles qui concernent les intérêts de retard sur les créances de l'État. Ces sommes produisent des intérêts, d'après la décision litigieuse, à partir de la date d'octroi des aides illégales.
5. Siemens a conclu, devant le Tribunal, à l'annulation de l'article 1er, sous c), et, subsidiairement, de l'article 2 de la décision litigieuse.
6. Le Tribunal a rejeté le recours de Siemens et l'a condamnée aux dépens.
7. Dans son pourvoi, Siemens demande à la Cour d'annuler l'arrêt entrepris ainsi que les articles 1er, sous c), et 2 de la décision litigieuse et de condamner la Commission aux dépens des deux instances.
8. La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner Siemens aux dépens.
9. A l'appui de son pourvoi, Siemens invoque quatre moyens, en faisant valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit ou que ses conclusions ne sont pas pertinentes en droit, en jugeant que:
- la décision litigieuse était motivée de façon suffisante et pertinente;
- si les aides attribuées par les autorités belges dans le cadre du régime général prévu par la loi de 1959 n'étaient pas destinées à des investissements au sens du droit communautaire, elles ne pouvaient être considérées comme ayant été autorisées par la décision 75-397 et par la lettre du 25 mai 1978, en sorte qu'elles devaient être notifiées en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité;
- les opérations en cause ne constituaient pas des opérations d'investissement au sens du droit communautaire, alors même qu'il aurait dû examiner si elles entraient effectivement dans le champ d'application matériel de la loi de 1959;
- les objections de Siemens quant au dépassement des seuils de notification étaient dépourvues de pertinence "dès lors qu'il a été jugé que les aides en cause ne pouvaient bénéficier de l'autorisation du régime général approuvé par la décision 75-397 et par la lettre du 25 mai 1978, en raison de leur nature d'aide au fonctionnement de l'entreprise".
Sur la motivation de la décision litigieuse
10. Le Tribunal a jugé, au point 34 de l'arrêt entrepris, que "la Commission a exposé les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision" et en a conclu, au point 35, que "la décision n'est entachée d'aucune insuffisance de motivation et que ce moyen doit être rejeté".
11. Siemens fait valoir que c'est en méconnaissance des règles de droit que le Tribunal n'a pas constaté de défaut de motivation relatif, d'une part, aux aides concernant les coûts d'élaboration de concepts de marketing et d'études de marché et, d'autre part, au prétendu dépassement des seuils de notification.
12. En premier lieu, s'agissant des aides concernant les coûts d'élaboration de concepts de marketing et d'études de marché, Siemens fait valoir que la seule constatation dans la décision litigieuse que les dépenses "ne figurent pas ... parmi les postes admissibles au bénéfice des aides prévues par la loi" mais "sont des aides au fonctionnement, puisque ces dépenses correspondent au type même des frais généraux d'exploitation qu'une entreprise doit supporter dans le cadre de ses activités normales", n'a pas donné aux parties la possibilité de défendre leurs droits, à la Cour d'exercer son contrôle et aux États membres, comme à tout intéressé, de connaître les conditions dans lesquelles la Commission a fait application du traité. En outre, la Commission n'aurait pas expliqué, dans la décision litigieuse, les raisons pour lesquelles les aides au fonctionnement, au sens du droit communautaire, échappaient à l'application de la loi de 1959.
13. En second lieu, quant aux dépenses relatives à l'achat de matériel à louer, la Commission aurait dû démontrer que tous les dossiers en cause avaient fait l'objet d'un fractionnement artificiel et que, en l'absence de pareils fractionnements, il y aurait eu, dans tous les cas, un dépassement des seuils de notification.
14. Selon la Commission, la motivation de la décision litigieuse permettait à Siemens de connaître pleinement son raisonnement, à savoir qu'elle considérait que, s'agissant d'aides couvrant des frais d'exploitation normaux de l'entreprise bénéficiaire, elles ne pouvaient entrer dans aucun des postes admissibles prévus dans la législation belge telle qu'approuvée par la Commission.
15. La Commission indique également que la notion de "postes admissibles" était transparente dans le cadre du régime de la loi de 1959 et de l'arrêté royal de 1978. Pour bénéficier des aides sous forme de taux d'intérêt réduits, prévues par la loi de 1959, il fallait relever de l'un des postes admissibles énumérés à l'article 3, sous a), de cette loi. Par l'arrêté royal de 1978, les autorités belges n'auraient fait qu'élargir les formes sous lesquelles ces aides pouvaient être octroyées. Selon la Commission, il est clair que Siemens avait compris le raisonnement puisqu'elle a pu contester, dans sa requête en annulation, le fait que l'article 3, sous a), de la loi de 1959 s'appliquait au cas d'espèce.
16. Il convient de relever, à cet égard, que le Tribunal, en se référant à son arrêt du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission (T-44-90, Rec. p. II-1), a jugé, au point 31 de l'arrêt entrepris, que la Commission n'était pas obligée de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les intéressés et qu'il lui suffisait d'exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l'économie de la décision.
17. S'il est vrai que la motivation exigée par l'article 190 du traité CE doit faire apparaître d'une façon claire et non équivoque le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d'exercer son contrôle, il n'est toutefois pas exigé qu'elle spécifie tous les éléments de fait ou de droit pertinents. En effet, la question de savoir si la motivation d'une décision satisfait à ces exigences doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 29 février 1996, Commission/Conseil, C-122-94, Rec. p. I-881, point 29).
18. C'est donc à bon droit que le Tribunal a jugé que la décision litigieuse était suffisamment motivée dans la mesure où elle expose, d'une part, que les aides en question sont des aides au fonctionnement puisqu'elles correspondent au type même des frais généraux d'exploitation qu'une entreprise doit supporter dans le cadre de ses activités normaleset, d'autre part, que les aides relatives à l'achat de matériel à louer étaient fractionnées en plusieurs demandes alors que, en raison de l'homogénéité de la dépense et de la simultanéité de sa réalisation, elles auraient dû être traitées globalement par la région de Bruxelles-Capitale comme un programme unique de dépenses. En effet, la motivation donnée mettait Siemens suffisamment à même de connaître les bases de la décision.
19. Il en résulte que ce moyen doit être rejeté.
Sur la nature des aides couvertes par les décisions d'autorisation de la Commission
20. Le Tribunal a considéré, au point 45 de l'arrêt entrepris, qu'il "convient d'examiner si les dispositions en cause permettaient l'octroi d'aides destinées à des finalités autres que l'investissement. A cette fin, il faut interpréter les dispositions nationales concernant le régime général autorisé à la lumière des règles communautaires en la matière. Plus précisément, la loi de 1959 et l'article 176 de la loi de 1977, mis en œuvre par l'arrêté royal de 1978, doivent être interprétés conformément au contenu de la décision 75-397 et de la lettre du 25 mai 1978 ainsi qu'aux termes des dispositions pertinentes du traité".
21. A cet égard, le Tribunal a rappelé, au point 46, que, en son article 3, sous a), la loi de 1959 précise que les aides sont réservées au financement des opérations d'investissement, que la Commission avait considéré, dans la décision 75-397, que le régime institué par la loi de 1959 était un système d'attribution "d'aides en faveur des investissements que les entreprises réalisent à ... divers titres" (p. 13 de la décision 75-397) et que, par sa lettre du 25 mai 1978, concernant l'arrêté royal de 1978, la Commission avait autorisé ces aides attribuées pour des "opérations d'investissement" dans le respect de la "procédure de contrôle" prévue par la décision 75-397 (p. 2 de la lettre).
22. Le Tribunal a d'abord considéré, au point 47, que, "si les aides, attribuées par les autorités belges dans le cadre du régime général en cause, ne sont pas destinées aux investissements, elles ne peuvent bénéficier des décisions d'autorisation de la Commission et doivent, de ce fait, être notifiées en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité".
23. Le Tribunal a ensuite précisé, au point 48, que "les aides au fonctionnement, à savoir les aides qui visent à libérer une entreprise des coûts qu'elle-même aurait dû normalement supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales, ne relèvent en principe pas du champ d'application de l'article 92, paragraphe 3, précité, et ne peuvent donc pas être considérées comme ayant été autorisées par la décision 75-397 et par la lettre du 25 mai 1978".
24. Enfin, le Tribunal a rejeté, au point 49, l'argument de Siemens tiré de la non-applicabilité, dans le cadre de l'arrêté royal de 1978, de l'article 3, sous a), de la loi de 1959, lequel énumère les opérations d'investissement pouvant bénéficier des aides générales.
25. Selon Siemens, la Commission n'a pas approuvé le régime général d'aides instauré par la loi de 1959 en émettant la réserve que les aides octroyées dans le cadre de ce régime devaient constituer des aides à l'investissement, telle que cette dernière notion est conçue en droit communautaire. En revanche, par sa décision 75-397, la Commission aurait autorisé de façon inconditionnelle les cas individuels d'application non significatifs du régime général d'aides établi par la loi de 1959. Même pour les aides dépassant les seuils de notification, la Commission se serait contentée d'exiger leur communication préalable, sans exprimer a priori d'avis défavorable à l'égard de certaines catégories d'aides, quelles qu'elles soient.
26. Par conséquent, plutôt que d'examiner si les aides en cause constituaient des aides à l'investissement, le Tribunal aurait dû vérifier si ces dernières relevaient du champ d'application matériel de la loi de 1959, telle que celle-ci est interprétée en droit belge et telle qu'elle a été approuvée par la Commission.
27. Siemens fait valoir que, s'il s'avère exact que les dispositions nationales doivent être interprétées à la lumière des règles communautaires, la Commission s'était déjà précisément prononcée, dans sa décision 75-397, sur la portée de la loi de 1959 au regard des règles communautaires en la matière, telles qu'elles avaient été conçues à l'époque. Les principes de sécurité juridique et de confiance légitime exigent que la Commission ne puisse plus, par la suite, se départir de cette interprétation.
28. En revanche, la Commission estime que le Tribunal a correctement analysé le champ d'application du régime belge à la lumière des décisions d'approbation de la Commission. Cette méthode serait la seule qui préserverait la cohérence de l'application du droit communautaire.
29. Selon la Commission, le fait que le régime belge de 1959 et sa modification de 1978 constituaient un régime d'aides à l'investissement ressort à la fois des dispositions de ce régime et du contenu des décisions de la Commission. Pour être éligibles au regard de l'arrêté royal de 1978, les opérations à financer doivent servir au moins à l'une des finalités visées à l'article 3, sous a), de la loi de 1959, à savoir des opérations d'investissement, matérielles ou immatérielles.
30. Quant à ses décisions, la Commission relève que la décision 75-397 décrit le régime belge: "en vertu de ladite loi, le Gouvernement belge peut accorder en faveur des investissements que les entreprises réalisent à ces divers titres un certain nombre d'avantages". L'article 2 de la même décision, qui imposait la notification préalable des cas significatifs, mentionnait les "cas pour lesquels l'investissement atteint ou dépasse le montant de 2 millions d'unités de compte" et des "cas pour lesquels l'importance des aides atteint ou dépasse 15 % en équivalent-subvention net par rapport au montant de l'investissement". La lettre de la Commission du 25 mai 1978, approuvant la modification de 1978, traite des "opérations d'investissement" et relève explicitement que les opérations éligibles sont identiques à celles visées par la loi de 1959. En outre, le régime belge est visé par la lettre de la Commission aux États membres, du 14 septembre 1979, relative à la "notification des cas d'application des régimes d'aides généraux à l'investissement".
31. Il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l'a relevé dans son arrêt du 5 octobre 1994, Italie/Commission (C-47-91, Rec. p. I-4635, point 24), lorsqu'elle est confrontée à une aide individuelle dont il est soutenu qu'elle a été octroyée en application d'un régime préalablement autorisé, la Commission ne peut d'emblée l'examiner directement par rapport au traité. Elle doit se borner d'abord, avant l'ouverture de toute procédure, à contrôler si l'aide est couverte par le régime général et satisfait aux conditions fixées dans la décision d'approbation de celui-ci. Si elle ne procédait pas de la sorte, la Commission pourrait, lors de l'examen de chaque aide individuelle, revenir sur sa décision d'approbation du régime d'aides, laquelle présupposait déjà un examen au regard de l'article 92 du traité. Les principes de confiance légitime et de sécurité juridique seraient alors mis en péril tant pour les États membres que pour les opérateurs économiques, puisque des aides individuelles rigoureusement conformes à la décision d'approbation du régime d'aides pourraient à tout moment être remises en cause par la Commission.
32. En conséquence, c'est à bon droit que le Tribunal a examiné si les aides en cause entraient dans le champ d'application du régime général belge tel qu'il avait été approuvé par la Commission.
33. Le régime général avait été approuvé par la Commission par la décision 75-397 et, en ce qui concerne les modifications prévues par l'arrêté royal de 1978, par la lettre du 25 mai 1978. Il résulte clairement du libellé de la décision 75-397 que la Commission a conçu la loi de 1959 comme un régime général d'aides aux investissements et l'a approuvée partiellement en tant que telle. Il en est de même pour la lettre du 25 mai 1978 qui se réfère aux "opérations d'investissement" et qui indique que les opérations éligibles sont celles visées par la loi de 1959.
34. Il reste à examiner si, comme le soutient Siemens, c'est à tort que le Tribunal a considéré que la notion d'investissement appliquée par la Commission en approuvant le régime général belge était celle prévue par le droit communautaire.
35. S'agissant des règles relatives aux aides d'État, la Cour a jugé que le pouvoir d'appréciation conféré à la Commission doit s'exercer dans un contexte communautaire, de même que la compatibilité de l'aide avec le traité doit être appréciée dans le cadre communautaire (voir arrêt du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission, 730-79, Rec. p. 2671, points 24 et 26).
36. Rien ne permet de conclure que la Commission, en approuvant le régime général belge, a appliqué une notion d'investissement autre que celle du droit communautaire.
37. En effet, en ce qui concerne la portée de la notion d'investissement au sens du droit communautaire, il convient de rappeler que, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 7 de ses conclusions, la Commission a publié, par une communication du 21 décembre 1978 sur les régimes d'aides à finalité régionale (JO 1979, C 31, p. 9), à savoir six ans avant l'attribution des premières aides en cause, les principes qu'elle entendait appliquer, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 92 et suivants du traité, aux régimes d'aides à finalité régionale institués ou à instituer dans les régions de la Communauté. Il suffit, dès lors, de constater que, dans cette communication, la Commission, en distinguant les aides aux investissements des aides au fonctionnement, a émis des réserves de principe quant à la compatibilité de ces dernières avec le Marché commun.
38. Il résulte de ce qui précède que ce moyen doit être rejeté.
Sur la nature des opérations en cause
39. A cet égard, le Tribunal a estimé, au point 53 de l'arrêt entrepris, qu'il convenait d'examiner si les aides étaient destinées au financement d'investissements, examen qui impliquait des appréciations qui devaient être effectuées dans un contexte communautaire.
40. S'agissant des aides attribuées aux campagnes de publicité et aux études de marché, le Tribunal a relevé, au point 55, que "ces aides étaient destinées à la commercialisation des produits de Siemens, qui constitue une activité courante de celle-ci. Partant, elles ne peuvent être considérées comme des aides à l'investissement et bénéficier de la décision de la Commission du 25 mai 1978 autorisant l'octroi de primes en capital aux aides à l'investissement".
41. Quant aux aides destinées à une opération d'achat de matériel devant être loué, le Tribunal a constaté, au point 57, que cette opération "n'implique aucune modification technique ou structurelle et ne favorise aucun développement de Siemens autre qu'exclusivement commercial ... ces aides lui ont, en effet, permis, pendant une certaine période, d'offrir à ses clients des conditions artificiellement favorables et d'augmenter sa marge bénéficiaire sans aucune justification". Enfin, le Tribunal a considéré, au point 58, que Siemens "ne saurait prétendre que les aides en cause contribuent à la création, l'extension, la conversion ou la modernisation des entreprises tierces auxquelles le matériel est loué et relèvent donc du régime général des aides autorisées. En effet, ces entreprises paient un loyer qui est fixé tout à fait librement par Siemens, laquelle reste donc la seule bénéficiaire desdites aides, qui lui permettent de réduire le loyer appliqué et de fausser ainsi la concurrence avec les entreprises concurrentes".
Sur la recevabilité
42. La Commission fait valoir que le moyen concernant la nature des opérations en cause est irrecevable, dans la mesure où il tend à contester l'appréciation des faits opérée par le Tribunal. Ce dernier, après avoir examiné les caractéristiques concrètes des aides en cause, a jugé qu'elles constituaient des aides au fonctionnement de l'entreprise bénéficiaire. Cet examen factuel ne pourrait être remis en cause dans le cadre du pourvoi.
43. Siemens a répliqué qu'elle critiquait le Tribunal d'avoir, d'une part, appliqué un critère erroné, à savoir la notion d'aide à l'investissement au sens du droit communautaire, et, d'autre part, déduit de la constatation qu'elle fixait librement le loyer pour le matériel concerné qu'elle demeurait la seule bénéficiaire des aides.
44. Il convient de relever que, même s'il est vrai qu'un pourvoi ne peut s'appuyer que sur des moyens portant sur la violation de règles de droit, à l'exclusion de toute appréciation des faits, en revanche, lorsque le Tribunal n'a pas seulement apprécié les faits, mais a également procédé à leur qualification, la Cour peut examiner le bien-fondé de ce moyen (voir ordonnance du 11 juillet 1996, An Taisce et WWF UK/Commission, C-325-94 P, Rec. p. I-3727, points 28 et 30).
45. En l'espèce, le Tribunal, après avoir examiné les faits, a constaté que les aides en cause, en raison de leur nature, ne relevaient pas du régime général d'aides autorisé par la Commission. Cette qualification peut donc faire l'objet d'un examen par la Cour.
46. Il en résulte que le moyen invoqué est recevable.
Sur le fond
47. Siemens estime, en premier lieu, que les aides relatives aux coûts d'élaboration de concepts de marketing et aux études de marché relevaient effectivement de la loi de 1959 puisque les coûts de ces opérations étaient des investissements immatériels. L'article 3, sous a), de la loi de 1959 énonce expressément, parmi les finalités auxquelles doivent répondre les opérations subventionnées: "le financement direct d'investissements immatériels tels que les études d'organisation et la recherche ou la mise au point de prototypes, de produits nouveaux et de procédés nouveaux de fabrication".
48. De plus, dans une communication émanant du ministère des Affaires économiques du 2 février 1977, il a été précisé que, parmi les cas dans lesquels une aide en faveur d'investissements immatériels pouvait être octroyée en application de la législation d'expansion économique, figurent: "les études de marché, les études visant l'amélioration de la promotion commerciale, les études préalables aux opérations de lancement à l'ouverture de points de vente, etc. ... les études de sondage et de prospection".
49 En second lieu, s'agissant des aides destinées aux opérations d'achat de matériel à donner en location, elles relèveraient également du régime général d'aides approuvé par la décision 75-397. Parmi les objectifs énumérés à l'article 3, sous a), de la loi de 1959, figure: "le financement direct des investissements ... en outillage ou matériel, nécessaires à la réalisation desdites opérations".
50. En outre, une aide pourrait être octroyée, en vertu de la loi de 1959, à une entreprise effectuant une opération contribuant à la création, à l'extension, à la conversion ou à la modernisation de cette entreprise ou d'une autre entreprise.
51. Le fait que les aides aient été versées à Siemens n'impliquerait nullement que celle-ci ait été la seule bénéficiaire. Les entreprises tierces qui louent le matériel en auraient également, et même principalement, tiré profit. Ces entreprises auraient tout aussi bien pu acheter directement ce matériel à Siemens ou à une autre entreprise fournissant ce type d'équipement et demander, auprès des autorités belges, à bénéficier d'une aide dans le cadre de la loi de 1959. Si elles ont choisi de louer le matériel auprès de Siemens, c'est parce que les conditions que celle-ci leur offrait étaient au moins aussi avantageuses, en sorte qu'elles auraient bénéficié de l'aide accordée à Siemens.
52. La Commission a fait valoir, lors de l'audience, que les aides en cause, selon la jurisprudence de la Cour, devaient être appréciées en fonction de leurs effets concrets. Il résulterait d'un tel examen que les aides ne relèvent d'aucun des postes admissibles.
53. Il convient, tout d'abord, de constater que, pour les raisons indiquées aux points 35 à 37 du présent arrêt, les aides, afin de relever du régime général autorisé, doivent être considérées comme destinées à l'investissement, telle que cette notion est conçue en droit communautaire. Par conséquent, une communication explicative émanant d'une autorité nationale ne peut pas déterminer l'étendue du régime général approuvé.
54. Ensuite, il résulte des faits établis par le Tribunal, au point 54 de l'arrêt entrepris, que les aides pour les campagnes de publicité et les études de marché étaient destinées à contribuer à la commercialisation et à la promotion des nouveaux produits de Siemens et au maintien, voire même à l'augmentation, de sa part de marché en Belgique dans le domaine de la bureautique. Quant aux aides destinées à une opération d'achat de matériel devant être loué, le Tribunal a constaté, au point 56, qu'il ressort des documents justificatifs annexés aux demandes d'aides que Siemens elle-même assimile l'opération en cause à la "vente classique" et affirme que, "grâce à cette méthode de vente", elle a "pu élargir fortement (sa) part de marché dans le secteur de l'informatique et de la bureautique".
55. Dans ces conditions, il convient de constater que c'est à bon droit que le Tribunal a jugé que l'ensemble des aides en question étaient destinées à la commercialisation des produits de Siemens, qui est l'une de ses activités courantes. Par conséquent, il ne s'agissait pas d'aides aux investissements ni pour Siemens ni, quant à l'opération d'achat de matériel à louer, pour des entreprises tierces.
56. Dès lors, il y lieu de rejeter ce moyen.
Sur le dépassement des seuils
57. A cet égard, le Tribunal a constaté, au point 62 de l'arrêt entrepris, que les objections de Siemens "sont dépourvues de pertinence. En effet, dès lors qu'il a été jugé que les aides en cause ne pouvaient bénéficier de l'autorisation du régime général approuvé par la décision 75-397 et par la lettre du 25 mai 1978, en raison de leur nature d'aides au fonctionnement de l'entreprise, il n'y a pas lieu d'examiner si les conditions imposées par ces décisions, comme celles relatives aux seuils de notification, ont été respectées".
58. Siemens fait valoir que, puisqu'une aide doit être considérée comme relevant du champ d'application de la loi de 1959 même si elle pouvait être qualifiée d'aide au fonctionnement en droit communautaire, le Tribunal a commis une erreur de droit en n'examinant pas la question du prétendu dépassement des seuils de notification.
59. La Commission estime que, ayant constaté que le régime approuvé ne permettait pas le financement d'aides au fonctionnement, le Tribunal a pu à bon droit vérifier la nature des aides litigieuses et, ayant constaté qu'il s'agissait d'aides au fonctionnement, a pu en conclure qu'elles n'entraient pas dans le champ d'application du régime. Il s'agissait donc d'aides ad hoc, qui auraient dû être notifiées. La question du dépassement des seuils de notification serait dépourvue de pertinence, puisque ces seuils ne visaient que les cas d'application des régimes d'aides existants.
60. Il suffit à cet égard d'indiquer que c'est à juste titre que le Tribunal, ayant constaté que les aides litigieuses ne relevaient pas du champ d'application du régime approuvé, n'a pas examiné la question du dépassement des seuils.
Sur les dépens
61. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Siemens ayant succombé en ses moyens, il y lieu de la condamner aux dépens de la présente instance.
Par ces motifs,
LA COUR
(quatrième chambre)
déclare et arrête:
62. Le pourvoi est rejeté.
63. Siemens est condamnée aux dépens.