CJCE, 12 juin 1973, n° 70-72
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République fédérale d'Allemagne
LA COUR,
1. Attendu que, par requête déposée au greffe le 2 octobre 1972, la Commission a saisi la Cour, en vertu de l'article 93, paragraphe 2, du traité CEE, d'un recours visant à faire constater 1°) la méconnaissance, par la République fédérale d'Allemagne, de la décision de la Commission, du 17 février 1971, concernant les aides accordées au titre de l'article 32 de la loi du 15 mai 1968 relative à l'adaptation et à l'assainissement des charbonnages et des régions minières allemandes (dénommée "Kohlegesetz", Bundesgesetzblatt 1968, (p. 365), prorogé par l'article 9 de la loi du 18 août 1969 relative à l'octroi de subventions d'investissement et portant modification de certaines dispositions concernant le régime fiscal et le régime des primes (dénommée "Steueraenderungsgesetz 1969", bundesgesetzblatt 1969, I, p. 1211), 2°) L'obligation de la République fédérale d'Allemagne d'exiger des bénéficiaires la restitution de certaines primes accordées en méconnaissance de la décision visée, sur l'objet du litige.
2. Attendu que l'article 32 de la loi du 15 mai 1968 (Kohlegesetz) a ouvert la possibilité d'accorder, pendant une période déterminée, des aides sous forme de réduction d'impôt en vue de favoriser certains investissements de nature à améliorer la structure économique des régions de l'Allemagne touchées par la crise charbonnière; que le projet de cette loi ayant été régulièrement notifié à la Commission, le 15 juin 1967, cette dernière avait fait connaître, le 30 novembre suivant, qu'elle n'avait pas d'objection à faire valoir;
3. Que, par l'article 9 de la loi du 18 août 1969 (Steueraenderungsgesetz), les effets du paragraphe 32 de la loi du 15 mai 1968 ont été prorogés pour une période de deux ans, à la suite d'un amendement propose par une Commission du Bundestag et adopté par celui-ci le 18 juin 1969, approuvé le 10 juillet suivant par le Bundesrat; que ce fait a été notifié par le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne à la Commission le 16 juillet 1969; que si ce gouvernement n'a que tardivement exécuté l'obligation d'information imposée aux Etats membres par le paragraphe 3, première phrase de l'article 93, la Commission, de son coté, n'a pas fait usage des pouvoirs que lui confèrent les phrases deux et trois du même paragraphe, mais s'est bornée, dans une communication datée du 1er août 1969, à formuler des remontrances et à demander de plus amples informations; que, dans ces conditions, la disposition législative votée par le Parlement a pu entrer en vigueur en vertu de la promulgation de la loi, intervenue le 18 août 1969; que, par note verbale du 1er octobre 1969, le Gouvernement allemand a fourni à la Commission quelques explications sommaires sur les conditions dans lesquelles la loi modificative avait été votée;
4. Que c'est seulement par lettre du 30 juillet 1970 que la Commission a adressé au Gouvernement allemand une mise en demeure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, en lui demandant au surplus de ne plus prendre de décisions sur l'octroi d'aides sur le territoire du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie à partir du 1er décembre 1970;
5. Qu'au Journal officiel du 14 août 1970, la Commission a publié une communication mettant en demeure tous les intéressés - autres que les Etats membres - de lui présenter leurs observations concernant la prolongation de la période d'octroi des primes d'investissement en cause; que, selon l'opinion de la Commission, cette communication aurait sorti ses effets, à l'égard des destinataires, le 20 août 1970;
6. Que, le 17 février 1971, la Commission a pris la décision dont la méconnaissance est reprochée à la République fédérale d'Allemagne, laquelle décision a pris effet le 24 février 1971 en vertu de sa notification au Gouvernement allemand; que l'article 1 de cette décision dispose que "la république fédérale prend sans délai toutes les mesures nécessaires pour mettre fin, dans les régions minières du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à l'octroi non sélectif des primes d'investissement prévues à l'article 32, paragraphe 1, de la loi relative à l'adaptation et à l'assainissement des charbonnages et des régions minières allemandes (Kohlegesetz), modifié par l'article 9 de la loi du 18 août 1969 (Steueraenderungsgesetz)";
7. Que, par la suite, la Commission a engagé avec le Gouvernement allemand des pourparlers en vue de déterminer les critères de "l'octroi sélectif" des primes, afin de mettre la défenderesse en mesure de satisfaire aux obligations découlant de la décision du 17 février 1971; que si ces pourparlers ont pu aboutir à une solution, admise d'un commun accord, en ce qui concerne le domaine d'application territorial de la décision, tel n'a pas été le cas de son application dans le temps par les autorités allemandes; que celles-ci ont appliqué, pour la mise en œuvre de la décision du 17 février 1971, des dispositions transitoires que la Commission considère comme un manquement aux obligations découlant de ladite décision.
Sur la recevabilité
8. Attendu que la République fédérale d'Allemagne conteste la recevabilité du recours, introduit sur base de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, en raison du fait que la décision de la Commission du 17 février 1971, contrairement à une exigence formelle du traité, ne comporterait pas l'indication d'un délai, mais demanderait qu'il soit mis fin "sans délai" au régime d'aides critiqué; que la fixation d'un tel délai, selon la prescription impérative de l'article 93, paragraphe 2, serait la condition de l'introduction du recours conformément aux modalités particulières de la disposition en cause;
9. Attendu que cette exception concerne, en réalité, non la recevabilité du recours, mais la validité de la décision du 17 février 1971; que ce moyen d'irrecevabilité doit donc être rejeté;
10. Attendu qu'en second lieu la défenderesse soulève l'irrecevabilité, en particulier, du deuxième chef du recours aux termes duquel elle serait obligée d'exiger des bénéficiaires la restitution, dans certaines limites de temps, des primes accordées postérieurement à la décision du 17 février 1971; que, selon la défenderesse, il résulterait de l'article 171 du traité que, dans le cadre d'un recours dirigé contre un Etat membre, la Cour de justice devrait se borner à constater le manquement sans pouvoir condamner l'Etat membre à prendre des dispositions déterminées; qu'il appartiendrait en effet au seul Etat membre concerné de décider des mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour en vue d'éliminer les conséquences de son manquement;
11. Attendu qu'aux termes de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, "si l'Etat ne se conforme pas à cette décision dans la délai imparti, la Commission... peut saisir directement la Cour de justice...";
12. Que le chef de conclusion en cause tend à faire constater que la défenderesse, en omettant d'exiger des bénéficiaires la restitution des aides indûment reçues, ne se serait pas conformée à une obligation découlant pour elle de la décision du 17 février 1971;
13. Qu'une telle demande est recevable, la Commission étant compétente, lorsqu'elle constate l'incompatibilité d'une aide avec le Marché commun, pour décider que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier; que cette suppression ou modification, pour avoir un effet utile, peut comporter l'obligation d'exiger le remboursement d'aides octroyées en violation du traité, de sorte qu'à défaut de mesures de récupération la Commission peut en saisir la Cour; que, d'ailleurs, une demande de la Commission, dans le cadre de la procédure des articles 169 à 171, visant à faire constater qu'en omettant de prendre des mesures déterminées un Etat membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité, serait également recevable; qu'en effet, l'objectif du traité étant d'aboutir à l'élimination effective des manquements et de leurs conséquences passées et futures, il appartient aux autorités communautaires ayant mission d'assurer le respect du traité de déterminer la mesure dans laquelle l'obligation incombant à l'Etat membre concerné peut éventuellement être concrétisée dans les avis motivés ou décisions émis en vertu, respectivement, des articles 169 et 93, paragraphe 2, ainsi que dans les requêtes adressées à la Cour. que ce moyen doit, dès lors, être rejeté;
Sur le fond
14. Attendu que le manquement reproche à la République fédérale d'Allemagne consiste dans le fait d'avoir, dans les régions du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie n'entrant plus en ligne de compte pour l'octroi des aides prévues par la loi du 15 mai 1968, continue à accorder, en vertu de la loi modificative du 18 août 1969, des primes à l'investissement;
15. Qu'en cours de procédure, la Commission a fait référence à des dates différentes pouvant déterminer l'effet de la prohibition de l'octroi de ces aides;
16. Attendu que, dans la mise en demeure adressée le 30 juillet 1970 au Gouvernement allemand, la Commission a demandé à celui-ci de " prendre soin que de nouvelles décisions ayant pour objet l'octroi d'aides selon le paragraphe 32 de la loi charbonnière dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie n'interviennent plus à partir du 1er décembre 1970 "; que la Commission ne paraît cependant pas avoir insisté sur le respect de cette date;
17. Attendu que, par contre, elle entend tirer des conséquences juridiques de la communication publiée au Journal officiel du 14 août 1970, en ce sens qu'à partir de la date ou cette communication a pu être connue des intéressés ceux-ci ne pourraient plus faire Etat d'un intérêt légitime au maintien des dispositions légales accordant et prorogeant le régime litigieux; qu'en vue de déterminer l'effet de la décision du 17 février 1971 dans le temps, il convient, à titre préalable, d'examiner cette question;
18. Attendu que la communication publiée au Journal officiel du 14 août 1970 porte, en premier lieu, information de ce que la Commission a entamé la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, première phrase, du traité CEE contre le régime d'aides en cause, "car un octroi non différencie de ces primes d'investissement dans toutes les régions minières du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ne peut plus être considéré comme compatible avec le Marché commun"; qu'en second lieu, la communication invite tous les intéressés à présenter à la Commission leurs observations concernant la prolongation de la période d'octroi des primes d'investissement en cause;
19. Que, conformément à l'article 93, paragraphe 2, première phrase, cette communication vise exclusivement à obtenir, de la part des intéressés, toutes informations destinées à éclairer la Commission dans son action future; que, compte tenu de cette destination et, pour le surplus, du caractère extrêmement sommaire des termes utilisés pour décrire et caractériser le régime d'aides en cause, on ne saurait déduire un effet de cette communication sur les droits des particuliers dans le sens voulu par la Commission; que cette date doit donc rester hors de considération pour déterminer l'effet de la décision du 17 février 1971, dont les données constituent, dès lors, les seuls éléments à envisager pour juger du manquement reproché à la République fédérale d'Allemagne;
20. Attendu qu'aux termes de l'article 93, paragraphe 2, si la Commission constate qu'une aide accordée par un Etat n'est pas compatible avec le Marché commun, elle décide que l'Etat intéressé "doit la supprimer ou la modifier"; qu'à la différence du paragraphe 3 du même article, dont le système implique, pour la Commission, le pouvoir de prendre, en cas de besoin, des mesures immédiates et provisoires, les décisions prises au titre de l'article 93, paragraphe 2, ne peuvent avoir leur plein effet qu'à la condition que la Commission indique à l'Etat membre concerné les éléments de l'aide reconnus incompatibles avec le traité et sujets, dès lors, à suppression ou modification;
21. Qu'à cet égard, il apparaît du dispositif de la décision du 17 février 1971 que la Commission a exigé de la République fédérale d'Allemagne de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin, dans les régions minières du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à l'octroi "non sélectif" des primes d'investissement, sans préciser l'époque et les critères sur base desquels la défenderesse aurait dû supprimer ou modifier les aides en cause; que les indications résultant du préambule et des antécédents de la décision permettent de reconnaître tout au plus que le critère de différenciation devait avoir un caractère territorial, en ce sens que la prorogation du régime d'aides ne devait bénéficier qu'à certaines régions particulièrement touchées par la crise charbonnière;
22. Que les précisions voulues, en ce qui concerne la portée territoriale de la décision du 17 février 1971, n'ont été élaborées qu'au cours des travaux que la Commission a menés postérieurement à celle-ci avec les représentants du Gouvernement allemand; que ce n'est que dans une communication du 16 décembre 1971 que la Commission a défini les critères d'une différenciation territoriale de l'octroi des aides, en énonçant certains paramètres de caractère économique pouvant servir à cette fin et en énumérant les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles la continuation de l'octroi des primes d'investissement pourrait être considérée comme compatible avec le traité; que la liste définitive de ces circonscriptions - plus étendue que celle qui avait été envisagée dans la communication du 16 décembre 1971 - apparaît seulement dans les conclusions de la requête introductive d'instance;
23. Qu'il apparaît ainsi qu'à défaut d'indications suffisantes sur l'un des éléments essentiels de la décision prise en vertu de l'article 93, paragraphe 2, l'objet de l'obligation imposée à la République fédérale d'Allemagne est resté indéterminé jusqu'à l'époque ou, à la suite des travaux accomplis en commun avec les représentants du Gouvernement allemand, la Commission a été en mesure d'indiquer à celui-ci, avec le degré indispensable de précision, quel pouvait être le champ d'application territorial des aides envisagées par la loi prorogeant celle du 15 mai 1968 et quelles étaient, corrélativement, les circonscriptions à l'intérieur desquelles cette prorogation ne pouvait trouver application; qu'on ne saurait reprocher aux autorités allemandes d'avoir, en présence de cette incertitude sur l'un des aspects essentiels de la prohibition prononcée par la Commission, pris les dispositions nécessaires pour tenir compte des intérêts légitimes des investisseurs opérant à l'intérieur des zones qui devaient être ultérieurement exclues du bénéfice des aides en cause;
24. Qu'il apparaît dès lors que le recours doit être rejeté;
25. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens; que la partie requérante a succombé en ses moyens;
LA COUR,
Rejetant toutes autres conclusions plus amples ou contraires, déclare et arrête:
1°) le recours est rejeté;
2°) la partie requérante est condamnée aux dépens.