Livv
Décisions

CJCE, 5e ch., 3 octobre 2002, n° C-394/01

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

République française

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jann

Rapporteur :

von Bahr

Avocat général :

M. Mischo.

Juges :

MM. Wathelet, Timmermans, Rosas

CJCE n° C-394/01

3 octobre 2002

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 8 octobre 2001, la République française a, en vertu de l'article 230, premier alinéa, CE, demandé l'annulation de la décision 2001-882-CE de la Commission, du 25 juillet 2001, concernant l'aide d'État mise à exécution par la France sous forme d'aide au développement pour le paquebot Le Levant construit par Alstom Leroux Naval et destiné à être exploité à Saint-Pierre-et-Miquelon (JO L 327, p. 37, ci-après la "décision attaquée").

La réglementation applicable

2. La directive 90-684-CEE du Conseil, du 21 décembre 1990, concernant les aides à la construction navale (JO L 380, p. 27), dont l'application a été prolongée par le règlement (CE) n° 3094-95 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif aux aides à la construction navale (JO L 332, p. 1), prévoit des règles spécifiques applicables aux aides à ce secteur, qui constituent une exception à l'interdiction générale énoncée à l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE).

3. En vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la directive 90-684, une aide à la production en faveur de la construction et de la transformation navales peut être considérée comme compatible avec le Marché commun à condition que son montant ne dépasse pas un plafond défini audit article.

4. Aux termes de l'article 4, paragraphe 7, de la directive 90-684:

"Les aides liées à la construction et à la transformation navales, octroyées comme aides au développement à un pays en voie de développement, ne sont pas soumises au plafond. Elles peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun si elles sont conformes aux dispositions arrêtées à cette fin par le groupe de travail n° 6 de l'OCDE dans son accord concernant l'interprétation des articles 6, 7 et 8 de l'arrangement [concernant les crédits à l'exportation de navires], ou à tout addendum ou corrigendum ultérieur audit accord.

Tout projet d'aide individuel de ce type doit être préalablement notifié à la Commission. Elle vérifie la composante particulière 'développement' de l'aide envisagée et s'assure que cette aide entre dans le champ d'application de l'accord visé au premier alinéa."

Le cadre factuel

5. Le déroulement de la procédure précontentieuse, tel qu'il ressort des points 1 à 3 et 12 des motifs de la décision attaquée, peut être exposé comme suit.

6. La Commission a appris à la fin de l'année 1998, par un article paru dans le Lloyds List, que le paquebot "Le Levant", construit en France par Alstom Leroux Naval au prix contractuel de 228,55 millions de FRF, avait été financé au moyen d'allégements fiscaux consentis aux investisseurs ayant apporté des fonds en vue de la construction du navire. Cette aide n'avait pas été notifiée à la Commission.

7. Par lettre du 2 décembre 1999, la Commission a informé les autorités françaises de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE. Cette décision a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 5 février 2000 (JO C 33, p. 6) et les intéressés ont été invités à présenter leurs observations.

8. La République française a communiqué ses commentaires à cet égard par lettres des 12 janvier 2000, 14 juin 2000, 30 avril 2001 et 11 juin 2001.

9. Les caractéristiques et le contexte de l'aide, tels qu'ils sont présentés au point 5 des motifs de la décision attaquée, sont les suivants. L'aide a été accordée en 1996 à l'occasion de l'acquisition du paquebot "Le Levant" par un groupe d'investisseurs privés ayant constitué une copropriété maritime à l'initiative d'une société (ci-après la "société X"). Le navire a ultérieurement été loué à la Compagnie des Iles du Levant (ci-après la "CIL"), filiale d'une compagnie française, immatriculée à Wallis-et-Futuna (territoire français d'outre-mer). Les investisseurs ont été autorisés à déduire de leurs revenus imposables les fonds ainsi apportés. Ces allégements fiscaux, d'une valeur totale estimée à 78 millions de FRF, ont permis à la CIL d'exploiter le navire à des conditions favorables. Les investisseurs étaient tenus de revendre leurs parts à la société X après 5 ans, au début de l'année 2004. La CIL devait par la suite acheter ces parts à ladite société à un prix permettant de répercuter la valeur de l'aide. La CIL était également soumise à l'obligation d'exploiter le navire pendant une période minimale de 5 ans, essentiellement au départ et à destination de Saint-Pierre-et-Miquelon (territoire français d'outre-mer situé au large de la côte est du Canada), pendant 160 jours par an.

La décision attaquée

10. Au point 16 des motifs de la décision attaquée, la Commission a indiqué que l'aide en cause devait être appréciée à la lumière des dispositions de l'article 4, paragraphe 7, de la directive 90-684, car il s'agirait d'une aide liée à la construction navale, accordée comme aide au développement en 1996 dans le cadre d'un régime d'aide instauré par la loi dite "Pons" et autorisé par la Commission en 1992.

11. La Commission a précisé, au point 17 des motifs de la décision attaquée, qu'elle devait vérifier la composante "développement" de l'aide en cause et s'assurer que celle-ci entrait dans le champ d'application de l'accord visé à l'article 4, paragraphe 7, de la directive 90-684. Elle a constaté, au point 21 desdits motifs, que l'aide satisfaisait aux critères fixés par cet accord, mais a indiqué, au point suivant, que l'aide ne remplissait pas le critère du développement.

12. Les principaux arguments développés par la Commission au soutien de sa conclusion selon laquelle l'aide litigieuse ne constituait pas une aide au développement figurent aux points 22 à 33 des motifs de la décision attaquée.

13. La Commission a relevé qu'il ressortait des informations communiquées par les autorités françaises que l'élément essentiel de leurs estimations des retombées économiques de l'aide litigieuse reposait sur l'hypothèse selon laquelle le navire ferait escale à Saint-Pierre-et-Miquelon 50 fois par saison au cours des 160 jours, de fin mai à début octobre, au cours desquels les conditions climatiques permettent d'effectuer des croisières dans la zone concernée.

14. Cependant, la Commission a constaté que la réalité était très différente et relevé que les autorités françaises avaient indiqué dans leur lettre du 30 avril 2001 que, respectivement, seules 9 croisières et 11 croisières au départ ou à destination de Saint-Pierre-et-Miquelon avaient eu lieu en 1999 et en 2000. Il en résultait, selon la Commission, que, sur les 100 escales prévues, seules 11, soit 11 %, avaient été effectuées au cours de ces deux années.

15. S'agissant de l'année 2001, la Commission a observé que, selon la même lettre, 13 croisières au départ ou à destination de Saint-Pierre-et-Miquelon et 5 mini-croisières ayant cet archipel à la fois comme point de départ et destination avaient été prévues, ce qui donnerait un total de 12 escales sur les 50 prévues, soit 24 %.

16. Se fondant sur les chiffres applicables aux années 1999 et 2000, la Commission est parvenue à la conclusion que les hypothèses sur la base desquelles les retombées économiques pour Saint-Pierre-et-Miquelon avaient été calculées étaient fausses. Elle a indiqué qu'elle avait donc recalculé les retombées économiques escomptées, à l'aide des chiffres des autorités françaises mais en tenant compte du nombre beaucoup plus faible d'escales effectuées.

17. La Commission a constaté que, en ce qui concerne les retombées économiques directes, les autorités françaises avaient estimé que les dépenses liées à l'exploitation du navire s'élèveraient à 10,8 millions de FRF par an et que les dépenses sur place effectuées par les passagers atteindraient 1,2 million de FRF par an, soit un total de 12 millions de FRF. La Commission a précisé que, pour les deux types de dépenses, les données étaient basées sur une prévision de 50 escales par an.

18. La Commission a supposé, compte tenu de la nature des retombées économiques prévues dans ces calculs, qui comprendraient notamment la vente de produits alimentaires et de matériel ainsi que des droits de port, qu'elles étaient proportionnelles au nombre d'escales effectuées.

19. Se fondant sur le nombre réel d'escales pour les années 1999-2000 et le nombre prévisible d'escales pour les trois années suivantes, la Commission a estimé que les retombées économiques de 1999 à 2003 représentaient, à supposer que les calculs économiques faits par les autorités françaises soient exacts en ce qui concerne l'impact des escales du navire, 11,28 millions de FRF, ventilés comme suit:

- en 1999 et en 2000, les retombées économiques auraient été de 11 % de 12 millions de FRF par an, soit 1,32 million de FRF par an;

- en 2001, les retombées économiques pourraient être estimées à 24 % de 12 millions de FRF, soit 2,88 millions de FRF;

- en 2002 et en 2003, le programme de croisières n'étant pas connu, les retombées économiques sont estimées en appliquant, à titre d'hypothèse, le chiffre relatif à 2001, à savoir 24 % de 12 millions de FRF par an, soit 2,88 millions de FRF par an.

20. La valeur totale de l'aide litigieuse étant de 78 millions de FRF, la Commission a considéré qu'elle était donc près de 7 fois plus élevée que les retombées économiques prévues pour l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

21. En ce qui concerne les emplois directs, la Commission a indiqué que les autorités françaises avaient affirmé que seraient embauchés en priorité des résidents de Saint-Pierre-et-Miquelon pour les 55 postes de membre d'équipage. Toutefois, la Commission a relevé que le seul renseignement fourni était que 4 anciens pêcheurs de cet archipel avaient suivi une formation pour travailler sur le navire. La Commission en a déduit que l'équipage ne comptait pas beaucoup de résidents de l'archipel.

22. La Commission a observé que les affirmations relatives à d'autres retombées indirectes n'avaient pas été quantifiées.

23. La Commission a également indiqué que l'argument des autorités françaises selon lequel il faudrait prendre en considération une période plus longue que les années 1999 à 2003 n'était pas acceptable, dans la mesure où il n'existerait aucune obligation pour la CIL de poursuivre l'exploitation du navire à partir ou à destination de Saint-Pierre-et-Miquelon après cette période.

24. La Commission en a conclu qu'il n'était pas établi que le projet ayant fait l'objet de l'aide litigieuse était un projet de développement. Elle a fait valoir, d'une part, que les retombées prétendues en termes d'emplois directs créés n'avaient pas été prouvées et ne reposaient pas sur des hypothèses réalistes. Elle a noté, d'autre part, que les retombées économiques directes prétendues étaient nettement moins importantes que ladite aide, ce qui démontrerait une absence de proportionnalité entre celle-ci et l'impact économique prévu.

25. La Commission a constaté que la République française avait mis à exécution l'aide litigieuse en violation de l'article 88, paragraphe 3, CE. Elle a ajouté que, l'aide n'étant pas conforme à la directive 90-684, elle était dès lors incompatible avec le Marché commun et devait être récupérée en tenant compte des intérêts.

Les conclusions des parties

26. La République française, qui invoque un seul moyen à l'appui de son recours, demande qu'il plaise à la Cour annuler la décision attaquée et condamner la Commission aux dépens.

27. La Commission conclut au rejet du recours comme étant non fondé et à la condamnation de la République française aux dépens.

Sur le moyen soulevé

28. Par son unique moyen, le Gouvernement français conteste la conclusion de la Commission selon laquelle l'aide litigieuse ne serait pas une aide au développement. Il considère que la Commission n'a pu écarter la qualification d'aide au développement qu'au prix d'erreurs de fait, d'erreurs de droit et d'erreurs manifestes d'appréciation qui devraient entraîner l'annulation de la décision attaquée.

29. Ce moyen s'articule en deux branches. Premièrement, s'agissant des données relatives à l'emploi, la Commission n'aurait pas tenu compte du nombre correct d'employés résidant à Saint-Pierre-et-Miquelon. Deuxièmement, en ce qui concerne les retombées économiques, l'appréciation de la Commission serait erronée.

Sur les données relatives à l'emploi

Argumentation des parties

30. Le Gouvernement français soutient que le projet ayant fait l'objet de l'aide litigieuse a atteint son but en matière de création d'emplois. La Commission aurait considéré à tort que seuls 4 anciens pêcheurs avaient reçu une formation pour travailler sur le navire concerné et que l'équipage ne devait pas compter de nombreux résidents de Saint-Pierre-et-Miquelon. Selon le Gouvernement français, 12 membres d'équipage ont été recrutés dans cet archipel et 17 aux Antilles.

31. La Commission rétorque qu'elle n'a pas commis d'erreur de fait et que l'information relative aux prétendus 12 membres d'équipage recrutés à Saint-Pierre-et-Miquelon est nouvelle. Elle ne ressortirait nullement des données fournies lors de la procédure précontentieuse et serait donc irrecevable dans le cadre du présent recours. Quant aux 17 membres d'équipage recrutés aux Antilles, l'information ne serait pas pertinente dans le cadre d'un dossier relatif au développement de Saint-Pierre-et-Miquelon.

32. Dans sa réplique, le Gouvernement français admet qu'il n'a pas informé la Commission immédiatement de l'origine des membres d'équipage recrutés après sa lettre du 12 mai 1999 à la Commission, dans laquelle il indiquait que 4 anciens pêcheurs étaient en formation.

Appréciation de la Cour

33. Force est de constater que le Gouvernement français n'a pas communiqué à la Commission, au stade de la procédure précontentieuse, l'information figurant dans la requête et relative au recrutement de 12 membres d'équipage résidant à Saint-Pierre-et-Miquelon.

34. Il y a lieu de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, la légalité d'une décision en matière d'aides doit être appréciée en fonction des éléments d'information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l'a arrêtée (voir, notamment, arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission, C-288-96, Rec. p. I-8237, point 34). Ainsi que M. l'avocat général le relève au point 20 de ses conclusions, un État membre ne saurait se prévaloir devant la Cour d'éléments de fait qui n'ont pas été avancés au cours de la procédure précontentieuse prévue à l'article 88 CE (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 1994, Espagne/Commission, C-278-92 à C-280-92, Rec. p. I-4103, point 31, et du 13 juin 2002, Pays-Bas/Commission, C-382-99, non encore publié au Recueil, points 49 et 76).

35. Il s'ensuit que le Gouvernement français ne peut se prévaloir devant la Cour de l'argument relatif au nombre prétendu de membres d'équipage résidant à Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'il a invoqué pour la première fois au stade de la requête.

36. Il y a lieu, dès lors, de considérer que la première branche du moyen est irrecevable.

Sur les retombées économiques

37. Le Gouvernement français articule la seconde branche de son moyen en quatre volets.

Sur le premier volet, relatif à la période 2001-2003

Argumentation des parties

38. En premier lieu, le Gouvernement français reproche à la Commission d'avoir commis une erreur de droit en évaluant les retombées économiques de l'aide litigieuse au cours de la période 2001-2003 au moyen d'une extrapolation des chiffres relatifs aux années 1999 et 2000. L'erreur serait d'autant plus significative que, lors de ces deux années, le navire concerné aurait été affecté par des avaries techniques.

39. La Commission répond que le reproche du Gouvernement français repose sur une lecture inexacte de la décision attaquée. Il ressortirait clairement de celle-ci que la Commission n'a pas fondé ses calculs relatifs à la période 2001-2003 sur les chiffres des années 1999 et 2000, mais sur les estimations fournies pour l'année 2001.

Appréciation de la Cour

40. À cet égard, il suffit de constater que, au point 29 des motifs de la décision attaquée, la Commission a fait usage de l'estimation fournie pour l'année 2001 afin d'évaluer les retombées économiques durant la période 2001-2003. La Commission soutient donc à juste titre que la lecture de la décision attaquée proposée par le Gouvernement français est contraire aux termes expressément utilisés dans celle-ci.

41. Il s'ensuit que l'argumentation du Gouvernement français développée dans le cadre du premier volet de la seconde branche du moyen doit être rejetée comme non fondée.

Sur le deuxième volet, relatif à la période d'utilisation du navire

Argumentation des parties

42. En deuxième lieu, le Gouvernement français soutient que la Commission a considéré à tort que les estimations des retombées économiques reposaient sur l'hypothèse d'une période de 160 jours par an passée dans la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon. Il fait valoir que l'engagement pris initialement à cet égard portait sur 130 jours seulement et que cet objectif a été dépassé de 5 jours en 2001 et presque atteint en 1999 et 2000.

43. La Commission répond que cette argumentation ne peut être conciliée avec les données de l'espèce. Elle soutient que les seuls éléments fournis à ce sujet par les autorités françaises figurent dans leurs courriers des 12 mai 1999 et 14 juin 2000, qui mentionneraient exclusivement 160 jours, non 130 jours, et porteraient sur la durée d'exploitation du navire, non sur le temps passé dans la zone de Saint-Pierre-et-Miquelon.

44. Le Gouvernement français reconnaît dans sa réplique que le nombre de jours qu'il avait mentionné était de 160 et non de 130, mais fait valoir qu'il s'agissait d'une erreur de plume.

45. Dans sa duplique, la Commission conteste cette explication du Gouvernement français.

Appréciation de la Cour

46. À cet égard, il convient de relever que le Gouvernement français reconnaît avoir mentionné une période de 160 jours et non de 130 jours dans sa correspondance avec la Commission.

47. Force est de constater que, ainsi que la Commission le fait valoir dans sa duplique, ces mentions ne peuvent être considérées comme constituant une erreur de plume, le Gouvernement français ayant clairement fait état à deux reprises dans cette correspondance d'un engagement portant sur l'exploitation du navire dans la zone concernée durant 160 jours.

48. Il y a donc lieu de rejeter l'argumentation du Gouvernement français développée dans le cadre du deuxième volet de la seconde branche du moyen comme non fondée.

Sur le troisième volet, relatif au contexte économique

Argumentation des parties

49. En troisième lieu, le Gouvernement français fait valoir que la Commission aurait dû, en tout état de cause, tenir compte du contexte de l'archipel, notamment de sa taille et de ses perspectives économiques, afin d'apprécier les retombées de l'aide litigieuse. Il souligne, dans sa réplique, les problèmes de reconversion et de diversification économique de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et ajoute que la remise en cause de l'aide litigieuse ne pourrait que compromettre davantage l'équilibre économique très précaire de cet archipel. Il soutient par ailleurs que la Commission ne s'est pas opposée, dans le passé, à de tels projets concernant un territoire d'outre-mer et il cite à titre d'exemple la décision 1999-719-CE de la Commission, du 30 mars 1999, concernant l'aide d'État que la France envisage d'accorder à titre d'aide au développement pour la vente de deux paquebots construits aux Chantiers de l'Atlantique et exploités par Renaissance Financial en Polynésie française (JO L 292, p. 23).

50. La Commission répond que l'analyse qu'elle a effectuée dans la décision attaquée tient compte des données fournies par les autorités françaises quant à l'impact sur l'emploi et aux retombées directes de l'exploitation du navire concerné. Elle soutient que les indications relatives aux retombées indirectes sur le développement des infrastructures et à l'arrivée éventuelle d'autres opérateurs n'avaient pas été quantifiées et ne concernaient pas la contribution de l'aide litigieuse au développement.

51. Quant à la considération selon laquelle la remise en cause de l'aide litigieuse ne pourrait que compromettre davantage l'équilibre économique de Saint-Pierre-et-Miquelon, la Commission fait valoir que la directive 90-684 autorise certaines aides au profit des pays en voie de développement. Il serait dans la nature des cas envisagés que de tels pays connaissent des situations financières difficiles, mais celles-ci ne suffiraient pas, en elles-mêmes, à établir la contribution d'une aide déterminée au développement. La Commission ajoute que le fait qu'elle a accepté, dans le passé, d'autres projets de même nature intéressant les territoires d'outre-mer n'a pas d'incidence sur l'aide litigieuse. Cela démontrerait simplement que la Commission n'est pas a priori hostile à ce type d'aide, dès lors que sont remplies les conditions énoncées à l'article 4, paragraphe 7, de la directive 90-684.

Appréciation de la Cour

52. À cet égard, force est de constater que le Gouvernement français se borne à décrire les difficultés économiques et financières auxquelles se trouve confronté l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, sans démontrer que la Commission aurait commis une erreur de fait ou de droit dans son analyse de l'aide litigieuse.Ainsi que la Commission l'observe à juste titre, l'existence de telles difficultés ne suffit pas pour que des aides à la construction et à la transformation navales puissent être qualifiées d'"aides au développement à un pays en voie de développement" au sens de l'article 4, paragraphe 7, de la directive 90-684.

53. Par ailleurs, le fait que la Commission ait pu, par le passé, accepter d'autres projets du même type relatifs aux territoires d'outre-mer est, ainsi que la Commission le fait valoir, sans incidence sur l'appréciation de l'aide litigieuse, qui devait être analysée selon ses propres mérites.

54. Il y a donc lieu de rejeter l'argumentation du Gouvernement français développée dans le cadre du troisième volet de la seconde branche du moyen comme non fondée.

Sur le quatrième volet, relatif au nombre d'escales et au montant des retombées économiques

Argumentation des parties

55. Le Gouvernement français fait valoir, en quatrième lieu, que le chiffre de 100 escales utilisé par la Commission dans son évaluation des retombées économiques pour les années 1999 et 2000, soit 50 escales par an, n'a pas été avancé par lui mais par la Commission. Le Gouvernement français se serait limité à mentionner 50 touchées. Or, chaque escale comporterait deux touchées, à savoir une à l'arrivée et une au départ du navire. Par ailleurs, selon les derniers chiffres disponibles, les retombées économiques de l'aide litigieuse se seraient élevées à 492 000 euros en 1999, à 349 000 euros en 2000 et à 821 000 euros en 2001, soit à plus de 1 600 000 euros pour les trois premières années d'exploitation du navire.

56. La Commission fait valoir que cette argumentation est dénuée de fondement et, en tout état de cause, irrecevable.

57. La Commission s'étonne de la définition des touchées proposée par le Gouvernement français, qui lui paraît contraire au concept d'escale tel qu'il ressort des définitions données dans les dictionnaires de langue française. Elle maintient que les termes "escale" et "touchée" sont des synonymes, en sorte qu'une escale constitue une touchée, et non pas deux. De surcroît, cette définition des touchées aurait été mentionnée par le Gouvernement français pour la première fois dans sa réplique. Elle n'aurait été exposée à aucun des stades de la procédure ayant conduit à l'adoption de la décision attaquée, alors même que la Commission aurait, tout au long de l'instruction, clairement montré l'importance qu'elle donnait au nombre d'escales. La définition ainsi proposée serait donc irrecevable.

58. La Commission examine également les nouveaux chiffres présentés dans la réplique quant aux retombées économiques de l'aide litigieuse. Elle soutient qu'il s'agit de données postérieures à la décision attaquée et donc irrecevables. En tout état de cause, elle conteste la pertinence des nouveaux chiffres, qui ne seraient ni expliqués ni justifiés.

Appréciation de la Cour

59. À cet égard, il convient de relever d'emblée que le sens du mot "touchée" proposé par le Gouvernement français ne semble pas étayé par la définition de ce terme telle qu'elle figure dans les dictionnaires de langue française.

60. Par ailleurs, force est de constater que, en tout état de cause, l'argument du Gouvernement français sur le nombre de touchées par escale ainsi que les nouveaux chiffres qu'il avance concernant les retombées économiques de l'aide litigieuse ont été présentés pour la première fois au stade de la réplique. Ce gouvernement n'en a fait aucune mention auparavant, notamment au cours de la procédure précontentieuse. Or, ainsi qu'il ressort du dossier, il ne pouvait ignorer l'importance que la Commission accordait au nombre d'escales dans l'évaluation des retombées économiques de l'aide litigieuse ainsi qu'au montant de ces retombées.

61. Il y a lieu, dès lors, conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 34 du présent arrêt, de considérer que, présentée tardivement, l'argumentation du Gouvernement français développée dans le cadre du quatrième volet de la seconde branche du moyen est irrecevable.

62. Aucun des quatre volets de l'argumentation présentée par le Gouvernement français au soutien de la seconde branche de son moyen n'ayant été accueilli, il convient de rejeter celle-ci dans son intégralité.

63. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter l'unique moyen soulevé par la République française et, dès lors, le recours dans son ensemble.

Sur les dépens

64. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française et celle-ci ayant succombé en son unique moyen, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1°) le recours est rejeté.

2°) la République française est condamnée aux dépens.