CJCE, 3e ch., 13 février 2003, n° C-409/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Royaume d'Espagne
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Puissochet
Avocat général :
M. Alber.
Juges :
Mme Macken, M. Cunha Rodrigues
LA COUR (troisième chambre),
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 novembre 2000, le Royaume d'Espagne a, en vertu de l'article 230 CE, demandé l'annulation de la décision 2001-605-CE de la Commission, du 26 juillet 2000, concernant le régime d'aides appliqué par l'Espagne en vue de l'acquisition de véhicules utilitaires dans le cadre de la convention de collaboration conclue le 26 février 1997 entre le ministère de l'Industrie et de l'Énergie et l'Instituto de Crédito Oficial (JO 2001, L 212, p. 34, ci-après la "décision attaquée").
Le cadre factuel du litige et la décision attaquée
2. Le 26 février 1997, le ministère de l'Industrie et de l'Énergie espagnol et l'Instituto de Crédito Oficial (ci-après l'"ICO") ont conclu une convention de collaboration établissant un régime d'aide à l'acquisition de véhicules utilitaires (ci-après la "convention"). La convention est entrée en vigueur rétroactivement le 1er janvier 1997 et a pris fin le 31 décembre 1997.
3. La convention succède à un régime d'aide analogue, lequel a fait l'objet de la décision 98-693-CE de la Commission, du 1er juillet 1998, concernant le régime espagnol d'aide à l'achat de véhicules industriels Plan Renove Industrial (août 1994 décembre 1996) (JO L 329, p. 23). Selon l'article 2 de cette décision, les aides octroyées, sous forme de bonification, à des personnes physiques ou à des petites et moyennes entreprises (ci-après les "PME") qui se consacrent à des activités autres que des activités de transport à l'échelle exclusivement locale ou régionale, en vue de l'acquisition de véhicules industriels de la catégorie D, ne constituent pas des aides d'État. Aux articles 3 et 4 de la même décision, la Commission a considéré que "[t]outes les autres aides octroyées à des personnes physiques et à des PME constituent des aides d'État en vertu de l'article 92, paragraphe 1, du traité", qu'elles sont illégales et incompatibles avec le Marché commun et que le Royaume d'Espagne doit, en conséquence, les récupérer.
4. Le Royaume d'Espagne a saisi la Cour d'un recours visant à l'annulation des articles 3 et 4 de la décision 98-693. Par arrêt du 26 septembre 2002, Espagne/Commission (C-351-98, non encore publié au Recueil), la Cour a fait droit à ce recours.
5. En ce qui concerne la présente affaire, la convention vise à promouvoir le renouvellement du parc de véhicules utilitaires en Espagne, en incitant les personnes physiques travaillant pour leur propre compte et les entreprises répondant à la définition communautaire de PME à acquérir des véhicules neufs en remplacement de leurs anciens véhicules.
6. À cette fin, la convention prévoit que les personnes physiques assujetties à l'impôt sur les activités économiques et les PME pourront bénéficier d'un prêt accordé pour une durée maximale de quatre ans sans période de franchise de remboursement et représentant jusqu'à 70 % du coût éligible. Ce prêt fait l'objet d'une bonification maximale de 85 000 ESP par million d'ESP emprunté, soit environ 511 euros pour 6 010 euros empruntés. L'équivalent-subvention de cette mesure se monte ainsi à 8,5 %.
7. L'octroi d'un tel prêt est assujetti à trois conditions cumulatives. En premier lieu, la personne physique ou la PME concernée doit acquérir un véhicule utilitaire neuf ou le louer dans l'intention de l'acheter. En deuxième lieu, il lui incombe de présenter un document délivré par la direction générale du trafic et certifiant qu'un autre véhicule utilitaire a été définitivement retiré de la circulation afin d'être envoyé à la casse. Il est impératif que le véhicule concerné soit immatriculé en Espagne depuis au moins sept ans s'il s'agit d'un tracteur routier et depuis au moins dix ans dans tous les autres cas. En troisième lieu, le véhicule envoyé à la casse doit en principe avoir une capacité de charge équivalente à celle du véhicule acheté.
8. Aux fins de faciliter l'appréciation de la dernière condition mentionnée au point précédent, la convention distingue entre six catégories de véhicules, à savoir les tracteurs routiers et camions pesant plus de 30 tonnes (catégorie A), les camions pesant entre 12 et 30 tonnes (catégorie B), les camions pesant entre 3,5 et 12 tonnes (catégorie C), les modèles dérivés des véhicules de tourisme, fourgonnettes et camions pesant jusqu'à 3,5 tonnes (catégorie D), les autobus et autocars (catégorie E) et les remorques et semi-remorques (catégorie F).
9. S'agissant du financement et des modalités d'octroi des prêts, la convention prévoit que l'ICO ouvrira une ligne de crédit d'un montant maximal de 35 milliards d'ESP et conclura des contrats avec des organismes financiers publics et privés, lesquels accorderont les prêts avec bonification aux personnes physiques et aux PME. La différence entre le taux d'intérêt pratiqué par l'ICO et le taux d'intérêt normalement appliqué dans ce type de transactions sera compensée, à concurrence de 4,5 points, par le ministère de l'Industrie et de l'Énergie. Le montant total de l'intervention du Royaume d'Espagne devait s'élever à 3 milliards d'ESP, soit quelque 18 millions d'euros.
10. Par lettre du 26 février 1997, les autorités espagnoles ont notifié la convention à la Commission, en application de l'article 93, paragraphe 3, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 3, CE).
11. Par lettre du 3 avril 1997, la Commission a demandé des informations complémentaires aux autorités espagnoles. À trois reprises, celles-ci ont demandé à la Commission de bénéficier d'un délai supplémentaire pour envoyer les informations requises. Cependant, après l'expiration du dernier délai accordé par la Commission, les autorités espagnoles n'avaient transmis à celle-ci aucun élément d'information additionnel.
12. Par lettre du 20 novembre 1997, la Commission a informé les autorités espagnoles, d'une part, du fait que le régime d'aide, rétroactif, serait traité comme une aide non notifiée et, d'autre part, de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité. La Commission a publié cette lettre au Journal officiel des Communautés européennes (JO 1999, C 29, p. 14) et invité les parties intéressées à présenter leurs observations.
13. Par lettre du 22 février 1999, le Royaume d'Espagne a soumis ses observations à la Commission. Aucun autre État membre, ni aucun tiers intéressé, n'a communiqué d'observations. C'est dans ces conditions que la Commission a arrêté la décision attaquée.
14. Après avoir présenté la procédure, décrit l'économie de la convention et rappelé la teneur des observations formulées par le Royaume d'Espagne, la Commission a considéré, dans la partie IV des motifs de la décision attaquée, que le régime d'aide à l'acquisition de véhicules utilitaires doit être qualifié d'aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 87, paragraphe 1, CE).
15. La Commission a relevé en premier lieu que les crédits affectés au financement de ce régime d'aide proviennent du budget du ministère de l'Industrie et de l'Énergie. Les aides financières en cause seraient donc accordées au moyen de ressources d'État.
16. En deuxième lieu, la Commission a considéré que la convention favorise certaines entreprises. La Commission a relevé que le champ d'application matériel de la convention se limite aux six catégories de véhicules utilitaires énumérées par celle-ci et que seules les personnes physiques ou morales qui se consacrent, au moyen d'un véhicule appartenant à l'une ou l'autre de ces catégories, à des activités de transport pour leur propre compte ou pour le compte d'autrui peuvent être admises à bénéficier des prêts en cause. Dès lors, le régime d'aide serait sélectif aux plans matériel et personnel.
17. En troisième lieu, la Commission a constaté que le régime d'aide met en place un mécanisme ayant un effet équivalent à une subvention, en ce qu'il entraînerait une réduction des coûts normalement supportés par les personnes physiques et les PME qui en sont bénéficiaires. Il s'ensuivrait que le régime d'aide fausse la concurrence au détriment des autres opérateurs économiques du secteur.
18. En quatrième lieu, la Commission a fait valoir que le régime d'aide instaure une discrimination entre transporteurs établis en Espagne et transporteurs non-résidents et que cette discrimination intervient dans le secteur du transport routier, lequel a été ouvert à la concurrence intracommunautaire par des mesures touchant tant le transport international que le cabotage. En conséquence, la Commission a considéré que le régime d'aide affecte les échanges entre États membres.
19. Cependant, à l'article 1er de la décision attaquée, la Commission a reconnu que, lorsque, d'une part, le bénéficiaire réalise son activité dans des secteurs autres que celui du transport et à l'échelle exclusivement locale ou régionale et que, d'autre part, l'aide financière accordée à ce bénéficiaire ne porte que sur l'acquisition de petits véhicules utilitaires de la catégorie D, lesquels sont habituellement utilisés pour des trajets de courte durée, il n'y a pas lieu de considérer que cette aide affecte les échanges entre États membres. Elle en a conclu que les aides financières de ce type ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.
20. En dernier lieu, pour ce qui est des aides financières ne relevant pas de l'hypothèse décrite au point précédent, la Commission a exposé qu'elles ne peuvent être justifiées sur le fondement de la règle de minimis, en vertu de laquelle les aides qui ne risquent pas de fausser la concurrence ni d'affecter les échanges entre États membres, compte tenu de leur faible montant, ne relèvent pas de l'article 92, paragraphe 1, du traité. En effet, il ressortirait de la communication de la Commission de 1992 relative à l'encadrement communautaire des aides aux petites et moyennes entreprises (JO C 213, p. 2, ci-après l'"encadrement des aides aux PME de 1992") et de la communication de la Commission relative aux aides de minimis (JO 1996, C 68, p. 9, ci-après la "communication de minimis") que cette règle ne s'applique pas au secteur des transports, au motif que ce secteur est caractérisé par la présence d'un nombre élevé de petites entreprises et que des sommes relativement faibles sont donc susceptibles d'avoir des répercussions sur la concurrence et sur les échanges commerciaux entre États membres. Or, le régime d'aide en cause bénéficierait en définitive à des entreprises qui se consacrent à des activités de transport pour leur compte propre ou pour le compte d'autrui. Il s'ensuivrait que la règle de minimis n'est pas applicable.
21. La Commission en a conclu que les aides financières accordées au titre de la convention à des personnes physiques assujetties à l'impôt sur les activités économiques ou à des PME, autres que les aides visées au point 19 du présent arrêt, doivent être qualifiées d'aides d'État et sont donc, en principe, incompatibles avec le Marché commun.
22. La Commission a affirmé en outre que ces aides sont illégales. Notamment, elles ne pourraient pas être admises au bénéfice de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, en vertu duquel les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun, peuvent être considérées comme compatibles avec le Marché commun. En effet, le régime d'aide en cause ne remplirait pas les conditions énoncées par cette disposition. Selon la Commission, il ne vise pas à faciliter le développement d'une activité économique et son incidence sur les échanges va au-delà de ce qu'autorise l'intérêt commun.
23. S'agissant d'une part de la destination des aides en cause, la Commission a rappelé qu'il ressort de sa communication relative à l'encadrement communautaire des aides d'État pour la protection de l'environnement (JO 1994, C 72, p. 3, ci-après l'"encadrement des aides à l'environnement") qu'une aide d'État ne peut bénéficier de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, au motif qu'elle améliorerait la sécurité routière et contribuerait à la protection de l'environnement, qu'à la condition que cette aide porte sur les coûts d'investissement supplémentaires nécessaires pour atteindre des normes supérieures à celles qu'impose la loi ou pour satisfaire aux nouvelles normes en matière d'environnement. Or, le régime d'aide en cause ne viserait qu'à favoriser le renouvellement du parc de véhicules utilitaires, sans tenir compte d'objectifs liés à l'environnement ou à la sécurité routière.
24. S'agissant d'autre part de l'incidence des aides en cause sur les échanges, la Commission a considéré que, sur un marché tel que celui du transport routier, caractérisé par une situation de surcapacité, une aide à l'acquisition de véhicules est en principe contraire à l'intérêt commun, quand bien même son seul objectif serait de remplacer des moyens de transport existants. Au surplus, les aides destinées à décharger certaines entreprises des coûts qu'elles devraient normalement supporter dans le cadre de leurs activités commerciales seraient considérées par nature comme contraires à l'intérêt commun. Il s'ensuivrait qu'elles ne sauraient relever du champ d'application de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité.
25. En conséquence, la Commission a décidé, à l'article 2 de la décision attaquée, que les aides litigieuses, à l'exception de celles visées au point 19 du présent arrêt, sont incompatibles avec le Marché commun et, à l'article 4 de cette décision, qu'il incombe au Royaume d'Espagne de procéder sans délai à leur récupération.
Les conclusions des parties
26. Le Royaume d'Espagne conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
annuler la décision attaquée,
condamner la Commission aux dépens.
27. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:
rejeter le recours comme non fondé,
déclarer le moyen d'annulation tiré de l'indétermination du dispositif de la décision attaquée irrecevable et, subsidiairement, inopérant ou non fondé,
condamner le Royaume d'Espagne aux dépens.
Sur le recours
28. Le Royaume d'Espagne soulève trois moyens d'annulation au soutien de son recours.
29. Le premier moyen est tiré de l'indétermination globale du dispositif de la décision attaquée en ce que l'article 1er de cette décision individualiserait des aides financières ne pouvant être qualifiées d'aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, alors que l'ordre juridique espagnol ne permet en aucune façon de les distinguer des aides jugées incompatibles avec le Marché commun à l'article 2 de la même décision et devant, à ce titre, faire l'objet d'une récupération.
30. Par le deuxième moyen, le Royaume d'Espagne soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les aides litigieuses entrent dans le champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité, alors qu'elles ne présentent pas un caractère sélectif et qu'elles n'entraînent aucune distorsion de concurrence.
31. Le troisième moyen est tiré d'une violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, en ce que la Commission aurait considéré à tort que les aides litigieuses ne pouvaient être autorisées sur le fondement de la dérogation prévue par cette disposition.
32. L'examen du premier moyen n'étant utile que si les deuxième et troisième moyens sont rejetés, il convient de se prononcer préalablement sur ceux-ci.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l'article 92, paragraphe 1, du traité
33. Le Royaume d'Espagne soutient par le deuxième moyen que les aides litigieuses ne constituent pas des aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. Ce moyen s'articule en deux branches. D'une part, les aides litigieuses ne présenteraient pas un caractère sélectif. D'autre part, elles ne seraient pas de nature à fausser ou à menacer de fausser la concurrence et elles n'auraient aucune incidence sur les échanges entre États membres.
Sur la première branche, tirée de ce que la Commission aurait considéré à tort que les aides litigieuses présentent un caractère sélectif
Arguments des parties
34. En premier lieu, le Royaume d'Espagne reproche à la Commission d'avoir considéré que l'économie juridique de la convention privilégie certaines catégories de personnes physiques ou morales.
35. D'une part, le Royaume d'Espagne soutient que la convention vise de manière générale un ensemble de bénéficiaires potentiels. Certes, l'existence même des conditions exposées au point 7 du présent arrêt aurait pour conséquence qu'une personne physique ou morale qui ne les remplirait pas ne pourrait, de ce fait, être éligible à un prêt, mais cette circonstance, en ce qu'elle aboutirait seulement à exiger que les bénéficiaires se trouvent dans une situation objectivement identique, n'engendrerait aucune sélectivité prohibée par l'article 92, paragraphe 1, du traité.
36. D'autre part, le Royaume d'Espagne, qui ne conteste pas que la convention exclut expressément les grandes entreprises de son champ d'application, affirme que le régime d'aide en cause s'inscrit dans le cadre d'un système de soutien à la protection de l'environnement, à la sécurité du trafic routier et au renouvellement du parc automobile. L'exclusion des grandes entreprises, qui renouvellent leur parc de véhicules plus régulièrement et sans avoir besoin d'aide à cette fin, serait nécessaire à l'économie dudit système, au sens de la décision 96-369-CE de la Commission, du 13 mars 1996, concernant une aide fiscale en matière d'amortissement au profit des compagnies aériennes allemandes (JO L 146, p. 42). Dans ces conditions, la Commission aurait dû décider qu'il n'en résultait aucune sélectivité.
37. En deuxième lieu, le Royaume d'Espagne soutient que c'est à tort que la Commission a considéré que la convention était sélective au motif qu'elle ne concernait que certaines catégories de véhicules utilitaires. Il fait valoir que la convention distingue entre les six catégories de véhicules énumérées au point 8 du présent arrêt aux seules fins de permettre aux bénéficiaires de s'assurer qu'ils remplissent la condition d'équivalence de capacité de charge, puis aux autorités compétentes de contrôler le respect de cette condition. En tout état de cause, ces catégories recouvriraient l'ensemble des véhicules utilitaires.
38. En troisième lieu, le Royaume d'Espagne prétend que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que, à défaut d'être sélectif en droit, le régime d'aide en cause l'était en pratique. Il faudrait, en effet, déduire par analogie de l'arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission (C-75-97, Rec. p. I-3671, point 28), que la circonstance que les aides litigieuses bénéficient de fait à certaines entreprises ne permet pas de conclure à l'existence d'aides d'État. Cette conclusion serait conforme à la pratique de la Commission, telle qu'énoncée notamment dans sa communication relative au contrôle des aides d'État et à la réduction du coût du travail (JO 1997, C 1, p. 10).
39. En dernier lieu, il conviendrait, dans l'appréciation des aides litigieuses, de tenir compte de la notion de "subvention spécifique" retenue par l'accord sur les subventions et les mesures compensatoires (ci-après l'"accord sur les subventions") figurant à l'annexe 1A de l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce, approuvé au nom de la Communauté, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, par la décision 94-800-CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 336, p. 1). En vertu de l'article 2, paragraphe 2.1, sous b), de l'accord sur les subventions, "[d]ans les cas où l'autorité qui accorde la subvention, ou la législation en vertu de laquelle ladite autorité agit, subordonne à des critères ou conditions objectifs [.] le droit de bénéficier de la subvention et le montant de celle-ci, il n'y aura pas spécificité". L'expression "critères ou conditions objectifs" s'entendrait, en vertu de la note de bas de page n° 2 du même accord, des "critères ou conditions neutres, qui ne favorisent pas certaines entreprises par rapport à d'autres, et qui sont de caractère économique et d'application horizontale, par exemple nombre de salariés ou taille de l'entreprise". À la lumière de ces dispositions, il conviendrait de reconnaître que les aides litigieuses ne sont pas spécifiques et échappent, en conséquence, à la qualification d'aides d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité.
40. La Commission réplique que les aides litigieuses ont un caractère sélectif.
41. S'agissant d'abord de l'économie de la convention, la Commission soutient d'une part que l'argument tiré par le Royaume d'Espagne des conditions d'application horizontales et objectives du régime d'aide en cause ne saurait être accueilli. En effet, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour que de telles conditions constituent l'un des éléments caractéristiques d'un régime d'aide, par opposition à une aide individuelle. Dès lors, l'argument en question aurait pour conséquence, s'il était reçu, que tout régime d'aide serait automatiquement exclu du champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité.
42. D'autre part, la Commission soutient que la justification tirée de l'existence d'un système de charges d'intérêt général excluant les grandes entreprises pour un motif de rationalité économique ne saurait prospérer. En premier lieu, cette justification pourrait être recevable dans le cadre de systèmes d'intérêt général tels qu'un système fiscal ou de sécurité sociale, mais pas dans celui d'un régime d'aide, quand bien même celui-ci poursuivrait des objectifs légitimes. La Commission se réfère sur ce point aux arrêts de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission (C-56-93, Rec. p. I-723, point 79); du 26 septembre 1996, France/Commission (C-241-94, Rec. p. I-4551, point 20), et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, précité (point 25), ainsi qu'à l'arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission (T-55-99, Rec. p. II-3207, point 53). En deuxième lieu, à supposer même que cette justification soit recevable, le Royaume d'Espagne n'aurait, en l'espèce, pas rapporté la preuve de l'existence d'un tel système de charges d'intérêt général. En troisième lieu, à supposer qu'il suffise de démontrer que le régime d'aide en cause poursuit des objectifs généraux pour établir, de ce seul fait, l'existence d'un système de charges d'intérêt général susceptible d'échapper à la qualification d'aide d'État, cet État membre n'aurait pas démontré en quoi l'exclusion des grandes entreprises, en ce qu'elle serait nécessaire au fonctionnement dudit système, ne pourrait être considérée comme opérant une sélection.
43. La Commission soutient ensuite qu'il convient d'écarter également l'argument selon lequel les mesures bénéficiant plus à certaines entreprises qu'à d'autres ne sont pas nécessairement sélectives au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité. En effet, cet argument serait tiré du domaine spécifique des mesures de soutien à l'emploi et ne pourrait valablement être transposé en l'espèce. Au contraire, il y aurait lieu d'appliquer par analogie la position de la Cour en matière d'aides à l'exportation (arrêts du 10 décembre 1969, Commission/France, 6-69 et 11-69, Rec. p. 523, point 21, et du 7 juin 1988, Grèce/Commission, 57-86, Rec. p. 2855, point 8) et de conclure qu'un régime d'aide susceptible de bénéficier à l'ensemble des personnes physiques et des PME utilisatrices de véhicules utilitaires, à l'exclusion des personnes physiques et des PME n'utilisant pas de tels véhicules, peut constituer une aide d'État. Cette approche serait conforme à la position retenue dans la communication de la Commission de 1996 relative à l'encadrement communautaire des aides dÉtat aux petites et moyennes entreprises (JO C 213, p. 4, ci-après l'"encadrement des aides aux PME de 1996").
44. Enfin, la Commission expose qu'il ne convient pas d'apprécier la légalité des aides litigieuses au regard de l'accord sur les subventions, lequel poursuivrait un objectif différent des finalités de l'article 92, paragraphe 1, du traité.
Appréciation de la Cour
45. L'article 92, paragraphe 1, du traité définit les aides d'État en principe incompatibles avec le Marché commun comme étant les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres.
46. Il convient, à titre liminaire, de relever que cette disposition ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (arrêts précités du 29 février 1996, Belgique/Commission, point 79; France/Commission, point 20, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, point 25).
47. Il s'ensuit que l'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité commande uniquement de déterminer si, dans le cadre d'un régime juridique donné, une mesure étatique est de nature à favoriser "certaines entreprises ou certaines productions" par rapport à d'autres, lesquelles se trouveraient, au regard de l'objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable (arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C-143-99, Rec. p. I-8365, point 41; voir aussi, en ce sens, arrêts du 1er décembre 1998, Ecotrade, C-200-97, Rec. p. I-7907, point 41, et du 17 juin 1999, Belgique/Commission, précité, point 26). Dans l'affirmative, la mesure concernée remplit la condition de sélectivité constitutive de la notion d'aide d'État prévue par cette disposition.
48. La circonstance que le nombre d'entreprises pouvant prétendre bénéficier de la mesure en cause soit très significatif, ou que ces entreprises appartiennent à des secteurs d'activité divers, ne saurait suffire à mettre en cause son caractère sélectif et, partant, à écarter la qualification d'aide d'État (arrêts précités du 17 juin 1999, Belgique/Commission, point 32, et Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, point 48).
49. En l'espèce, il ressort en premier lieu du dossier que l'économie du régime d'aide établi par la convention, dans la mesure où celle-ci a vocation à favoriser, et a effectivement favorisé, des personnes physiques et des PME se livrant à des activités de transport pour leur propre compte ou pour le compte d'autrui, présente un caractère sélectif. L'argument invoqué par le Royaume d'Espagne, selon lequel la convention est régie par des critères objectifs d'application horizontale, est inopérant puisqu'il serait seulement de nature à établir que les aides litigieuses relèvent d'un régime d'aide, et non d'une aide individuelle.
50. Il apparaît en second lieu que la convention exclut expressément les grandes entreprises de son champ d'application, alors même que lesdites entreprises ont acquis ou étaient susceptibles d'acquérir un véhicule utilitaire neuf au cours de la période d'application du régime d'aide et ont participé de ce fait, au même titre que des personnes physiques et des PME, à l'objectif de renouvellement du parc automobile.
51. Le Royaume d'Espagne soutient toutefois qu'il faudrait voir dans cette exclusion la conséquence même du système de charges d'intérêt général dans lequel s'inscriraient les aides litigieuses.
52. Il ressort en effet d'une jurisprudence constante que la notion d'aide d'État ne vise pas les mesures étatiques introduisant une différenciation entre entreprises lorsque cette différenciation résulte de la nature et de l'économie du système de charges dans lequel elles s'inscrivent. Dans cette hypothèse, la mesure en question ne peut en principe être considérée comme sélective, alors même qu'elle procure un avantage aux entreprises qui peuvent s'en prévaloir (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 1993, Sloman Neptun, C-72-91 et C-73-91, Rec. p. I-887, point 21).
53. Toutefois, le Royaume d'Espagne n'a, en l'espèce, pas rapporté la preuve de l'existence d'un système de charges d'intérêt général. Tout au plus a-t-il énuméré les motifs d'intérêt général auxquels le régime d'aide en cause aurait pour objet ou pour effet de contribuer, à savoir, d'une part, la protection de l'environnement et, d'autre part, la sécurité routière.
54. Or, ces motifs, pour légitimes qu'ils soient, et à les supposer avérés, sont inopérants au stade de l'appréciation d'une mesure étatique au regard de l'article 92, paragraphe 1, du traité, ainsi qu'il a été rappelé au point 46 du présent arrêt.
55. En tout état de cause, les charges concernées en l'occurrence sont celles qui résultent de la nécessité pour les entreprises de renouveler leurs véhicules utilitaires. Dès lors, les aides litigieuses consistent en un allégement des charges qui, dans des circonstances commerciales normales, pèseraient sur le budget desdites entreprises (arrêt Espagne/Commission, précité, point 43). Il s'ensuit qu'elles ne peuvent pas être considérées comme s'inscrivant dans la nature et l'économie d'un quelconque système de charges d'intérêt général et que, dès lors, c'est à bon droit que la Commission a considéré qu'elles présentaient un caractère sélectif.
56. En outre, la circonstance que, dans le cadre de l'accord sur les subventions, les aides litigieuses ne seraient éventuellement pas considérées comme une "subvention spécifique" ne saurait réduire la portée de la définition de la notion d'aide d'État figurant à l'article 92, paragraphe 1, du traité (arrêt Espagne/Commission, précité, point 44).
57. En conséquence, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres arguments invoqués par le Royaume d'Espagne, la première branche du deuxième moyen doit être rejetée.
Sur la seconde branche, tirée de ce que la Commission aurait considéré à tort que les aides litigieuses ont une incidence sur la concurrence ainsi que sur les échanges entre États membres et que, en tout état de cause, elles sont discriminatoires
Arguments des parties
58. S'agissant de l'incidence prétendue des aides litigieuses sur la concurrence et sur les échanges entre États membres, le Royaume d'Espagne fait valoir que la Commission a méconnu les dispositions du traité applicables aux aides d'État en refusant d'appliquer la règle de minimis. Il soutient que, même si les personnes physiques et morales ayant bénéficié des aides litigieuses appartenaient, comme le prétend la Commission, au secteur du transport, il conviendrait de relever que ces aides portent sur un montant inférieur au seuil de 100 000 euros par période de trois ans en deçà duquel l'article 92, paragraphe 1, du traité n'est pas applicable. Cette circonstance aurait dû amener la Commission à conclure que les aides litigieuses ne constituent pas des aides d'État au sens de cette disposition.
59. La Commission réplique qu'il aurait été illégal de faire application de la règle de minimis. En tout état de cause, les aides litigieuses fausseraient la concurrence.
60. La Commission fait valoir que les bénéficiaires du régime d'aide appartiennent au secteur du transport et que le Royaume d'Espagne, d'une part, ne conteste pas que ledit secteur est exclu du champ d'application de la règle de minimis et, d'autre part, se borne à demander qu'il soit fait application de cette règle en l'espèce, à titre dérogatoire.
61. Or, selon la Commission, le libellé exprès de la communication de minimis et la circonstance que la règle qu'elle explicite, dérogeant à l'article 92, paragraphe 1, du traité, fait l'objet d'une interprétation stricte n'autorisent aucune dérogation. Le Tribunal aurait confirmé cette analyse au point 130 de l'arrêt CETM/Commission, précité. La Commission se prévaut également de l'effet juridique des communications et des encadrements qu'elle établit en matière d'aides d'État. De tels actes auraient force contraignante, au premier chef pour la Commission elle-même, ainsi qu'il ressortirait notamment des arrêts de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission (C-313-90, Rec. p. I-1125, points 34 à 36), et du Tribunal du 5 novembre 1997, Ducros/Commission (T-149-95, Rec. p. II-2031, point 61). Il faudrait en conclure que le Royaume d'Espagne n'est pas fondé à demander à la Commission de déroger, en faveur des aides litigieuses, aux conditions d'application de la règle de minimis.
62. La Commission rappelle encore que le secteur du transport routier de marchandises est caractérisé par une vive concurrence entre de nombreuses PME. Or, la Cour aurait jugé que, dans une telle situation, des aides d'une importance relativement faible sont de nature à affecter la concurrence (arrêt du 21 mars 1991, Italie/Commission, C-303-88, Rec. p. I-1433, point 27), compte tenu notamment de leurs effets cumulés. Il s'ensuivrait que l'article 92, paragraphe 1, du traité est toujours applicable à ces aides, y compris lorsqu'elles sont d'un montant tel que la règle de minimis aurait en principe dû leur être appliquée (arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214-95, Rec. p. II-717, point 46).
63. En tout état de cause, la Commission soutient que les aides à l'acquisition de véhicules utilitaires, du simple fait qu'elles sont principalement accordées à des PME opérant dans un secteur d'activité ouvert à la concurrence par des dispositions communautaires, faussent ou menacent de fausser la concurrence au détriment d'entreprises établies dans d'autres États membres.
64. S'agissant du caractère prétendument discriminatoire des aides litigieuses, le Royaume d'Espagne maintient que la convention n'engendre aucune différenciation entre ressortissants espagnols et ressortissants des autres États membres. D'abord, la possibilité de bénéficier de la convention ne serait subordonnée ni à l'exigence que l'acquéreur du véhicule utilitaire soit de nationalité espagnole ni à celle qu'il soit établi en Espagne. Ensuite, la deuxième condition exposée au point 7 du présent arrêt, aux termes de laquelle il incombe au bénéficiaire de l'aide de présenter un document certifiant qu'un véhicule utilitaire, immatriculé en Espagne depuis au moins sept ans s'il s'agit d'un tracteur routier et depuis au moins dix ans dans tous les autres cas, a été définitivement retiré de la circulation, ne constituerait nullement une discrimination à l'encontre des ressortissants d'États membres autres que le Royaume d'Espagne. Dans la mesure où il ne serait pas nécessaire que l'acquéreur du nouveau véhicule soit aussi le propriétaire du véhicule remplacé, le premier aurait la possibilité de conclure un contrat avec un tiers, propriétaire d'un véhicule dûment immatriculé en Espagne, aux fins de bénéficier de la convention. Enfin, l'exigence d'immatriculation en Espagne s'appliquerait aussi bien aux véhicules fabriqués en Espagne qu'à ceux qui y ont été importés.
65. En définitive, s'il devait s'avérer que, en pratique, peu de ressortissants d'États membres autres que le Royaume d'Espagne ont obtenu les aides litigieuses, cela s'expliquerait par des circonstances factuelles indépendantes du régime d'aide, par exemple le fait que lesdits ressortissants préfèrent demander à bénéficier de mesures d'aide ou de financement existant dans leur propre État membre.
66. La Commission rétorque que les arguments invoqués à cet égard par le Royaume d'Espagne sont inopérants ou, en tout état de cause, non fondés, au motif que la condition d'immatriculation en Espagne constituerait par elle-même une discrimination prohibée.
Appréciation de la Cour
67. Il convient, à titre liminaire, de distinguer entre les aides litigieuses selon qu'elles ont été accordées à des personnes physiques ou morales effectuant des transports pour leur propre compte (ci-après les "non-professionnels du transport") ou à des personnes physiques ou morales effectuant des transports pour le compte d'autrui (ci-après les "transporteurs professionnels"). Il ressort, en effet, des différences de situation existant entre ces deux catégories de bénéficiaires qu'elles n'appartiennent pas au même secteur et n'interviennent pas sur le même marché (arrêt Espagne/Commission, précité, point 48).
68. S'agissant, en premier lieu, des aides litigieuses accordées aux non-professionnels du transport, il résulte de la jurisprudence rappelée au point précédent que, si la Commission était en droit d'examiner l'éventuelle incidence de telles aides sur le secteur du transport, elle ne pouvait pas purement et simplement traiter les non-professionnels du transport comme s'ils étaient des transporteurs professionnels (arrêt Espagne/Commission, précité, point 49).
69. Certes, la Commission peut valablement considérer, dans les communications et encadrements qu'elle établit, dans le respect du traité et en application du pouvoir d'appréciation dont elle dispose pour évaluer les effets économiques possibles de mesures d'aide, que, sauf dans certains secteurs caractérisés par des conditions de concurrence particulières, des aides inférieures à certains montants n'affectent pas les échanges et, partant, ne relèvent pas des articles 92 et 93 du traité. Toutefois, ces communications et encadrements s'imposent, au premier chef, à la Commission elle-même (arrêt Espagne/Commission, précité, points 52 et 53).
70. Or, si le secteur du transport est, en vertu de la communication de minimis et des encadrements des aides aux PME de 1992 et de 1996, expressément exclu du champ d'application de la règle de minimis, cette exception doit faire l'objet d'une interprétation stricte. Dès lors, elle ne saurait être étendue aux non-professionnels du transport.
71. Il s'ensuit que la Commission n'était pas fondée à refuser d'examiner si les aides litigieuses, en tant qu'elles ont été octroyées aux non-professionnels du transport, pouvaient bénéficier de la règle de minimis (voir, en ce sens, arrêt Espagne/Commission, précité, point 50).
72. En l'espèce, il ressort du dossier que les aides litigieuses portaient chacune sur un montant maximal de 511 euros pour 6 010 euros empruntés. S'il n'est pas exclu que certains non-professionnels du transport aient pu, au cours de l'année pendant laquelle la convention a été en vigueur, bénéficier de plusieurs mesures de soutien, avec pour conséquence le fait que le montant cumulé des aides reçues par eux a été supérieur à 100 000 euros, il n'en est pas moins impossible de considérer a priori que la règle de minimis ne trouve pas à s'appliquer à cette catégorie d'entreprises.
73. Dans ces conditions, les articles 2 et 4 de la décision attaquée doivent être annulés en tant qu'ils visent les aides litigieuses qui ont été octroyées au non-professionnels du transport et dont le montant était inférieur au seuil de minimis fixé dans les communications et les encadrements en vigueur à la date de l'octroi desdites aides.
74. S'agissant, en deuxième lieu, d'éventuelles aides octroyées aux non-professionnels du transport et pour un montant supérieur au seuil de minimis, il peut ressortir, dans certains cas, des circonstances mêmes dans lesquelles une aide est octroyée que cette aide est de nature à affecter les échanges entre États membres et à fausser ou à menacer de fausser la concurrence. Dans de tels cas, il incombe à la Commission d'évoquer ces circonstances dans les motifs de sa décision (voir arrêts du 13 mars 1985, Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296-82 et 318-82, Rec. p. 809, point 24; du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission, C-329-93, C-62-95 et C-63-95, Rec. p. I-5151, point 52, et du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C-15-98 et C-105-99, Rec. p. I-8855, point 66).
75. En l'espèce, la décision attaquée comporte une appréciation de l'incidence des aides litigieuses sur le secteur du transport. La Commission, sans être contestée sur ce point par le Royaume d'Espagne, a relevé, aux points 24 et 25 des motifs de la décision attaquée, que ces aides sont susceptibles d'avantager les bénéficiaires dans le cadre de leur concurrence avec les grandes entreprises établies en Espagne. La Commission a aussi précisé que la libéralisation des transports routiers a créé les conditions d'une concurrence intracommunautaire dans le secteur du transport international et du cabotage. Ces motifs suffisent à caractériser l'incidence réelle ou potentielle des aides sur la concurrence, ainsi que leur effet sur les échanges entre États membres (voir arrêt Espagne/Commission, précité, point 58).
76. S'agissant, en troisième lieu, des aides litigieuses accordées aux transporteurs professionnels pour un montant inférieur au seuil de minimis, il y a lieu de rappeler que, lorsqu'une aide est octroyée à des entités opérant dans un secteur auquel la règle de minimis ne s'applique pas, et lorsque ce secteur est marqué par une vive concurrence, des aides d'une importance relativement faible sont de nature à affecter la concurrence et les échanges entre États membres (arrêt du 11 novembre 1987, France/Commission, 259-85, Rec. p. 4393, point 24; Italie/Commission, précité, point 27, et Espagne/Commission, précité, point 63).
77. En l'espèce, la Commission a relevé, sans être contredite par le Royaume d'Espagne, qu'un secteur en situation de surcapacité, tel que le secteur du transport, connaissait nécessairement une situation de vive concurrence. Sous réserve de l'hypothèse dans laquelle apparaîtrait que certains opérateurs du secteur ont adopté des comportements anticoncurrentiels, hypothèse dont aucune partie ne soutient qu'elle est vérifiée en l'espèce, ces motifs suffisent à établir, d'une part, que les aides en question relèvent du champ d'application de l'article 92, paragraphe 1, du traité et, d'autre part, qu'elles faussent ou menacent de fausser la concurrence et affectent les échanges entre États membres au sens de cette disposition.
78. S'agissant, en dernier lieu, des aides litigieuses accordées aux transporteurs professionnels pour un montant excédant le seuil de minimis, les motifs de la décision attaquée exposés au point 75 du présent arrêt leur sont, à plus forte raison, applicables.
79. Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres arguments invoqués par le Royaume d'Espagne, il découle de ce qui précède que la seconde branche du deuxième moyen doit être accueillie en ce qui concerne les aides litigieuses accordées à des non-professionnels du transport pour un montant inférieur au seuil de minimis, et rejetée pour le surplus.
Sur le troisième moyen, tiré, d'une part, d'une violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et, d'autre part, d'une motivation insuffisante et contradictoire de la décision attaquée
Arguments des parties
80. Le Royaume d'Espagne soutient que, dans l'hypothèse où les aides litigieuses constitueraient des aides d'État, la Commission aurait dû les autoriser sur le fondement de la dérogation prévue à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité au motif qu'elles seraient justifiées par des objectifs de protection de l'environnement et d'amélioration de la sécurité routière.
81. Selon cet État membre, la Commission a commis plusieurs erreurs dans l'appréciation et la qualification du régime d'aide en cause.
82. La Commission aurait refusé à tort d'admettre que la convention avait un impact incontestable sur la protection de l'environnement et sur la sécurité routière. Or, d'une part, du fait même qu'il vise un renouvellement du parc de véhicules utilitaires espagnols, effectué en principe à capacité constante, ce régime d'aide permettrait de diminuer l'âge moyen de ces véhicules et, par voie de conséquence, de réduire les taux d'émission de gaz polluants (CO² et NO²). D'autre part, pour des motifs identiques, le régime d'aide garantirait une sécurité routière accrue.
83. Plusieurs conséquences juridiques résulteraient de cette appréciation erronée.
84. S'agissant, en premier lieu, de la protection de l'environnement, la Commission aurait méconnu l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, en se fondant sur l'encadrement des aides à l'environnement pour refuser d'autoriser les aides litigieuses, dans la mesure où il s'agit d'aides à l'investissement. Les dispositions pertinentes de cet encadrement, qui précisent que les aides à l'investissement ne sont admissibles au bénéfice de cette disposition que si elles sont strictement limitées aux coûts supplémentaires nécessaires pour atteindre des normes supérieures à celles qu'impose la loi ou pour satisfaire aux nouvelles normes obligatoires en matière d'environnement, devraient être analysées comme un corps de règles indicatives de la pratique que la Commission entend suivre et s'appliquant sans préjudice de ladite disposition. En conséquence, l'encadrement des aides à l'environnement ne pourrait avoir pour effet de réduire aux seules hypothèses qu'il vise l'application de cette disposition. Il en résulterait que les aides litigieuses auraient dû être autorisées en tant qu'aides à l'investissement alors même qu'elles ne rempliraient pas l'ensemble des critères spécifiquement fixés par ledit encadrement.
85. Il s'ensuivrait que la Commission a considéré à tort que les aides litigieuses étaient illégales.
86. À supposer que ces aides constituent non des aides à l'investissement, mais des aides au fonctionnement, la Commission aurait considéré à tort qu'elles étaient, en toute hypothèse, exclues du champ d'application de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité. Il ressortirait, en effet, de la jurisprudence du Tribunal que de telles aides peuvent, dans certaines circonstances, être admises au bénéfice de cette disposition (arrêts du 8 juin 1995, Siemens/Commission, T-459-93, Rec. p. II-1675, point 48, et du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T-67-94, Rec. p. II-1, points 123 à 165). Au surplus, il ressortissait de plusieurs communications relatives aux aides d'État que des aides au fonctionnement peuvent entrer dans le champ de ladite disposition. Dans sa décision 2000-410-CE, du 22 décembre 1999, concernant le régime d'aide que la France envisage de mettre à exécution en faveur du secteur portuaire français (JO 2000, L 155, p. 52), la Commission aurait conclu à la légalité d'une aide au fonctionnement eu égard à un faisceau d'indices, comprenant l'impact économique limité de l'aide en cause, le fait que les bénéficiaires soient des PME et l'absence d'objections de la part des tiers intéressés. Les mêmes circonstances pourraient être observées en l'espèce. La Commission aurait donc dû admettre la validité des aides litigieuses.
87. S'agissant, en second lieu, de la sécurité routière, le Royaume d'Espagne fait valoir que le raisonnement de la Commission est également entaché d'une erreur manifeste. En tout état de cause, il souffrirait d'un défaut de motivation. Il s'ensuivrait que les aides litigieuses, même si elles ne pouvaient être justifiées par un motif tiré de la protection de l'environnement, auraient, à tout le moins, dû être autorisées au titre de leur contribution à la sécurité routière.
88. En dernier lieu, le Royaume d'Espagne soutient que la décision attaquée est entachée d'une contradiction de motifs, voire d'un défaut de motivation. La Commission qualifierait tour à tour les aides litigieuses d'aides à l'investissement (point 35 des motifs de la décision attaquée) et d'aides au fonctionnement (point 38 des motifs de la décision attaquée).
89. La Commission réplique que, contrairement à ce que soutient le Royaume d'Espagne, le régime d'aide en cause n'a pour objet ni de contribuer à une protection plus grande de l'environnement ni d'améliorer la sécurité routière. Au contraire, les aides litigieuses seraient accordées en fonction de la valeur totale du véhicule, sans se référer à des surcoûts en matière d'environnement ou de sécurité. Tout au plus pourrait-on concéder qu'elles ont, à titre incident, un effet bénéfique dans ces deux domaines.
90. Or, un tel effet ne suffirait pas à faire entrer les aides litigieuses dans le champ d'application de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité. L'encadrement des aides à l'environnement, dont il conviendrait de considérer qu'il est applicable par analogie à la sécurité routière, exigerait au contraire que les aides en cause aient pour destination spécifique la protection de l'environnement. De surcroît, cet encadrement prévoirait que les aides doivent se limiter à compenser les surcoûts strictement imposés aux entreprises concernées, ce qui ne serait manifestement pas le cas en l'espèce. En outre, il serait nécessaire que les aides litigieuses ne soient pas contraires à l'intérêt commun, alors que certains indices, comme la surcapacité du secteur du transport routier, tendraient à prouver que le régime d'aide, pour être valable, aurait dû viser la réduction des capacités existantes, et non se borner à les maintenir en l'état.
91. La Commission fait valoir ensuite que les aides litigieuses ne peuvent pas être qualifiées d'aides à l'investissement. D'une part, elles ne présenteraient pas le caractère ponctuel inhérent à cette catégorie d'aide. D'autre part, elles porteraient sur des charges imputables aux entreprises au titre de leur activité commerciale habituelle. Il s'ensuivrait qu'elles doivent être qualifiées d'aides au fonctionnement. La Commission se réfère sur ce point notamment à l'arrêt du 8 mars 1988, Exécutif régional wallon et Glaverbel/Commission (62-87 et 72-87, Rec. p. 1573, points 31 à 34).
92. Enfin, la Commission soutient que la décision attaquée est motivée à suffisance de droit et n'est pas entachée d'une contradiction de motifs.
Appréciation de la Cour
93. La Commission bénéficie, pour l'application de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, d'un large pouvoir d'appréciation dont l'exercice implique des évaluations complexes d'ordre économique et social, qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (voir, par exemple, arrêt du 24 février 1987, Deufil/Commission, 310-85, Rec. p. 901, point 18). Le contrôle juridictionnel appliqué à l'exercice de ce pouvoir d'appréciation se limite à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu'au contrôle de l'exactitude matérielle des faits retenus et de l'absence d'erreur de droit, d'erreur manifeste dans l'appréciation des faits ou de détournement de pouvoir (arrêt Espagne/Commission, précité, point 74).
94. Il résulte des termes mêmes des articles 92, paragraphe 3, sous c), et 93 du traité que la Commission "peut" considérer comme compatibles avec le Marché commun les aides visées par la première de ces deux dispositions. Dès lors, même s'il incombe toujours à la Commission de se prononcer sur la compatibilité avec le Marché commun des aides d'État sur lesquelles elle exerce son contrôle, alors même que celles-ci ne lui ont pas été notifiées (arrêt du 14 février 1990, France/Commission, dit "Boussac Saint Frères", C-301-87, Rec. p. I-307, points 15 à 24), la Commission n'est pas tenue de déclarer de telles aides compatibles avec le Marché commun.
95. Toutefois, d'une part, ainsi qu'il est rappelé au point 69 du présent arrêt, la Commission est tenue par les encadrements et les communications qu'elle adopte en matière de contrôle des aides d'État, dans la mesure où ils ne s'écartent pas des normes du traité et où ils sont acceptés par les États membres. D'autre part, aux termes de l'article 253 CE, la Commission doit motiver ses décisions, y compris celles portant refus de déclarer des aides compatibles avec le Marché commun sur le fondement de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité (voir arrêt Espagne/Commission, précité, point 76).
96. Or, il ressort de l'encadrement des aides à l'environnement que la qualification d'une aide comme aide à l'investissement ou comme aide au fonctionnement est essentielle. En effet, des régimes juridiques distincts sont attachés à chacune de ces qualifications (arrêt Espagne/Commission, précité, points 77 à 80).
97. En l'espèce, l'examen de la décision attaquée ne fait pas clairement ressortir si la Commission a considéré les aides litigieuses comme des aides à l'investissement ou comme des aides au fonctionnement. Ainsi, le point 35 des motifs de la décision attaquée laisse entendre qu'il s'agit d'aides à l'investissement tandis que le point 38 de ces motifs fait supposer qu'il s'agit d'aides au fonctionnement.
98. Or, la motivation exigée par l'article 253 CE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l'autorité communautaire auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et, le cas échéant, de défendre leurs droits, ainsi qu'au juge d'exercer son contrôle (arrêt Espagne/Commission, précité, point 82).
99. La décision attaquée est par conséquent entachée d'un défaut de motivation quant à l'absence de compatibilité du régime d'aide prévu par la convention avec les critères énoncés par l'encadrement des aides à l'environnement.
100. Il y a donc lieu, compte tenu des constatations faites aux points 79 et 99 du présent arrêt et sans qu'il soit besoin d'examiner le premier moyen soulevé par le Royaume d'Espagne, de faire droit au recours et d'annuler les articles 2 et 4 de la décision attaquée.
Sur les dépens
101. En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en se sens. Le Royaume d'Espagne ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (troisième chambre)
déclare et arrête:
1°) Les articles 2 et 4 de la décision 2001-605-CE de la Commission, du 26 juillet 2000, concernant le régime d'aides appliqué par l'Espagne en vue de l'acquisition de véhicules utilitaires dans le cadre de la convention de collaboration conclue le 26 février 1997 entre le ministère de l'Industrie et de l'Énergie et l'Instituto de Crédito Oficial, sont annulés.
2°) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.