CA Paris, 5e ch. B, 26 juin 2003, n° 2000-11039
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chronopassion (SA)
Défendeur :
Patek Philippe France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
MM. Faucher, Remenieras
Avoués :
SCP Lagourgue, SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau
Avocats :
Mes Vilmart, Verniau
LA COUR a par un précédent arrêt du 23 janvier 2003 auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des demandes des parties et de la procédure:
- déclaré recevable la demande de la société Chronopassion tendant à la communication des contrats conclus par les intimées avec les sociétés OJ Perrin et Wempe ainsi qu'avec les sociétés Zegg et Cerlati,
- enjoint aux sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève de produire ces contrats avant le 28 février 2003, à peine d'une astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard, invité les parties à s'expliquer sur lesdits documents et invité les sociétés intimées à justifier de la saisine de la Commission européenne ainsi que de l'état de la procédure devant cette autorité communautaire;
Les sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève ayant accompli les diligences requises et les parties ayant fourni des explications sur les éléments nouveaux versés aux débats, l'affaire a été à nouveau évoquée à l'audience du 30 avril 2003.
Vu les dernières écritures, signifiées le 5 mars 2003, aux termes desquelles la société Chronopassion, appelante, prie la cour:
- d'infirmer le jugement entrepris en tant qu'il l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à chacune des sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève une indemnité de 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des dépens.
- "d'infirmer en tout état de cause" l'indemnité prévue au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
En conséquence;
- dire les nouveaux contrats produits:
* non couverts par l'exemption par catégorie n° 2790-99 du 22 décembre 1999 à la date de leur entrée en vigueur au 1er février 1999, du fait que ce règlement n'est applicable qu'au 1er juin 2000,
* non couverts par ledit règlement à la date de son entrée en vigueur le 1er juin 2000, en raison des clauses prohibées qu'ils contiennent;
* les dire incompatibles avec l'article 81-1 et l'article 28 (anciennement 30) du traité CE et l'article L. 420 - 1 du Code de commerce et nuls de ce fait, en application de l'article 81-2 du traité et de l'article L. 420- 3 du Code de commerce et en tout état de cause inopposables à la société Chronopassion à la date de l'assignation,
- dire que la lettre de classement de la Commission, qui ne constitue qu'un élément de fait que la cour peut prendre en considération, constitue une preuve supplémentaire des restrictions de concurrence contenues dans ces nouveaux contrats, qu'elle ne concerne que les rapports entre Patek Philippe et la Commission et ne saurait régulariser a posteriori des comportements anticoncurrentiels, qui perdurent tant que les modifications que la Commission a enjoint aux intimées de réaliser n'ont pas été intégrées dans de nouveaux contrats de distribution européens du réseau Patek Philippe, effectivement signés par les distributeurs.
- dire, en conséquence, que les anciens contrats étaient illicites au regard de l'article 81-1 du traité de Rome, car non couverts par l'exemption par catégorie n° 1983-83 et que les nouveaux contrats, inexistants à la date de l'assignation, sont, de surcroît, incompatibles avec l'article 81-1 du traité et l'article L. 420-1 du Code de commerce tels qu'ils ont été notifiés et signés.
- dire que les refus de vente successifs opposés par les sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève étaient, au moment ou ils ont été commis, abusifs et discriminatoires et sanctionnables au regard des articles 36-1, 36-2 anciens et 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenus respectivement L. 442-6 et L. 420-1 du Code de commerce et des articles 28 et 81-1 du traité CE, et qu'ils ne peuvent être justifiés par une application du règlement 1983-83 du 22 juin 1983 aux anciens contrats caducs des sociétés intimées, ni par une application du règlement d'exemption n° 2790-99 du 22 décembre 1999, puisque les nouveaux contrats, entrés en vigueur le 1er février 1999, ne sont pas couverts par l'exemption par catégorie,
- dire que ces refus de vente engagent la responsabilité civile de leurs auteurs, car l'article 36-2 de l'ordonnance s'appliquait au moment des faits et que, de surcroît, ils étaient discriminatoires et faussaient le jeu de la concurrence sur le marché des montres de luxe,
- condamner solidairement les sociétés intimées à indemniser le préjudice commercial de la société Chronopassion à hauteur de 7 968 750 F, soit 1 214 828, 10 euros, sauf à parfaire en raison de l'aggravation du préjudice du fait du temps écoulé depuis l'assignation signifiée en 1998,
- condamner solidairement les sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du préjudice d'image, lié à l'impossibilité de fournir à sa clientèle des montres de la marque Patek Philippe qui est la marque leader de référence sur le marché des montres de luxe, sauf à parfaire,
- ordonner aux sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève d'honorer la commande passée par la société Chronopassion, sous astreinte de 12 000 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la signification de l'arrêt, du fait que la discrimination et l'atteinte à la concurrence ne cesseront qu'à la livraison des produits commandés et toujours au catalogue, les nouveaux contrats étant nuls du fait de leur illicéité au regard des règles de concurrence d'ordre public, applicables en France et dans l'Union européenne.
- condamner solidairement les sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève à lui payer, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner, enfin, solidairement les sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève aux entiers dépens;
Vu les dernières conclusions, signifiées le 27 mars 2003, selon lesquelles les sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève, intimées et incidemment appelantes, demandent à la cour:
Vu l'arrêt avant dire droit du 23 janvier 2003,
- de constater que les contrats OJ Perrin et Wempe, antérieurs à la prise d'effet des nouveaux contrats, ne sont devenus caducs qu'au 31 janvier 2000,
- de dire que l'indisponibilité juridique résultant de ces contrats a perduré jusqu'à cette date et s'est perpétuée au-delà avec le régime des nouveaux contrats,
- de dire que la société Patek Philippe Genève a notifié son accord-type de distribution à la Commission le 8 décembre 1999, se mettant sous la protection des dispositions de l'article 15 §5 du règlement (CE) 17-62 du 6 février 1962,
- de dire que ladite notification étant antérieure au règlement (CE) n° 2790-1999 du 22 décembre 1999, il y a lieu d'appliquer les articles 12 et 13 du dit règlement ainsi que le point 70 des Lignes Directrices sur les restrictions verticales, objet de la communication n° 2000-C 291-1.
- de dire qu'en application des dites dispositions, le règlement (CE) 1983-83 s'appliquait à l'accord notifié le 8 décembre 1999 et que, depuis, celles du règlement (CE) du 22 décembre 1999 s'y sont substituées.
Vu la plainte de la société Chronopassion en date du 13 juin 2001, déposée en cours d'appel auprès de la Commission,
Vu la lettre administrative de classement du 12 février 2003 considérant que l'accord de distribution de Patek Philippe satisfait aux conditions d'exemption prévues par le règlement du 22 décembre 1999,
- de dire que les nouveaux contrats OJ Perrin et Wempe sont licites et opposables à la société Chronopassion eu ce qu'ils organisent une indisponibilité juridique, En conséquence,
- de confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 10 mai 2000 en ce qu'il a débouté la société Chronopassion de l'ensemble de ses demandes,
- de réformer en revanche ladite décision en ce qu'elle a débouté les sociétés Wempe France et Patek Philippe Genève de leurs demandes de dommages et intérêts,
- de condamner la société Chronopassion à leur payer la somme de 50 000 euros pour procédure abusive et injustifiée,
- de condamner cette société à payer à chacune d'elles la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- de condamner, enfin, la société Chronopassion à tous les dépens de première instance et d'appel;
Sur la demande principale de la société Chronopassion
Considérant que la société Chronopassion, bijoutier et horloger à Paris, assure la commercialisation depuis une dizaine d'années de montres de collection et de prestige, dans sa boutique située à Paris entre la rue Royale et la place Vendôrne;
Qu'afin de pouvoir proposer à sa clientèle d'amateurs une palette complète de montres de prestige et de haute qualité, elle a indiqué à la société Patek Philippe France, filiale de la société Patek Philippe Genève, lors de la Foire de Bâle en 1993, son souhait de pouvoir distribuer sa marque; que n'ayant obtenu aucune réponse pendant plus de deux années, Monsieur Piccioto, Président de la société Chronopassion, lui a renouvelé, par écrit, le 6 novembre 1995, son intention de devenir concessionnaire de la marque Patek Philippe et lui a adressé, un mois plus tard, une commande de 45 montres Patek Philippe conforme aux commandes de mise en place en usage dans la profession,
Que la société Patek France, par courrier du 22 décembre 1995, a refusé cette commande en invoquant une indisponibilité matérielle, l'existence sur Paris d'un réseau de concessionnaires exclusifs et en indiquant que la proximité géographique de points de vente supplémentaires au cas où une concession lui serait accordée, "nuirait à son image de marque";
Que par un nouveau courrier du 21 avril 1998, la société Chronopassion a rappelé à la société Patek France son souhait de pouvoir distribuer, dans sa boutique parisienne, les montres de sa marque, en indiquant sa volonté d'acquérir un assortiment représentatif de sa collection, en s'engageant à acquitter les factures aux conditions indiquées, et à se conformer à tous les critères qualitatifs de sélection de ses distributeurs;
Que l'appelante a également demandé à la société Patek France, dans le même courrier, la communication de ses conditions générales de vente et de ses barèmes de vente, en application de l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 441-6 du Code de commerce;
Que la société Patek France, par courrier en réponse daté du 30 avril 1998, a renouvelé son refus de vente, en déclarant que ce refus n'était plus justifié par la proximité géographique de son magasin, ni par l'atteinte à son image de marque, mais par le fait que la distribution des montres Patek Philippe était assurée à Paris et dans la région d'Ile de France par sa propre boutique et par deux concessionnaires: les sociétés OJ Perrin et Wempe, auxquels était accordée l'exclusivité des ventes de ses montres;
Que ce courrier n'étant cependant pas accompagné des conditions générales de vente, malgré la référence expresse faite par Monsieur Picciotto dans son courrier du 21 avril 1998 à l'article 33 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l'article L. 441-6 du Code de commerce, après un rappel du 6 mai 1998 de la société Chronopassion, la société Patek Phillipe France lui a finalement adressé, le 20 mai 1998, ses conditions générales de vente;
Que la société Chronopassion a alors constaté que la société Patek Philippe France lui avait communiqué, non pas les conditions de vente aux concessionnaires rendant la marque juridiquement indisponible à l'égard des tiers, mais des conditions générales de vente destinées à des non-concessionnaires;
Que la société Chronopassion a donc renouvelé, par courrier du 16 juin 1998 à la société Patek France, sa demande de devenir concessionnaire de la marque Patek France, en récapitulant, selon elle, les distorsions de concurrence constatées, liées aux motifs invoqués pour justifier des refus successifs;
Qu'à la suite de cette nouvelle demande auprès de la société Patek France, la société Chronopassion a reçu directement, le 1er juillet 1998 de la société Patek Genève un courrier lui indiquant que les engagements pris par sa filiale Patek Philippe France étaient désormais "caducs", et qu'un réseau de distribution exclusive serait progressivement mis en place au niveau européen, directement par la maison mère genevoise à partir du mois d'octobre 1998;
Que la société Chronopassion, a alors formulé, le 6 juillet 1998, par écrit à la société mère Patek Genève, son souhait de devenir concessionnaire de la marque en France, dans le cadre de la mise en place du futur réseau de concessionnaires auquel faisait référence le courrier du 1er juillet 1998 de cette même société;
Qu'enfin, la société Patek Genève a indiqué, par courrier du 16 juillet 1998, qu'en l'état, il lui apparaissait prématuré de prendre position sur cette demande, dans la mesure où ses "études de géo-marketing n'étaient pas achevées";
1°) en ce qui concerne les refus de vente opposé par la société Patek Philippe France entre 1993 et juin 1998
Considérant qu'après avoir émis des doutes sur la réalité même des anciens contrats de concession consentis en 1993 aux sociétés Wempe et OJ Perrin, compte tenu de leur date respective, la société Chronopassion soutient que ces conventions ne peuvent bénéficier du règlement d'exemption par catégorie n° 1983-83 du 22 juin 1983
- en ce qu'elles ne prévoient pas un territoire exclusif, mais, en réalité, un "simulacre" de zone d'exclusivité, avec une volonté d'échapper aux règles de la distribution sélèctive, ce qui explique que les intimées ne lui ont pas indiqué la nature, sélective ou exclusive, du système de distribution qu'elles avaient mis en place;
- que les conditions générales de vente qui lui ont été communiquées, révèlent qu'elles s'affranchissent des obligations imposées par les contrats de concession, en commercialisant des montres auprès de non-concessionnaires;
Que dès lors, ces "anciens contrats", illicites au regard des dispositions de l'article 81-1 du traité, instituant la Communauté européenne comme des dispositions des articles L. 420-1 et L. 442-6 du Code de commerce, ne pouvaient valablement justifier un refus de vente
Considérant que, de leur côté, les sociétés Patek Philippe lui opposent qu'un tel refus est, au contraire, légitime, en raison, d'une part, de la situation d'indisponibilité juridique résultant de la mise en place d'un système de distribution exclusive fondé sur la "forte image de prestige de rareté et de qualité technique" de ses produits, avec le nécessaire aspect de l'exclusivité territoriale bénéficiant à ses deux concessionnaires et, d'autre part, de "l'indisponibilité matérielle" de ses produits découlant d'une capacité de production limitée, avec, comme corollaire, un nombre limité de points de vente;
1°) Sur la date de signature des deux contrats de concession et sur la réalité de ces conventions
Considérant que les sociétés intimées ont produit, d'une part, un contrat de concession exclusive, daté du 11 février 1993, consenti à la société OJ Perrin, et d'autre part, un contrat du même type du 16 juin 1993, conclu avec la société Wempe France; que le premier fait, certes, référence au second alors que la date de celui-ci est postérieure;
Considérant, cependant, que rien ne permet de contredire les explications à ce sujet des intimées, selon lesquelles les deux contrats, établis et présentés en même temps aux deux concessionnaires, ont, en définitive, été signés par ceux-ci à des dates distinctes, ce qui explique la différence de date critiquée par l'appelante;
Qu'au demeurant, au-delà de ce décalage, sans conséquence, celle-ci ne communique aucun élément permettant de mettre sérieusement en doute la réalité ainsi que l'application effective de ces deux conventions;
2°) Sur la nature des deux contrats et sur le respect de leurs clauses par les sociétés Patek Philippe et Patek Philippe Genève
Considérant que les deux contrats de concession, rédigés dans des termes identiques, stipulent:
- que leur objet est de définir les conditions dans lesquelles Patek Philippe France agrée le concessionnaire exclusif pour la distribution de ses produits d'horlogerie-joaillerie dans un territoire constitué par Paris et par la région Ile de France, chaque concessionnaire ayant par ailleurs pris acte de ce qu'il existe un autre concessionnaire exclusif à Paris;
- qu'ils sont conclus "intuitu personae"
- que Patek Philippe France s'engage, pendant la durée du contrat, à ne pas agréer d'autres concessionnaires sur ce territoire tout en se réservant la possibilité, acceptée par les concessionnaires, de vendre ses produits à tout Client qui s'adresserait directement à elle;
- que le concessionnaire s'engage, de son côté, à ne faire aucune publicité pour ses produits, à ne pas établir de filiale ou succursale et à ne pas entretenir un dépôt pour leur distribution en dehors du "territoire";
- qu'il s'engage, également:
* à réserver dans ses vitrines un espace spécifique pour les produits Patek Philippe,
* à disposer en permanence d'un vendeur ayant une bonne connaissance des produits,
* à assurer le service après- vente des produits,
* à s'interdire toute action susceptible de nuire à l'image de marque Patek Philippe par une mauvaise présentation des produits, soit dans le cadre d'actions publicitaires ou promotionnelles, soit par le comportement de son personnel dans les rapports avec la clientèle;
Considérant que la société Chronopassion ne démontre pas en quoi les sociétés Patek Philippe France auraient, en contredisant les clauses d'exclusivité territoriale dépourvues d'ambiguïté de ces contrats, entendu instaurer un "simulacre de zone d'exclusivité" et voulu sciemment échapper aux règles de la distribution sélective, mise en place par la plupart des concurrents dans le domaine des montres de luxe; qu'à cet égard, elle leur oppose vainement qu'elles ne lui ont pas indiqué la nature, sélective ou exclusive, de leur système de distribution, alors que, dans la lettre, déjà citée, du 30 avril 1998, la société Patek Philippe France fait bien état de contrats d'exclusivité dont l'existence effective vient d'être rappelée;
Qu'elle n'établit pas plus la mise en œuvre d'une dénaturation intentionnelle du système de concession exclusive contractuellement organisé en un système de distribution sélective assorti d'une sélection quantitative, que Chronopassion qualifie d'irrégulier, en l'absence de critères qualitatifs et quantitatifs objectifs, et qui lui permettrait d'invoquer utilement cette irrégularité au regard des dispositions des articles L. 420-1 et L. 442- 2 du Code de commerce;
Considérant, enfin, que l'appelante se prévaut en vain de l'existence de conditions générales de vente pour affirmer, qu'en violation des clauses d'exclusivité des contrats de concession, Patek Philippe France commercialiserait ses produits auprès de non-concessionnaires;
Qu'en effet, et comme l'objectent utilement les sociétés intimées, ces conditions de vente n'ont vocation à régir que des ventes ponctuelles, répondant à des commandes spécifiques d'un client, ce qu'atteste la lettre du 30 avril 1998 qui, faisant référence à ces conditions générales de vente, précisait simplement au directeur de Chronopassion que "s'il recevait exceptionnellement de l'un de ses clients une commande d'une montre Patek il pourrait, sur présentation de justificatifs appropriés et en fonction des disponibilités des stocks, répondre à sa commande"
3°) Sur la licéité des contrats de concession au regard des dispositions de l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne
Considérant que la société Patek Philippe s'obligeant à ne livrer, sur le territoire contractuellement défini de Paris et de l'Ile de France, que ses deux concessionnaires, de tels accords sont, en effet, susceptibles d'entraver le libre jeu de la concurrence et que, dès lors, s'impose bien un examen de leur régularité au regard des règles communautaires régissant la concurrence;
Considérant qu'aux termes de l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne
"1- sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et notamment ceux qui consistent à
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transactions,
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur signifiant, de ce fait, un désavantage dans la concurrence.
2- Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3- Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables:
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises";
Considérant que la Commission a précisé, dans une communication du 15 novembre 1997 dont les sociétés intimées revendiquent le bénéfice:
"que les accords entre entreprises de production ou de distribution de produits ou de prestation de services ne tombent pas sous le coup de l'interdiction de l'article 85 paragraphe 1 (devenu 81 Paragraphe 1) lorsque les parts de marché détenues par l'ensemble des entreprises participantes ne dépassent, sur aucun des marchés concernés (...) b) le seuil de 10 % lorsque l'accord est passé entre entreprises opérant à des stades différents de l'économie (accord "Vertical")
Considérant que la société Chronopassion, qui n'a pas contesté les critères précis avancés par les intimées pour alléguer, en l'espèce, l'absence d'effet sensible sur la concurrence des contrats en cause, leur oppose les dispositions de l'article 11 b) de cette même communication aux termes desquelles "en ce qui concerne les accords verticaux ayant pour objet d'assurer à des entreprises participantes une protection territoriale, l'application de l'article 85 §1 (81-1) ne peut être exclue même si les parts de marché détenues par l'ensemble des entreprises participantes restent inférieures aux seuils (déjà évoqués)";
Considérant, toutefois, que la Commission précise ensuite qu'il incombe en premier lieu aux autorités et juridictions des Etats membres de se saisir de ces accords et qu'elle n'interviendrait elle même à leur égard que si elle estime que l'intérêt de la Communauté l'exige et, en particulier lorsque les accords portent atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur;
Qu'à cet égard, l'appelante ne démontre pas que seraient objectivement réunies en l'espèce les conditions fixées par la Commission en ce qui concerne, en particulier, l'atteinte apportée au bon fonctionnement du marché intérieur; qu'en effet, contrairement à ce qu'elle prétend, les deux contrats de concession n'interdisent pas aux concessionnaires de répondre à une demande émanant d'un client établi en dehors du territoire contractuellement fixé;
Que rien ne restreint non plus la portée de la garantie accordée par Patek Philippe dans le cas de ventes effectuées à des consommateurs établis en dehors du territoire;
Qu'en outre, les sociétés Patek Philippe peuvent également se prévaloir des dispositions de l'article 1 et du règlement n° 1983-83 de la Commission du 22 juin 1983 qui a accordé le bénéfice de l'exemption prévue à l'article 81-3 du traité instituant la Communauté européenne aux accords auxquels ne participent, comme en l'espèce, que deux entreprises;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la régularité des contrats de concession consentis aux sociétés OJ Perrin et Wempe n'encourt aucune critique, et que, dès lors, et sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur l'autre motif tiré de l'indisponibilité matérielle en raison d'une capacité de production limitée, la société Philippe Patek France pouvait valablement, sans commettre une faute engageant sa responsabilité civile, opposer à la société Chronopassion un refus d'agrément en qualité de distributeur du fait d'une "indisponibilité juridique" résultant de ces deux conventions;
2°) En ce qui concerne le refus de vente opposé par la société Patek Philippe Genève
Considérant que la société appelante prétend:
- que le nouveau contrat de distribution, entré en vigueur le 1er février 1999 et non encore produit à la date de l'assignation devant le tribunal de commerce lui est inopposable;
- qu'il n'est pas conforme aux règles régissant la concurrence en ce que:
* s'il relève de la distribution sélective, la société Patek Philippe doit lui communiquer ses critères d'agrément et ne peut lui opposer des critères de sélection quantitatifs à priori non fondés sur des méthodes objectives,
* que s'il comporte une exclusivité territoriale, le contrat de concession exclusive ne peut être opposé que s'il n'est pas visé par l'article 81-1 du traité (CE) et qu'à cet égard, le seul fait que les sociétés intimées l'aient notifié pour bénéficier d'une exemption démontre bien qu'elles estimaient qu'il n'était pas conforme aux dispositions de cet article;
* que cette notification, de circonstance, est en tout état de cause sans effet sur le droit pour les juridictions nationales d'appliquer l'article 81-1 à un accord non exempté;
- que le contrat comporte des clauses prohibées par le règlement 1983-83 ainsi que par le règlement 2790-99 du 22 décembre 1999 (répartition territoriale de la production limitée, interdiction de revente, hors réseau, protection de l'exclusivité territoriale),
- qu'il en va de même pour les nouveaux contrats produits sur injonction de l'arrêt de cette cour du 23 janvier 2003 car:
- non couverts par l'exemption par catégorie à la date de leur application au 1er février 1999,
- non couverts non plus par le règlement du 22 décembre 1999 à la date de son entrée en vigueur, le 1er juin 2000, compte tenu de la présence de clauses prohibées;
- incompatibles, d'une part, avec les articles 81-1 et 28 du traité (CE) et, d'autre part, avec l'article L. 420-2 du Code de commerce;
Mais considérant que la société Philippe Patek Génève a régulièrement notifié à la Commission des Communautés européennes, le 8 décembre 1999, son nouvel "accord standard de distribution mixte", comportant également une clause d'exclusivité territoriale, avant la signature des nouveaux contrats de distribution, conforme à cet accord, qui ont été consentis aux sociétés OJ Perrin et Wempe et dont la date d'entrée en vigueur a été contractuellement fixée au 1er février 2000;
Qu'à cet égard, contrairement à ce que soutient Chronopassion, Patek Philippe Genève s'est bornée à lui indiquer, dans sa lettre du 1er juillet 1998, que "certaines initiatives et propositions" de sa filiale française étaient "caduques", sans évoquer une caducité des précédents contrats de concession exclusive;
Que leur date d'expiration n'est donc pas antérieure au 31 janvier 2000;
Que l'intimée a ensuite adressé à ses concessionnaires une "lettre circulaire" du 18 décembre 2002 leur notifiant la modification, "d'application immédiate" dans les nouveaux contrats:
- de l'article 2-1-4, (suppression de l'interdiction imposée au distributeur de réaliser des ventes aux clients finaux via des intermédiaires),
- de l'article 2-1-6 (suppression de l'interdiction imposée aux distributeurs de faire des ventes actives eu dehors du territoire contractuellement défini),
- de l'article 7-1-2 (suppression de l'interdiction au distributeur de faire des ventes par Internet et limitations implicites à la liberté des distributeurs d'établir librement leur prix de revente des produits Patek Philippe);
Que par lettre du 19 février 2003 adressée à la société Patek Philippe Genève, la Commission:
- a alors pris acte que cette société avait, par cette lettre du 18 décembre 2002, marqué son accord sur l'élimination de certaines des obligations imposées aux distributeurs par le contrat notifié;
- l'a informée de ce qu'elle avait également pris en compte le fait que sa part de marché sur le marché relevant était inférieure à 30 %,
- lui a notifié, en conséquence, que, sur la base de ces informations, elle considérait que cet accord satisfaisait aux "conditions d'exemption prévues par le règlement (CE) n° 2790-1999 de la Commission du 22 décembre 1999concernant l'exemption par catégorie dont peuvent bénéficier les accords verticaux et les pratiques concertées", en lui faisant enfin observer que le dossier avait été clos mais que "cette affaire pourrait toutefois être reconsidérée si un élément de fait ou de droit de l'accord, déterminant pour l'appréciation de ce dernier, venait à changer";
Considérant qu'en raison de la lettre de classement de la Commission, qui n'émet aucune objection sur la clause contractuelle d'exclusivité, y compris l'exclusivité partagée, en raison de la modification apportée, même de façon unilatérale, aux contrats de distribution en vigueur en vertu de la lettre du 18 décembre 2002, et compte tenu, par ailleurs, des effets conférés à la notification de l'accord par les dispositions de l'article 15 du règlement (CEE) n° 17-62 du Conseil du 6 février 1962 qui mettait la société Patek Philippe Genève à l'abri des poursuites de la Commission en ce qui concerne les clauses modifiées, au demeurant étrangères à la détermination d'une exclusivité territoriale, les nouveaux contrats de distribution n'encourent pas les griefs formulés par la société Chronopassion;
Que, dès lors, la société Patek Philippe Genève n'a pas non plus commis de faute engageant sa responsabilité civile en opposant également à la nouvelle demande d'agrément présentée par cette société une indisponibilité juridique résultant du nécessaire respect de la clause d'exclusivité territoriale stipulée dans les nouveaux contrats de distribution;
Qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que le jugement attaqué a débouté l'appelante de toutes ses demandes;
Sur la demande de dommages et intérêts des sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève
Considérant que les intimées ne démontrant pas que la société Chronopassion a fait dégénérer en abus son droit d' agir en justice, c'est également à juste titre que le tribunal les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive;
Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne justifie l'allocation aux sociétés intimées d'une indemnité au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, l'appelante, qui succombe, ne pouvant de son côté qu'être déboutée de sa demande à ce titre;
Par ces motifs, substitués en tant que de besoin à ceux des premiers juges, Vu l'arrêt avant dire droit du 23 janvier 2003, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, 1°) déboute les sociétés Patek Philippe France et Patek Philippe Genève de leur demande d'indemnité au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, Déboute la société Chronopassion de toutes ses demandes, Condamne la société Chronopassion aux dépens d'appel et admet la SCP Gibou Pignot Grapotte Benetreau, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.