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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 21 mars 2002, n° 99-08593

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France (SA)

Défendeur :

Warner Lambert Santé Grand Public (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

MM. Fedou, Coupin

Avoués :

SCP Gas, Me Seba

Avocats :

Mes Bazzoli, Thill-Tayara

T. com. Nanterre, 3e ch. du 24 sept. 199…

24 septembre 1999

Faits et procédure

Par lettre du 27 septembre 1996, la société Warner Lambert a passé avec la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France (ci-après la Coopérative) un accord de partenariat portant sur des produits de cosmétique. Par lettre du 27 janvier 1998, ce partenariat a été renouvelé pour l'année 1998.

Par écrit du 6 mai 1998, les parties ont décidé de procéder à un test portant sur la vente par Warner Lambert à la Coopérative de produits médicamenteux.

Par courrier en date du 24 septembre 1998, la société Warner Lambert a informé la Coopérative de certains dysfonctionnements constatés pendant les quatre premiers mois du test.

Par télécopie du 31 décembre 1998, elle lui a fait savoir que leurs relations commerciales ne se poursuivraient pas en 1999.

C'est dans ces circonstances qu'au mois d'avril 1999, la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France a assigné la société Warner Lambert en référé devant le président du Tribunal de commerce de Nanterre aux fins de livraison sous astreinte et de provision pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Par ordonnance du 20 mai 1999, ce magistrat a dit n'y avoir lieu à référé et a renvoyé les parties à une audience devant la juridiction statuant au fond.

Aux termes de ses écritures devant le tribunal, la Coopérative a sollicité la condamnation de la défenderesse au paiement d'une somme de 1 000 000 F (152 449,02 euros) en réparation du préjudice qui lui a été causé par la rupture sans aucun motif des relations commerciales entre les parties tant sur les cosmétiques que sur les produits médicamenteux.

La société Warner Lambert a conclu au rejet des prétentions de la partie adverse, et à la condamnation de cette dernière à lui régler la somme de 804 003,91 F (122 569,61 euros) au titre de factures impayées.

Par jugement du 24 septembre 1999, le Tribunal de commerce de Nanterre a:

- dit qu'en ce qui concerne les seuls produits de parapharmacie, la société Warner Lambert a rompu sans aucun motif et avec brutalité la relation commerciale qu'elle entretenait avec la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France;

- condamné la société Warner Lambert à payer à la Coopérative la somme de 10 000 F (1 524,49 euros) en réparation de son préjudice;

- débouté la Coopérative de sa demande de livraison par la partie adverse des produits cosmétiques commandés par elle;

- condamné la Coopérative à payer à la société Warner Lambert, au titre des factures, la somme de 804 003,91 F (122 569,61 euros), majorée des intérêts au taux légal à compter du 13 avril 1999;

- ordonné la compensation entre les sommes dues par chacune des parties.

La société Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France a interjeté appel de ce jugement.

Elle explique qu'en ce qui concerne les produits cosmétiques, des relations commerciales durables et stables ont existé entre septembre 1996 et décembre 1998 et n'ont donné lieu à aucune remarque jusqu'à la rupture intervenue en décembre 1998.

Elle relève que, ni le prétexte d'importantes sommes d'argent dues à la partie adverse, ni la prétendue insuffisance de commandes ne sont de nature à justifier la rupture brutale intervenue à l'initiative de la partie adverse par télécopie du 31 décembre 1998.

Elle soutient qu'en ce qui concerne la vente des produits médicamenteux, la société intimée est mal fondée à se prévaloir du caractère illicite de l'activité de vente de la Coopérative au regard de son statut, alors qu'elle a accepté de lui vendre des médicaments tout en sachant qu'ils seraient revendus à ses adhérents.

Tout en admettant qu'il avait été initialement convenu d'une période probatoire, elle observe que la lettre de Warner Lambert en date du 24 septembre 1998 manifeste sa volonté de poursuivre la collaboration entre les parties, et elle en déduit que le message hâtivement rédigé puis télécopié le 31 décembre 1998 revêt le caractère d'une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (article L. 442-6 4° du Code de commerce).

Elle indique avoir subi un important préjudice par suite de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée, par suite de la rupture, de satisfaire les commandes de ses adhérents qui sont tous des pharmaciens d'officine.

Aussi, la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France demande à la cour, en réformant le jugement entrepris, de constater que la société Warner Lambert a rompu sans motif ni préavis les relations commerciales, et de la condamner à lui payer les sommes de 1 000 000 F (152 449,02 euros) à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et de 500 000 F (76 224,51 euros) en réparation de son préjudice moral.

Elle réclame également une indemnité de 20 000 F (3 048,98 euros) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Warner Lambert santé grand public fait valoir, à titre préalable, que la Coopérative est mal venue de lui reprocher une violation des dispositions de l'article L. 442-6 4° du Code de commerce, alors que la société appelante procède à l'achat de médicaments, activité qui lui est interdite au regard de son statut officiel de dépositaire, et alors que son Président, Monsieur Rader, recourt également à des agissements illégaux dans le cadre de la gestion de sa pharmacie de la gare de l'Est en se livrant à une activité de grossiste en violation de la loi.

Elle soutient qu'en ce qui concerne les médicaments, les parties n'avaient pas l'intention d'entamer des relations commerciales durables, mais souhaitaient uniquement procéder à un test.

Elle précise que le résultat du test et la façon dont les relations, dont la durée n'a pas excédé sept mois, se sont déroulées ne permettaient nullement l'instauration d'une collaboration stable.

Elle relève qu'elle était d'autant plus fondée à ne pas poursuivre cet essai que la Coopérative ne respectait pas ses obligations contractuelles, qu'elle ne présentait pas des garanties financières suffisantes, et que le test avait donné des résultats économiquement non probants.

Elle admet que, s'agissant des produits para-pharmaceutiques, il existait des relations commerciales établies auxquelles il a été mis un terme sans préavis.

Toutefois, elle observe que la société appelante n'étaye nullement les éléments qu'elle invoque pour chiffrer son préjudice, lequel a été justement évalué par le tribunal à la modique somme de 10 000 F (1 524,49 euros), compte tenu du très faible chiffre d'affaires réalisé par la partie adverse avec les produits de parapharmacie qui lui étaient vendus par la société intimée.

Par voie de conséquence, elle conclut au débouté de la Coopérative de l'intégralité de ses demandes, et à la confirmation du jugement entrepris.

Elle réclame en outre une indemnité de 50 000F (7 622,45 euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 octobre 2001.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur la rupture des relations commerciales concernant les médicaments :

Considérant que les parties s'accordent pour reconnaître que, selon les termes de la lettre du 6 mai 1998, la vente de produits médicamenteux par la société Warner Lambert à la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France devait s'effectuer sur la base d'un test portant sur trois produits pharmaceutiques "grand public" et ce sur une période limitée de mai à décembre 1998;

Considérant qu'il est établi que la poursuite des relations commerciales était conditionnée par le résultat de ce test;

Or, considérant que, par courrier du 24 septembre 1998, donc sans attendre l'expiration du délai de sept mois initialement prévu, la société intimée devait attirer l'attention de la partie appelante sur certains dysfonctionnements (non-respect des livraisons en colisage, vente de produits non concernés par le contrat test) et sur la faible performance des ventes au sein des pharmacies adhérentes;

Considérant que, dans cet écrit, elle informait sa partenaire de la poursuite du test entre septembre et décembre 1998, afin de pouvoir apprécier, sur des mois de forte activité, le potentiel de la coopérative;

Considérant qu'elle lui précisait: "un bilan définitif sera effectué première quinzaine de janvier afin d'envisager l'arrêt, la poursuite ou l'extension de notre collaboration", manifestant ainsi son intention de ne s'engager dans une relation durable qu'en fonction des résultats qui seraient atteints sur les derniers mois de l'année 1998;

Considérant que, dans sa réponse manuscrite à une lettre de la société appelante en date du 13octobre 1998, elle ajoutait que: "le test, à ce jour non probant, se termine fin décembre. Ce n'est qu'à la lueur de ce test qu'une décision sera prise";

Considérant que c'est donc en conformité avec le calendrier porté à la connaissance de la partie adverse qu'elle a annoncé à cette dernière, dans une télécopie du 31 décembre 1998, qu'elle renonçait à toute activité commerciale avec elle en 1999;

Considérant qu'au demeurant, compte tenu de sa durée limitée à sept mois, et eu égard au faible volume de chiffre d'affaires qu'il a engendré, ce partenariat n'a à l'évidence pas revêtu le caractère de relations commerciales établies;

Considérant qu'au surplus, la société intimée indique, sans être sérieusement contredite sur ce point, que la poursuite d'une collaboration entre les parties au titre des produits médicamenteux se serait heurtée à l'interdiction pour la Coopérative de vendre de tels produits compte tenu de son statut d'établissement pharmaceutique dépositaire ;

Considérant qu'il suit de là qu'elle a pu valablement mettre fin avec effet immédiat à ce partenariat limité à une période probatoire dont le bilan s'est révélé non satisfaisant dans ses résultats ;

Considérant que, dès lors qu'en fonction de ce qui précède, cette rupture ne revêt aucun caractère fautif au sens de l'article L. 442-6 4° du Code de commerce, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.

Sur la rupture des relations commerciales concernant la parapharmacie :

Considérant qu'il n'est pas contesté que, s'agissant des produits de cosmétique, les relations commerciales, ayant pris effet à compter de fin septembre 1996, ont été stables et régulières et n'ont pas donné lieu à des critiques particulières jusqu'à leur terme notifié par télécopie du 31 décembre 1998;

Considérant que les premiers juges ont donc à bon droit énoncé que la coopérative appelante était fondée à obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice ayant résulté pour elle de la rupture sans préavis de cette relation commerciale établie;

Considérant que c'est également à juste titre que, tenant compte de la durée de ce partenariat, légèrement supérieur à deux années, ils ont fixé à trois mois le délai de préavis auquel la société Warner Lambert aurait dû se conformer;

Mais considérant que cette dernière explique, sans être contredite sur ce point, que ses produits ne correspondaient en 1997 qu'à 0,4 % du chiffre d'affaires total réalisé par la Coopérative avec les produits de parapharmacie, soit 118 722 F (18 099,05 euros) en 1997 et 143 000 F (21 800,21 euros) en 1998, et que le profit brut dégagé par la société appelante sur les produits Warner Lambert a été inférieur à 6 000 F (914,69 euros) pour 1997 et égal à 7 150 F (1 090,01 euros) pour 1998;

Considérant que, dès lors, il résulte de ces données chiffrées, non combattues par des éléments probants contraires, que, rapporté à une période de trois mois, le manque à gagner subi par la Coopérative par suite de cette brusque rupture a été particulièrement modique;

Considérant que la société appelante ne produit pas davantage de documents faisant apparaître que son activité de distribution de produits para-pharmaceutiques l'aurait mise dans l'obligation de réaliser des investissements, qui n'ont pu être amortis compte tenu des circonstances de la rupture, et dont elle serait fondée à réclamer la contrepartie financière;

Considérant que, par ailleurs, les pièces communiquées dans le cadre de la présente procédure ne mettent nullement en évidence que la cessation brutale de la collaboration entre les parties aurait porté atteinte à l'image de la Coopérative dans ses relations avec les officines de pharmacie;

Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fixé à 10 000 F, soit 1 524,49 euros, le préjudice, tant matériel que moral, subi par la société Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France, et de débouter cette dernière du surplus de sa demande de dommages-intérêts.

Sur les demandes complémentaires et annexes :

Considérant qu'aucune contestation n'est soulevée en appel relativement à la condamnation prononcée en première instance en faveur de la société Warner Lambert au titre des factures impayées;

Considérant que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont condamné de ce chef la Coopérative au règlement de la somme de 804 003,91 F, soit 122 569,61 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 avril 1999, date de l'assignation, et qu'ils ont ordonné la compensation entre les sommes respectivement dues par chacune des parties;

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société intimée une indemnité de 1 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Considérant qu'il n'est cependant pas inéquitable que la société appelante conserve la charge de l'intégralité des frais non compris dans les dépens exposés par elle dans le cadre de cette instance;

Considérant que le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a partagé les dépens par moitié entre les parties;

Considérant que la société Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France, qui succombe dans l'exercice de son recours, doit être condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare recevable l'appel interjeté par la société Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France, Le dit mal fondé; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré; Y ajoutant, Condamne la société Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France à payer à la société Warner Lambert la somme de 1 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Coopérative des pharmaciens d'Ile-de-France aux dépens d'appel, et autorise Maître Seba, avoué, à recouvrer directement la part le concernant, conformément à ce qui est prescrit par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.