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Décisions

CJCE, 5e ch., 2 octobre 2003, n° C-199/99 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Corus UK Ltd

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Wathelet

Avocat général :

Mme Stix-Hackl

Juges :

MM. Edward, La Pergola, Jann (rapporteur), von Bahr

Avocats :

Mes Collins, Levitt, Flynn.

CJCE n° C-199/99 P

2 octobre 2003

LA COUR

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 mai 1999, Corus UK Ltd, anciennement British Steel plc, a, en vertu de l'article 49 du statut CECA de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 11 mars 1999, British Steel/Commission (T-151-94, Rec. p. II-629, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté partiellement son recours tendant à l'annulation de la décision 94-215-CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1, ci-après la "décision litigieuse"). Par cette décision, la Commission avait infligé une amende à la requérante en application dudit article 65.

Les faits et la décision litigieuse

2. Il ressort de l'arrêt attaqué que, à partir de 1974, la sidérurgie européenne a traversé une crise caractérisée par une chute de la demande, ce qui a engendré des problèmes d'offre excédentaire et de surcapacités, ainsi qu'un faible niveau des prix.

3. Après avoir tenté de gérer la crise par des engagements volontaires unilatéraux des entreprises quant aux volumes d'acier proposés sur le marché et à des prix minimaux ("plan Simonet") ou par la fixation de prix d'orientation et de prix minimaux ("plan Davignon", accord "Eurofer I"), la Commission a, en 1980, constaté un état de crise manifeste au sens de l'article 58 du traité CECA et imposé des quotas de production obligatoires, notamment pour les poutrelles. Ledit régime communautaire a pris fin le 30 juin 1988.

4. Bien avant cette date, la Commission avait annoncé l'abandon du régime de quotas dans diverses communications et décisions, rappelant que la fin de celui-ci signifierait le retour à un marché de libre concurrence entre les entreprises. Le secteur restait toutefois caractérisé par des capacités de production excédentaires dont les experts considéraient qu'elles devaient faire l'objet d'une réduction suffisante et rapide afin de permettre aux entreprises de faire face à la concurrence mondiale.

5. Dès la fin du régime de quotas, la Commission a mis en place un régime de surveillance, qui impliquait la collecte de statistiques sur la production et les livraisons, le suivi de l'évolution des marchés ainsi qu'une consultation régulière des entreprises sur la situation et les tendances du marché. Les entreprises du secteur, dont certaines étaient membres de l'association professionnelle Eurofer, ont ainsi entretenu des contacts réguliers avec la DG III (direction générale "Marché intérieur et affaires industrielles") de la Commission (ci-après la "DG III") dans le cadre de réunions de consultation. Le régime de surveillance a pris fin le 30 juin 1990 et a été remplacé par un régime d'information individuel et volontaire.

6. Au début de l'année 1991, la Commission a effectué diverses vérifications auprès d'un certain nombre d'entreprises sidérurgiques et d'associations d'entreprises de ce secteur. Une communication des griefs leur a été envoyée le 6 mai 1992. Des auditions ont eu lieu au début de l'année 1993.

7. Le 16 février 1994, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté la participation de 17 entreprises sidérurgiques européennes et d'une de leurs associations professionnelles à une série d'accords, de décisions et de pratiques concertées de fixation des prix, de répartition des marchés et d'échange d'informations confidentielles sur le marché communautaire des poutrelles, en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA. Elle a infligé par cette décision des amendes à 14 entreprises pour des infractions commises entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990.

La procédure devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

8. Le 13 avril 1994, la requérante a introduit devant le Tribunal un recours tendant à l'annulation de la décision litigieuse.

9. Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a partiellement fait droit au recours de la requérante et a réduit l'amende qui lui avait été infligée.

Les conclusions des parties

10. La requérante conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler l'arrêt attaqué;

- dans la mesure où l'état de l'affaire le permet, annuler la décision litigieuse;

- subsidiairement, réduire ou annuler l'amende fixée par le Tribunal, infligée à la requérante par l'article 4 de la décision litigieuse;

- condamner la Commission à payer des intérêts, au taux que la Cour jugera équitable et juste, sur l'amende ou une partie de celle-ci lors de son remboursement au titre de l'annulation de l'arrêt attaqué ou de la décision litigieuse, en ce qui concerne la période courant à partir du paiement de l'amende par la requérante, le 2 juin 1994, jusqu'au remboursement par la Commission;

- condamner la Commission aux dépens.

11. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le pourvoi;

- condamner la requérante aux dépens.

Les moyens du pourvoi

12. La requérante soulève six moyens à l'appui de son pourvoi:

1) violation du droit à un procès équitable, dans un délai raisonnable;

2) violation des formes substantielles lors de l'adoption de la décision litigieuse;

3) violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA;

4) violation, par le Tribunal, des droits de la défense en ce qu'il n'aurait pas sanctionné une atteinte aux droits de la défense de la requérante lors de la procédure administrative;

5) violation de l'article 15 du traité CECA pour ce qui concerne la motivation du montant des amendes dans la décision litigieuse;

6) violation de l'article 33 du traité CECA en ce que le Tribunal n'a pas annulé l'article 1er de la décision litigieuse pour ce qui concerne des infractions commises avant le 1er juillet 1988.

13. Les points de l'arrêt attaqué que chaque moyen critique seront indiqués dans l'exposé de ce moyen.

Sur le pourvoi

Sur le premier moyen

14. Le premier moyen est tiré de la violation de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la "CEDH"). Le Tribunal aurait en effet privé la requérante d'un procès équitable, dans un délai raisonnable.

15. Le moyen se subdivise en trois branches qu'il convient d'examiner séparément.

Sur la première branche du premier moyen

16. La requérante fait valoir que le procès devant le Tribunal n'a pas été équitable. Le principe de l'égalité des armes n'aurait pas été respecté, notamment en raison du fait que de nombreux documents n'auraient été communiqués que tardivement. Ainsi, alors que l'audience a commencé le 23 mars 1998, premièrement, les documents produits par la Commission à la suite de l'ordonnance du Tribunal du 10 décembre 1997, NMH Stahlwerke e.a./Commission (T-134-94, T-136-94 à T-138-94, T-141-94, T-145-94, T-147-94, T-148-94, T-151-94, T-156-94 et T-157-94, Rec. p. II-2293), n'auraient été communiqués que le 14 janvier 1998, deuxièmement, la méthode de calcul des amendes aurait été produite le 19 mars 1998, troisièmement, la copie du procès-verbal de la séance de la Commission au cours de laquelle la décision litigieuse a été adoptée (ci-après le "procès-verbal") aurait été mise à la disposition de la requérante le 20 mars 1998 et, quatrièmement, d'autres documents auraient été communiqués en cours d'audience seulement.

17. La Commission relève à cet égard, premièrement, que les documents produits le 14 janvier 1998 l'ont ainsi été deux mois avant l'audience, ce qui laissait à la requérante un temps suffisant pour en prendre connaissance, deuxièmement, que, si la méthode de calcul des amendes n'a été communiquée que le 19 mars 1998, il s'agissait cependant d'un complément à des réponses déjà fournies les 19 janvier et 20 février 1998, ainsi qu'il ressortirait du point 66 de l'arrêt attaqué, et, troisièmement, que, si le procès-verbal définitif a été déposé au Tribunal le 19 mars 1998 et mis à la disposition de la requérante le lendemain, le projet de ce procès-verbal avait néanmoins été communiqué quelques semaines auparavant en exécution d'une ordonnance du Tribunal du 16 février 1998, comme indiqué au point 64 de l'arrêt attaqué. En outre, la Commission conteste que la requérante ait été mise en difficulté en raison de la communication tardive de documents, elle relève le fait que la requérante ne mentionne aucun point particulier sur lequel elle aurait été désavantagée par les circonstances dont elle se plaint à présent et elle fait valoir que la requérante n'a pas demandé au Tribunal d'ajourner l'audience en raison de la date de production de certains documents auxquels elle se réfère.

18. Dans sa réplique, la requérante conteste les arguments de la Commission. Elle soutient notamment que les réponses fournies par celle-ci en janvier et en février 1998 étaient incomplètes et ne permettaient pas d'apprécier la légalité de la méthode employée en ce qui concerne le calcul des amendes. Elle ajoute, s'agissant de la version définitive du procès-verbal, que la Commission ne s'est pas conformée à une demande claire et dénuée d'ambiguïté du Tribunal et n'a produit ce document que la veille de l'audience.

Appréciation de la Cour

19. Il y a lieu de rappeler que le principe du respect des droits de la défense constitue un principe fondamental du droit communautaire. Ce serait violer ce principe que de baser une décision judiciaire sur des faits et documents dont les parties elles-mêmes, ou l'une d'entre elles, n'ont pu prendre connaissance et sur lesquels elles n'ont donc pas été en mesure de prendre position (arrêt du 22 mars 1961, SNUPAT/Haute Autorité, 42-59 et 49-59, Rec. p. 99, 156).

20. Au préalable, il convient de constater que la requérante n'établit pas en quoi la production prétendument tardive des documents visés lui aurait causé un préjudice, c'est-à-dire en quoi sa défense aurait pu être mieux assurée si elle avait disposé des documents plus tôt.

21. En tout état de cause, s'agissant des documents communiqués le 14 janvier 1998, à la suite de l'ordonnance NMH Stahlwerke e.a./Commission, précitée, il y a lieu de relever qu'ils l'ont été suffisamment de temps avant l'audience pour permettre à la requérante de les examiner et de prendre position à leur sujet.

22. En ce qui concerne la méthode du calcul de l'amende, le Tribunal a jugé, au point 628 de l'arrêt attaqué, qu'il ne s'agissait pas d'une motivation supplémentaire de la décision litigieuse. Le document expliquant cette méthode consistait en un tableau d'une page pour chaque entreprise. Il a été déposé le 19 mars 1998, en complément de réponses déjà fournies à cet égard. Compte tenu de la longueur des débats lors de l'audience, qui a duré du 23 au 27 mars 1998, il n'apparaît pas que la production de ce document quatre jours seulement avant le début de l'audience ait pu porter préjudice à la requérante en ce qu'elle n'aurait pu prendre suffisamment connaissance de son contenu pour pouvoir s'exprimer à son sujet.

23. Il convient par ailleurs de relever que le texte du projet de procès-verbal a été communiqué le 22 janvier 1998. Ce n'est qu'aux fins de la vérification de l'authentification de la décision litigieuse que la copie conforme de l'original du procès-verbal a été produite le 19 mars 1998. Eu égard aux arguments développés par les parties et synthétisés par le Tribunal aux points 104 à 116 de l'arrêt attaqué, il n'apparaît pas que la production de ce document quelques jours avant l'audience ait porté atteinte aux droits de la défense.

24. S'agissant des différents documents remis au Tribunal lors de l'audience, dont la requérante ne précise pas la nature et dont il est, dès lors, impossible d'en vérifier l'importance pour ses droits de la défense, il ne ressort pas du procès-verbal de cette audience que la requérante se serait opposée à leur dépôt.

25. Il résulte de ces éléments que la requérante n'a pas établi que le Tribunal aurait violé le principe des droits de la défense en ne veillant pas à ce qu'elle dispose d'un délai suffisant pour prendre connaissance des différents documents produits et prendre position à leur égard.

26. Il s'ensuit que la première branche du premier moyen n'est pas fondée.

Sur la deuxième branche du premier moyen

27. La requérante soutient que le Tribunal a commis des irrégularités pour ce qui concerne l'audition des témoins.

28. Elle n'aurait pas eu l'occasion d'interroger les trois témoins entendus par le Tribunal préalablement à l'audience et n'aurait pas été informée du contenu des déclarations que ces témoins allaient faire. En outre, elle aurait été privée du droit de leur poser des questions ou, plus généralement, d'attaquer les preuves qu'ils présentaient. Cette violation des droits de la requérante serait aggravée par le fait que, dans l'arrêt attaqué, le Tribunal se serait largement fondé sur les éléments de preuve fournis par les témoins.

29. La Commission soutient que la procédure d'audition des témoins a été régulière. D'ailleurs, la requérante n'invoquerait la violation d'aucune disposition du règlement de procédure du Tribunal. Elle rappelle que, dans l'ordre juridique communautaire, les témoins sont les témoins de la juridiction communautaire et non ceux des parties. Les questions à poser aux témoins seraient déterminées par le seul Tribunal et celui-ci apprécierait de façon discrétionnaire s'il convient de donner aux parties la possibilité de les interroger.

Appréciation de la Cour

30. La procédure d'audition des témoins étant spécifiquement définie par le règlement de procédure du Tribunal, cette branche du moyen, tirée d'une violation des droits de la défense de la requérante, ne pourrait être reconnue fondée que pour autant que cette dernière établisse qu'il y a eu irrégularité de procédure portant atteinte à ses intérêts.

31. L'article 68, paragraphe 4, deuxième et quatrième alinéas, du règlement de procédure du Tribunal est rédigé comme suit:

"Les témoins sont entendus par le Tribunal, les parties convoquées. Après la déposition, le président peut, à la demande des parties ou d'office, poser des questions aux témoins.

[...]

Sous l'autorité du président, des questions peuvent être posées aux témoins par les représentants des parties."

32. Ainsi qu'il ressort du procès-verbal de l'audience qui s'est déroulée devant le Tribunal le 23 mars 1998, le président de la deuxième chambre élargie a annoncé l'intention de celle-ci d'entendre certains témoins. Il est précisé audit procès-verbal que les parties n'ont pas émis d'observations à cet égard. L'audition des témoins a eu lieu en audience publique, en présence de l'ensemble des parties.

33. Il convient de constater que la requérante ne démontre pas et qu'il n'apparaît en aucune manière que, en l'espèce, le Tribunal aurait commis une irrégularité dans la procédure d'audition des témoins. Notamment, elle n'énonce aucune question que le président aurait refusé de poser, ou de laisser poser, et le procès-verbal de cette audition n'indique aucune demande en ce sens.

34. S'agissant des déclarations qui ont été faites par les témoins et ont pu servir de preuves, il suffit de constater que la requérante a eu l'occasion de les discuter à l'occasion de l'audience de plaidoiries qui, ainsi qu'il a été rappelé au point 22 du présent arrêt, a duré du 23 au 27 mars 1998. En outre, il n'apparaît pas que la requérante aurait saisi le Tribunal d'une demande visant à lui permettre d'examiner ou de commenter plus avant lesdites déclarations.

35. Il résulte de ces éléments que la deuxième branche du premier moyen n'est pas fondée.

Sur la troisième branche du premier moyen

36. La requérante reproche au Tribunal la durée excessive de la procédure.

37. Elle rappelle que la période allant du dépôt du recours au prononcé de l'arrêt attaqué a duré 59 mois. Celui-ci aurait été rendu près d'un an après la mise en délibéré. À la suite de différents retards, l'identité du président de la chambre aurait changé et deux des cinq juges qui étaient présents à l'audience n'auraient pas participé aux délibérations. Cela aurait constitué un obstacle à la continuité dans la conduite de l'affaire et à un examen approfondi des questions soulevées.

38. La Commission soutient que, si l'on compare la durée de la procédure dans cette affaire avec celle examinée par la Cour dans l'arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185-95 P, Rec. p. I-8417), il convient de conclure que la durée de la procédure devant le Tribunal n'a pas été excessive en l'espèce. À tout le moins, il y aurait lieu de tenir compte de "circonstances exceptionnelles" au sens dudit arrêt, telles que les questions inédites relatives à l'accès aux documents et le nombre d'actes de procédure requis.

39. La Commission relève par ailleurs que le changement de président de chambre n'est pas anormal puisqu'il se produit chaque année. De même, le fait que deux des juges n'aient pas pris part au délibéré ne serait pas anormal non plus et ne constituerait que la conséquence de l'expiration de leur mandat.

40. La requérante maintient que la durée globale de la procédure a été excessive et qu'aucune justification objective pour ces retards ne saurait être avancée. Notamment, les quinze mois consacrés par le Tribunal à l'examen du petit nombre de documents qualifiés par la Commission d'internes seraient injustifiables. Elle soutient par ailleurs que les arguments de la Commission sont déloyaux, dès lors que celle-ci serait elle-même à l'origine de nombreux retards.

Appréciation de la Cour

41. Il convient de rappeler que le principe général de droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, et notamment le droit à un procès dans un délai raisonnable, est applicable dans le cadre d'un recours juridictionnel contre une décision de la Commission infligeant à une entreprise des amendes pour violation du droit de la concurrence (arrêts Baustahlgewebe/Commission, précité, point 21, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238-99 P, C-244-99 P, C-245-99 P, C-247-99 P, C-250-99 P à C-252-99 P et C-254-99 P, Rec. p. I-8375, point 179).

42. Le caractère raisonnable du délai est apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l'enjeu du litige pour l'intéressé, de la complexité de l'affaire ainsi que du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes (arrêts précités Baustahlgewebe/Commission, point 29, et Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 187).

43. La Cour a précisé à cet égard que la liste de ces critères n'est pas exhaustive et que l'appréciation du caractère raisonnable du délai n'exige pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun d'eux lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d'un seul. La fonction de ces critères est de déterminer si le délai de traitement d'une affaire est ou non justifié. Ainsi, la complexité de l'affaire ou un comportement dilatoire du requérant peut être retenu pour justifier un délai de prime abord trop long. À l'inverse, un délai peut être considéré comme dépassant les limites du délai raisonnable également au regard d'un seul critère, en particulier lorsque sa durée résulte du comportement des autorités compétentes. Le cas échéant, la durée d'une étape procédurale peut être d'emblée qualifiée de raisonnable lorsqu'elle apparaît conforme au délai moyen de traitement d'une affaire du type de celle en cause (arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 188).

44. En l'espèce, il y a lieu de rappeler que la procédure devant le Tribunal a eu comme point de départ le dépôt, le 13 avril 1994, de la requête introduisant le recours en annulation de la requérante contre la décision litigieuse et qu'elle s'est achevée le 11 mars 1999, date du prononcé de l'arrêt attaqué. Elle a ainsi duré près de cinq ans.

45. Une telle durée apparaît, de prime abord, importante. Toutefois, il convient de rappeler que onze entreprises ont introduit un recours en annulation contre la même décision, dans quatre langues de procédure.

46. Ainsi que le rappellent les points 51 à 57 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a eu à connaître de différentes contestations relatives à l'accès aux documents de la procédure administrative. La Commission ayant déposé, le 24 novembre 1994, un dossier de 11 000 pièces relatives à la décision litigieuse tout en faisant valoir que les pièces contenant des secrets d'affaires ainsi que ses propres documents internes ne devaient pas être rendus accessibles aux entreprises concernées, le Tribunal a dû entendre les parties à ce sujet, examiner l'ensemble des documents et déterminer à quels documents chaque requérante pouvait avoir accès.

47. Par ordonnance du 19 juin 1996, NMH Stahlwerke e.a./Commission, (T-134-94, T-136-94 à T-138-94, T-141-94, T-145-94, T-147-94, T-148-94, T-151-94, T-156-94 et T-157-94, Rec. p. II-537), le Tribunal a statué sur le droit d'accès des requérantes aux pièces du dossier de la Commission émanant, d'une part, des requérantes elles-mêmes et, d'autre part, de parties tierces aux procédures, classées par la Commission comme confidentielles dans l'intérêt de ces parties.

48. Par ordonnance du 10 décembre 1997, NMH Stahlwerke e.a./Commission, précitée, le Tribunal a statué sur les demandes d'accès des requérantes aux documents qualifiés par la Commission d'"internes".

49. Les différentes affaires introduites par d'autres entreprises concernées par la décision litigieuse ont été jointes aux fins de l'instruction et de la procédure orale. Ainsi qu'il a été précisé aux points 58 à 67 de l'arrêt attaqué, de nombreuses mesures d'instruction ont été ordonnées par le Tribunal dans le cadre de la préparation de cette procédure. À cet égard, le Tribunal a posé diverses questions écrites aux parties ainsi qu'ordonné la production de documents et l'audition de témoins.

50. La procédure orale a été clôturée à l'issue de l'audience du 27 mars 1998.

51. L'arrêt attaqué a été rendu le 11 mars 1999, à savoir le même jour que les dix autres arrêts statuant sur les recours introduits à l'encontre de la décision litigieuse.

52. Il résulte des constatations qui précèdent que la durée de la procédure ayant abouti à l'arrêt attaqué s'explique notamment par le nombre d'entreprises ayant participé à l'entente reprochée et ayant introduit un recours à l'encontre de la décision litigieuse, ce qui a nécessité un examen parallèle de ces différents recours, par les questions juridiques liées à l'accès au volumineux dossier de la Commission, par l'instruction approfondie du dossier menée par le Tribunal et par les contraintes linguistiques imposées par les règles de procédure de celui-ci.

53. Il ne saurait être valablement soutenu que le Tribunal est resté inactif pendant de nombreux mois alors qu'il n'avait qu'un petit nombre de documents à examiner. Il suffit à cet égard de faire référence aux points 51 à 57 de l'arrêt attaqué, par lesquels le Tribunal a rappelé la procédure nécessaire pour organiser l'accès aux documents de la Commission.

54. Contrairement à ce qu'affirme la requérante, la Commission ne saurait se voir imputer la responsabilité d'un retard dans le traitement de la procédure. En effet, sollicitée à cet égard par lettre du greffe du Tribunal du 25 octobre 1994, la Commission a déposé son dossier au greffe dès le 24 novembre 1994. Par ailleurs, elle ne saurait être tenue pour responsable des difficultés juridiques liées à l'accès à certains documents, difficultés pour la plupart nouvelles, que le Tribunal a dû résoudre par des ordonnances après un examen des pièces ayant fait l'objet d'une contestation. En outre, il n'apparaît pas qu'elle aurait produit les autres documents demandés par le Tribunal avec des retards excessifs.

55. Quant au délai d'un peu moins d'une année qui s'est écoulé entre la clôture de la procédure orale et le prononcé de l'arrêt attaqué, il y a lieu de constater, au vu des circonstances rappelées au point 52 du présent arrêt, qu'il ne saurait être qualifié d'excessif.

56. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que la durée de la procédure devant le Tribunal est justifiée eu égard à la complexité particulière de l'affaire.

57. S'agissant de la modification de la présidence de la chambre du Tribunal chargée de l'affaire et de l'empêchement de deux juges de participer au délibéré, la requérante n'établit pas en quoi le règlement de procédure du Tribunal aurait été violé.

58. La troisième branche du premier moyen n'est, dès lors, pas fondée.

59. Il résulte de ces éléments que le premier moyen n'est pas fondé.

Sur le deuxième moyen

60. Le deuxième moyen est tiré d'une violation des formes substantielles lors de l'adoption de la décision litigieuse.

61. En substance, la requérante soutient, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 137 de l'arrêt attaqué, qu'il n'y avait pas de différence matérielle entre, d'une part, les versions C(94)321-2 et C(94)321-3 de la décision litigieuse et, d'autre part, les versions de cette décision notifiées à la requérante.

62. En deuxième lieu, elle fait valoir que l'appréciation du Tribunal en ce qui concerne l'authentification de la décision litigieuse est motivée de façon inadéquate et contradictoire. Notamment, le fait que la photocopie du procès-verbal a été remise à l'agent de la Commission, puis par lui au Tribunal dans la même boîte en carton que les copies des documents C(94)321-2 et C(94)321-3, ne saurait fournir la moindre base pour la présomption acceptée par le Tribunal, selon laquelle ces documents ont été annexés à la version originale du procès-verbal, conformément à ce qu'exigerait l'article 16 du règlement intérieur de la Commission, dans sa version issue de la décision 93-492-Euratom, CECA, CEE de la Commission, du 17 février 1993 (JO L 230, p. 15). De même, ce serait à tort que le Tribunal aurait, au point 149 de l'arrêt attaqué, accepté comme preuve de la signature du procès-verbal la certification de la conformité de la photocopie par le secrétaire général en titre de la Commission. Selon la requérante, une photocopie ne prouve en rien l'authenticité du document qu'elle reproduit: seule la production de la version originale du procès-verbal aurait permis de prouver que celui-ci satisfaisait aux conditions dudit règlement intérieur.

63. En troisième lieu, la requérante considère que le Tribunal aurait dû vérifier la date de l'authentification, car il ne pourrait y avoir de présomption que l'authentification a eu lieu à la date où le procès-verbal a été adopté.

64. La Commission soutient que le moyen est irrecevable en ce qu'il critiquerait des appréciations de fait et, à titre subsidiaire, qu'il n'est pas fondé.

Appréciation de la Cour

65. À titre liminaire, il importe de rappeler que, ainsi qu'il ressort des articles 32 quinto, paragraphe 1, CA et 51 du statut CECA de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est dès lors seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136-92 P, Rec. p. I-1981, points 49 et 66; Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 194, et du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C-312-00 P, Rec. p. I-11355, point 69).

66. Force est de constater que la requérante conteste en l'espèce l'appréciation de preuves par le Tribunal. Le deuxième moyen revient en effet à contester les points suivants de l'arrêt attaqué:

- le point 146, par lequel le Tribunal a présumé que les documents C(94)321-2 et C(94)321-3 étaient annexés au procès-verbal,

- le point 147, par lequel le Tribunal a considéré qu'il n'était pas établi qu'il existerait une différence matérielle entre la version de la décision litigieuse notifiée et celle annexée au procès-verbal,

- le point 148, par lequel le Tribunal a jugé que les documents C(94)321-2 et C(94)321-3 devaient être considérés comme authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général de la Commission apposées sur la première page du procès-verbal,

- le point 149, par lequel le Tribunal a décidé que la certification de la conformité de l'ampliation par le secrétaire général en titre de la Commission prouvait à suffisance de droit que la version originale du procès-verbal porte les signatures originales du président et du secrétaire général de la Commission, et

- le point 151, par lequel le Tribunal a constaté que le procès-verbal avait été dûment signé par le président et le secrétaire général de la Commission le 23 février 1994.

67. S'agissant de la nécessité d'exiger la production de l'original du procès-verbal, il convient de rappeler qu'il appartient au juge communautaire de décider de la nécessité de la production d'un document, en fonction des circonstances du litige, conformément aux dispositions du règlement de procédure applicables aux mesures d'instruction. Pour ce qui concerne le Tribunal, il résulte des dispositions combinées des articles 49 et 65, sous b), de son règlement de procédure que la demande de production de documents fait partie des mesures d'instruction que le Tribunal peut ordonner à tout stade de la procédure (arrêt du 6 avril 2000, Commission/ICI, C-286-95 P, Rec. p. I-2341, points 49 et 50).

68. Au point 149 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a examiné la photocopie du procès-verbal qui lui avait été soumise et a considéré comme établissant à suffisance la conformité de cette photocopie avec l'original le fait que la première page de ce document était revêtue du cachet "ampliation certifiée conforme, le secrétaire général Carlo Trojan" et que ce cachet portait la signature originale de M. Trojan, secrétaire général en titre de la Commission.

69. Ainsi qu'il a été rappelé au point 65 du présent arrêt, le Tribunal est seul compétent pour apprécier la force probante d'un document, ainsi qu'il l'a fait au point 149 de l'arrêt attaqué, et sa décision sur ce point ne peut, en principe, être soumise au contrôle de la Cour.

70. Eu égard au fait que le Tribunal disposait de cette copie du procès-verbal dont il reconnaissait le caractère certifié conforme, il n'était nullement tenu de procéder à une mesure complémentaire d'administration de la preuve pour en réclamer l'original s'il estimait qu'une telle mesure n'était pas nécessaire à la manifestation de la vérité (voir, en ce sens, arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 404).

71. Il s'ensuit que le deuxième moyen est pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

Sur le troisième moyen

72. Le troisième moyen est tiré d'une violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA. Il se subdivise en deux branches, la première tirée d'une qualification juridique erronée des éléments de preuve et la seconde d'une interprétation erronée de cette disposition.

Sur la première branche du troisième moyen

73. Selon la requérante, la qualification juridique donnée par le Tribunal aux éléments de preuve sur le fondement desquels il a jugé que la requérante avait participé à des accords et à des pratiques concertées de fixation des prix et d'échange d'informations, en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, est viciée par le fait qu'il n'a pas tenu compte de ses propres appréciations subséquentes concernant l'objet, le contexte et le sujet des discussions auxquelles les entreprises en cause avaient participé, dans le contexte du régime de surveillance du secteur établi après la fin de la période de crise manifeste.

74. Le Tribunal aurait en effet constaté, au point 656 de l'arrêt attaqué, que, dans le cadre de la préparation de réunions avec la Commission, les entreprises devaient se réunir préalablement et échanger leurs vues sur la situation économique du marché et les tendances futures, notamment en matière de prix. De telles réunions auraient d'ailleurs été nécessaires à la réussite du régime de surveillance du secteur. Par ailleurs, il ressortirait du témoignage de M. Kutscher, ancien fonctionnaire de la DG III entendu par le Tribunal en qualité de témoin, que, dans une situation économique favorable, des augmentations de prix peuvent se produire en parallèle, sans qu'un accord soit nécessaire. Dès lors, l'arrêt attaqué serait fondé sur une motivation contradictoire et insuffisante.

75. La Commission soutient que le Tribunal a examiné attentivement chaque élément de preuve des différentes infractions et relève que la requérante n'invoque pas la dénaturation d'éléments de preuve.

76. Selon la Commission, il est erroné d'affirmer que l'existence de réunions avec celle-ci empêche de conclure à la participation de la requérante à des activités anticoncurrentielles. Premièrement, cet argument ne pourrait concerner que les infractions prétendument commises dans le cadre de la commission d'Eurofer dénommée "commission poutrelles" (ci-après la "commission poutrelles"), et non les accords de fixation des prix et de répartition des marchés. Deuxièmement, la Commission renvoie aux points 539 et 575 à 579 de l'arrêt attaqué, d'où il ressortirait que les activités reprochées aux entreprises en cause étaient bien distinctes des réunions d'information avec la Commission.

Appréciation de la Cour

77. Il convient de relever que la requérante n'invoque aucun argument remettant en cause l'appréciation développée par le Tribunal aux points 539 à 576 de l'arrêt attaqué. Dans ces points, le Tribunal a démontré que les entreprises concernées avaient caché à la Commission l'existence et la teneur des discussions portant atteinte à la concurrence qu'elles tenaient et des accords qu'elles concluaient. Il a précisé, au point 577 de cet arrêt, que, en tout état de cause, les dispositions de l'article 65, paragraphe 4, du traité CECA ont un contenu objectif et s'imposent tant aux entreprises qu'à la Commission, qui ne saurait en exonérer ces dernières.

78. Plus particulièrement, elle ne conteste pas les points 547 à 557 de l'arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a considéré qu'il n'était pas établi que les fonctionnaires de la DG III avaient eu connaissance des accords de fixation des prix.

79. S'agissant du point 656 de l'arrêt attaqué, dont la requérante tire argument pour déceler dans l'arrêt attaqué une contradiction de motifs, il convient de relever qu'il s'inscrit dans la partie de l'arrêt consacrée à l'examen, par le Tribunal, de l'incidence économique des infractions en vue d'apprécier si l'amende a été fixée à un montant disproportionné.

80. Ainsi, dans cette partie de l'arrêt attaqué, le Tribunal a examiné l'un des critères habituellement retenus pour apprécier la gravité d'une infraction tout en soulignant, au point 650 de cet arrêt, qu'une infraction à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA peut être établie et une amende infligée en vertu du paragraphe 5 de cet article même en l'absence d'effets anticoncurrentiels. Ainsi qu'il l'a exposé au point 651 du même arrêt, l'effet d'une pratique anticoncurrentielle n'est donc pas un critère déterminant dans l'appréciation du montant adéquat de l'amende. Des éléments relevant de l'aspect intentionnel peuvent avoir plus d'importance que ceux relatifs auxdits effets, surtout lorsqu'il s'agit d'infractions intrinsèquement graves telles que la fixation des prix et la répartition des marchés, ces derniers éléments étant présents en l'espèce.

81. La constatation formulée au point 656 de l'arrêt attaqué ne peut être lue isolément, mais doit être replacée dans le développement de l'argumentation du Tribunal. Or, celui-ci a poursuivi, au point 658 de cet arrêt, en considérant que, eu égard au comportement de la Commission, il ne convenait pas de déterminer les effets des infractions commises en l'espèce en comparant simplement la situation découlant des accords restrictifs de la concurrence avec celle qui aurait existé en l'absence de toute prise de contact entre les entreprises. Selon le Tribunal, il était plus pertinent de comparer la situation découlant desdits accords, d'une part, et la situation envisagée et acceptée par la DG III, dans laquelle les entreprises étaient censées se réunir et engager des discussions généralisées, notamment à propos de leurs prévisions de prix futurs, d'autre part.

82. C'est donc sans se contredire que le Tribunal a pris en considération le comportement de la Commission pour évaluer les effets économiques des infractions tout en constatant que ce comportement n'avait eu aucune incidence sur la pleine connaissance, par les entreprises concernées, du caractère anticoncurrentiel des pratiques incriminées.

83. Il s'ensuit que la première branche du troisième moyen n'est pas fondée.

Sur la seconde branche du troisième moyen

84. Selon la requérante, l'interprétation que donne le Tribunal de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA est fondée sur une motivation contradictoire et sur une compréhension erronée du contexte dans lequel cette disposition doit être appliquée.

85. La requérante reproche à l'argumentation du Tribunal d'être tautologique. En effet, ayant constaté, sur le fondement des seuls éléments de preuve, que les infractions à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA étaient établies, le Tribunal en aurait conclu que les arguments de la requérante sur l'interprétation de cette disposition étaient dénués de pertinence. C'est ainsi qu'il aurait contesté la pertinence des articles 46 à 48 et 60 du traité CECA pour cette interprétation. Selon la requérante, le Tribunal aurait dû examiner la question de l'interprétation dudit article 65, paragraphe 1, avant de vérifier si les infractions étaient établies.

86. La requérante soutient également que le Tribunal n'a pas interprété correctement le concept de "jeu normal de la concurrence", en ce qu'il n'aurait tenu compte ni de l'effet que la poursuite des différents objectifs du traité pouvait avoir sur le contenu de ce concept ni de l'incidence des articles 46 à 48 du traité CECA.

87. La motivation de l'arrêt attaqué serait à cet égard contradictoire puisque le Tribunal aurait, au point 658 de celui-ci, tenu compte de l'ambiguïté introduite par la Commission dans la portée du concept de "jeu normal de la concurrence" au niveau de la fixation du montant des amendes, mais n'aurait pas pris cette ambiguïté en considération au niveau de l'interprétation de l'article 65 du traité CECA.

88. À la suite de son interprétation erronée du concept de "jeu normal de la concurrence", le Tribunal aurait jugé à tort, au point 256 de l'arrêt attaqué, que la requérante avait participé à des pratiques concertées relatives aux prix sur le marché britannique, alors que le comportement de celle-ci aurait résulté du régime de surveillance établi par la Commission.

89. Ce serait également à tort que le Tribunal aurait jugé que la requérante avait commis une infraction autonome à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA en participant à un système d'échange d'informations au sein de la commission poutrelles, alors que le Tribunal n'aurait pas démontré le caractère autonome de l'infraction en opérant une distinction cohérente entre les effets prétendument anticoncurrentiels des accords de fixation des prix et de répartition des marchés, d'une part, et ceux du système d'échange d'informations, d'autre part.

90. Par ailleurs, le Tribunal n'aurait pas, dans son appréciation, tenu compte des négociations qui auraient eu nécessairement lieu dans le cadre du régime de surveillance mis en place par la Commission.

91. En outre, l'appréciation par le Tribunal de la structure du marché en cause serait fondée sur une motivation inadéquate, contenue tout entière dans le point 390 de l'arrêt attaqué. Le Tribunal y aurait constaté que le marché était oligopolistique sans procéder à une évaluation économique de la structure de ce marché. Celle-ci serait très différente de ce qui a été considéré comme un oligopole dans la pratique suivie par la Commission en vertu du règlement (CEE) n° 4064-89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1), dans la décision 92-157-CEE de la Commission, du 17 février 1992, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CEE (IV/31.370 et 31.446 - UK Agricultural Tractor Registration Exchange) (JO L 68, p. 19), ou dans le Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen allemand.

92. La Commission renvoie au point 156 de l'arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal aurait indiqué comment il allait procéder à l'examen du recours, à savoir en vérifiant la matérialité des faits avant de contrôler le fondement en droit de la qualification juridique retenue dans la décision litigieuse. Elle soutient qu'une telle démarche est rigoureuse et n'a pas conduit le Tribunal à tirer, dans la première partie de cet examen, des conclusions qui préjugeaient le résultat de la seconde.

93. Elle fait valoir que la requérante dénature le sens des points 658 à 660 de l'arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal aurait conclu non pas qu'il convenait d'adapter la notion de "jeu normal de la concurrence", mais simplement que la Commission avait exagéré l'incidence économique des accords de fixation des prix constatés dans la décision litigieuse.

94. S'agissant des articles 46 à 48 du traité CECA, la Commission relève que le Tribunal a jugé, au point 587 de l'arrêt attaqué, que la question des discussions entre entreprises en vue d'informer cette institution n'était pas pertinente. Le Tribunal aurait en effet indiqué que tel n'était pas l'objectif des accords et pratiques concertées litigieux, que la Commission n'avait pas incriminé ces discussions et que de telles discussions sur les tendances du marché n'impliquaient pas la perpétration des infractions constatées dans la décision litigieuse. Ce serait donc à juste titre que le Tribunal aurait jugé que les activités des entreprises en cause devaient être qualifiées d'infractions à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA et qu'elles ne relevaient pas de la notion de "jeu normal de la concurrence".

95. En ce qui concerne le système d'échange d'informations, la Commission soutient que le Tribunal a pris soin de démontrer, aux points 391 à 397 de l'arrêt attaqué, qu'il restreignait la concurrence en termes d'autonomie de décision des participants à l'échange et, au point 396 de cet arrêt, qu'il tendait au cloisonnement des marchés par une référence aux flux traditionnels des échanges. Il serait donc erroné d'affirmer que le Tribunal n'a pas démontré qu'il s'agissait d'une infraction autonome.

96. La Commission considère que la contestation de la structure oligopolistique du marché en cause est irrecevable, dès lors qu'elle est formulée pour la première fois au niveau du pourvoi. Elle fait valoir en outre que le Tribunal a fait référence à l'arrêt du 18 mai 1962, Geitling Ruhrkohlen-Verkaufsgesellschaft e.a./Haute Autorité (13-60, Rec. p. 165), dans lequel la Cour aurait jugé que la structure oligopolistique d'un marché impliquait qu'il était d'autant plus nécessaire d'y protéger la concurrence résiduelle.

Appréciation de la Cour

97. Il convient de constater que la seconde branche du troisième moyen constitue un amalgame de critiques diverses de l'arrêt attaqué.

98. D'emblée, il y a lieu de relever que certains arguments présentés dans le cadre de cette branche du troisième moyen ont déjà reçu une réponse lors de l'examen de la première branche du même moyen. Il s'agit des critiques de l'arrêt attaqué selon lesquelles, d'une part, le Tribunal n'aurait pas tenu compte du comportement de la DG III lors de la constatation de l'existence d'infractions à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA et, d'autre part, il se serait contredit en constatant l'existence d'une infraction à cet article 65 tout en prenant en considération, au niveau de la détermination de la sanction, une ambiguïté créée par la Commission.

99. Il convient d'examiner successivement les arguments tirés, en premier lieu, d'un prétendu vice de raisonnement de l'arrêt attaqué, en deuxième lieu, d'une prétendue interprétation erronée du concept de "jeu normal de la concurrence" et, en troisième lieu, d'une prétendue erreur de droit lors de la constatation de l'existence d'une infraction autonome.

100. S'agissant, en premier lieu, d'un prétendu vice de raisonnement de l'arrêt attaqué en ce que le Tribunal y aurait constaté l'existence d'infractions avant même d'examiner la question de l'interprétation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, il suffit de constater que, aux points 155 et 156 de cet arrêt, le Tribunal a exposé le plan de sa réponse aux nombreux moyens et arguments tirés par la requérante d'une violation de cette disposition. Audit point 156, il a précisé qu'il examinerait la matérialité des faits constitutifs des infractions reprochées avant de vérifier si la qualification juridique desdits faits était fondée en droit.

101. Au point 239 de l'arrêt attaqué, le Tribunal est arrivé à la conclusion que les constatations de fait figurant dans la décision litigieuse étaient fondées, que l'existence matérielle d'accords et de pratiques concertées était établie et que la participation de la requérante auxdits accords et pratiques concertées était prouvée.

102. Il résulte de ces éléments que, lorsque le Tribunal a statué sur ces constatations de fait, il n'a pas préjugé l'existence des infractions avant même d'examiner l'interprétation à donner à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA. Il s'est limité à examiner les éléments de fait avant de contrôler, dans un second temps, la qualification des comportements constatés.

103. S'agissant, en deuxième lieu, de la prétendue interprétation erronée du concept de "jeu normal de la concurrence", il y a lieu de relever que le Tribunal a examiné, aux points 289 à 296 de l'arrêt attaqué, le contexte dans lequel s'inscrit l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA. Il a également vérifié, aux points 297 à 309 de cet arrêt, si l'article 60 dudit traité était pertinent pour l'appréciation, au regard du même article 65, paragraphe 1, des comportements reprochés à la requérante. Au point 310 de l'arrêt attaqué, il a examiné les articles 46 à 48 du traité CECA pour conclure, au point suivant, qu'aucune des dispositions citées au présent point ne permet aux entreprises d'enfreindre l'interdiction figurant audit article 65, paragraphe 1, en concluant des accords ou en se livrant à des pratiques concertées de fixation des prix du type de celles dont il est question en l'espèce.

104. Il convient de considérer que l'ensemble des motifs développés par le Tribunal à cet égard l'ont été à bon droit. L'argument tiré d'une prétendue interprétation erronée du concept de "jeu normal de la concurrence" n'est dès lors pas fondé.

105. En troisième lieu, selon la jurisprudence relative au marché des tracteurs (arrêts du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T-34-92, Rec. p. II-905, et Deere/Commission, T-35-92, Rec. p. II-957, ainsi que de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7-95 P, Rec. p. I-3111, et New Holland Ford/Commission, C-8-95 P, Rec. p. I-3175), dans laquelle le Tribunal et la Cour ont examiné pour la première fois un accord d'échange d'informations dans le cadre du traité CE, et dont les considérations d'ordre général sont transposables au traité CECA, un tel accord est contraire aux règles de concurrence lorsqu'il atténue ou supprime le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (voir, spécialement, arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, point 90).

106. En effet, les critères de coordination et de coopération constitutifs d'une pratique concertée, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable "plan", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions des traités CE et CECA relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun et les conditions qu'il entend réserver à sa clientèle (arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, point 86, et jurisprudence citée).

107. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises ainsi que du volume dudit marché (arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, point 87, et jurisprudence citée).

108. Aux points 88 à 90 de l'arrêt Deere/Commission, précité, la Cour a confirmé la prémisse générale utilisée par le Tribunal dans son raisonnement, à savoir que:

- en principe, la transparence entre les opérateurs économiques est, sur un marché véritablement concurrentiel, de nature à concourir à l'intensification de la concurrence entre les offreurs, dès lors que, dans une telle hypothèse, la circonstance qu'un opérateur économique tienne compte des informations sur le fonctionnement du marché, dont il dispose grâce au système d'échange d'informations, pour adapter son comportement sur le marché n'est pas de nature, compte tenu du caractère atomisé de l'offre, à atténuer ou à supprimer, pour les autres opérateurs économiques, toute incertitude quant au caractère prévisible des comportements de ses concurrents;

- toutefois, sur un marché oligopolistique fortement concentré, l'échange d'informations sur le marché est de nature à permettre aux entreprises de connaître la position de leurs concurrents sur le marché et leur stratégie commerciale et ainsi à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques.

109. Au point 89 de l'arrêt Deere/Commission, précité, la Cour a encore relevé que le Tribunal avait tenu compte de la nature confidentielle et détaillée des informations échangées, de leur périodicité, ainsi que du fait qu'elles n'étaient destinées qu'aux entreprises participant à l'échange, à l'exclusion de leurs concurrents et des consommateurs.

110. S'agissant de la constatation selon laquelle, en l'espèce, le marché des poutrelles avait une structure oligopolistique, il convient de relever qu'il s'agit d'une appréciation en fait qui, pour les motifs rappelés au point 65 du présent arrêt, ne peut être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi.

111. Eu égard à la jurisprudence rappelée aux points 105 à 109 du présent arrêt et compte tenu des différentes constatations effectuées par le Tribunal aux points 383 à 390 de l'arrêt attaqué, d'où il ressort que les systèmes d'échange d'informations en cause atténuaient le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché, c'est à juste titre que le Tribunal en a déduit, au point 391 du même arrêt, que ces systèmes affectaient nettement l'autonomie de décision des participants. De même, eu égard aux constatations effectuées aux points 392 à 396 dudit arrêt, c'est à bon droit que le Tribunal en a déduit, au point 397 du même arrêt, le caractère sensible de la réduction de l'autonomie de décision des entreprises participant à ces systèmes.

112. C'est donc à juste titre que le Tribunal a conclu que le système d'échange d'informations constituait une infraction autonome.

113. Il résulte de l'ensemble de ces considérations que la seconde branche du troisième moyen n'est pas fondée.

114. Par conséquent, le troisième moyen n'est pas fondé.

Sur le quatrième moyen

115. Le quatrième moyen est tiré d'erreurs de droit que le Tribunal aurait commises en examinant et en rejetant, aux points 77 à 103 de l'arrêt attaqué, les arguments selon lesquels la Commission avait violé les droits de la défense de la requérante lors de la procédure administrative.

116. Selon la requérante, la jurisprudence en matière d'accès au dossier, telle qu'elle a été établie dans les arrêts du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission (T-30-91, Rec. p. II-1775); Solvay/Commission (T-31-91, Rec. p. II-1821); Solvay/Commission (T-32-91, Rec. p. II-1825); ICI/Commission (T-36-91, Rec. p. II-1847), et ICI/Commission (T-37-91, Rec. p. II-1901), impose de prendre en considération:

- la nature des accusations proférées par la Commission à l'encontre d'une entreprise;

- le principe selon lequel il n'appartient pas à la Commission de déterminer les documents qui sont effectivement ou potentiellement pertinents pour permettre à l'entreprise de se défendre contre ces accusations;

- le principe de l'égalité des armes, qui suppose que l'entreprise ait accès aux mêmes renseignements que la Commission.

117. La requérante fait valoir que, en l'espèce, de nombreux documents et témoignages relatifs au rôle de la DG III n'ont été rendus accessibles qu'au cours de la procédure judiciaire. Or, ces documents auraient été pertinents pour la défense de la requérante lors de la procédure administrative.

118. Elle soutient également qu'est viciée par une erreur de droit l'appréciation du Tribunal selon laquelle l'enquête de la Commission quant à son propre rôle avait satisfait aux obligations procédurales applicables. Notamment, le Tribunal se serait contredit en affirmant que les documents relatifs à l'enquête interne de la Commission n'étaient pas pertinents pour la défense de la requérante au cours de la procédure administrative alors qu'il aurait ordonné la production de ces documents au cours de la procédure judiciaire et les aurait invoqués à diverses reprises dans l'arrêt attaqué.

119. La requérante fait encore valoir que, contrairement à ce qu'affirme le Tribunal au point 101 de l'arrêt attaqué, les droits procéduraux des entreprises ne sont pas suffisamment garantis par la faculté qui leur est ouverte d'introduire un recours devant le Tribunal.

120. Dans ce contexte, elle prétend qu'il existe une contradiction entre le point 320 de l'arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal aurait rejeté l'argument de la requérante selon lequel la Commission était consciente de l'harmonisation de la structure ainsi que des prix des suppléments et la tolérait, et le point 558 de cet arrêt, qui indiquerait, sur le fondement d'un document établi par la Commission, que celle-ci était effectivement consciente de la pratique consistant à harmoniser les "extras". Selon la requérante, le Tribunal ne pouvait apprécier la question qu'en ordonnant des mesures d'instruction ainsi qu'en examinant tous les documents pertinents, et non certains d'entre eux seulement.

121. La Commission soutient que la jurisprudence invoquée par la requérante est relative à des pièces détenues par la Commission, tandis que les documents visés par la requérante dans son pourvoi seraient des documents internes de la Commission, c'est-à-dire des pièces que celle-ci n'est pas dans l'obligation de fournir aux entreprises faisant l'objet d'une enquête.

122. La requérante n'établirait pas en quoi les arguments que celle-ci a invoqués au cours de la procédure administrative auraient pu être renforcés si elle avait pu avoir accès aux pièces en cause et, plus particulièrement, ne mentionne aucun document qui aurait pu l'aider dans la défense de sa thèse.

123. S'agissant des documents relatifs à l'enquête interne de la Commission, cette dernière fait valoir qu'il n'y a pas de contradiction entre le fait que le Tribunal ait constaté que les documents en cause n'avaient pas à être divulgués au cours de la procédure administrative et le fait qu'il en ait ordonné la production au cours de la procédure judiciaire. En effet, ces documents n'auraient pas constitué des preuves que la Commission entendait utiliser contre l'une des entreprises concernées. Par ailleurs, le Tribunal aurait constaté que la Commission avait dûment tenu compte des observations desdites entreprises lors de l'enquête.

124. Quant à l'harmonisation des suppléments, la Commission soutient que la requérante tente d'amener la Cour à réexaminer des faits déjà appréciés par le Tribunal. Par ailleurs, eu égard à l'examen minutieux des preuves et des conceptions juridiques en présence auquel le Tribunal se serait livré, la Commission prétend que la circonstance que ce dernier n'a pas ordonné de mesures d'instruction supplémentaires en la matière ne peut constituer une violation des droits de la défense.

Appréciation de la Cour

125. Il convient de rappeler que l'accès au dossier dans les affaires de concurrence a notamment pour objet de permettre aux destinataires d'une communication des griefs de prendre connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission, afin qu'ils puissent se prononcer utilement, sur la base de ces éléments, sur les conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans sa communication des griefs (arrêts du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C-51-92 P, Rec. p. I-4235, point 75, et jurisprudence citée, ainsi que Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 315).

126. Le droit d'accès au dossier de la Commission vise donc à garantir un exercice effectif des droits de la défense (voir arrêt Hercules Chemicals/Commission, précité, point 76), droits qui, à la fois, relèvent des principes fondamentaux du droit communautaire et sont consacrés par l'article 6 de la CEDH (arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 316).

127. La violation du droit d'accès au dossier de la Commission au cours de la procédure préalable à l'adoption de la décision est susceptible, en principe, d'entraîner l'annulation de cette décision lorsqu'il a été porté atteinte aux droits de la défense de l'entreprise concernée (arrêts précités Hercules Chemicals/Commission, point 77, et Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 317).

128. En pareille hypothèse, la violation survenue n'est pas régularisée du simple fait que l'accès au dossier a été rendu possible au cours de la procédure juridictionnelle concernant un éventuel recours visant à l'annulation de la décision contestée. Lorsque l'accès a été assuré à ce stade, l'entreprise concernée ne doit pas démontrer que, si elle avait eu accès aux documents non communiqués, la décision de la Commission aurait eu un contenu différent, mais seulement que lesdits documents auraient pu être utiles pour sa défense (voir, en ce sens, arrêts précités Hercules Chemicals/Commission, points 78, 80 et 81, ainsi que Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 318).

129. En l'espèce, il y a lieu de relever que les documents visés par la requérante dans le cadre du quatrième moyen ne sont pas des pièces faisant partie du dossier constitué par la Commission aux fins de la recherche de l'existence d'une infraction à des règles de concurrence, mais bien des documents internes de la Commission, par nature confidentiels.

130. Malgré le caractère confidentiel de ces documents, le Tribunal a, à juste titre, examiné si le refus de les communiquer était justifié et avait porté atteinte aux droits de la défense de la requérante. À bon droit, il a ainsi vérifié si les documents litigieux auraient pu être utiles à la défense de celle-ci.

131. Au point 100 de l'arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les documents internes de la Commission ne comportaient manifestement aucun élément à décharge.À cet égard, il ne ressort d'aucun des documents visés par la requérante dans son pourvoi que le Tribunal aurait commis une erreur de droit ou qu'il aurait dénaturé des faits ou des éléments de preuve en concluant à l'absence d'éléments à décharge dans ces documents. Ceux-ci décrivent en effet des tendances générales du marché de l'acier, mais ne démontrent nullement que les fonctionnaires de la DG III auraient connu ou même encouragé les pratiques illicites reprochées à la requérante.

132. Contrairement à ce que soutient celle-ci, on ne saurait tirer de l'adoption, par le Tribunal, d'une mesure d'instruction la moindre conclusion quant à l'utilité des documents en cause pour la défense de la requérante lors de la procédure administrative. Par ailleurs, les diverses citations de ces documents dans l'arrêt attaqué ne démontrent en aucune manière qu'ils auraient pu présenter une telle utilité.

133. En tout état de cause, le Tribunal a également constaté, au point 97 de l'arrêt attaqué, que les entreprises concernées avaient été en mesure d'adresser les prétendues pièces à décharge en leur possession dans leur réponse à la communication des griefs. Cette appréciation n'est pas contestée par la requérante.

134. À cet égard, ainsi que le relève à juste titre Mme l'avocat général aux points 43 à 45 de ses conclusions, dès lors que les informations se trouvant dans les documents litigieux pouvaient être connues de la requérante en consultant d'autres sources, y compris les siennes propres, il ne saurait être valablement soutenu que l'accès aux documents de la Commission était nécessaire ou même utile à la défense de la requérante lors de la procédure administrative.

135. Il s'ensuit que n'est pas fondé l'argument tiré d'une violation des droits de la défense pour défaut d'accès au dossier de la Commission lors de la procédure administrative.

136. S'agissant de l'argument de la requérante relatif aux accords portant sur l'harmonisation de la structure et des prix des suppléments, il suffit de constater qu'il porte sur une appréciation d'éléments de preuve par le Tribunal et que, comme il a été rappelé au point 65 du présent arrêt, une telle appréciation n'est pas soumise, en principe, au contrôle de la Cour.

137. En ce qui concerne la nécessité, pour le Tribunal, d'ordonner la production d'autres documents, il y a lieu de renvoyer au principe rappelé au point 67 du présent arrêt. Dès lors que le Tribunal disposait de documents qu'il jugeait probants, il n'était nullement tenu de procéder à une mesure complémentaire d'administration de la preuve s'il considérait qu'une telle mesure n'était pas nécessaire à la manifestation de la vérité.

138. Par conséquent, le quatrième moyen est pour partie irrecevable et pour partie non fondé.

Sur le cinquième moyen

139. Le cinquième moyen, qui se subdivise en deux branches, est tiré d'une application erronée de l'article 15 du traité CECA pour ce qui concerne la motivation du montant des amendes dans la décision litigieuse.

Sur la première branche du cinquième moyen

140. Par la première branche du cinquième moyen, la requérante critique les points 629 et 630 de l'arrêt attaqué. Elle soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l'absence, dans la décision litigieuse, d'indications spécifiques relatives au calcul de l'amende ne constituait pas une violation, susceptible de justifier l'annulation, en tout ou en partie, de l'amende infligée, de l'obligation de motivation résultant de l'article 15 du traité CECA.

141. La Commission fait valoir que la requérante ne conteste pas les points 624 et 625 de l'arrêt attaqué qui fonderaient à eux seuls l'appréciation du Tribunal, les autres points de cet arrêt relatifs à la motivation de l'amende devant être considérés comme surabondants. Il en résulterait que, même si la Cour jugeait ces autres points erronés, elle ne devrait pas annuler ledit arrêt dans la mesure où elle jugerait que ces points ne constituent pas des étapes essentielles du raisonnement du Tribunal.

142. La Commission relève que le Tribunal a jugé souhaitable, mais non indispensable au niveau de la légalité, de fournir les éléments de calcul de l'amende dans la décision infligeant celle-ci. Elle indique encore qu'elle a adopté, postérieurement à la décision litigieuse, des lignes directrices pour le calcul des amendes.

143. Dans sa réplique, la requérante soutient que c'est grâce aux informations complémentaires fournies par la Commission qu'il a été possible d'identifier les erreurs commises par cette dernière dans le calcul de l'amende infligée à la requérante, ainsi qu'il ressortirait des points 690 et 691 de l'arrêt attaqué. Elle maintient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant qu'il n'y a pas eu de violation de l'obligation de motivation du montant de l'amende dans la décision litigieuse.

Appréciation de la Cour

144. Il convient de rappeler que, selon l'article 15, premier alinéa, du traité CECA, "[l]es décisions, recommandations et avis de la Commission sont motivés et visent les avis obligatoirement recueillis".

145. Il ressort d'une jurisprudence constante que l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre à la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l'intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d'un vice permettant d'en contester la validité (arrêt du 7 avril 1987, Sisma/Commission, 32-86, Rec. p. 1645, point 8).

146. En l'espèce, c'est à bon droit que le Tribunal a considéré, au point 624 de l'arrêt attaqué, que la décision litigieuse contenait, aux points 300 à 312, 314 et 315 de ses motifs, un exposé suffisant et pertinent des facteurs pris en compte pour juger de la gravité, en général, des différentes infractions reprochées.

147. En effet, les motifs de la décision litigieuse rappellent, en leur point 300, la gravité des infractions et exposent les éléments pris en considération pour la fixation de l'amende. Il a ainsi été tenu compte, en leur point 301, de la situation économique de l'industrie sidérurgique, en leurs points 302 à 304, de l'incidence économique des infractions, en leurs points 305 à 307, de la circonstance que certaines au moins des entreprises savaient que leur comportement était ou aurait pu être contraire à l'article 65 du traité CECA, en leurs points 308 à 312, des malentendus qui auraient pu se créer pendant le régime de crise et, en leur point 316, de la durée des infractions. La décision litigieuse expose de surcroît en détail la participation de chaque entreprise à chaque infraction.

148. Force est de constater que les indications figurant dans cette décision permettaient à l'entreprise concernée de connaître les justifications de la mesure prise, afin de faire valoir ses droits, et mettent le juge communautaire en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de ladite décision. Il s'ensuit que le Tribunal n'a pas violé l'article 15 du traité CECA en considérant que celle-ci était motivée de façon suffisante pour ce qui concerne la détermination du montant des amendes.

149. S'agissant de l'indication de données chiffrées relatives au mode de calcul des amendes, il convient de rappeler que de telles données, pour utiles et souhaitables qu'elles soient, ne sont pas indispensables au respect de l'obligation de motivation d'une décision infligeant des amendes, étant souligné, en tout état de cause, que la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d'appréciation (arrêts du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C-291-98 P, Rec. p. I-9991, points 75 à 77, et Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, précité, point 464).

150. La circonstance que seule la production de ces données chiffrées a permis de détecter certaines erreurs de calcul ne suffit pas à faire considérer la motivation de la décision litigieuse comme insuffisante dès lors que, dans le cadre du contrôle d'une telle décision par le juge communautaire, celui-ci peut se faire produire tous les éléments qui lui sont nécessaires. Il est constant que, en l'espèce, le Tribunal a demandé et reçu de la Commission toutes les données chiffrées permettant un contrôle approfondi du mode de calcul de l'amende.

151. Il s'ensuit que la première branche du cinquième moyen n'est pas fondée.

Sur la seconde branche du cinquième moyen

152. Par la seconde branche du cinquième moyen, la requérante soutient qu'il existe une contradiction entre le point 676 de l'arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal déclare qu'"il ne saurait être question [...] d'un malentendu éventuel sur la portée de l'article 65, paragraphe 1, du traité", et les points 658 et 659 de cet arrêt, dans lesquels il reconnaît que la DG III a introduit une certaine ambiguïté dans la portée du concept de "jeu normal de la concurrence" au sens de cette disposition du traité CECA. La requérante fait valoir que le Tribunal aurait dû ordonner une réduction supplémentaire de l'amende à la lumière de son jugement selon lequel la Commission avait introduit une certaine ambiguïté dans l'interprétation de ladite disposition. Le refus du Tribunal d'admettre que la requérante pouvait faire valoir des circonstances atténuantes serait fondé sur une motivation contradictoire justifiant l'annulation de l'arrêt attaqué.

153. La Commission considère que l'arrêt attaqué ne comporte aucune contradiction en ce qui concerne l'interprétation du concept de "jeu normal de la concurrence", eu égard aux constatations du Tribunal selon lesquelles les entreprises concernées ont pris soin de dissimuler à la Commission la nature ainsi que la portée réelles de leurs contacts et au fait que ces entreprises auraient pu pressentir la DG IV (direction générale "Concurrence") de la Commission si elles avaient eu le moindre doute au sujet de la légalité de ces contacts. Une réduction supplémentaire de l'amende n'aurait donc pu être justifiée à ce titre.

Appréciation de la Cour

154. Il convient de relever que cette branche du moyen traite de questions auxquelles il a déjà été répondu dans le cadre de l'examen de la première branche du troisième moyen, aux points 77 à 83 du présent arrêt.

155. Il résulte des considérations qui précèdent que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

Sur le sixième moyen

156. La requérante soutient que le Tribunal n'a pas convenablement exercé la compétence de contrôle et d'annulation de la décision litigieuse, qui lui est conférée par l'article 33 du traité CECA. En effet, il n'aurait pas annulé l'article 1er de cette décision, qui constate que la requérante a commis des infractions à l'article 65, paragraphe 1, de ce traité au cours de la période antérieure au 1er juillet 1988, alors qu'il aurait jugé, au point 524 de l'arrêt attaqué, que "la Commission n'a pas établi, à l'encontre de la requérante, d'infraction liée aux activités de la commission poutrelles pour la période antérieure au 1er juillet 1988".

157. La Commission relève que la seule infraction antérieure au 1er juillet 1988 dont la requérante a été effectivement accusée dans la décision litigieuse est celle d'avoir participé à l'accord visant à augmenter les prix en Allemagne et en France évoqué au point 224 des motifs de cette décision. Le Tribunal aurait cependant jugé, au point 170 de l'arrêt attaqué, que la preuve de la participation de la requérante audit accord n'était pas rapportée à suffisance de droit.

158. La Commission soutient que, en tout état de cause, aucune amende n'a été infligée à la requérante pour des infractions antérieures au 1er juillet 1988.

159. Dans sa réplique, la requérante fait valoir que les motifs invoqués par la Commission ne sauraient justifier un refus d'annuler l'article 1er de la décision litigieuse en ce qui concerne l'accord visant à augmenter les prix en Allemagne et en France.

Appréciation de la Cour

160. Il y a lieu de constater que, ainsi que le relève à juste titre Mme l'avocat général au point 114 de ses conclusions, l'article 1er de la décision litigieuse fait référence à une période infractionnelle ne comprenant pas la période antérieure au 1er juillet 1988. Il est constant, à cet égard, qu'aucune amende n'a été infligée à la requérante pour cette période.

161. Il s'ensuit que le Tribunal n'aurait pas pu annuler l'article 1er de la décision litigieuse pour des accords de prix antérieurs au 1er juillet 1988.

162. En ce qui concerne le point 224 des motifs de la décision litigieuse, il suffit de relever qu'il n'a pas eu de conséquences sur le dispositif de celle-ci et que, dès lors, il ne nécessitait pas une annulation spécifique de la part du Tribunal. Les intérêts de la requérante ont été suffisamment préservés par la constatation du Tribunal, au point 170 de l'arrêt attaqué, selon laquelle la preuve de la participation de cette dernière à l'accord visant à relever les prix en Allemagne et en France n'avait pas été rapportée à suffisance de droit.

163. Il résulte de ces éléments que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en n'annulant pas l'article 1er de la décision litigieuse pour la période antérieure au 1er juillet 1988.

164. Il s'ensuit que le sixième moyen n'est pas fondé.

165. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté.

Sur les dépens

166.

167. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en l'intégralité de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1°) Le pourvoi est rejeté.

2°) Corus UK Ltd est condamnée aux dépens.