TPICE, 4e ch. élargie, 5 décembre 2002, n° T-114/00
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum EV
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vilaras
Juges :
Mme Tiili, MM. Pirrung, Mengozzi, Meij.
Le Tribunal de première Instance des Communautés Européennes (quatrième chambre élargie),
Vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 7 mars 2002, rend le présent arrêt :
Faits
1. La partie requérante, Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum EV (communauté d'action droit et propriété), est une association qui réunit des groupements concernés par les problèmes liés à la propriété dans les secteurs de l'agriculture et de la sylviculture, des personnes déplacées et expropriées, des victimes de spoliations dans les secteurs de l'industrie, de l'artisanat et du commerce, et des petites et moyennes entreprises qui avaient leur siège et leur patrie dans l'ancienne zone d'occupation soviétique ou en ex-République démocratique allemande.
2. À la suite de la réunification de l'Allemagne au cours de l'année 1990, environ 1,8 million d'hectares de terres agricoles et sylvicoles ont été transférées du patrimoine d'État de la République démocratique allemande vers celui de la République fédérale d'Allemagne.
3. En vertu de l'Ausgleichsleistungsgesetz (loi allemande sur les compensations), qui constitue l'article 2 de l'Entschädigungs- und Ausgleichsleistungsgesetz (loi allemande sur les dédommagements et les compensations, ci-après l'"EALG") et qui est entré en vigueur le 1er décembre 1994, des terres agricoles situées dans l'ex-République démocratique allemande détenues par la Treuhandanstalt, organisme de droit public chargé de restructurer les anciennes entreprises de l'ex-République démocratique allemande, pouvaient être acquises par différentes catégories de personnes à un prix inférieur à la moitié de leur valeur vénale réelle. Relèvent de ces catégories, en priorité et à condition qu'elles aient résidé sur place le 3 octobre 1990 et qu'elles aient, au 1er octobre 1996, conclu un bail à long terme portant sur des terres jadis propriété du peuple et à privatiser par la Treuhandanstalt, les personnes qui détenaient un bail à ferme, les successeurs des anciennes coopératives de production agricole, les personnes réinstallées expropriées entre 1945 et 1949 ou à l'époque de la République démocratique allemande et qui, depuis lors, exploitent à nouveau des terres et les fermiers décrits comme personnes nouvellement installées qui, anciennement, ne possédaient pas de terres dans les nouveaux Länder. Relèvent de ces catégories, à titre subsidiaire, les anciens propriétaires expropriés avant 1949 qui n'ont pas bénéficié d'une restitution de leurs biens et qui n'ont pas repris une activité agricole sur place. Ces derniers ne peuvent acquérir que les surfaces qui n'ont pas été achetées par les bénéficiaires à titre principal.
4. Cette loi prévoyait également la possibilité d'acquérir des terres sylvicoles de manière préférentielle ainsi qu'une définition légale des catégories de personnes visées à cet égard.
5. À la suite des plaintes portant sur ce programme d'acquisition de terres, introduites par des ressortissants allemands ainsi que par des ressortissants d'autres États membres, la Commission a, le 18 mars 1998, ouvert une procédure d'examen conformément à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE) (JO 1998, C 215, p. 7).
6. Par décision 1999-268-CE, du 20 janvier 1999, concernant l'acquisition de terres en vertu de la loi sur les compensations (JO L 107, p. 21) (ci-après la "décision du 20 janvier 1999"), qui faisait suite à la procédure d'examen au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE, la Commission a déclaré que le programme d'acquisition de terres était incompatible avec le marché commun dans la mesure où les aides qu'il accorde sont liées à la condition de résidence sur place au 3 octobre 1990 et dépassent le plafond d'intensité d'aide pour l'acquisition de terrains agricoles, ce plafond ayant été fixé à 35 % pour les superficies agricoles des zones non défavorisées au sens du règlement (CE) n° 950-97, du Conseil, du 20 mai 1997, concernant l'amélioration de l'efficacité des structures de l'agriculture (JO L 142, p. 1). En ce qui concerne, en particulier, la condition de résidence sur place au 3 octobre 1990 prévue par la loi sur les compensations, la Commission a constaté ce qui suit:
"[...] La loi favorise les personnes physiques et morales des nouveaux Länder par rapport à celles qui n'ont pas de siège ou de résidence en Allemagne et est donc de nature à constituer une infraction à l'interdiction de discrimination par les articles 52 à 58 [du traité CE].
S'il est vrai que, de jure, il était possible à tous les citoyens de la Communauté de prouver que leur résidence principale était située sur le territoire de [l'ex-République démocratique allemande] le 3 octobre 1990, cette condition n'était remplie de facto, quasi-exclusivement, que par des citoyens allemands, dont la résidence antérieure était notamment située dans les nouveaux Länder.
Dès lors, cette condition produit un effet d'exclusion à l'égard des personnes ne satisfaisant pas au critère selon lequel la résidence (principale) doit être située sur le territoire de [l'ex-République démocratique allemande].
[...] Le critère de distinction résidence sur place au 3 octobre 1990 ne peut se justifier que s'il est à la fois nécessaire et propre à réaliser l'objectif poursuivi par le législateur.
[...]
L'objectif était [...] De faire bénéficier du programme les personnes intéressées ou les familles de celles-ci qui avaient vécu et travaillé pendant des décennies dans la [République démocratique allemande].
[...]
Cependant, pour atteindre cet objectif, il n'aurait pas été nécessaire de fixer la date de référence du 3 octobre 1990 pour la résidence sur place. En effet, ces personnes nouvellement installées ou ces personnes morales auraient été autorisées, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la loi sur les compensations, à participer au programme d'acquisition de terres si, au 1er octobre 1996, elles avaient pris un bail à long terme des terres jadis propriété du peuple et à privatiser par la Treuhandanstalt.
Au cours de cette procédure d'examen, des intéressés ont expressément attiré l'attention de la Commission sur le fait que la très grande majorité des contrats de bail à long terme ont été conclus avec des Allemands de l'Est. [...]
Il ressort clairement de cela que la réalisation de l'objectif fixé par le législateur (à savoir, la participation des Allemands de l'Est au programme d'acquisition de terres) [même si la légitimité de cet objectif est reconnue,] n'aurait pratiquement pas été mise en péril par la non-fixation de la date de référence au 3 octobre 1990."
7. Dans cette même décision du 20 janvier 1999, la Commission a ordonné à la République fédérale d'Allemagne de récupérer les aides déclarées incompatibles avec le marché commun et déjà octroyées et de ne plus accorder d'aides nouvelles en vertu de ce programme. Le dispositif de cette décision est libellé comme suit:
"Article premier
Le programme d'acquisition de terres visé à l'article 3 de la loi sur les compensations ne contient pas d'aides, dans la mesure où ses dispositions ne portent que sur des compensations faisant suite à des expropriations ou à des actions assimilables à une expropriation [opérées par les pouvoirs publics] et où les avantages accordés sont équivalents ou inférieurs aux dommages pécuniaires causés par ces interventions.
Article 2
Les aides sont compatibles avec le marché commun dans la mesure où elles ne sont pas liées à la condition de la résidence sur place au 3 octobre 1990 et dans la mesure où elles respectent les intensités d'aides maximales de 35 % pour les terres agricoles en zones non défavorisées aux termes du règlement [...] N° 950-97.
Les aides liées à la condition de la résidence sur place au 3 octobre 1990 ainsi que celles qui dépassent les intensités d'aides maximales de 35 % pour les terres agricoles en zones non défavorisées aux termes du règlement [...] n° 950-97 ne sont pas compatibles avec le marché commun.
L'Allemagne est tenue de supprimer les aides mentionnées au deuxième alinéa et ne peut plus les accorder à l'avenir.
Article 3
L'Allemagne récupère, dans un délai de deux mois, les aides incompatibles avec le marché commun qu'elle a octroyées conformément à l'article 2, deuxième phrase. Le remboursement s'effectue selon les dispositions et procédures du droit allemand, y compris les intérêts calculés, à compter de la date d'octroi, sur la base du taux de référence pris en compte lors de l'appréciation des régimes d'aide régionaux.
[...]"
8. Postérieurement à cette décision, le législateur allemand a rédigé le projet de Vermögensrechtsergänzungsgesetz (loi complétant la loi sur le rétablissement des droits patrimoniaux) supprimant et modifiant certaines des modalités prévues par le programme sur l'acquisition de terres. Il ressort, notamment, de ce projet que l'exigence de résidence sur place au 3 octobre 1990 a été supprimée et que l'intensité de l'aide a été fixée à 35 % (à savoir que le prix d'achat des terres en question a été fixé à la valeur réelle moins 35 %). L'exigence principale pour l'acquisition des terres à un prix réduit serait dorénavant la détention d'un bail à long terme.
9. Ce nouveau projet de loi a été notifié à la Commission et a été autorisé par cette dernière, sans ouverture de la procédure d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, par décision du 22 décembre 1999 (ci-après la "décision attaquée", communication au JO 2000, C 46, p. 2). Aux points 55 à 79 de la décision attaquée, la Commission résume le projet de loi notifié. Il est constaté par la Commission aux points 90, 91 et 95 de la décision attaquée que les éléments considérés par elle, dans sa décision du 20 janvier 1999, comme étant incompatibles avec le marché commun, ne figurent pas dans le projet de loi notifié. La Commission constate également, au point 123, ce qui suit:
"Compte tenu des garanties apportées par les autorités allemandes, la Commission a clairement constaté l'existence de superficies de terres en quantité suffisante pour corriger toute discrimination sans annuler les contrats conclus en application de l'EALG initial. Pour autant que la nouvelle réglementation présente en outre des éléments qui, à critères par ailleurs équivalents, favoriseraient les Allemands de l'Est, pareil avantage relève de l'objectif de restructuration de l'agriculture dans les nouveaux Länder tout en garantissant parallèlement que les personnes intéressées, ou les familles de celles-ci, qui ont vécu et travaillé en République démocratique allemande pendant des décennies, puissent également bénéficier de cette réglementation. Dans sa décision du 20 janvier 1999, la Commission a reconnu la légitimité de cet objectif et ne l'a pas contesté."
10. Par cette constatation, la Commission a écarté une série de critiques qu'elle avait reçues de plusieurs intéressés à la suite de la décision du 20 janvier 1999, selon lesquelles le programme d'acquisition de terres est, même en l'absence de l'exigence de résidence sur place au 3 octobre 1990, toujours discriminatoire, en raison de l'exigence de détenir un bail à long terme, exigence qui aurait pour conséquence de maintenir le critère de résidence sur place et de rendre le nombre de terres libres à l'acquisition insuffisant (points 97 et suivants de la décision attaquée).
11. À la suite de la décision d'autorisation de la Commission, le Vermögensrechtsergänzungsgesetz a été adopté par le législateur allemand.
Procédure et conclusions des parties
12. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 mai 2000, la requérante a introduit le présent recours.
13. Conformément à l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission a, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 20 juin 2000, soulevé une exception d'irrecevabilité. La requérante a déposé ses observations sur ladite exception le 16 août 2000.
14. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 2 octobre 2000, la République fédérale d'Allemagne a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du président de la quatrième chambre élargie du Tribunal du 9 novembre 2000, il a été fait droit à cette demande.
15. La procédure écrite sur l'exception d'irrecevabilité s'est terminée le 5 mars 2001.
16. Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale sur l'exception d'irrecevabilité. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l'audience du 7 mars 2002.
17. La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
- annuler la décision attaquée;
- condamner la Commission aux dépens.
18. La Commission et la République fédérale d'Allemagne intervenue à son soutien concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
- rejeter le recours comme irrecevable;
- condamner la requérante aux dépens.
Sur l'exception d'irrecevabilité
19. La Commission et la République fédérale d'Allemagne estiment que le recours est irrecevable pour deux raisons: d'une part, la requérante ne serait pas individuellement et directement concernée par la décision attaquée; d'autre part, la requérante aurait commis un abus de procédure.
Sur le premier moyen d'irrecevabilité, tiré de la circonstance que la requérante ne serait pas individuellement et directement concernée
Arguments des parties
20. La Commission rappelle que le contrôle des aides est prévu par les dispositions du traité CE relatives à la concurrence et que, par conséquent, ce sont les entreprises en concurrence avec les entreprises bénéficiaires d'aides qui peuvent être considérées comme concernées individuellement par une décision autorisant ces aides, notamment si elles ont joué un rôle actif dans la procédure d'examen principale antérieure et dans le mesure où leur position sur le marché est substantiellement affectée par l'aide qui fait l'objet de la décision attaquée.
21. Il s'ensuit, selon la Commission, que le droit d'une association de former un recours en annulation contre une décision d'autorisation d'aides est très limité. Elle observe que seules les associations d'opérateurs économiques ayant participé activement à la procédure en vertu de l'article 88, paragraphe 2, CE sont reconnues comme étant concernées individuellement par une telle décision dans la mesure où elles sont affectées en leur qualité de négociatrices ou lorsqu'elles se sont substituées à un ou à plusieurs de leurs membres qui auraient pu former eux-mêmes un recours recevable. À défaut d'une telle limitation, un nombre indéterminé de tierces personnes pourrait introduire des recours en annulation à l'encontre d'une décision autorisant des aides.
22. Il en résulte, selon la Commission, que la requérante n'est pas individuellement concernée par la décision attaquée. En effet, même s'il est vrai que la requérante a participé depuis 1994 à la procédure formelle d'examen ayant conduit à l'adoption de la décision du 20 janvier 1999 et aux discussions informelles relatives à sa mise en œuvre et qu'elle a donc influencé le processus décisionnel, elle n'aurait pas participé à la procédure en qualité d'association d'entreprises, mais en tant que groupement représentant les intérêts liés à la propriété de ses membres. La Commission se réfère, à cet égard, aux statuts de la requérante, selon lesquels cette dernière a pour mission de défendre les intérêts généraux et les droits de propriété de ses membres en tant que propriétaires de maisons, de terrains, de terres et d'exploitations de tous types, y compris les intérêts des personnes expropriées et de celles dont les biens ont été collectivisés autoritairement, ainsi que de concevoir des mécanismes de dédommagement. La Commission conclut que le recours a été introduit par un groupement d'anciens propriétaires et ne concerne donc pas la concurrence. Elle souligne que les associations qui ne représentent pas des entreprises mais qui représentent d'autres intérêts sociaux quelconques ne peuvent pas former un recours contre une décision d'autorisation d'aides.
23. La Commission ajoute, en faisant référence à l'article 295 CE, que ceci vaut à plus forte raison lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il s'agit d'aspects qui sortent du cadre des compétences communautaires, comme le régime de la propriété des États membres. Dans ce contexte, elle observe que la requérante n'a pas pu influencer la décision de la Commission étant donné que les intérêts qu'elle défend relèvent de la compétence des États membres. Elle explique que, si la Commission a consulté la requérante et considéré ses avis avec beaucoup d'attention, elle ne l'a pas fait dans l'intention de laisser les intérêts de propriété représentés par la requérante influencer sa décision mais plutôt pour disposer d'une source d'informations intéressante.
24. La requérante ne se serait pas davantage substituée à un ou plusieurs de ses membres qui auraient pu eux-mêmes former un recours en annulation. En effet, les membres de la requérante n'auraient pas la qualité de concurrents et n'auraient donc pas pu former un recours en annulation contre la décision attaquée. Si, certes, les membres de la requérante sont "en concurrence" avec les bénéficiaires du programme d'acquisition de terres litigieux, il ne s'agirait pas d'une concurrence au sens du traité CE. À cet égard, la Commission rappelle que l'article 87 CE se réfère à des entreprises, à des branches économiques et aux échanges, et que sa définition de la notion de concurrence a donc trait à l'économie et au marché.
25. La Commission estime, par ailleurs, que la requérante n'était en tout état de cause pas en mesure de se substituer à un ou à plusieurs de ses membres. En effet, elle n'aurait pas pour mission de défendre d'éventuels intérêts de "concurrence" par rapport aux bénéficiaires du programme d'acquisition de terres litigieux, mais uniquement les intérêts généraux ou de propriété de ses membres.
26. Le recours serait d'autant plus irrecevable du fait que ce programme d'acquisition de terres constitue un régime d'aides et que donc l'autorisation de ce régime par la Commission est une mesure de portée générale, qui s'applique à des situations déterminées objectivement et a des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite.
27. La Commission expose, enfin, que la requérante représente essentiellement ou même exclusivement des intérêts allemands, alors que son recours vise à faire constater par le Tribunal que le programme d'acquisition de terres litigieux comporte une discrimination fondée sur la nationalité et ne pouvait donc pas être autorisée par la Commission. La Commission conclut qu'il n'existe pas de lien entre les intérêts qui sont propres à la requérante et les intérêts qu'elle représente dans le cadre du présent recours qui sont des intérêts étrangers. Une association n'aurait pas le droit de former un recours en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE lorsqu'elle ne représente pas les intérêts de ses membres. La Commission rappelle, à cet égard, que les membres de la requérante ne sont pas des personnes étrangères ressortissantes de l'Union européenne, mais des personnes qui ont été lésées pendant la guerre et la période de l'après-guerre dans l'ancienne zone d'occupation soviétique et dans l'ex-République démocratique allemande.
28. La République fédérale d'Allemagne estime, comme la Commission, que le recours est irrecevable, en premier lieu, parce que la requérante n'est pas individuellement concernée par la décision attaquée. En effet, aucune disposition légale applicable en l'espèce ne reconnaîtrait à la requérante des droits à caractère procédural, la requérante ne représenterait pas non plus des intérêts d'entreprises qui seraient elles-mêmes recevables à agir et, enfin, la requérante n'aurait pas été affectée dans ses intérêts propres ou dans sa position de négociatrice. La République fédérale d'Allemagne souligne, à cet égard, qu'il ne suffit pas, pour qu'une association soit individuellement concernée par une décision autorisant des aides, qu'elle prenne part à la procédure d'examen de celles-ci comme simple intéressée.
29. La République fédérale d'Allemagne partage l'argumentation de la Commission selon laquelle la requérante et ses membres sont plus préoccupés par une modification du régime de propriété - qui ne saurait être affecté par le droit communautaire en vertu de l'article 295 CE - que par leur position concurrentielle sur le marché. Elle observe que de nombreux membres de la requérante n'exercent pas d'activité agricole ou sylvicole et ne souhaitent pas exercer une telle activité dans l'ex-République démocratique allemande, mais cherchent exclusivement à récupérer leurs biens confisqués. Par conséquent, la requérante ne représenterait pas des intérêts d'"entreprises". Cette constatation résulterait également des statuts de la requérante selon lesquels cette dernière est une union d'associations de défense de la propriété.
30. La République fédérale d'Allemagne souligne également que la requérante n'a pas été une partenaire dans la négociation au sens exposé, par exemple, dans l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission (T-380-94, Rec. p. II-2169), étant donné qu'elle n'a pris part ni directement ni indirectement à l'élaboration de la décision attaquée. La requérante n'aurait été qu'une source d'informations pour la Commission.
31. La République fédérale d'Allemagne partage, ensuite, l'argumentation de la Commission selon laquelle la requérante ne représente pas, dans cette affaire, ses propres intérêts, mais des intérêts étrangers. Étant donné que la requérante invoque des motifs qui ne la concernent pas personnellement, elle ne saurait être considérée comme individuellement concernée au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE. La République fédérale d'Allemagne fait remarquer également que, même si la décision attaquée devait être annulée pour discrimination à l'encontre de ressortissants communautaires, cela n'aurait pas pour autant pour conséquence de permettre aux anciens propriétaires de récupérer leurs terres. L'objectif du recours ne pourrait donc pas être atteint directement en raison des moyens que la requérante invoque dans le cadre du présent recours.
32. La République fédérale d'Allemagne fait valoir, en second lieu, que la requérante et ses membres ne sont pas directement concernés par la décision attaquée, étant donné que celle-ci porte sur un régime d'aides et constitue donc une mesure de portée générale qui s'applique à des situations déterminées objectivement et qui comporte des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Elle admet qu'une personne puisse être directement concernée par une décision autorisant un régime général d'aides lorsqu'un tel régime s'est déjà concrétisé, mais souligne que tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, les bénéficiaires des aides n'ont pas encore été individualisés et nommément désignés. Bien au contraire, ce ne serait qu'à l'issue d'un examen de chaque cas individuel qu'il serait établi si une personne peut acquérir des terres. À cet effet, la loi met en concurrence certaines catégories de candidats, entre lesquelles il convient de trancher, et le législateur a prévu, à cet effet, des conseils qui sont saisis en cas de conflits d'intérêts.
33. La République fédérale d'Allemagne estime, par ailleurs, qu'il est également exclu que la requérante soit directement concernée parce qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la décision attaquée et l'intérêt supposé de la requérante au regard du droit de la concurrence. En effet, même si le grief tiré d'une violation du principe de non-discrimination était fondé, cela ne mènerait pas automatiquement à la récupération des terres par les anciens propriétaires que la requérante représente.
34. Afin de réfuter l'exception d'irrecevabilité, la requérante observe d'abord qu'elle représente plus de mille entreprises opérant dans l'agriculture, qui répondent à la définition de la notion d'entreprise retenue en droit communautaire, à savoir celle qui couvre toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement.
35. La requérante souligne également que ces entreprises sont gênées dans leur consolidation et dans leur expansion économique par le programme d'acquisition de terres litigieux, étant donné que leurs concurrents obtiennent un accès prioritaire et à des conditions plus avantageuses à ces terres. Il s'agit, selon elle, d'un rapport de concurrence au sens du droit communautaire, étant donné que les bénéficiaires du programme d'acquisition de terres et certains des opérateurs économiques qu'elle représente opèrent sur le même marché.
36. La requérante soutient que son objectif n'est pas d'obtenir une modification du régime de propriété, mais l'application effective de l'obligation de contrôle des aides qui incombe à la Commission, afin de sauvegarder les intérêts économiques de ses membres qui sont concurrents des bénéficiaires des aides. La requérante demande aussi au Tribunal de tenir compte du fait qu'il se trouve, parmi ses membres, plusieurs centaines de personnes que le programme d'acquisition de terres empêche d'entreprendre une activité durable et sérieuse d'exploitant dans le secteur agricole et sylvicole. Ces personnes seraient largement exclues du marché, en raison de l'attribution des contrats de bail sur une base discriminatoire.
37. En tout état de cause, la notion d'association d'entreprises en droit communautaire n'impliquerait pas l'obligation que les membres de l'association requérante soient exclusivement des entreprises. En outre, une association d'entreprises ne serait pas tenue de se soucier de tous les intérêts d'entreprise de ses membres pour pouvoir être considérée comme une association d'entreprises ayant un intérêt pour agir. Ce qui est décisif, selon la requérante, c'est que l'association représente les intérêts d'entreprise d'un groupe important de ses membres, conformément à ses statuts.
38. Par ailleurs, tant dans ses interventions auprès de la Commission sur le programme d'acquisition de terres litigieux, depuis des années, que dans de multiples autres activités, la requérante se serait consacrée essentiellement aux intérêts d'entreprise de ses membres, et ceci conformément à ses statuts, qui l'appellent à défendre les intérêts, notamment d'ordre économique, de ses membres, afin de les protéger contre des désavantages concurrentiels.
39. La requérante estime que, dans ces circonstances, il est injustifié de distinguer les intérêts liés à la propriété de ceux liés à l'entreprise. En effet, l'accès à la propriété de terres agricoles ou sylvicoles présente un intérêt primordial pour l'entreprise, parce que ces terres sont destinées à un usage économique. Le fait qu'elle représente essentiellement des intérêts allemands serait sans pertinence du point de vue de la position concurrentielle de ses membres au regard du droit communautaire. À cet égard, la requérante fait remarquer que la Commission a elle-même établi, dans la décision du 20 janvier 1999, que le programme d'acquisition de terres était de nature à affecter le marché commun. De plus, contrairement à ce qu'affirme la Commission, la requérante aurait un intérêt propre à l'annulation de la décision attaquée, en ce que, en cas d'application stricte du principe de non-discrimination en fonction de la nationalité, une redistribution des terres s'imposerait et les membres de la requérante auraient une meilleure chance d'y accéder.
40. La requérante ajoute que, même si le Tribunal estimait qu'elle n'est pas une association d'entreprises ou d'opérateurs économiques, il devrait la considérer comme étant individuellement concernée par la décision attaquée, du fait de sa position de négociatrice avec la Commission et de sa participation à la procédure.
Appréciation du Tribunal
41. Conformément à l'article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement. La décision attaquée ayant été adressée à la République fédérale d'Allemagne, il convient d'examiner si celle-ci concerne la requérante individuellement et directement.
42. Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle dont le destinataire d'une décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25-62, Rec. p. 197, 223, et du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169-84, Rec. p. 391, point 22; arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission, T-11-95, Rec. p. II-3235, point 71).
43. Pour déterminer si ces conditions sont remplies en l'espèce, il convient de rappeler l'objet des procédures prévues respectivement par les paragraphes 2 et 3 de l'article 88 CE. En effet, dans le domaine du contrôle des aides d'États, la phase préliminaire d'examen des aides instituée par l'article 88, paragraphe 3, CE, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur le caractère d'aide d'État de la mesure concernée ainsi que sur la compatibilité partielle ou totale de l'aide en cause avec le marché commun, doit être distinguée de la phase d'examen de l'article 88, paragraphe 2, CE. Ce n'est que dans le cadre de cette dernière procédure, qui est destinée à permettre à la Commission d'avoir une information complète sur l'ensemble des données de l'affaire, que le traité prévoit l'obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts du Tribunal du 16 septembre 1998, Waterleiding Maatschappij/Commission, T-188-95, Rec. p. II-3713, point 52, et du 21 mars 2001, Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, T-69-96, Rec. p. II-1037, point 36).
44. Lorsque, sans ouvrir la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE, la Commission constate, sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu'une aide est compatible avec le marché commun, les bénéficiaires de ces garanties de procédure ne peuvent en obtenir le respect que s'ils ont la possibilité de contester devant le juge communautaire cette décision de la Commission (arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C-198-91, Rec. p. I-2487, point 23, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225-91, Rec. p. I-3203, point 17; arrêt Waterleiding Maatschappij/Commission, précité, point 53; arrêt du Tribunal du 11 février 1999, Arbeitsgemeinschaft Deutscher Luftfahrt-Unternehmen et Hapag- Lloyd/Commission, T-86-96, Rec. p. II-179, point 49). En conséquence, lorsque, par un recours en annulation d'une décision de la Commission prise au terme de la phase préliminaire, une partie requérante vise à obtenir le respect des garanties de procédure prévues par l'article 88, paragraphe 2, CE, le simple fait qu'elle ait la qualité d'intéressée, au sens de cette disposition, suffit pour qu'elle soit regardée comme directement et individuellement concernée au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE (arrêts Cook/Commission, précité, points 23 à 26; Matra/Commission, précité, points 17 à 20, et BP Chemicals/Commission, précité, points 89 et 90).
45. En l'espèce, la décision attaquée a été prise sur la base de l'article 88, paragraphe 3, CE, sans que la Commission ait ouvert la procédure formelle prévue par l'article 88, paragraphe 2, CE. Au vu des éléments qui précèdent, la requérante devra donc être considérée comme étant directement et individuellement concernée par la décision attaquée si, premièrement, elle tend à faire sauvegarder les droits procéduraux prévus par l'article 88, paragraphe 2, CE et, deuxièmement, s'il apparaît qu'elle a la qualité d'intéressée au sens de ce même paragraphe (voir, en ce sens, arrêt Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, précité, points 37 à 39).
46. Ainsi, il convient d'abord d'examiner si, par le présent recours, la requérante tend à faire sauvegarder des droits procéduraux découlant de l'article 88, paragraphe 2, CE.
47. Il y a lieu de constater que la requérante n'a pas explicitement dénoncé une violation de la part de la Commission de l'obligation d'ouvrir la procédure prévue par l'article 88, paragraphe 2, CE ayant empêché l'exercice des droits procéduraux prévus par cette disposition. Toutefois, les moyens d'annulation avancés à l'appui du présent recours, et notamment celui tiré d'une violation de l'interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité, doivent être interprétés comme visant à faire constater l'existence de difficultés sérieuses soulevées par les mesures litigieuses à l'égard de leur compatibilité avec le marché commun, difficultés qui placeraient la Commission dans l'obligation d'ouvrir la procédure formelle.
48. En effet, selon une jurisprudence bien établie, la Commission est tenue d'ouvrir cette procédure si un premier examen ne lui a objectivement pas permis de surmonter toutes les difficultés sérieuses soulevées dans l'appréciation de la compatibilité avec le marché commun de la mesure étatique en cause (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, SIDE/Commission, T-49-93, Rec. p. II-2501, point 58; du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T-95-96, Rec. p. II-3407, point 52, et du 15 mars 2001, Prayon- Rupel/Commission, T-73-98, Rec. p. II-867, point 42). C'est précisément pour lui faciliter la tâche, avec l'aide des intéressés, que l'article 88, paragraphe 2, CE prévoit la phase formelle de l'examen à exécuter par la Commission. Or, comme le traité n'impose à la Commission l'obligation de mettre les intéressés en mesure de présenter leurs observations que dans le cadre de la phase d'examen prévue par son article 88, paragraphe 2, CE, ceux-ci ne peuvent faire valoir le caractère objectivement difficile de l'examen à effectuer par la Commission et obtenir le respect de leurs garanties procédurales que s'ils ont la possibilité de contester devant le Tribunal la décision de ne pas ouvrir la procédure de l'article 88, paragraphe 2, CE.
49. Dans le cas d'espèce, le recours doit donc être interprété comme reprochant à la Commission de ne pas avoir ouvert, malgré les difficultés sérieuses dans l'appréciation de la compatibilité des aides en cause, la procédure formelle prévue par l'article 88, paragraphe 2, CE et comme visant, en dernière analyse, à faire sauvegarder les droits procéduraux conférés par ledit paragraphe.
50. Par conséquent, il y a lieu, ensuite, d'examiner si la requérante a la qualité d'intéressée au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE.
51. À cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante que les intéressés visés par l'article 88, paragraphe 2, CE sont non seulement l'entreprise ou les entreprises favorisées par une aide, mais tout autant les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l'octroi de l'aide, notamment les entreprises concurrentes et les organisations professionnelles (arrêts de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission, 323-82, Rec. p. 3809, point 16; Cook/Commission, précité, point 24; Matra/Commission, précité, point 18, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367-95 P, Rec. p. I- 1719, point 41; arrêt Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, précité, point 40). Il ressort également de la jurisprudence que, pour que son recours soit recevable, une autre entreprise que le bénéficiaire de l'aide doit démontrer que sa position concurrentielle sur le marché est affectée par l'octroi de l'aide. Dans le cas contraire, elle n'a pas la qualité d'intéressé au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE (arrêts Waterleiding Maatschappij/Commission, précité, point 62, et Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, précité, point 41).
52. Or, la requérante étant une association, il convient, en premier lieu, d'examiner si ses membres ont la qualité d'intéressés au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE. En effet, une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs d'une catégorie de justiciables ne saurait, sauf circonstances particulières telles que le rôle qu'elle aurait pu jouer dans le cadre d'une procédure ayant abouti à l'adoption de l'acte en cause (voir points 65 et suivants ci-après), être considérée comme individuellement concernée, au sens de l'article 230, quatrième alinéa, CE, par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie et, par conséquent, n'est pas recevable à introduire un recours en annulation au nom de ses membres lorsque ceux-ci ne sauraient le faire à titre individuel (arrêts de la Cour du 14 décembre 1962, Fédération nationale de la boucherie en gros et du commerce en gros des viandes e.a./Conseil, 19-62 à 22-62, Rec. p. 943, et du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission, C-321-95 P, Rec. p. I-1651, points 14 et 29; ordonnance de la Cour du 18 décembre 1997, Sveriges Betodlares et Henrikson/Commission, C-409-96 P, Rec. p. I-7531, point 45; arrêt Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, précité, point 49.
53. Ainsi, si au moins certains membres de la requérante peuvent être considérés comme étant intéressés au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE, ce qui suppose que leur position concurrentielle sur le marché soit affectée par l'octroi des aides en cause, la requérante pourra être considérée comme étant recevable à introduire le présent recours dans la mesure où elle est une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs de ses membres.
54. Dans le cas d'espèce, il convient de relever que certains des membres de la requérante sont des opérateurs économiques qui peuvent être considérés comme des concurrents directs des bénéficiaires des aides litigieuses.
55. À cet égard, il ressort sans ambiguïté des statuts de la requérante que les personnes dont elle défend les intérêts sont, au moins pour une partie appréciable, des opérateurs économiques. En effet, l'article 2, premier tiret, de ces statuts mentionne, parmi les catégories de personnes dont les intérêts sont défendus par la requérante, "des agriculteurs et sylviculteurs, des propriétaires [...] D'usines et d'exploitations, des entrepreneurs, des commerçants et petits exploitants de tous types". La Commission a, par ailleurs, précisé, en réponse à une question du Tribunal lors de l'audience, que peuvent être concurrents des bénéficiaires du programme d'acquisition de terres tous les agriculteurs de l'Union européenne. De plus, la Commission et la République fédérale d'Allemagne n'ont pas contesté l'affirmation de la requérante selon laquelle 25 % des membres de celle-ci, soit 110 personnes ou familles, sont des agriculteurs et selon laquelle, en tenant compte des membres des autres associations affiliées à la requérante, cette dernière représenterait plus de mille entreprises opérant dans le secteur de l'agriculture.
56. Il ne saurait être contesté que l'acquisition de terres agricoles ou sylvicoles constitue un élément essentiel dans la stratégie commerciale et dans la position concurrentielle d'un agriculteur ou d'un sylviculteur. En l'espèce, il ressort du dossier que les positions concurrentielles de certains membres agriculteurs et sylviculteurs de la requérante sont affectées par le programme d'acquisition de terres.
57. À cet égard, il convient, premièrement, de citer la décision du 20 janvier 1999, dans laquelle la Commission a considéré que "[l]a distorsion de la concurrence ou, du moins, la menace de distorsion résulte de la meilleure situation économique dans laquelle se trouvent les acquéreurs des terres à prix réduit par comparaison avec leurs concurrents qui n'ont pas pu bénéficier d'un soutien analogue".
58. Deuxièmement, force est de constater qu'une partie importante des opérateurs économiques qui sont membres de la requérante est constituée de personnes dont les terres ont été confisquées entre 1945 et 1949 et qui ont, ensuite, été qualifiées de "personnes réinstallées sans droit à restitution". Il ressort du dossier que la requérante a, en particulier, défendu les intérêts de ces personnes en attirant l'attention de la Commission sur le fait qu'il a été très difficile pour ces personnes d'obtenir un bail à long terme, de sorte qu'elles ont été désavantagées par le programme d'acquisition de terres. À titre d'exemple, dans une lettre du 11 août 1998 adressée à la Commission, la requérante a souligné que "[l]es personnes dites réinstallées ne bénéficiant pas d'un droit à restitution (victimes des expropriations effectuées entre 1945 et 1949) sont également lésées au titre de la concurrence dans la mesure où elles n'ont eu qu'exceptionnellement la possibilité de prendre à bail des terres jadis propriété de l'État".
59. Cette catégorie de membres de la requérante s'estime particulièrement atteinte par le programme d'acquisition de terres tel qu'approuvé par la décision attaquée. Ainsi, dans une lettre du 26 juillet 2000 adressée par un représentant de l'association Heimatverdrängtes Landvolk ev, membre de la requérante, au conseil de cette dernière, il est exposé ce qui suit:
"Les entraves à la concurrence que les aides à l'ensemble des entreprises agricoles n'ayant pas droit à compensation, aides selon nous manifestement illégales, font subir aux membres de [la requérante] et aux groupements membres de cette association concernent également plusieurs des quelque 770 membres de notre association.
Tout comme le soussigné, qui s'efforce de contribuer au développement économique en sa qualité d'entrepreneur établi dans les nouveaux Länder [...], d'autres membres de notre association ne sont pas seulement des victimes des confiscations arbitraires qui ont eu lieu durant les années 1945 à 1949 et les ont gravement affectés, mais participent également activement à la construction économique en leur qualité d'entrepreneur. Malgré le préjudice qui nous est clairement porté, par exemple du fait de la persistance de l'application du principe de priorité donnée à la résidence sur place [...], nous nous efforçons [...] De créer des entreprises familiales d'économie privée en tant que personnes dites réinstallées sans droit à restitution [...]
[...]
Les entraves actuelles, telles que la non-disponibilité des terres de leur ancienne propriété, empêchent de nombreux intéressés prêts à investir de se lancer dans une activité d'entreprise.
Ce problème touche actuellement au moins 20 % de nos membres, donc environ 150 personnes dites réinstallées et investisseurs empêchés."
60. Ainsi, il y a lieu de constater que certains membres de la requérante sont nécessairement affectés dans leur position concurrentielle par la décision attaquée et, partant, en tant qu'intéressés au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE, seraient recevables à introduire un recours en annulation à titre individuel contre cette même décision.
61. En second lieu, il ressort des statuts de la requérante que cette dernière a été créée pour défendre les intérêts et droits de propriété de ses membres. Or, l'exercice du droit de propriété est d'une importance particulière dans la situation économique d'un opérateur. Bien que, selon l'article 2, premier tiret de ses statuts, la requérante ait un objectif plus étendu, il n'est pas exclu qu'elle puisse avoir comme objectif de s'occuper des intérêts de ses membres en tant qu'opérateurs économiques. Il ressort d'une interprétation systématique des articles 1er et 2 des statuts de la requérante, lus ensemble, qu'elle a, en effet, un tel objectif.
62. À cet égard, il y a lieu de constater que, en défendant les intérêts de ces opérateurs économiques quant au droit de propriété, et notamment l'intérêt d'agriculteurs et de sylviculteurs à pouvoir obtenir des terres malgré leur position désavantageuse par rapport aux bénéficiaires potentiels du programme d'acquisition de terres, la requérante défend, en réalité, les intérêts commerciaux et concurrentiels de ces membres. Pour cette raison, l'argument de la Commission selon lequel la requérante ne représenterait pas des intérêts d'entreprises mais des intérêts sociaux quelconques et selon lequel la présente affaire concernerait uniquement des aspects relatifs au droit de propriété qui sortent du cadre communautaire en vertu de l'article 295 CE (voir point 22 ci-dessus) ne saurait être retenu. Il ressort d'ailleurs de la décision du 20 janvier 1999 ainsi que de la décision attaquée que la Commission a elle-même estimé nécessaire d'examiner le programme d'acquisition de terres à la lumière des règles communautaires de concurrence, notamment des règles en matière d'aides d'État. Dans ces circonstances, elle ne saurait raisonnablement contester qu'une association qui s'oppose à ce programme d'acquisition de terres et qui compte parmi ses membres de nombreux agriculteurs qui se trouvent dans une position désavantageuse par rapport aux bénéficiaires potentiels dudit programme, défend, en substance, les intérêts concurrentiels de ces membres.
63. Par conséquent, la requérante étant, selon l'article 2 de ses statuts, une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs de ses membres, parmi lesquels il y a lieu d'inclure également les intérêts concurrentiels des membres qui sont agriculteurs et sylviculteurs, elle doit être considérée comme étant recevable à introduire le présent recours en annulation au nom de ces derniers, qui, en tant qu'intéressés au sens de l'article 88, paragraphe 2, CE, auraient pu le faire à titre individuel.
64. Il convient d'ajouter que le recours collectif introduit par le biais d'une association présente des avantages procéduraux en permettant d'éviter l'introduction d'un nombre élevé de recours différents dirigés contre la même décision (arrêt du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447-93 à T-449-93, Rec. p. II-1971, point 60). Ceci est d'autant plus vrai dans le cas de la requérante, dont l'un des objectifs, selon l'article 2, troisième et cinquième tiret, de ses statuts, consiste précisément à défendre les intérêts de ses membres auprès des autorités allemandes et supranationales ainsi qu'à prendre position sur les mesures prises, notamment, par la Treuhandanstalt.
65. Au surplus, il y a lieu de constater que la requérante peut être considérée comme étant individuellement concernée par la décision attaquée par ailleurs en ce qu'elle fait valoir un intérêt propre à agir parce que sa position de négociatrice a été affectée par ladite décision (voir arrêts de la Cour du 2 février 1988, Van der Kooy e.a./Commission, 67-85, 68-85 et 70-85, Rec. p. 219, points 19 à 25, et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313-90, Rec. p. I-1125, points 29 et 30; arrêts du Tribunal AIUFFASS et AKT/Commission, précité, point 50, et du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T-55-99, Rec. p. II-3207, point 23).
66. En effet, la requérante a participé activement à la procédure formelle d'examen qui a mené à l'adoption de la décision du 20 janvier 1999 ainsi qu'aux discussions informelles relatives à sa mise en œuvre, et ce de façon active, multiple et expertises scientifiques à l'appui. La Commission a admis elle-même que la requérante a influencé le processus décisionnel et qu'elle a été une source d'informations intéressante.
67. Par conséquent, la requérante aurait été recevable, en tant qu'individuellement concernée au sens de la jurisprudence rappelée au point 65 ci-dessus, à introduire un recours en annulation contre la décision mettant fin à ladite procédure formelle, si une telle décision avait été défavorable aux intérêts que la requérante représentait.
68. Or, comme la Commission l'a confirmé à l'audience, la décision attaquée concerne "exclusivement et directement la mise en œuvre d'une décision de la Commission, qui avait déjà été rendue au préalable", à savoir la décision du 20 janvier 1999. Ainsi, la décision attaquée est directement liée à la décision du 20 janvier 1999.
69. Dès lors, au vu de ce lien entre ces deux décisions et du rôle d'interlocuteur important que la requérante a joué au cours de la procédure formelle close par la décision du 20 janvier 1999, l'individualisation de la requérante au regard de cette même décision s'est nécessairement prolongée au regard de la décision attaquée, même si la requérante n'a pas été impliquée dans l'examen de la Commission ayant mené à l'adoption de cette dernière décision. Cette constatation n'est pas infirmée par le fait que, en l'espèce, la décision du 20 janvier 1999 n'était pas, en principe, contraire aux intérêts défendus par la requérante.
70. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante est individuellement concernée au sens de la jurisprudence citée au point 42 ci-dessus.
71. Cette conclusion n'est pas contredite par la circonstance, invoquée par la Commission (voir point 26 ci-dessus), selon laquelle le programme d'acquisition de terres constitue un régime d'aides et que par conséquent l'autorisation de ce régime par la Commission est une mesure de portée générale qui s'applique à des situations déterminées objectivement et a des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite. À cet égard, il convient de rappeler que, dans certaines circonstances, un acte de portée générale peut concerner individuellement certaines personnes, et que tel est le cas précisément lorsque l'acte en cause atteint une personne physique ou morale déterminée en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou en raison d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne (arrêts de la Cour du 16 mai 1991, Extramet Industrie/Conseil, C-358-89, Rec. p. I-2501, point 13; du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil, C-309-89, Rec. p. I-1853, points 19 et 20, et du 31 mai 2001, Sadam Zuccherifici e.a./Conseil, C-41-99 P, Rec. p. I-4239, point 27). Tel est le cas en l'espèce, comme cela a été constaté aux points 43 à 70 ci-dessus.
72. En outre, contrairement à ce que fait valoir la République fédérale d'Allemagne (voir point 32 ci-dessus), le fait que la décision attaquée porte sur un régime d'aides n'empêche pas que la requérante soit directement concernée.
73. En effet, lorsqu'il ne fait aucun doute que les autorités nationales veulent agir dans un certain sens, la possibilité qu'elles ne profitent pas de la faculté offerte par la décision de la Commission apparaît comme purement théorique, de sorte que la partie requérante peut être directement concernée (arrêt de la Cour du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11-82, Rec. p. 207, points 9 et 10; arrêts du Tribunal du 27 avril 1995, ASPEC e.a./Commission, T-435-93, Rec. p. II-1281, points 60 et 61; AAC e.a./Commission, T-442- 93, Rec. p. II-1329, points 45 et 46; du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T-266-94, Rec. p. II-1399, point 49, et AIUFFASS et AKT/Commission, précité, points 46 et 47).
74. En l'espèce, les autorités allemandes ont suffisamment montré leur intention d'appliquer le programme d'acquisition de terres, tel qu'approuvé par la Commission. Cette intention peut notamment être déduite du fait que, à la suite de la décision attaquée, le Vermögensrechtsergänzungsgesetz a été adopté (voir point 10 ci-dessus). Par conséquent, il y a lieu de considérer que la requérante est directement concernée par la décision attaquée.
75. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante est individuellement et directement concernée par la décision attaquée.
76. Enfin, contrairement à ce que font valoir la Commission et la République fédérale d'Allemagne, le lien entre les intérêts qui sont propres à la requérante et à ses membres et les intérêts que celle-ci représente dans ce recours ne fait pas défaut.
77. En effet, le présent recours, qui vise à obtenir l'annulation de la décision d'autorisation de la Commission, sert les intérêts des membres de la requérante et, ainsi, de la requérante elle-même. Les membres de la requérante sont notamment des personnes qui n'ont pas un accès prioritaire aux terres en vertu du régime d'aides approuvé par la Commission. Or, l'annulation de la décision d'autorisation de ce régime d'aides profiterait aux membres de la requérante dans la mesure où elle contribuerait à mettre fin à l'accès prioritaire aux terres de la part de leurs concurrents.
78. Dans ces circonstances, il ne saurait être affirmé que dans la présente affaire la requérante défend des intérêts qui lui sont étrangers. Cette conclusion n'est pas infirmée par le fait que la requérante invoque, dans le cadre de son recours, une violation du principe de non-discrimination sur la base de la nationalité afin de démontrer le caractère illégal de la décision attaquée. À cet égard, il convient de constater que, étant donné que le présent recours en annulation sert les intérêts de la requérante et de ses membres et que la requérante est individuellement et directement concernée par la décision attaquée pour les raisons exposées aux points 42 à 75 ci-dessus, il lui est loisible d'invoquer n'importe quels motifs d'illégalité énumérés à l'article 230, deuxième alinéa, CE, y compris une violation des articles du traité en matière de non-discrimination. Il convient de préciser, par ailleurs, que la requérante n'invoque pas uniquement, à l'appui de son recours, une discrimination sur la base de la nationalité, mais également une violation de l'article 88, paragraphe 3, CE.
79. Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen d'irrecevabilité doit être rejeté.
Sur le second moyen d'irrecevabilité, tiré d'un abus de procédure
Arguments des parties
80. La Commission fait valoir que la requérante ne s'oppose pas à l'octroi des aides en soi, mais uniquement à une prétendue discrimination dans l'octroi des aides qui ne la concerne pas en tant que telle. En agissant ainsi, la requérante aurait commis un abus de procédure et, plus particulièrement, une violation du principe de la séparation des voies de recours. En effet, les discriminations telles que celles invoquées par la requérante ne feraient pas l'objet du contrôle des aides, mais pourraient seulement faire l'objet d'une procédure en vertu de l'article 226 CE. En outre, en demandant l'annulation des contrats de vente déjà conclus afin de supprimer la prétendue discrimination dont elle serait victime et de permettre à ses membres ainsi qu'aux autres ressortissants de l'Union européenne d'acquérir des terres, la requérante aurait également commis une violation du principe de la séparation des voies de recours en utilisant le recours en annulation comme un recours en carence.
81. La requérante réfute la thèse de la Commission selon laquelle le présent recours serait abusif.
Appréciation du Tribunal
82. Ainsi qu'il a été constaté dans le cadre de l'examen du premier moyen d'irrecevabilité, l'objet du présent recours en annulation sert les intérêts de la requérante et cette dernière remplit les conditions de l'article 230, quatrième alinéa, CE. Par conséquent, il ne saurait lui être reproché d'avoir commis un abus de procédure ou une violation du principe de séparation des voies de recours en introduisant un recours en annulation en vertu de l'article 230 CE.
83. Le second moyen d'irrecevabilité doit donc également être rejeté.
84. Il résulte de tout ce qui précède que l'exception d'irrecevabilité doit être rejetée.
Sur les dépens
85. Aux termes de l'article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l'arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l'instance. Étant donné que l'exception d'irrecevabilité est rejetée et que le présent arrêt ne met donc pas fin à l'instance, les dépens afférents à la présente procédure sont réservés.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
déclare et arrête:
1°) l'exception d'irrecevabilité est rejetée.
2°) Les dépens sont réservés.