CJCE, 8 avril 2003, n° C-244/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Van Doren, Q. GmbH
Défendeur :
Lifestyle sports, sportswear Handelsgesellschaft mbH, Orth
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rodríguez Iglesias
Présidents de chambre :
MM. Puissochet, Wathelet, Schintgen
Rapporteur :
M. Gulmann
Avocat général :
Mme Stix-Hackl
Juges :
MM. La Pergola, Jann, Skouris, von Bahr, Mmes Macken, Colneric
Avocats :
Mes Seidelmann, Brinker, Berg
LA COUR,
1. Par ordonnance du 11 mai 2000, parvenue à la Cour le 19 juin suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 28 CE et 30 CE ainsi que de l'article 7, paragraphe 1, de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après la "directive").
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant, d'une part, Van Doren + Q. GmbH (ci-après "Van Doren"), société établie à Cologne (Allemagne), grossiste et détaillant en vêtements, et, d'autre part, Lifestyle sports + sportswear Handelsgesellschaft mbH (ci-après "Lifestyle"), société établie à Berlin (Allemagne), ainsi que M. Orth, gérant de celle-ci, à propos de la commercialisation par Lifestyle de vêtements de la marque Stüssy, dont Van Doren est le distributeur exclusif en Allemagne.
Le cadre juridique
3. l'article 5 de la directive 89-104, intitulé "Droits conférés par la marque", est libellé comme suit:
"1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:
a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;
[...]
3. Si les conditions énoncées [au paragraphe 1] sont remplies, il peut notamment être interdit:
[...]
b) d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe;
c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe;
[...]"
4. l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104, intitulé "Épuisement du droit conféré par la marque", dispose:
"Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement."
5. Conformément à l'article 65, paragraphe 2, lu en combinaison avec l'annexe XVII, point 4, de l'accord sur l'Espace économique européen, l'article 7, paragraphe 1, de la directive 89-104 a été modifié aux fins dudit accord, l'expression "dans la Communauté" étant remplacée par les mots "sur le territoire d'une partie contractante".
6. Les articles 5, paragraphes 1 et 3, et 7, paragraphe 1, de la directive ont été transposés en droit allemand, respectivement, par les articles 14, paragraphes 1 à 3, et 24, paragraphe 1, du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (loi relative à la protection des marques et d'autres signes), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082, ci-après le "MarkenG").
Le litige au principal et la question préjudicielle
7. Stussy Inc., société établie à Irvine (États-Unis), est titulaire de la marque nominative et figurative Stüssy, enregistrée pour des vêtements, en particulier des chemises, shorts, tenues de bain, tee-shirts, survêtements, vestes et pantalons. Les produits revêtus de cette marque sont commercialisés dans le monde entier. Ils ne portent pas de signes particuliers permettant de les rattacher à une zone de distribution déterminée.
8. Van Doren a obtenu les droits exclusifs de commercialisation des produits de Stussy Inc. en Allemagne, en vertu d'un contrat de distribution conclu le 1er mai 1995. Stussy Inc. l'a habilitée à introduire contre des tiers en son nom propre des procédures judiciaires en cessation et en indemnisation du chef d'atteintes aux droits de la marque.
9. Selon Van Doren, les produits de la marque Stüssy n'ont, dans chaque pays de l'Espace économique européen (ci-après l"EEE"), qu'un seul distributeur exclusif et importateur général, qui est contractuellement tenu de ne pas les céder à des intermédiaires en vue de leur commercialisation en dehors de la zone qui lui a été assignée.
10. Lifestyle commercialise en Allemagne des produits de la marque Stüssy, qu'elle n'a pas acquis auprès de Van Doren.
11. Van Doren a introduit devant les juridictions allemandes une action dirigée contre Lifestyle et M. Orth. Elle a demandé qu'ils soient condamnés à cesser cette commercialisation, à fournir des informations sur leurs activités depuis le 1er janvier 1995 et que soit constatée une obligation d'indemnisation à compter de cette dernière date. Elle a affirmé que les articles distribués par Lifestyle avaient été initialement commercialisés aux États-Unis et que le titulaire de la marque n'avait pas autorisé leur commercialisation en République fédérale dAllemagne ou dans un autre État membre.
12. Lifestyle et M. Orth ont conclu au rejet de ces demandes en invoquant l'épuisement des droits conférés par la marque en ce qui concerne les marchandises en cause. Celles-ci auraient été acquises dans l'EEE, où elles auraient été commercialisées par le titulaire de la marque ou avec son consentement. Le vêtement acheté au mois d'octobre 1996 à titre de test auprès de Lifestyle aurait été acquis par elle dans l'EEE auprès d'un intermédiaire qui, selon une supposition de Lifestyle et de M. Orth, l'avait lui-même acheté auprès d'un distributeur agréé.
13. Lifestyle a fait valoir quelle n'était pas tenue de révéler le nom de ses fournisseurs, tant que Van Doren n'établirait pas l'étanchéité absolue de son système de distribution.
14. La juridiction de première instance saisie a fait droit à la plupart des conclusions du recours.
15. L'appel interjeté par Lifestyle et M. Orth a, en revanche, conduit au rejet des prétentions de Van Doren. La juridiction d'appel a considéré que Van Doren aurait dû présenter des éléments rendant dans une certaine mesure plausible le fait que les articles en cause avaient été importés et commercialisés dans l'EEE sans le consentement du titulaire de la marque.
16. Van Doren a formé un pourvoi en "Révision" devant le Bundesgerichtshof.
17. Dans son ordonnance de renvoi, celui-ci relève que, en vertu de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 16 juillet 1998, Silhouette International Schmied, C-355-96, Rec. p. I-4799, et du 1er juillet 1999, Sebago et Maison Dubois, C-173-98, Rec. p. I-4103), le droit conféré par la marque est épuisé, au sens de l'article 7, paragraphe 1, de la directive, lorsque les produits ont été mis dans le commerce dans l'EEE sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement, mais qu'il ne l'est pas lorsque la première mise dans le commerce a eu lieu en dehors de l'EEE.
18. Il considère que la réunion des conditions de l'épuisement du droit de marque, moyen de défense fondé sur l'article 24, paragraphe 1, du MarkenG, doit en principe être prouvé par le défendeur, conformément aux principes généraux selon lesquels chaque partie au procès doit faire la preuve des faits auxquels est subordonnée l'application de la norme dont elle se prévaut.
19. Selon le Bundesgerichtshof, un renversement, en droit des marques, de la charge de la preuve découlant de ces principes généraux serait contraire à l'économie du système, parce qu'il aboutirait à abandonner, sans raison suffisante, le schéma traditionnel du fait illicite, selon lequel la réunion des faits constitutifs d'une infraction au droit protégé est en règle générale un indice de l'illégalité, de sorte que ce n'est pas à la victime de prouver l'illégalité, mais, normalement, au contrevenant prétendu de prouver l'absence d'illégalité. En outre, un renversement de la charge de la preuve affecterait indûment le droit exclusif du titulaire de la marque. En ce qui concerne le principe de l'épuisement limité au territoire de l'EEE, il se trouverait restreint dans ses effets à un point tel qu'il en deviendrait presque sans objet, alors que l'auteur prétendu de la violation du droit de marque pourrait facilement établir l'origine des produits en cause.
20. La juridiction de renvoi relève que l'article 14, paragraphe 2, du MarkenG interdit aux tiers de faire usage de la marque "sans le consentement du titulaire". Elle estime que, si le titulaire doit prouver la réunion des conditions énoncées par cette disposition pour faire constater un usage au sens de celle-ci, le consentement éventuel du titulaire doit être établi par le tiers poursuivi, si celui-ci entend s'en prévaloir.
21. La juridiction de renvoi souligne cependant que, si le tiers poursuivi dans le cadre d'une action introduite par le titulaire d'une marque supporte la charge de la preuve, il existe un risque qu'un opérateur non lié au titulaire se voie interdire toute commercialisation de produits de cette marque, même lorsqu'ils ont été mis dans le commerce dans l'EEE avec le consentement du titulaire. En effet, un opérateur sera en règle générale en mesure de prouver sans difficulté auprès de qui il a acquis la marchandise, mais il ne pourra pas obliger ses fournisseurs à lui indiquer auprès de qui ils se sont eux-mêmes approvisionnés ni déterminer les autres opérateurs de la chaîne de distribution. Par ailleurs, dans l'hypothèse où il serait en mesure de reconstituer la chaîne de distribution jusqu'au titulaire de la marque et de démontrer que la marchandise a été mise dans le commerce dans l'EEE avec le consentement de ce titulaire, sa source d'approvisionnement risquerait de se tarir immédiatement.
22. Dans ces conditions, il existerait un risque que le titulaire de la marque emploie cette dernière pour cloisonner les marchés nationaux.
23. La juridiction de renvoi s'interroge donc sur la question de savoir si l'article 28 CE n'impose pas de prévoir une exception à la règle générale qui fait peser sur le tiers l'intégralité de la charge de la preuve des faits constitutifs de l'épuisement du droit conféré par la marque. Selon elle, une solution pourrait consister à n'imposer au tiers la charge de la preuve de ces faits qu'à la condition que le titulaire ait d'abord fait usage, dans la mesure du raisonnable, des possibilités qui lui sont ouvertes de distinguer, par l'apposition de signes, les marchandises mises dans le commerce par lui-même ou avec son consentement dans l'EEE de celles commercialisées en dehors de cette zone. Tant qu'il y aurait lieu de présumer que le titulaire de la marque procède systématiquement de la sorte, le tiers serait tenu de prouver la réunion des conditions d'application de l'épuisement invoqué, parce que, à première vue, les marchandises ne pourraient avoir été mises dans le commerce pour la première fois qu'en dehors de l'EEE.
24. Estimant que, dans ce contexte, la solution du litige au principal dépend de l'interprétation des articles 28 CE et 30 CE, ainsi que de l'article 7, paragraphe 1, de la directive, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante:
"Les articles 28 CE et 30 CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils permettent l'application de dispositions nationales en vertu desquelles un contrevenant qui, ayant été assigné en justice au titre d'un droit de marque pour avoir commercialisé des marchandises d'origine, invoque l'épuisement du droit conféré par la marque au sens de l'article 7 de la première directive 89-104-CEE [.] doit exposer et, le cas échéant, prouver que la marchandise litigieuse a été commercialisée la première fois par le titulaire de la marque ou avec le consentement de celui-ci au sein de l'Espace économique européen?"
Sur la question préjudicielle
25. Aux articles 5 et 7 de la directive, le législateur communautaire a consacré la règle de l'épuisement communautaire, c'est-à-dire celle en vertu de laquelle le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans l'EEE sous cette marque par lui-même ou avec son consentement. En adoptant ces dispositions, le législateur communautaire n'a pas laissé aux États membres la possibilité de prévoir dans leur droit national l'épuisement du droit conféré par la marque pour des produits mis dans le commerce dans des pays tiers (arrêts Silhouette International Schmied, précité, point 26, et du 20 novembre 2001, Zino Davidoff et Levi Strauss, C-414-99 à C-416-99, Rec. p. I-8691, point 32).
26. L'effet de la directive est donc de limiter l'épuisement du droit conféré au titulaire de la marque aux seuls cas où les produits sont mis dans le commerce dans l'EEE et de permettre au titulaire de commercialiser ses produits en dehors de cette zone sans que cette commercialisation épuise ses droits à l'intérieur de l'EEE. En précisant que la mise sur le marché en dehors de l'EEE n'épuise pas le droit du titulaire de s'opposer à l'importation de ces produits effectuée sans son consentement, le législateur communautaire a ainsi permis au titulaire de la marque de contrôler la première mise dans le commerce dans l'EEE des produits revêtus de la marque (arrêts précités Sebago et Maison Dubois, point 21, ainsi que Zino Davidoff et Levi Strauss, point 33).
27. Au cours de la procédure orale, les défendeurs au principal, les gouvernements allemand et français ainsi que la Commission ont débattu de l'incidence éventuelle, sur la réponse à apporter à la question préjudicielle posée dans la présente affaire, de l'arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, prononcé après l'ordonnance de renvoi.
28. Il convient de constater que les affaires ayant donné lieu à cet arrêt comportent des différences par rapport à la présente affaire.
29. Dans ces affaires, qui ont amené la Cour à examiner la question du mode d'expression et de la preuve du consentement du titulaire d'une marque à une mise dans le commerce dans l'EEE, il était constant que les produits litigieux avaient été commercialisés en dehors de l'EEE par le titulaire ou avec son consentement, puis avaient été importés et mis dans le commerce dans l'EEE par des tiers. Aux points 46, 54 et 58 de l'arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, la Cour a jugé que, dans de telles circonstances, le consentement du titulaire de la marque à une mise dans le commerce dans l'EEE ne peut pas être présumé, qu'il doit être exprès ou implicite et que sa preuve incombe à l'opérateur qui en invoque l'existence.
30. Dans la présente affaire, la solution du litige au principal dépend au premier chef du point de savoir si les produits ont été mis dans le commerce pour la première fois dans ou en dehors de l'EEE. La requérante au principal soutient que les produits ont été initialement mis dans le commerce par le titulaire de la marque en dehors de l'EEE, tandis que les défendeurs au principal affirment qu'ils l'ont été dans l'EEE, de sorte que le droit exclusif du titulaire de la marque y serait épuisé, en application de l'article 7, paragraphe 1, de la directive.
31. Dans une telle situation, se pose notamment la question de la charge de la preuve du lieu de première mise dans le commerce des produits revêtus de la marque, en cas de contestation sur ce point.
32. Il y a lieu de rappeler que les articles 5 à 7 de la directive procèdent à une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et qu'ils définissent ainsi les droits dont jouissent les titulaires de marques dans la Communauté (arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, point 39).
33. l'article 5 de la directive confère au titulaire de la marque un droit exclusif lui permettant notamment d'interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, d'importer ou de commercialiser des produits revêtus de sa marque. L'article 7, paragraphe 1, contient une exception à cette règle, en ce qu'il prévoit que le droit du titulaire est épuisé lorsque les produits ont été mis dans le commerce dans l'EEE par le titulaire ou avec son consentement (voir arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, point 40).
34. Il apparaît ainsi que l'extinction du droit exclusif résulte soit du consentement du titulaire à une mise dans le commerce dans l'EEE, exprimé de manière expresse ou implicite, soit de la mise dans le commerce dans l'EEE par le titulaire lui-même. Le consentement du titulaire ou la mise dans le commerce dans l'EEE par celui-ci, qui équivalent à une renonciation au droit exclusif, constituent donc chacun un élément déterminant de l'extinction de ce droit(voir, pour le consentement, arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, point 41).
35. La juridiction de renvoi relève que, selon le droit allemand, l'épuisement du droit de marque constitue un moyen de défense pour le tiers poursuivi par le titulaire de la marque, de sorte que les conditions de cet épuisement doivent, en principe, être prouvées par le tiers qui l'invoque.
36. Une telle règle de preuve est compatible avec le droit communautaire et, notamment, avec les articles 5 et 7 de la directive.
37. Cependant, les exigences découlant de la protection de la libre circulation des marchandises, consacrée, notamment, aux articles 28 CE et 30 CE, peuvent nécessiter que cette règle de preuve subisse des aménagements.
38. Tel doit être le cas lorsque ladite règle serait de nature à permettre au titulaire de la marque de cloisonner les marchés nationaux, favorisant ainsi le maintien des différences de prix pouvant exister entre les États membres (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 11 novembre 1997, Loendersloot, C-349-95, Rec. p. I-6227, point 23).
39. Ainsi que le relève la juridiction de renvoi, un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux existe, par exemple, dans des situations dans lesquelles, comme en l'espèce au principal, le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l'EEE au moyen d'un système de distribution exclusive.
40. Dans de telles situations, si le tiers devait apporter la preuve du lieu où les produits ont été mis pour la première fois dans le commerce par le titulaire de la marque ou avec son consentement, le titulaire de la marque pourrait faire obstacle à la commercialisation des produits acquis et, pour l'avenir, supprimer de son fait toute nouvelle possibilité d'approvisionnement du tiers auprès d'un membre du réseau de distribution exclusive du titulaire dans l'EEE, dans l'hypothèse où le tiers parviendrait à démontrer qu'il s'est approvisionné auprès de ce membre.
41. Il doit s'ensuivre que, lorsque le tiers poursuivi parvient à démontrer qu'il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux si lui-même supporte la charge de la preuve de la mise dans le commerce des produits dans l'EEE par le titulaire de la marque ou avec son consentement, il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE. Si cette preuve est apportée, il incombe alors au tiers d'établir l'existence d'un consentement du titulaire à la commercialisation ultérieure des produits dans l'EEE(voir arrêt Zino Davidoff et Levi Strauss, précité, point 54).
42. Il convient donc de répondre à la question préjudicielle qu'une règle de preuve en vertu de laquelle l'épuisement du droit de marque constitue un moyen de défense pour le tiers poursuivi par le titulaire de la marque, de sorte que les conditions de cet épuisement doivent, en principe, être prouvées par le tiers qui l'invoque, est compatible avec le droit communautaire et, notamment, avec les articles 5 et 7 de la directive. Cependant, les exigences découlant de la protection de la libre circulation des marchandises, consacrée, notamment, aux articles 28 CE et 30 CE, peuvent nécessiter que cette règle de preuve subisse des aménagements. Ainsi, dans l'hypothèse où le tiers parvient à démontrer qu'il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux si lui-même supporte la charge de cette preuve, en particulier lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l'EEE au moyen d'un système de distribution exclusive, il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'EEE. Si cette preuve est apportée, il incombe alors au tiers d'établir l'existence d'un consentement du titulaire à la commercialisation ultérieure des produits dans l'EEE.
Sur les dépens
43. Les frais exposés par les gouvernements allemand et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 11 mai 2000, dit pour droit:
1°) Une règle de preuve en vertu de laquelle l'épuisement du droit de marque constitue un moyen de défense pour le tiers poursuivi par le titulaire de la marque, de sorte que les conditions de cet épuisement doivent, en principe, être prouvées par le tiers qui l'invoque, est compatible avec le droit communautaire et, notamment, avec les articles 5 et 7 de la première directive 89-104-CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992. Cependant, les exigences découlant de la protection de la libre circulation des marchandises, consacrée, notamment, aux articles 28 CE et 30 CE, peuvent nécessiter que cette règle de preuve subisse des aménagements. Ainsi, dans l'hypothèse où le tiers parvient à démontrer qu'il existe un risque réel de cloisonnement des marchés nationaux si lui-même supporte la charge de cette preuve, en particulier lorsque le titulaire de la marque commercialise ses produits dans l'Espace économique européen au moyen d'un système de distribution exclusive, il appartient au titulaire de la marque d'établir que les produits ont été initialement mis dans le commerce par lui-même ou avec son consentement en dehors de l'Espace économique européen. Si cette preuve est apportée, il incombe alors au tiers d'établir l'existence d'un consentement du titulaire à la commercialisation ultérieure des produits dans l'Espace économique européen.