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Décisions

CJCE, 5e ch., 2 octobre 2003, n° C-179/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Eurofer ASBL

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Wathelet

Avocat général :

Mme Stix-Hackl

Juges :

MM. Edward, La Pergola, Jann (rapporteur), von Bahr

Avocats :

Mes Koch, Freund.

CJCE n° C-179/99

2 octobre 2003

LA COUR (cinquième chambre),

Vu le rapport d'audience, ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 31 janvier 2002, ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 26 septembre 2002, rend le présent arrêt :

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 14 mai 1999, l'association Eurofer ASBL a, en vertu de l'article 49 du statut CECA de la Cour de justice, formé un pourvoi contre l'arrêt du Tribunal de première instance du 11 mars 1999, Eurofer/Commission (T-136-94, Rec. p. II-263, ci-après l'"arrêt attaqué"), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l'annulation partielle de la décision 94-215-CECA de la Commission, du 16 février 1994, relative à une procédure d'application de l'article 65 du traité CECA concernant des accords et pratiques concertées impliquant des producteurs européens de poutrelles (JO L 116, p. 1, ci-après la "décision litigieuse"). Par cette décision, la Commission a constaté que la requérante avait enfreint l'article 65, paragraphe 1, dudit traité et elle lui a enjoint de mettre immédiatement fin à l'infraction.

Les faits et la décision litigieuse

2. Il ressort de l'arrêt attaqué que, à partir de 1974, la sidérurgie européenne a traversé une crise caractérisée par une chute de la demande, ce qui a engendré des problèmes d'offre excédentaire et de surcapacités, ainsi qu'un faible niveau des prix.

3. Après avoir tenté de gérer la crise par des engagements volontaires unilatéraux des entreprises quant aux volumes d'acier proposés sur le marché et à des prix minimaux ("plan Simonet") ou par la fixation de prix d'orientation et de prix minimaux ("plan Davignon", accord "Eurofer I"), la Commission a, en 1980, constaté un état de crise manifeste au sens de l'article 58 du traité CECA et imposé des quotas de production obligatoires, notamment pour les poutrelles. Ledit régime communautaire a pris fin le 30 juin 1988.

4. Bien avant cette date, la Commission avait annoncé l'abandon du régime de quotas dans diverses communications et décisions, rappelant que la fin de celui-ci signifierait le retour à un marché de libre concurrence entre les entreprises. Le secteur restait toutefois caractérisé par des capacités de production excédentaires dont les experts considéraient qu'elles devaient faire l'objet d'une réduction suffisante et rapide afin de permettre aux entreprises de faire face à la concurrence mondiale.

5. Dès la fin du régime de quotas, la Commission a mis en place un régime de surveillance, qui impliquait la collecte de statistiques sur la production et les livraisons, le suivi de l'évolution des marchés ainsi qu'une consultation régulière des entreprises sur la situation et les tendances du marché. Les entreprises du secteur, dont certaines étaient membres de l'association professionnelle que constitue la requérante, ont ainsi entretenu des contacts réguliers avec la DG III (direction générale "Marché intérieur et affaires industrielles") de la Commission dans le cadre de réunions de consultation. Le régime de surveillance a pris fin le 30 juin 1990 et a été remplacé par un régime d'information individuel et volontaire.

6. Au début de l'année 1991, la Commission a effectué diverses vérifications auprès d'un certain nombre d'entreprises sidérurgiques et d'associations d'entreprises de ce secteur. Une communication des griefs leur a été envoyée le 6 mai 1992. Des auditions ont eu lieu au début de l'année 1993.

7. Le 16 février 1994, la Commission a adopté la décision litigieuse, par laquelle elle a constaté la participation de 17 entreprises sidérurgiques européennes et de la requérante à une série d'accords, de décisions et de pratiques concertées de fixation des prix, de répartition des marchés et d'échange d'informations confidentielles sur le marché communautaire des poutrelles, en violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA. Elle a infligé par cette décision des amendes à 14 entreprises pour des infractions commises entre le 1er juillet 1988 et le 31 décembre 1990.

8. S'agissant de la requérante, la décision litigieuse précise au point 317 de ses motifs:

"Contrairement à ce que certaines des parties ont fait valoir dans le cas d'espèce, des associations d'entreprises peuvent enfreindre les règles de concurrence du traité CECA (article 48 paragraphe 1). L'article 65 paragraphe 1 contient une interdiction applicable aux décisions d'associations d'entreprises. Si l'article 65 paragraphe 5 prévoit uniquement que des amendes peuvent être prononcées contre des entreprises, une infraction commise par une association exposera les entreprises qui y appartiennent au risque d'une amende. En l'absence de circonstances particulières, les entreprises doivent assumer la responsabilité des actions d'une association qu'elles contrôlent en fonction de l'influence qu'elles exercent sur celle-ci.

En l'espèce, Eurofer a facilité les infractions à l'article 65 du traité CECA commises par ses membres en organisant l'échange de certaines des informations confidentielles nécessaires. Toutefois, étant donné que ses membres reçoivent déjà une amende pour ces infractions, y compris pour les échanges d'informations confidentielles portant sur la fixation des prix et la répartition des marchés, la Commission ne juge pas nécessaire de leur infliger des amendes supplémentaires pour le comportement de leur association."

9. Les articles 2 et 3 de la décision litigieuse sont rédigés comme suit:

"Article 2

Eurofer a enfreint l'article 65 du traité CECA en organisant un échange d'informations confidentielles en relation avec les infractions commises par ses membres et qui sont énumérées à l'article 1er.

Article 3

Les entreprises et associations d'entreprises visées à l'article 1er et à l'article 2 mettent immédiatement fin aux infractions visées auxdits articles si elles ne l'ont déjà fait. À cette fin, les entreprises et associations d'entreprises s'abstiennent de répéter ou de continuer les actes ou le comportement spécifiés à l'article 1er ou à l'article 2 et s'abstiennent d'adopter toute mesure d'effet équivalent."

La procédure devant le Tribunal et l'arrêt attaqué

10. Le 1er avril 1994, la requérante a introduit devant le Tribunal un recours tendant à l'annulation partielle de la décision litigieuse.

11. Par l'arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours introduit par la requérante.

Les conclusions des parties

12. La requérante conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler l'arrêt attaqué;

- référence faite aux conclusions déposées en première instance, annuler l'article 2 de la décision litigieuse ainsi que la partie de l'article 3 de cette décision concernant la requérante;

- condamner la Commission aux dépens.

13. La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- rejeter le pourvoi;

- condamner la requérante aux dépens.

Les moyens du pourvoi

14. La requérante soulève quatre moyens à l'appui de son pourvoi:

1) violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA du fait d'une interprétation erronée de la notion de "décisions d'associations d'entreprises" employée par cette disposition;

2) violation de l'article 15, premier alinéa, du traité CECA du fait d'une motivation erronée, contradictoire et méconnaissant les limites de la compétence matérielle du Tribunal, s'agissant de la constatation, à l'article 2 de la décision litigieuse, selon laquelle la requérante aurait organisé un échange d'informations confidentielles en relation avec les infractions commises par ses membres;

3) violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA et des limites de la compétence matérielle du Tribunal du fait d'une interprétation erronée de la condition qui résulte de l'emploi de l'expression "tendraient [...] à" par cette disposition, dans le cadre de son application aux conséquences prétendument anticoncurrentielles de l'échange d'informations organisé par la requérante;

4) violation des articles 15, premier alinéa, et 65, paragraphe 1, du traité CECA du fait d'une interprétation erronée de la condition qui résulte de l'emploi des termes "restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence" par cette dernière disposition et du fait d'une motivation contradictoire dans le cadre de son application à l'échange d'informations organisé par la requérante.

15. Les points de l'arrêt attaqué que chaque moyen critique seront indiqués dans l'exposé de ce moyen.

Sur le pourvoi

16. Il convient d'examiner d'abord le premier moyen, ensuite les deuxième et quatrième moyens ensemble et enfin le troisième moyen.

Sur le premier moyen

17. Le premier moyen est tiré de la violation, par le Tribunal, de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA en raison d'une interprétation erronée de la notion de "décisions d'associations d'entreprises" employée par cette disposition.

18. La requérante soutient que c'est à tort que le Tribunal a conclu, aux points 109 à 120 de l'arrêt attaqué, à l'existence d'une décision d'association d'entreprises alors qu'aucune décision formelle n'aurait été prise par les organes de la requérante. Ce faisant, il aurait méconnu la notion de "décisions d'associations d'entreprises" figurant à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, qui viserait seulement les actes liant également les membres de l'association qui ont voté contre leur adoption, n'ont pas exprimé de position à cet égard ou n'ont pas participé à cette adoption. Ladite notion ne serait que subsidiaire par rapport à celle d'accord entre entreprises, en ce sens que, lorsqu'il y a un tel accord, il ne conviendrait pas d'examiner s'il existe également une décision d'association.

19. Par ailleurs, ce serait également à tort que, au point 130 de l'arrêt attaqué, le Tribunal aurait appliqué l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA aux activités menées dans le cadre d'une association d'entreprises et que, aux points 137 à 139 de cet arrêt, il aurait confirmé que la Commission disposait du pouvoir d'adopter l'article 2 de la décision litigieuse, alors qu'une association ne saurait enfreindre l'interdiction des ententes que lorsqu'elle se comporte comme une entreprise.

20. La Commission considère que le premier grief est dénué de fondement dès lors que ce serait sur la base d'une série d'indices factuels, non contestés par la requérante, que le Tribunal aurait conclu, aux points 110 à 118 de l'arrêt attaqué, à l'existence d'une décision de la requérante. Par ailleurs, aux points 112 et 204 de cet arrêt, le Tribunal aurait constaté l'existence d'un échange d'informations organisé par la requérante, qui était réalisé parallèlement à l'échange d'informations opéré entre entreprises dans le cadre de la commission dénommée "commission poutrelles". Ce serait donc à juste titre que le Tribunal aurait conclu à l'existence tant d'une décision d'association que d'un accord entre entreprises. Selon la Commission, l'article 65 du traité CECA ne peut être interprété en ce sens qu'il prohibe une décision d'association uniquement lorsqu'il n'existe pas en la matière d'accord entre entreprises, à défaut de quoi seules les décisions n'ayant pas été adoptées à l'unanimité des entreprises composant l'association pourraient constituer des décisions d'associations au sens de cette disposition.

21. De même, ainsi que le Tribunal l'aurait jugé au point 131 de l'arrêt attaqué, l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA s'appliquerait aux activités spécifiques des associations d'entreprises, et non seulement à leurs activités analogues à celles d'entreprises, sans quoi il eût été superflu que cette disposition vise expressément ces associations.

Appréciation de la Cour

22. L'article 65, paragraphe 1, du traité CECA interdit spécifiquement les décisions d'associations d'entreprises qui tendraient, sur le Marché commun, directement ou indirectement, à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu normal de la concurrence.

23. Il s'applique donc aux associations dans la mesure où leur activité propre ou celle des entreprises qui y adhèrent tend à produire les effets qu'il vise (arrêt du 19 mars 1964, Sorema/Haute Autorité, 67-63, Rec. p. 293, 317).

24. Cette disposition n'indique nullement que l'interdiction qu'elle prévoit à l'égard des associations d'entreprises ne serait applicable qu'à titre subsidiaire, c'est-à-dire lorsqu'un accord entre entreprises n'aurait pu être identifié.

25. De même, l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA ne précise pas qu'il ne vise l'activité d'une association d'entreprises que dans la mesure où cette association se comporte comme une entreprise. En tout état de cause, si une association d'entreprises se comportait comme une entreprise, elle serait considérée comme telle dans le cadre de l'application de cette disposition, ce qui rendrait inutile une interdiction visant spécifiquement lesdites associations.

26. Il s'ensuit que c'est à bon droit que le Tribunal a considéré, aux points 130 à 133 de l'arrêt attaqué, qu'une association d'entreprises pouvait être visée par l'interdiction énoncée à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA et a rejeté, aux points 137 à 139 de cet arrêt, l'argument de la requérante tiré de ce que la Commission n'aurait pas disposé du pouvoir d'adopter l'article 2 de la décision litigieuse.

27. S'agissant de l'existence d'une décision d'association d'entreprises imputable à la requérante, il convient de relever que le Tribunal est arrivé à cette conclusion après avoir examiné dans l'arrêt attaqué les objectifs statutaires de la requérante (point 111) ainsi que son activité de collecte, de compilation et de diffusion des données en cause (point 112), avoir déduit de l'activité du personnel l'autorisation des organes compétents en la matière ou, à tout le moins, l'accord exprès ou tacite de ses membres (point 113) et avoir relevé l'affiliation à la requérante des entreprises ayant participé à l'échange d'informations litigieux (point 114).

28. Eu égard à l'ensemble des éléments relevés, c'est à juste titre que le Tribunal a considéré, au point 115 de l'arrêt attaqué, que la Commission pouvait conclure, dans la décision litigieuse, que l'échange d'informations en cause ne pouvait avoir été opéré sans une "décision" de la requérante.

29. Il s'ensuit que le premier moyen n'est pas fondé.

Sur les deuxième et quatrième moyens

30. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l'article 15, premier alinéa, du traité CECA du fait d'une motivation erronée, contradictoire et méconnaissant les limites de la compétence matérielle du Tribunal, pour ce qui concerne la constatation, à l'article 2 de la décision litigieuse, selon laquelle la requérante aurait organisé un échange d'informations confidentielles en relation avec les infractions commises par ses membres.

31. Le quatrième moyen est tiré de la violation des articles 15, premier alinéa, et 65, paragraphe 1, du traité CECA du fait d'une interprétation erronée de la condition qui résulte de l'emploi des termes "restreindre ou fausser le jeu normal de la concurrence" par cette dernière disposition et du fait d'une motivation contradictoire dans le cadre de son application à l'échange d'informations organisé par la requérante.

32. Il convient d'examiner ces moyens ensemble.

33. Le deuxième moyen vise les points 169 à 208 de l'arrêt attaqué et, plus particulièrement, le point 191, qui est rédigé comme suit:

"En effet, le fait que le système litigieux a été établi en 1986 au plus tard, dans le cadre du système des quotas alors géré par la requérante, indique que ce système avait initialement pour objet de surveiller le respect des quotas alloués à chacune des entreprises participantes, dans un contexte où la Commission poursuivait une politique de stabilité des flux traditionnels [...]. Le fait que l'échange litigieux a continué après la fin du régime des quotas, le 30 juin 1988 (voir documents n° 3482 et 3483), permettait aux entreprises de surveiller dans quelle mesure chacune d'entre elles continuait à respecter les marchés traditionnels qui ont servi de base au système des quotas. Un tel échange d'informations tendait, par sa nature même, au maintien du cloisonnement des marchés par référence aux flux traditionnels."

34. La requérante reproche au Tribunal d'avoir, à ce point 191 de l'arrêt attaqué, dépassé les limites de sa compétence matérielle en faisant référence à des faits nouveaux et spécialement en constatant la poursuite du régime de quotas, alors que ledit régime aurait pris fin le 30 juin 1988 et que cette constatation ne serait pas étayée par les faits tels qu'ils ressortent de la décision litigieuse ou de l'arrêt attaqué lui-même.

35. Elle fait également grief au Tribunal de s'être contredit en constatant, aux points 179 et 202 de l'arrêt attaqué, que l'échange d'informations organisé par la requérante constituait une infraction autonome et, au point 191 de cet arrêt, que ledit échange servait à contrôler le respect des quotas.

36. Par le quatrième moyen, qui vise les points 185 à 196 de l'arrêt attaqué, la requérante reproche à nouveau au Tribunal d'avoir qualifié, au point 202 de cet arrêt, l'échange d'informations organisé par la requérante d'infraction autonome, mais de s'être fondé au point 191 du même arrêt, pour motiver l'existence d'une restriction de la concurrence, sur l'usage de cet échange d'informations aux fins de la surveillance d'une entente portant sur le respect des marchés nationaux et d'avoir ainsi reconnu le caractère accessoire, non autonome, dudit échange.

37. La requérante conteste en outre le fait que l'échange d'informations ait pu, en tant que tel, restreindre la concurrence. En effet, les données échangées n'auraient été ni assez récentes ni suffisamment détaillées, notamment quant aux produits et aux acheteurs visés, pour pouvoir restreindre la liberté d'action des entreprises concernées.

38. La Commission soutient à titre liminaire que la requérante fait une lecture erronée du point 191 de l'arrêt attaqué, qui n'indiquerait pas que les entreprises auraient prolongé le régime de quotas au-delà du 30 juin 1988. Ce point relèverait simplement que l'échange d'informations litigieux permettait aux entreprises de surveiller dans quelle mesure chacune d'entre elles continuait à respecter les marchés traditionnels ayant servi de base audit régime.

39. S'agissant de l'argumentation de la requérante selon laquelle le Tribunal aurait commis une erreur en qualifiant d'infraction autonome l'échange d'informations litigieux, la Commission prétend qu'elle est irrecevable en ce qu'elle remettrait en cause la constatation et l'appréciation des faits, notamment quant à l'homogénéité des produits, sur lesquelles s'est fondé le Tribunal, aux points 185 à 194 de l'arrêt attaqué, pour affirmer que les informations échangées étaient de nature à influencer sensiblement le comportement des participants.

40. La Commission fait valoir également que la requérante ne relève une contradiction de motivation que par rapport au point 191 de l'arrêt attaqué, dont elle ferait une lecture erronée. Indépendamment de l'existence d'une entente sur les prix et sur la répartition des marchés, l'échange d'informations litigieux aurait été, en tant que tel, susceptible d'influencer sensiblement le comportement des entreprises sur le marché.

Appréciation de la Cour

41. Selon la jurisprudence relative au marché des tracteurs (arrêts du Tribunal du 27 octobre 1994, Fiatagri et New Holland Ford/Commission, T-34-92, Rec. p. II-905, et Deere/Commission, T-35-92, Rec. p. II-957, ainsi que de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C-7-95 P, Rec. p. I-3111, et New Holland Ford/Commission, C-8-95 P, Rec. p. I-3175), dans laquelle le Tribunal et la Cour ont examiné pour la première fois un accord d'échange d'informations dans le cadre du traité CE, et dont les considérations d'ordre général sont transposables au traité CECA, un tel accord est contraire aux règles de concurrence lorsqu'il atténue ou supprime le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché en cause avec comme conséquence une restriction de la concurrence entre entreprises (voir, spécialement, arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, point 90).

42. En effet, les critères de coordination et de coopération constitutifs d'une pratique concertée, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable "plan", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions des traités CE et CECA relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le Marché commun et les conditions qu'il entend réserver à sa clientèle (arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, point 86, et jurisprudence citée).

43. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet d'aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l'importance et du nombre des entreprises ainsi que du volume dudit marché (arrêt de la Cour Deere/Commission, précité, point 87, et jurisprudence citée).

44. Afin de vérifier si le système d'échange d'informations organisé en l'espèce par la requérante avait pour effet une restriction de la concurrence, le Tribunal a examiné divers éléments. Il a ainsi relevé dans l'arrêt attaqué la nature confidentielle des données fournies (point 186), le fait que ces données n'étaient communiquées qu'à un certain nombre de producteurs (point 187), le caractère homogène des produits visés (point 188), la structure oligopolistique du marché (point 189), le fait que les informations litigieuses permettaient une connaissance précise des parts de marché de chacun des concurrents (point 190) et, dès lors, permettaient une surveillance des activités de ceux-ci (point 191), le fait que ces données donnaient lieu à des discussions et à des critiques (point 192) ainsi que le caractère actuel des données (point 194).

45. Il a déduit de ces éléments, au point 195 de l'arrêt attaqué, que les informations que recevaient les entreprises dans le cadre du système d'échange d'informations litigieux étaient susceptibles d'influencer leur comportement de façon sensible.

46. Il convient de relever que les appréciations effectuées aux points 186 à 195 de l'arrêt attaqué sont des appréciations de fait, non soumises au contrôle de la Cour dans le cadre d'un pourvoi. En effet, il importe de rappeler que, ainsi qu'il ressort des articles 32 quinto, paragraphe 1, CA et 51 du statut CECA de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est dès lors seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C-136-92 P, Rec. p. I-1981, points 49; et 66 du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238-99 P, C-244-99 P, C-245-99 P, C-247-99 P, C-250-99 P à C-252-99 P et C-254-99 P, Rec. p. I-8375, point 194, et du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C-312-00 P, Rec. p. I-11355 point 69).

47. Eu égard à ces appréciations de fait, c'est à juste titre que le Tribunal a conclu, au point 196 de l'arrêt attaqué, que le système d'échange d'informations litigieux tendait à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu normal de la concurrence au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA, en permettant aux producteurs participants de substituer une coopération pratique entre eux aux risques normaux de la concurrence.

48. S'agissant plus particulièrement du point 191 de l'arrêt attaqué, on ne saurait en déduire, contrairement à ce qu'affirme la requérante, que le Tribunal y aurait constaté la poursuite du régime de quotas au-delà du 30 juin 1988. Le Tribunal se limite en effet à y indiquer que l'échange d'informations litigieux permettait aux entreprises de se surveiller l'une l'autre et que cet échange tendait en soi, par sa nature même, au maintien du cloisonnement des marchés par référence aux flux traditionnels.

49. Ce point ne faisant en aucun cas mention d'un accord relatif à des quotas et ne traitant que des effets de l'échange d'informations en tant que tel, c'est sans se contredire que le Tribunal a conclu, au point 202 de l'arrêt attaqué, que l'échange d'informations litigieux constituait une infraction autonome.

50. Il résulte de ces considérations que les deuxième et quatrième moyens sont pour partie irrecevables et pour partie non fondés.

Sur le troisième moyen

51. Le troisième moyen est tiré de la violation de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA et des limites de la compétence matérielle du Tribunal du fait d'une interprétation erronée de la condition qui résulte de l'emploi de l'expression "tendraient [...] à" par cette disposition dans le cadre de son application aux conséquences prétendument anticoncurrentielles de l'échange d'informations organisé par la requérante.

52. Celle-ci soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en prenant en considération les effets de l'échange d'informations sur la concurrence (points 191, 195 et 196 de l'arrêt attaqué), alors que l'article 65 du traité CECA ne vise que les accords qui "tendraient [...] à" restreindre le jeu de la concurrence ce qui, tant dans la version allemande de ce traité ("abzielen") que dans sa version française, supposerait la poursuite d'un objectif. Ce faisant, le Tribunal aurait violé l'article 65, paragraphe 1, dudit traité.

53. La requérante soutient également que le Tribunal a dépassé les limites de sa compétence matérielle en remplaçant le terme d'"effets" de l'échange d'informations employé au point 283 des motifs de la décision litigieuse par une terminologie selon laquelle l'échange d'informations "tendait à" affecter le jeu normal de la concurrence et en rectifiant ainsi une qualification juridique.

54. La Commission fait valoir que les points 191 et 196 de l'arrêt attaqué contiennent une appréciation, par le Tribunal, de faits constatés antérieurement.

55. Elle conteste que le Tribunal ait violé l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA dont l'expression "tendraient [...] à" correspondrait aux termes "ont pour objet ou pour effet" utilisés à l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE). De plus, l'expression "tendre à" aurait également l'acception de "avoir tendance à" ou "évoluer de façon à". Il suffirait dès lors qu'un comportement tende objectivement à restreindre la concurrence pour que cette disposition du traité CECA soit applicable.

56. Selon la Commission, il ne pourrait être reproché au Tribunal de ne pas s'être limité à constater que l'échange d'informations litigieux était simplement de nature à influencer sensiblement le comportement des entreprises, mais d'être allé plus loin dans l'analyse et d'avoir conclu des circonstances constatées que cet échange tendait spécifiquement à un cloisonnement des marchés (point 191 de l'arrêt attaqué) ainsi que, de manière générale, à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu normal de la concurrence (point 196 de cet arrêt).

Appréciation de la Cour

57. Ainsi qu'il ressort du point 145 de l'arrêt attaqué, la requérante a soutenu, devant le Tribunal, que la décision d'association d'entreprises incriminée avait pour objectif de parvenir, au moyen d'un échange d'informations, à une plus grande transparence du marché et que cet objectif ne pouvait être qualifié d'anticoncurrentiel.

58. Il convient cependant de constater que la définition suggérée par la requérante des termes "tendraient [...] à" figurant à l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA est trop restrictive. En effet, tant ladite expression française que l'expression équivalente employée dans la version allemande de cette disposition peuvent être utilisées pour exprimer la recherche d'un certain but, mais également pour décrire la situation objective d'un élément qui va dans une certaine direction, recherchée ou non.

59. Ainsi qu'il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 41 et 42 du présent arrêt, l'objectif prétendu de parvenir à une plus grande transparence du marché n'échappe pas à la qualification d'objectif anticoncurrentiel lorsque le comportement incriminé atténue ou supprime le degré d'incertitude sur le fonctionnement du marché en cause et crée des conditions dans lesquelles un opérateur économique ne détermine pas de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur ce marché.

60. Il s'ensuit que c'est à juste titre et sans excéder ses pouvoirs que le Tribunal a examiné, aux points 191 et 195 de l'arrêt attaqué, les conséquences de l'échange d'informations en cause sur le comportement des opérateurs économiques qui y auraient participé et a conclu, au point 196 du même arrêt, que le système d'échange d'informations tendait à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu normal de la concurrence au sens de l'article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

61. Par conséquent, le troisième moyen n'est pas fondé.

62. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté.

Sur les dépens

63. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en l'intégralité de ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Déclare et arrête:

1°) Le pourvoi est rejeté.

2°) Eurofer ASBL est condamnée aux dépens.