Cass. crim., 6 octobre 1993, n° 92-81.919
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Souppe
Rapporteur :
M. Carlioz
Avocat général :
M. Libouban
Avocats :
SCP Chaisemartin, Courjon.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par N Claude, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, du 17 février 1992 qui, pour publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à une amende de 20 000 francs ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 44, I et II de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs et défaut de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, faute de disponibilité dans les rayons d'un magasin de certains des produits faisant l'objet d'une offre promotionnelle ;
"aux motifs qu'il appartenait à Claude N "en sa qualité de président-directeur général de la société organisatrice de la campagne publicitaire et de ce chef de l'entreprise, de s'assurer personnellement de la régularité de ladite campagne, de l'approvisionnement des établissements dépendant de la société et, en cas de rupture de stock, de prendre toutes dispositions pour en aviser le public ; qu'il lui incombait donc de vérifier que les offres publicitaires qu'il avait lancées sous sa responsabilité pouvaient toutes, et intégralement, être satisfaites pendant toute la durée de la campagne, de prendre toutes dispositions à cet effet, d'effectuer tous contrôles et de donner toutes instructions nécessaires ; que le contrôle effectué démontre que cette obligation de chef d'entreprise n'a pas été remplie que ne saurait être considérée comme exonératoire la mention imprimée en petits caractères en dernière page du dépliant publicitaire aux termes de laquelle "les prix indiqués sont valables dans la limite des stocks disponibles" ; qu'en effet, cette réserve porte exclusivement sur les prix et n'autorise en aucune façon l'agent publicitaire de ne satisfaire à la demande que dans la limite des stocks disponibles, ce qui, par ailleurs, constituerait de toute façon une infraction à l'interdiction de publicité fausse ou de nature à induire en erreur, prévue et réprimée par les dispositions de la loi du 27 décembre 1973" ;
"alors, d'une part, que, faute de constater que le stock des produits offerts était insuffisant au moment où a été proposée leur vente promotionnelle, la cour a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés, le chef d'entreprise ne pouvant se voir imposer l'obligation de fournir "toutes et intégralement" les demandes "pendant toute la durée de la campagne" ;
"alors, d'autre part, que la loi du 27 décembre 1973 ne prohibe pas, par elle-même, toute offre de vente promotionnelle "dans la limite des stocks disponibles", pourvu que les marchandises offertes à la vente existent en quantité suffisante ; que, pour avoir décidé du contraire, la cour a violé le texte susvisé" ;
"alors, enfin, que la mention selon laquelle "les prix indiqués sont valables dans la limite des stocks disponibles" indique clairement le caractère limité de l'offre ; qu'en décidant cependant que cette "réserve porte exclusivement sur les prix et n'autorise en aucune façon l'agent publicitaire de ne satisfaire à la demande que dans la limite des stocks disponibles", la cour a dénaturé la mention invoquée en défense du dépliant publicitaire à l'origine de la poursuite, entachant ainsi son arrêt d'un défaut de motifs" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44, I et II de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 591 et 593 du Code de procédure pénale, contradiction de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir mis en vente sous l'appellation "supérieur" un saucisson qui ne pouvait prétendre à cette qualité ;
"aux motifs qu'il ressort des constatations mêmes des agents verbalisateurs qu'ils ont noté, d'une part, que le prospectus publicitaire proposait un saucisson cuit supérieur le kg 24,50 francs ; que cette publicité était reprise par une affiche de dimension 60 X 80 cms suspendue au rayon des produits de charcuterie portant les inscriptions "saucisson cuit supérieur le kg 24,50 francs" ; que, d'autre part, les saucissons cuits offerts à la vente au détail portaient sur l'étiquetage les mentions suivantes inscrites par le fabricant : "saucisson cuit à l'ail pur porc - Tentation-Jean Mazière" sans mention du qualificatif "supérieur" ; que la facture d'achat produite par Claude N aux enquêteurs confirmait leurs constatations mentionnant comme désignation du produit : "66 saucisson cuit ail PP" sans qualificatif supérieur ; que, sur les factures versées aux débats, la mention "supérieur" ne se retrouve pas, que cette dernière a donc été abusivement portée sur les affiches publicitaires trouvées dans le magasin ; que l'attestation produite en défense et établie par le fournisseur qui indique, sans faire expressément référence au produit litigieux, que son saucisson référence 66 répond aux caractéristiques du saucisson à l'ail avec appellation supérieure, manque donc de pertinence, à défaut de toutes précisions sur sa composition effective ; que les faits sont donc établis par les éléments du dossier ;
"alors qu'en énonçant, d'une part, que l'attestation du fournisseur produite en défense et visant le "saucisson référence 66" ne faisait pas "expressément référence au produit litigieux", et, d'autre part, que la facture d'achat, retenue au soutien de la poursuite, mentionnait comme désignation du produit, objet de la poursuite : "66 saucisson cuit ail PP", c'est-à-dire la même référence que celle de l'attestation déniée, la cour s'est contredite, entachant ainsi sa décision d'un défaut de motifs" ;
Les moyens étant réunis ; - Attendu que, pour déclarer Claude N, président de la société X, qui exploite le groupe des supermarchés "Y", coupable du délit de publicité de nature à induire en erreur, les juges du second degré relèvent qu'à l'occasion d'une campagne promotionnelle de vente organisée du 11 au 19 mai 1990, douze des soixante seize articles figurant sur un dépliant publicitaire n'étaient pas disponibles à la vente le 15 mai suivant ;que, pour huit des produits mentionnés sur le même dépliant, les prix de vente étaient supérieurs à ceux indiqués sur ce document et qu'était également proposé à la vente, sur le même support publicitaire ainsi que sur une affiche placée au rayon des produits de charcuterie, un "saucisson cuit supérieur" qui ne pouvait prétendre à cette qualification compte tenu des divers ingrédients entrant dans sa composition ;que le terme "supérieur" n'était au surplus pas reproduit sur l'étiquetage des saucissons mis en vente, non plus que sur les factures d'achat ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations, d'où il résulte, d'une part, que les stocks insuffisants de plusieurs produits offerts à la vente ne permettaient pas de proposer leur vente promotionnelle dans des documents publicitaires et, d'autre part, que les allégations ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portaient également sur les prix et conditions de vente de certains produits ainsi que sur la nature, la composition et les qualités substantielles d'un autre, la cour d'appel, qui a justement écarté, comme inopérante, l'attestation produite par le prévenu concernant les caractéristiques prétendues du saucisson litigieux, a, contrairement aux griefs allégués, et abstraction faite du motif surabondant visé à la troisième branche du premier moyen, justifié sa décision ;que les moyens ne sauraient, dès lors, être accueillis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 44, I et II de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit de publicité mensongère pour des faits ayant eu lieu dans l'un des magasins de la chaîne dont il est le président, en refusant de faire produire effet aux délégations de pouvoirs invoquées ;
"aux motifs que la publicité incriminée concernait l'ensemble des supermarchés ou magasins de la société Y et dépassait le cadre de la succursale de Capdenac-gare et qu'il appartenait donc dans ces conditions à Claude N, en sa qualité de président-directeur général de la société organisatrice de la campagne publicitaire et de chef de l'entreprise, de s'assurer personnellement de la régularité de ladite campagne, de l'approvisionnement des établissements dépendant de la société et, en cas de rupture de stock, de prendre toutes dispositions pour en aviser le public ; que, dans ces circonstances et à défaut de convention expresse et spéciale, Claude N ne saurait exciper d'une délégation de pouvoirs tant auprès de Jean-François D que de la dame Elisabeth francs alors qu'il convient à toutes fins de constater au surplus que le contrat de responsable de magasin du 1er juin 1990 conclu avec Elisabeth francs a annulé dans son article 9 et remplacé toutes les conventions écrites ou verbales antérieures entre les parties soussignées, conventions dont se prévaut à tort le prévenu dans son argumentation ;
"alors, d'une part, que la responsabilité pénale des délits de publicité mensongère ne pèse pas sur le chef d'entreprise lorsqu'il est établi que celui-ci a délégué ses pouvoirs à un préposé pourvu de la compétence et investi de l'autorité nécessaire ; qu'en considérant que, dès lors que la publicité incriminée concernait l'ensemble des magasins de la chaîne, la responsabilité pénale du chef d'entreprise, "qui devait s'assurer personnellement de la régularité de la campagne publicitaire", se trouvait engagée, excluant par là-même toute possibilité de délégation de pouvoirs, la cour a violé les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, que les faits incriminés s'étant déroulés entre les 11 et 19 mai 1991, il importait peu que, le 19 juin suivant, un nouveau contrat ait été signé avec le responsable du magasin, auquel une délégation de pouvoirs avait été consentie par les contrats précédents, "annulant" les conventions précédentes ; que seule importait l'éventuelle existence d'une délégation de pouvoirs à l'époque de l'infraction et que, faute de l'avoir recherchée, l'arrêt attaqué est entaché d'un manque de base légale" ;
Attendu que le prévenu a soutenu qu'ayant délégué ses pouvoirs en la matière tant à Elisabeth F, responsable du magasin, qu'à Jean-François D, responsable des rayons boucherie et charcuterie, la première devait seule répondre de la rupture de stock et des dépassements de prix constatés, et le second de la publicité illicite concernant "le saucisson cuit supérieur" ;
Attendu que, pour rejeter ce moyen de défense, la juridiction d'appel retient que la campagne promotionnelle de vente a été décidée et organisée par la société dirigée par le prévenu, laquelle a composé, imprimé et distribué les dépliants publicitaires qui en ont été le support ;que les juges ajoutent - après avoir rappelé l'obligation du prévenu, à laquelle il n'a pas satisfait, de vérifier que les offres publicitaires lancées sous sa responsabilité "pouvaient toutes, et intégralement, être satisfaites pendant toute la durée de la campagne" - que les employés mis en cause n'avaient à répondre que des manquements aux seuls pouvoirs qui leur avaient été confiés, qu'ils analysent et dont ils concluent qu'ils ne les habilitaient pas, dans les domaines concernés, à agir par délégation du chef d'entreprise ;
Attendu qu'en cet état, et abstraction faite du motif surabondant, voire erroné, critiqué par la seconde branche du moyen, la cour d'appel, qui, d'une part, a examiné la valeur et l'étendue des délégations de pouvoirs invoquées par le prévenu et, d'autre part, a retenu que celui-ci avait personnellement pris part à la réalisation des infractions, a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen, lequel, dès lors, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.