CA Paris, 5e ch. B, 19 juin 2003, n° 2000-03218
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Carpentier
Défendeur :
Chevallier Dermagne Pinton (Sté), SF2M (SA), SCP Girard-Levy (ès qual), Facques (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Main
Conseillers :
Faucher, Remenieras
Avoués :
Me Bettinger, SCP Hardouin, SCP Menard-Scelle-Millet
Avocats :
Mes Algazi, Pech de Laclause, Vauthier.
LA COUR est saisie de l'appel interjeté par Madame Nathalie Thery, épouse Carpentier, du jugement contradictoirement rendu le 29 octobre 1999 par le Tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige l'opposant à la SA Pinton, à la SA Société d'Exploitation des Etablissements Pinton et à la société Fransol, l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée, outre aux dépens, à payer aux défenderesses une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions du 23 avril 2003 l'appelante fait valoir :
- qu'elle a signé avec la SA Pinton, éditeur de tapisseries d'Aubusson, le 3 août 1979, un contrat d'agent commercial non exclusif renouvelable par tacite reconduction pour une durée d'un an et avec la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton, le 21 octobre 1985, un contrat d'agent commercial sur l'ensemble de la Communauté économique européenne d'une durée de trois ans se renouvelant par tacite reconduction pour une durée indéterminée,
- que Monsieur François Pinton, qui remplaça son frère Olivier comme président de la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton et intégra l'édition et la vente de tapisseries d'Aubusson dans la SA Pinton, lui proposa de renoncer à son contrat d'agent commercial exclusif en échange d'une indemnité de clientèle de 800 000 F et d'un contrat de directeur artistique et commercial avec une rémunération de 45 000 F environ,
- que, contrainte, elle a accepté cette proposition et un projet de protocole a été établi le 1er juillet 1987 mais, après avoir reçu un commencement d'exécution, n'a jamais été signé,
- que la mise au point du protocole et son embauche comme directeur artistique et commercial, emploi dont elle a été licenciée, n'avaient d'autre but que de masquer la rupture unilatérale et abusive d'un contrat d'agent commercial,
- que, comme l'a admis le tribunal dans ses motifs, ses droits ont pris naissance lors de la rupture de son contrat d'agent commercial le 30 juin 1987, de sorte que son action intentée le 20 octobre 1995 n'est pas prescrite et qu'elle se trouve fondée à invoquer des faits antérieurs de plus de dix ans à son assignation, ce d'autant que, n'étant pas commerçante, les dispositions de l'article L. 110-4 du nouveau Code de commerce ne lui sont pas applicables,
- qu'elle a un intérêt à agir contre la société Pinton et la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton dans la mesure où ces sociétés ont le même dirigeant, la même activité de vente de tapisseries d'Aubusson, le même avocat, sauf devant la cour, et ont bénéficié de la même clientèle, que c'est à tort qu'il est soutenu que son contrat d'agent commercial a été nové en un contrat de travail et qu'elle a renoncé au versement d'une indemnité de résiliation pour le contrat d'agent commercial puisqu'elle n'aurait jamais renoncé à ce contrat en contrepartie d'un contrat de travail et du versement d'une somme de 200 000 F,
- que les motifs retenus par le tribunal pour la débouter de ses demandes, à savoir son licenciement le 10 février 1988 pour encaissement sur le compte de la société Ediart, dont elle était la gérante, de chèques destinés à la société Pinton et sa condamnation le 24 novembre 1993 pour délit de débit d'œuvres contrefaisantes, ne sont pas admissibles dans la mesure où ils sont sans incidence sur sa demande d'indemnité de résiliation,
- que les pièces versées aux débats justifient l'existence d'une clientèle propre par elle apportée,
- que, en application de l'article 3 du décret du 23 décembre 1958, elle a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi du fait de la rupture de son contrat d'agent commercial et égale à trois ans de commissions, soit une somme de 2 376 589,50 F, soit 362 368,73 euros, calculée sur la base de la notification d'un redressement du 20 janvier 1988,
- que du 25 octobre 1985, date de son nouveau contrat d'agent commercial, jusqu'à la fin de celui-ci en 1987, un certain nombre de tapisseries ont été vendues sans perception de sa commission de 33 % du montant HT des factures émises et encaissées par le mandant, de sorte que, sans que l'on puisse invoquer à son encontre la prescription décennale de l'article L. 110-4 du nouveau Code de commerce, il y a lieu de lui allouer de ce chef une somme de 862 065,84 F, soit 131 421,09 euros,
- que, en dépit d'une ordonnance du magistrat de la mise en état lui enjoignant, sous astreinte, de communiquer les registres de vente des années 1985 à 1988, la société Pinton ne s'est pas exécutée, de sorte que l'agent se trouve dans l'impossibilité d'authentifier la réalité et la régularité de sa demande de commissions, de sorte qu'elle est fondée à demander le paiement de la somme de 862 065,84 F, soit 131 421,09 euros, à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de l'absence de communication des registres de vente et de paiement de l'astreinte,
- que les intimées ne sont pas fondées à lui réclamer des dommages-intérêts pour procédure abusive.
En conséquence Madame Nathalie Thery, épouse Carpentier, prie la cour d'infirmer le jugement déféré et
- de fixer sa créance à l'encontre de la société Chevallier Dermagne Pinton à:
* la somme de 2 376 589,50 F, soit 362 308,73 euros, à titre d'indemnité de rupture de son contrat d'agent commercial, avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 1995 et capitalisation de ceux-ci,
* la somme de 862 065,84 F, soit 131 421,09 euros, à titre de commissions, avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 1995 et capitalisation de ceux-ci,
- de condamner la société SF2M, anciennement la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton, in solidum avec la société Chevallier Dermagne Pinton, à lui payer:
* la somme de 2 376 589,50 F, soit 362 308,73 euros, à titre d'indemnité de rupture, avec intérêts au taux légal et capitalisation de ceux-ci,
* la somme de 862 065,84 F, soit 131 421,09 euros, à titre de commissions, avec intérêts au taux légal à compter du 20 octobre 1995 et capitalisation de ceux-ci.
A titre subsidiaire l'appelante sollicite la condamnation in solidum de la société Chevallier Dermagne Pinton, anciennement société SA Pinton, de Maître Facques et de la SCP Girard-Levy, ès qualités, respectivement, d'administrateur judiciaire et de représentant des créanciers de la société Chevallier Dermagne Pinton, et de la société SF2M, anciennement la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton, à lui payer la somme 131 421,09 euros à titre de dommages-intérêts.
Madame Nathalie Thery, épouse Carpentier, conclut en outre à la condamnation in solidum de la société Chevallier Dermagne Pinton, de Maître Facques et de la SCP Girard-Levy, ès qualités, et de la société SF2M, outre aux dépens, à lui payer 70 000 F, soit 10 671,43 euros, au titre de ses frais irrépétibles, augmentés des intérêts au taux légal.
Dans leurs ultimes écritures du 4 avril 2003 Monsieur Denis Facques, administrateur judiciaire de la société Chevallier Dermagne Pinton, venant aux droits de la société Pinton, la SCP Girard-Levy, représentant des créanciers de cette société, et la société Chevallier Dermagne Pinton soutiennent:
- que la société Pinton a confié la location-gérance de son fonds de commerce à la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton, aujourd'hui la société SF2M, avec laquelle Madame Thery a, pour une durée de trois ans, conclu le 21 octobre 1985 un contrat d'agent commercial exclusif faisant suite à un précédent contrat conclu avec elle en 1979,
- qu'au mois de juillet 1987 la société SF2M et l'appelante ont décidé d'un commun accord de mettre fin à ce contrat dans la mesure où, en particulier, Madame Thery était embauchée en qualité d'assistante de direction, emploi dont elle a été licenciée le 11 février en 1988,
- que l'appelante ne justifie pas d'un intérêt direct et personnel à agir contre la société Chevallier Dermagne Pinton sur le fondement d'un contrat signé avec un autre cocontractant,
- que le droit à commission de l'appelante est, d'une part, prescrit en application des dispositions de l'article L. 110-4 du nouveau Code de commerce qui, contrairement à ce que soutient celle-ci, est applicable tant à la partie commerçante qu'à la partie non commerçante, ce dès lors que, comme en l'espèce, la demande de Madame Thery, relative à des commissions pour les années 1985, 1986 et 1987, a été formée le 25 juin 1999, et, d'autre part mal fondé étant ici observé qu'elle se trouve dans l'incapacité de fournir les documents à elle réclamés,
- que l'appelante n'est pas fondée à obtenir sa condamnation au paiement d'une indemnité de résiliation dans la mesure où:
* les parties se sont amiablement entendues pour fixer les conséquences de la rupture,
* les documents par elle produits ne permettent pas d'établir qu'elle a apporté ou généré une clientèle.
Dès lors la société Chevallier Dermagne Pinton demande à la cour à titre principal d'être mise hors de cause et à titre infiniment subsidiaire de confirmer le jugement déféré. Elle sollicite aussi la condamnation de Madame Thery à lui payer 10 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et 10 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions du 12 mars 2003 la société SF2M, anciennement la société Financière Pinton, venant aux droits des Sociétés d'Exploitation des Etablissements Pinton et Fransol, fait valoir
- que si elle a bien conclu avec l'appelante un contrat d'agent commercial, celui-ci a pris fin d'un commun accord entre Madame Thery et la SA Pinton, aux droits de laquelle vient la société Chevallier Dermagne Pinton, à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance signé par les intimées,
- que, comme le soutient la société Chevallier Dermagne Pinton, le droit à commissions de l'appelante est prescrit et, au surplus, mal fondé puisque l'appelante ne produit aucun élément de nature à le justifier,
- que le contrat d'agent exclusif a cessé d'un commun accord entre les parties moyennant le versement d'une indemnité de clientèle de 200 000 F et son embauche en qualité de salariée, de sorte que Madame Thery ne peut solliciter le versement d'une indemnité de résiliation,
- que si aucune faute dans l'exercice de son mandat ne lui a été reprochée lorsque son contrat d'agent a pris fin, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut réclamer aujourd'hui une indemnité de rupture au regard de la faute pénale reconnue à son encontre par la juridiction répressive,
- que l'appelante ne justifie pas du montant de son indemnité de rupture.
En conséquence la société SF2M conclut à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour d'y ajouter en condamnant Madame Thery à lui payer 10 000 euros pour procédure abusive et une somme identique en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Sur ce:
Considérant que, ayant en particulier pour objet "L'achat, l'exploitation, la vente de toutes entreprises de fabrication de tapisseries et tapis, notamment à Aubusson et Felletin 23...", la société Pinton SA a, le 7 avril 1978, confié la location-gérance de son fonds de commerce à la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton;
Considérant que la société Pinton, représentée par son président, Monsieur Olivier Pinton, a, le 3 août 1979, signé un contrat d'agent commercial avec Madame Nathalie Thery qui, moyennant le paiement d'une commission de 30 % sur le prix de vente HT, s'est engagée à prospecter en France, en Suisse et dans les pays du Marché commun "la clientèle (sans désignation spéciale) susceptible d'être intéressée par l'achat ou la revente de tapisseries d'Aubusson éditées par la société Pinton...";
Considérant que la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton a, le 21 octobre 1985, sous la signature de Monsieur Olivier Pinton, confié à Madame Thery, pour une durée de trois ans renouvelable par tacite reconduction et moyennant le payement d'une commission de 33 % du montant HT des factures émises et encaissées par la société, "mandat de vendre en son nom et pour son compte les tapisseries éditées par le mandant", ce à titre exclusif sur le territoire de la Communauté économique européenne, à l'exception de la Suisse;
Considérant que, ces éléments constants étant rappelés, l'appelante sollicite la condamnation in solidum des intimées à lui verser une indemnité compensatrice du préjudice selon elle subi en raison de la résiliation unilatérale par celles-ci de son contrat d'agent commercial, ainsi que ses commissions;
Mais considérant que dans ses conclusions récapitulatives du 23 avril 2003, Madame Nathalie Thery expose qu'il lui a été proposé de renoncer à son contrat d'agent commercial en échange d'une indemnité de clientèle de 800 000 F et d'un contrat de directeur artistique et commercial avec une rémunération mensuelle de 45 000 F environ; que, contrainte, elle a accepté cette proposition et un projet de protocole, non versé aux débats, a été établi le 1er juillet 1987; que, sous divers prétextes, la société Pinton SA et la Société d'Exploitation des Etablissements Pinton retardèrent la signature du protocole d'accord, "tout en l'acceptant formellement et en commençant de l'exécuter par le versement d'un salaire et le versement d'une somme de 200 000 F à Madame Thery";
Considérant que l'appelante, laquelle ne justifie pas de la contrainte qu'elle invoque, sans indiquer d'ailleurs en quoi elle consiste, admet l'existence d'un accord qui a reçu exécution, ce qui n'est contesté par aucune des parties, dans la mesure où elle a bien perçu une somme de 200 000 F et a été embauchée comme salariée, à tel point qu'elle a été licenciée de son emploi le 10 février 1988 pour faute lourde;
Considérant qu'au regard de ce qui précède Madame Nathalie Thery ne justifie pas d'une "résiliation par le mandant" de son contrat d'agent commercial, condition requise par le second alinéa de l'article 3 du décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958 applicable en l'espèce, mais bien plutôt d'un accord réciproque pour mettre fin, selon certaines modalités, à ce contrat;
Considérant que si l'appelante n'a pu obtenir, comme elle le prétend, le paiement du solde de l'indemnité de clientèle de 600 000 F, ce qui est contesté par les intimées, lesquelles se prévalent d'une indemnité de 200 000 F qui a été versée, il lui était loisible, après avoir renoncé à son contrat d'agent commercial, comme le constate une décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris saisi d'une contestation d'honoraires, d'en poursuivre le règlement, sans pouvoir remettre en cause le protocole du 1er juillet 1987 qui, à tout le moins, a reçu un commencement d'exécution, étant ici observé, d'une part que si, dans une lettre du 11 avril 1988 Maître Claude Levet, administrateur judiciaire, se réfère à l'"échec d'une solution transactionnelle", il n'est pas possible de préciser à quoi il se rapporte, d'autre part que la remise en cause de l'accord ne permet pas d'affirmer, en l'absence d'éléments probants, que la rupture du contrat d'agent commercial est imputable aux intimées;
Que de la sorte il convient de confirmer le jugement déféré, ce d'autant que, à supposer l'existence d'une résiliation unilatérale du contrat d'agent par le mandant, celui-ci peut toujours, même si elle s'est révélée postérieurement à sa rupture, invoquer l'existence d'une faute commise antérieurement, ce qu'a fait le tribunal qui a constaté que Madame Nathalie Thery s'était rendue coupable, comme l'a jugé la juridiction répressive, du délit de débit d'œuvre contrefaisante en 1986;
Considérant par ailleurs que le droit à commission revendiqué par l'appelante pour les années 1985 à 1987 est prescrit en application des dispositions de l'article L. 110-4 du nouveau Code de commerce, ancien article 189 bis du Code de commerce, lequel est applicable dans les rapports entre commerçants et non commerçants, dans la mesure où ce n'est que le 25 juin 1999 que Madame Thery a formulé sa demande tendant au paiement desdites commissions devant le tribunal; que de la sorte il y a lieu, là encore, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'appelante de sa demande formée de ce chef et, au surplus, de la déclarer mal fondée à solliciter, à titre subsidiaire, des dommages-intérêts se rattachant à une absence de communication de registres qui, au regard de la solution adoptée, n'a pas sa raison d'être;
Considérant que, partie perdante, Madame Nathalie Thery ne peut obtenir le remboursement de ses frais irrépétibles;
Considérant en revanche qu'il est équitable d'allouer à chacune des sociétés intimées une indemnité complémentaire de 3 045 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Considérant que la preuve d'une faute de l'appelante dans son droit d'agir en justice n'étant pas rapportée, la société SF2M et la société Chevallier Dermagne Pinton, qui au demeurant ne justifient pas d'un préjudice, seront déboutées de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive;
Par ces motifs, LA COUR: Confirme le jugement déféré et, y ajoutant, condamne Madame Nathalie Thery à payer à chacune des intimées une indenmité complémentaire de 3 045 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes ; Condamne Madame Nathalie Thery aux dépens de première instance et d'appel; admet la SCP Hardouin ainsi que la SCP Menard-Scelle-Millet, avoués, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.