Cass. crim., 15 octobre 1997, n° 96-85.785
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Culié
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Amiel
Avocats :
SCP Waquet, Farge, Hazan.
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par R Jean-Maurice, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en- Provence, 5e chambre, du 20 septembre 1995, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, l'a condamné à 50 000 francs d'amende dont 20 000 francs avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils. - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 44-1 de la loi du 27 décembre 1993, 1er de la loi du 1er août 1905, et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Maurice R coupable du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur ;
"aux motifs que les expressions utilisées dans les documents publicitaires sont révélatrices de la volonté de présenter les prestations de la croisière comme étant, dans leurs composants essentiels, d'un niveau élevé, voire à des prestations luxueuses ; que tel est le cas notamment des termes "salon volant" qui, s'ils ne peuvent être pris dans leur sens littéral, suggèrent nécessairement pour un avion devant être "spécialement aménagé" des conditions particulières de confort ; que de même la référence à la notion de "classe affaires" était destinée à persuader de prestations de qualité ;
"alors, d'une part, qu'il n'y a pas de délit sans intention de le commettre ; que l'arrêt attaqué, qui ne caractérise pas la conscience, chez Jean-Maurice R, d'induire le consommateur en erreur sur les qualités substantielles des prestations de service, a violé l'article 121-3 du Code pénal ;
"alors, d'autre part, que l'article 44-1 de la loi du 27 décembre 1973 n'interdit pas la publicité hyperbolique qui se traduit par la parodie ou l'emphase dès lors qu'il est établi, par référence à l'optique du consommateur moyen et du sens critique de la moyenne des consommateurs, que l'outrance ou l'exagération du message publicitaire ne peut finalement tromper personne ; qu'en l'espèce, en retenant comme élément constitutif du délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur des expressions telles que "salon volant", et alors que seule une quarantaine de personnes, sur les 235 participants, a déposé plainte, l'arrêt attaqué a violé par fausse application le texte susvisé ;
"alors, de troisième part, que l'appréciation du caractère mensonger ou de nature à induire en erreur d'une publicité doit être faite à partir du sens littéral ou explicite des termes employés, et non à partir d'une interprétation subjective que ces termes ne comportent pas, surtout s'ils ne renvoient pas à une définition stricte ; qu'en retenant arbitrairement que la neutralisation d'une rangée de sièges laissant subsister un espace inoccupé ne pouvait tenir lieu "d'aménagement spécial" de l'avion, que les prestations attendues en "classe affaires" n'étaient pas assurées, que les "privilégiés" étaient trop nombreux, la cour d'appel, qui a méconnu le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;
"alors enfin, que dans ses écritures, Jean-Maurice R faisait valoir que la notion de classe affaires est purement commerciale et son contenu est défini par chaque compagnie aérienne, selon certains critères communs ; qu'en l'occurrence, les places situées en "classe touriste" aux termes du contrat d'affrètement bénéficiaient d'arrangements spéciaux (aménagement des sièges, personnel de bord plus nombreux, alcools entièrement gratuits), de sorte que le libellé "service classe affaire" était justifié ; qu'en omettant de répondre sur ce point aux conclusions du prévenu, la cour a privé sa décision de motifs" ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué qu'une société exerçant l'activité d'agence de voyage a organisé un tour du monde en 22 jours à bord d'un avion qu'elle a spécialement affrété ; qu'à la suite de la plainte de plusieurs voyageurs, mécontents des prestations fournies au regard de celles promises dans les notices de présentation de la croisière aérienne, Jean-Maurice R, dirigeant de la société, est poursuivi pour publicité trompeuse ; que, pour le déclarer coupable de ce délit, les juges constatent que les documents de la campagne publicitaire, prise personnellement en charge par le prévenu, étaient rédigés en ces termes : "tour du monde dans les conditions les plus agréables, les plus luxueuses", "à bord d'un avion réservé quelques privilégiés s'envoleront", "votre avion sera spécialement aménagé pour en faire un véritable salon volant", "le service à bord sera celui de la classe affaires", "les repas soigneusement étudiés", etc... ; qu'ils retiennent que les expressions utilisées témoignent de la volonté de convaincre le client potentiel du caractère exceptionnel des prestations proposées alors que celles-ci se sont avérées de qualité médiocre, en conséquence notamment des clauses du contrat d'affrètement souscrit par le prévenu ;que les juges relèvent ainsi que la plupart des passagers, en nombre élevé, a voyagé en "classe touriste" et bénéficié d'une restauration ordinaire, l'avion n'ayant par ailleurs reçu aucun aménagement de nature à en améliorer le confort de manière sensible ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, procédant de l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits de la cause, qui caractérisent en tous ses éléments, y compris moral, le délit de publicité de nature à induire en erreur sur les qualités substantielles des prestations de service proposées, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Jean-Maurice R à payer à chacune des parties civiles, la somme de 5 000 francs à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs que les déclarations de créances effectuées auprès du représentant des créanciers de la procédure collective ouverte à l'égard de la société Prado Voyages ne font pas obstacle à l'exercice d'une action devant la juridiction répressive ; que les participants au voyage, qui se sont nécessairement déterminés en considération des allégations publicitaires s'étant révélées mensongères, ont subi un préjudice personnel résultant directement de l'infraction commise par Jean-Maurice R ; qu'au regard du prix élevé du voyage et de la déception qu'il a engendrée, le préjudice subi par chacun des participants, partie civile, sera fixé à la somme de 5 000 francs ;
"alors que, l'appréciation par les juges du fond, du préjudice causé par l'infraction n'est souveraine qu'autant qu'elle ne procure pas à la victime un profit autre que la stricte réparation du préjudice ; qu'en l'espèce, en omettant de rechercher, avant de déterminer le montant des dommages-intérêts dus par le prévenu, si les créances déclarées par les parties civiles auprès du représentant des créanciers n'avaient pas fait l'objet d'une décision d'admission par le juge commissaire et abouti à une indemnisation des parties civiles, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés" ;
Attendu que le prévenu, personnellement tenu de réparer le préjudice découlant directement de l'infraction dont il a été déclaré coupable, ne saurait invoquer, pour échapper à son obligation, la procédure collective intéressant la société qu'il dirige et les déclarations de créances effectuées par les victimes auprès du représentant des créanciers, dès lors qu'il n'est ni démontré ni même allégué que ce dirigeant social soit concerné par la procédure ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 1382 du Code civil, 1er de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a accordé 1 franc de dommages-intérêts à l'Union régionale des consommateurs de Provence-Alpes-Côte-d'Azur (URCOPACA) ;
"aux motifs que l'URCOPACA ne justifiant pas d'un préjudice spécifique, autre que celui résultant de la transgression d'une disposition légale dont elle a statutairement vocation à assurer le respect, son préjudice sera fixé à la somme de 1 franc ;
"alors, d'une part, qu'une association de consommateurs ne peut obtenir de dommages-intérêts qu'à condition que soit établi que le délit porte atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs ; qu'en l'espèce, la décision n'établit pas en quoi le délit prétendument commis par Jean-Maurice R aurait porté atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs ;
"alors, d'autre part, que la décision attaquée, qui alloue 1 franc à l'URCOPACA, ne constate pas qu'elle aurait subi un préjudice prenant directement ou indirectement sa source dans l'infraction ; que dès lors, c'est en violation des textes sus-visés que la cour d'appel lui a accordé des dommages-intérêts ;
Attendu que, pour allouer un franc de dommages-intérêts à l'Union régionale des consommateurs de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, en réparation du préjudice causé à cette association par le délit de publicité trompeuse, la cour d'appel, relève que l'infraction a porté atteinte aux intérêts que cette association a statutairement vocation à défendre ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel qui a fait l'exacte application de l'article L. 421-1 du Code de la consommation, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.