CA Bastia, ch. corr., 18 novembre 1998, n° 98-298
BASTIA
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moignard
Conseillers :
M. Belgodère de Bagnaja, Mme Chapon
Avocats :
Mes Pérrin, Pintrel-Beretti.
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
LE JUGEMENT:
Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré W Ian Philip:
- coupable d'escroquerie, courant 1996 et notamment le 28 février, à Ajaccio, infraction prévue par l'article 313-1 al. 1, al. 2 du Code pénal et réprimée par les articles 313-1 al. 2, 313-7, 313-8 du Code pénal,
- coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, courant 1996 notamment le 28 février, à Ajaccio, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
- coupable d'émission de bulletin de participation à une loterie publicitaire sur un document non distinct du bon de commande, courant 1996 notamment le 28 février, à Ajaccio, infraction prévue et réprimée par L. 121-36 al. 2 à L. 121-41 du Code de la consommation, et, en application de ces articles, l'a condamné à la peine de 200 000 F d'amende pour publicité mensongère,
- l'a relaxé pour escroquerie et diffusion de bulletin de participation non distinct du bon de commande,
- Déclaré recevable la constitution de partie civile de Mademoiselle Fernandez,
- Condamné Ian W à lui payer la somme de 25 000 F de dommages-intérêts,
- Déclaré la société X civilement responsable de Ian W;
LES APPELS:
Appels a été interjeté par:
- X, le 14 janvier 1998
- W Ian, le 14 janvier 1998
- M. le Procureur de la République, le 14 février 1998.
DÉCISION:
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Les appels des prévenus et du Ministère public ayant été interjetés dans les formes et délais légaux, seront déclarés recevables
Ian W bien que n'ayant pas reçu de citation est présent devant la cour et accepte expressément d'y être jugé.
Alicia Fernandez, partie civile a cité directement devant la juridiction correctionnelle la société X et Ian W le directeur général de celle-ci;
Elle exposait à l'appui de sa demande avoir reçu le 28 février 1996, de la société X un pli postal comprenant, outre un catalogue publié par cette société et divers prospectus publicitaires, un courrier nominatif accompagné d'un "bon de commande-demande de prix", l'informant qu'à la suite d'un tirage au sort effectué le 23 février 1996, elle avait été désignée comme gagnante du plus gros lot du "Grand Jeu X", soit d'un chèque de 35 000 F;
Ayant ainsi la certitude d'avoir gagné cette somme, elle a passé commande d'un article de 318 F sur le bon de commande qu'elle retourna avec la demande de prix imprimée sur le même feuillet;
Le 13 mars 1996, elle devait recevoir l'article ainsi commandé, mais sans le chèque de 35 000 F. La société X lui indiquait, suite à ses réclamations, que le "mailing" reçu le 28 février 1996 comportait en réalité deux jeux distincts, l'un appelé "Tirage de février 1996" doté d'un prix de 35 000 F, et l'autre dénommé "Grand Jeu X ", également doté d'un prix de 35 000 F, mais réparti entre tous les gagnants sans que ceux-ci puissent recevoir un prix d'une valeur inférieure à 4 F;
Elle soutient que le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur est bien constitué, dès lors que l'envoi postal reçu en février 1996 n'avait d'autre but que de la convaincre faussement, par un montage habile et trompeur, qu'elle avait gagné la somme de 35 000 F au tirage de février 1996, alors que le lot qui lui était attribué, au demeurant jamais reçu, était celui d'un autre jeu, beaucoup moins bien doté;
Elle fait valoir qu'un ensemble d'éléments concouraient à créer une confusion rendant impossible la découverte de l'existence des deux jeux, en raison de l'amalgame des circonstances de temps des deux jeux, de l'habile mélange à l'intérieur de mêmes documents, du détournement de l'attention du consommateur invité à taire sa méfiance habituelle du fait des assurances et garanties de paiement dont il était fait mention et enfin de la dissimulation du règlement du "Grand Jeu X", imprimé à l'intérieur même de l'enveloppe...
Quant au délit d'escroquerie, elle soutient que celui-ci est également constitué dans la mesure où l'emploi de manœuvres frauduleuses, caractérisé par le mensonge étayé par l'intervention d'un tiers (l'huissier) et par la production de documents, avait pour but de la persuader d'un événement chimérique, à savoir la réception imminente d'un chèque de 35 000 F et de la déterminer à dépenser par anticipation tout ou partie de cette somme en effectuant plusieurs achats sur le catalogue expédié dans la même enveloppe;
In limine litis, W et la société X concluent à l'irrecevabilité. Ils font valoir que l'application de la règle "non bis in idem" s'oppose à ces poursuites dans la mesure où W a été poursuivi pour ces faits devant le Tribunal correctionnel de Paris et a fait l'objet d'une condamnation le 5 février 1997, confirmée le 8 octobre 1997, et qu'il a également fait l'objet d'une poursuite pour ces mêmes faits devant le Tribunal correctionnel de Grenoble ayant abouti à un jugement de condamnation le 17 mars 1997, frappé d'appel;
Or, selon eux, le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, même s'il se manifeste lors de chaque communication publique d'une telle publicité, constitue une infraction unique qui ne peut être poursuivie et sanctionnée qu'une seule fois;
Le délit de publicité trompeuse constitue une infraction unique qui ne peut être poursuivie et sanctionnée qu'une seule fois dès l'instant où il s'agit d'allégations identiques contenues dans un même message publicitaire et diffusées simultanément;
En revanche, constituent des publicités distinctes celles qui, adressées à des personnes différentes, mettent en scène de manière individualisée leurs destinataires;
En l'espèce il a été adressé à Mademoiselle Alicia Fernandez un "mailing" très largement personnaliséindiquant: "Bravo Madame Alicia Fernandez", etc., lui laissant croire qu'elle, personnellement et exclusivement, pouvait avoir gagné le gros lot;
Ce mailing était individualisé par la citation de l'identité et la mise en scène de chacune des personnes à qui il était adressé en sorte qu'il existe autant d'infractions que de personnes visées;
La règle "non bis in idem" n'est pas ici applicableavec l'arrêt définitif de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 1997 et l'exception doit être rejetée;
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
1°) Sur le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur:
Mademoiselle Fernandez a reçu, le 28 février 1996, de la société X un pli postal renfermant, outre un catalogue et divers prospectus promotionnels, un dépliant en quatre pages;
Il convient d'ores et déjà de souligner que l'enveloppe sur laquelle on pouvait lire à travers une fenêtre translucide la mention "Vous avez gagné le plus gros chèque au Grand Jeu X" ne faisait référence qu'à un seul "Tirage de Février 1996, 1er prix: un chèque de 35 000 F", à l'exclusion de tout autre jeu;
Le dépliant de 4 pages comportait les indications suivantes:
- Sur la première page: "Grand Jeu X" Concerne: Attribution du plus gros chèque mis en jeu (la case correspondante étant cochée à l'avance, alors que la mention: attribution du lot de consolation, était barrée et la case non cochée). Bravo Mme Alicia Fernandez. Vous avez gagné le plus gros chèque au Grand Jeu X;
Madame Alicia Fernandez, je vous le confirme: votre numéro personnel, le 7078917, a bel et bien été tiré au sort ce vendredi 23 février, et vous avez gagné le plus gros chèque possible à ce "Grand jeu X";
P.S. J'insiste: vous n'avez pas gagné le lot de consolation, mais bien le plus gros chèque mis en jeu. Réclamez-le dès aujourd'hui";
- Sur la deuxième page, au recto de la précédente, et en face de la troisième page portant la mention "Tirage de Février": Règlement du "Tirage de février 96"... art. 6: présentation des lots: un chèque de 35 000 F; 10 chèques d'achat de 100 F.
- Sur la troisième page, en ouvrant le document: "Tirage de Février 96", en grands caractères gras de couleur noire et rouge: 1er prix un chèque d'un montant de 35 000 F (soit trois millions cinq cent mille centimes), et en caractères gras en milieu de page encadré: chèque expédié après réception de la demande de prix. Lots de consolation: un chèque achat de 100 F valable sur le prochain catalogue X. Puis, dans un encadré, il est indiqué: "Garantie de paiement": le versement du chèque de 35 000 F est garanti par huissier de justice. Vous n'avez aucun doute à avoir sur sa distribution. Notre huissier s'assurera lui-même de la bonne distribution de ce prix... Cette garantie de paiement est un engagement formel devant la loi, les signatures suivantes en attestent l'authenticité. Suivent les signatures de la Directrice des jeux, de l'huissier de justice et du Directeur financier
- Sur la quatrième page: au dessous du bon de commande, "Demande de Prix Grand Jeu X", surligné, nom du gagnant: Mme Alicia Fernandez, et en minuscules caractères la mention "jeu gratuit sans obligation d'achat" précédant celle en caractères normaux "Bon de participation au "Tirage de Février 96";
Il apparaît clairement que la présentation de ce document et les mentions qu'il comporte ne permettent nullement à son destinataire, consommateur normalement avisé, de déceler l'existence de deux jeux distincts, celui-ci ne pouvant au contraire qu'avoir la certitude qu'il n'y avait qu'un seul jeu dont le tirage avait eu lieu en février 1996, soit le même mois que la réception de ces documents, et qu'il suffisait de renvoyer la demande de prix pour en obtenir paiement;
En outre, sur la première page qui est censée ne concerner que le "Grand jeu X", il n'est nullement fait référence à un quelconque partage du gros lot entre plusieurs attributaires. Il est seulement indiqué le long de cette page, en haut à droite, verticalement et en lettre d'un millimètre, soit de manière quasi-invisible, que le règlement de ce jeu, qui fait état de ce partage, est à l'intérieur de l'enveloppe, soit imprimé sur la face interne de celle-ci, ce qui est pour le moins indécelable, et ce d'autant qu'est imprimé au recto de cette page le règlement du "Tirage de février 96", ce qui contribue incontestablement à accroître la confusion en faisant légitimement croire que ce règlement se rapporte au jeu annoncé au verso donnant droit au "plus gros chèque";
Au surplus, il est pour le moins insolite d'imprimer le règlement d'un jeu à l'intérieur d'une enveloppe, laquelle sera nécessairement déchirée et peut être immédiatement jetée, et de n'y faire référence que par une mention en caractères minuscules imprimée sur le bord extrême de la page, et verticalement de surcroît;
De plus, toujours sur cette première page, il est indiqué que le destinataire a gagné au tirage du 23 février 1996 ce qui correspond, quand il ouvre le document, aux mentions figurant en page 3 indiquant "Tirage de Février 96" la somme de 35 000 F correspondant en outre à la notion de "plus gros chèque";
Enfin, sur le bon de commande en page 4, figure une seule demande de prix mise en évidence par un surlignage pour demander le paiement du prix. Le destinataire du document est d'autant moins incité à déceler l'existence d'un second jeu, qui ne lui est d'ailleurs jamais clairement et expressément précisée, que les expressions "demande de prix" et "jeu gratuit sans obligation d'achat", sont chaque fois employées au singulier;
Ainsi, la société X a organisé simultanément deux jeux annoncés par le même envoi dont le montant global était identique et le tirage au sort effectué le même jour par Maître Bailet, huissier de justice;
Les premiers juges ont exactement relevé que la présentation du dépliant en quatre pages et les mentions qu'il comporte ne permettait pas à un consommateur moyen de déceler aisément et sans ambiguïté, l'existence de ces deux jeux distincts;
Le choix d'un envoi groupé, l'ordre des textes, et notamment la place du règlement du "Tirage de février" face à l'annonce en très gros caractères du montant du 1er prix, la présence sur un même document, en caractères très apparents d'indications se rapportant à la particularité la plus attractive de chacun des jeux, le confirmait dans la certitude qu'il avait gagné 35 000 F;
S'il est vrai que la société X n'avait pas l'obligation légale de joindre les règlements concernant les deux jeux, il n'en demeure pas moins que la différence de présentation desdits règlements, une page entière du dépliant pour le règlement "du Tirage de février face à la mention de 35 000 F correspondant "au plus gros chèque" alors que celui "du Grand Jeu X" signalé en lettres minuscules à la première page, est imprimé sur la face intérieure de l'enveloppe, par nature destinée à la destruction, ayant servi à l'expédition du dépliant, confortait le consommateur dans son erreur;
En outre, si l'on peut considérer à la lecture minutieuse de la page 4 du dépliant que deux bons de participation étaient mis à la disposition du consommateur, leur mise en page différente privilégiant "Le Grand Jeu X" ne pouvait avoir d'autre objet que d'induire en erreur le destinataire;
En conséquence de ce qui précède, il est établi que l'envoi d'un document unique, l'habilité rédactionnelle et de mise en forme, l'emploi de mots particulièrement choisis attirant l'attention, écrits en gras ou en couleur, la concordance de temps des deux jeux, étaient de nature à créer la confusion et à persuader Mademoiselle Fernandez que son numéro tiré au sort lui permettait de se voir attribuer un lot d'une valeur de 35 000 F, et non pas un lot d'une valeur minimale de 4 F;
Que l'infraction est dès lors caractérisée en tous ses éléments;
lan W en sa qualité de Président Directeur Général de X, annonceur de la publicité mensongère est responsable de l'infraction commise par cette dernière;
Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité;
- Sur le délit de diffusion de bulletin de participation à un tirage au sort non distinct d'un bon de commande:
Aux termes de l'article L. 121-36 du Code de la consommation, le bulletin de participation à des opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort, doit être distinct de tout bon de commande de bien ou de service;
En l'espèce, il est constant que la "demande de prix" est imprimée sur la même face de la même feuille que le bon de commande;
Toutefois, si le bulletin de participation doit pouvoir être différencié du bon de commande, il n'est pas nécessaire qu'il en soit séparé de façon matérielle, un prédécoupage n'étant pas non plus nécessaire, dès lors qu'il apparaît clairement que la participation n'est pas subordonnée à une commande.
En l'espèce, si le bulletin de participation et le bon de commande sont bien sur la même feuille, ils n'en sont pas moins distincts puisqu'ils sont séparés par des pointillés sur lesquels se trouve un symbole en forme de ciseaux, impliquant la possibilité de le détacher, le bon de commande et la demande de prix portant respectivement leur titre en lettres capitales, en sorte que leur différenciation était certaine;
De plus, dans la case "demande de prix", figure la mention en rouge "joignez-vous une commande à cette demande de prix ?", ce qui permet d'avoir de plus fort conscience que la participation n'est pas subordonnée à une commande;
Le délit n'est donc pas constitué, et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef;
- Sur le délit d'escroquerie:
Aux termes de l'article 313-1 du Code pénal, l'escroquerie est le fait, soit par usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge;
Il résulte des faits de la procédure que si le comportement du prévenu peut être assimilé à l'emploi de manœuvres frauduleuses en adressant un formulaire comportant un bon de commande et une demande de prix pour un soi-disant gain à une loterie, en revanche, le fait de passer commande d'un article proposé dans le catalogue à un prix déterminé et connu de l'acheteur, ne saurait constituer la remise exigée par l'article précité;
Le délit d'escroquerie n'est donc pas établi et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef;
- Sur les peines:
Les premiers juges ont, en considération des faits, de leur contexte et de leur gravité d'une part, de la personnalité de Ian W d'autre part, très justement et exactement fixé à 200 000 F d'amende sanctionnant l'infraction;
Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.
SUR L'ACTION CIVILE:
En réparation du préjudice causé par la tromperie à Mademoiselle Fernandez, constitué par la privation du gain promis et les frustrations nées de cette fausse espérance.
La société X sera déclarée civilement responsable de Ian W.
La partie civile n'étant pas appelante, la somme modeste à laquelle le préjudice a été évalué par les premiers juges sera confirmée.
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels réguliers en la forme; Les dit mal fondés; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions; Fixe la durée de la contrainte par corps conformément aux dispositions des articles 749 et suivants du Code de procédure pénale; La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable Ian W ainsi qu'aux frais de première instance; Le tout en application des articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-4, L. 213-1, L. 121-36 al. 2 à L. 121- 41 du Code de la consommation, 496 à 520 du Code de procédure pénale.