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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 23 octobre 1998, n° 1996-10870

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bossa, UFC Que Choisir

Défendeur :

Maison Française de Distribution (SA), Monnet (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Radenne

Avoués :

Mes Bodin-Casalis, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Antonini, Le Masson.

TGI Paris, 4e ch., du 5 févr. 1996

5 février 1996

LA COUR statue sur les appels relevés par Laurent Bossa et l'Union fédérale des consommateurs UFC Que Choisir, ci-après l'UFC, du jugement contradictoire rendu, le 5 février 1996, par le Tribunal de grande instance de Paris qui les a déboutés de l'ensemble de leurs demandes et qui les a condamnés à payer, chacun, la somme de 5 000 F à la société Maison Française de Distribution, ci-après la société MFD, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Référence faite aux énonciations de cette décision ainsi qu'aux écritures des parties pour l'exposé des faits, des prétentions et moyens initialement soutenus, il suffit de rapporter les éléments essentiels suivants.

Laurent Bossa ayant, en avril 1994, retourné à la société MFD le document de validation du super grand prix de 105 750 F reçu par publipostage, sans pour autant recevoir ce prix, a assigné cette dernière aux fins, à titre principal, d'obtenir l'exécution de cette libéralité sous astreinte de 1 000 F par jour de retard et, à titre subsidiaire, de se voir allouer la somme de 105 750 F à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice résultant de la publicité mensongère commise par la société MFD.

L'UFC, pour sa part, alléguant que le procédé trompeur utilisé par la société MFD, société de vente par correspondance, consistant pour obtenir des commandes à faire croire aux consommateurs qu'ils avaient gagné un lot important, aurait fait de nombreuses victimes, a sollicité que soit ordonnée la cessation de la publicité sous astreinte, ainsi qu'une somme de 100 000 F en réparation du préjudice subi par ceux-ci, outre une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société MFD s'est opposée aux demandes formées à son encontre et a réclamé une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, soutenant que s'agissant d'une loterie avec pré-tirage au sort respectant la législation en vigueur, les demandeurs seraient de mauvaise foi pour ne pas citer l'intégralité des documents publicitaires envoyés.

Par le jugement déféré, le tribunal, pour l'essentiel, a retenu, d'une part qu'il ressortait clairement des mentions figurant sur le document de validation qu'un pré-tirage avait été effectué et, d'autre part que la publicité adressée à Laurent Bossa ne saurait être considérée comme ayant été de nature à l'induire en erreur, dès lors que le consommateur moyen est censé réagir avec discernement et sens critique.

APPELANTS, Laurent Bossa et l'UFC, reprenant l'argumentation développée devant le tribunal, soutiennent:

à titre principal, que la société MFD a manifesté son intention libérale en indiquant "Laurent Bossa est déclaré gagnant de 105 750 F", "attribution du prix confirmée", "paiement autorisé en instance", "sans réponse de votre part, nous ne serions pas autorisés à vous payer le prix de 105 750 F que vous avez gagné", intention confortée par l'affirmation d'un huissier de justice selon laquelle le versement "sera effectué à votre compte", de sorte que cette libéralité subordonnée au renvoi du document de validation a été acceptée, le 20 avril 1994, lorsque Laurent Bossa a retourné le document en cause,

à titre subsidiaire, que Laurent Bossa, qui a pour seules ressources le RMI, a manifestement été abusé par la publicité litigieuse, la référence à un consommateur normalement et raisonnablement avisé étant insuffisante pour apprécier les normes de correction et de loyauté s'imposant dans les ventes par correspondances, dès lors que celui-ci est en droit d'attendre de son interlocuteur bonne foi, confiance et sécurité le dispensant de se livrer à des recherches minutieuses et subtiles sur les pièges des messages promotionnels,

Ils ajoutent que le procédé employé, particulièrement trompeur aurait fait des dizaines de millions de victime et justifierait de ce fait la demande de l'UFC;

En conséquence, ils prient la cour, par voie d'infirmation, de condamner la société MFD:

- à payer à Laurent Bossa, à titre principal, la somme de 105 750 F dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir, ce sous astreinte de 1 000 F par jour de retard, et subsidiairement, ce même montant à titre de dommages-intérêts avec interêts de droit à compter du jugement dont appel,

- à verser à UFC la somme de 100 000 F en réparation du préjudice collectif subi par les consommateurs, ainsi que celle de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- à envoyer à tous les consommateurs ayant reçu le publipostage, une annonce rectificative dans les huit jours de la signification de l'arrêt à intervenir, ce sous astreinte de 3 000 F par jour de retard.

Intimée et Appelante Incidente, la société MFD, qui conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les appelants, mais à son infirmation en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle, sollicite la condamnation de Laurent Bossa et de l'UFC à lui verser, chacun, une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, outre 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait principalement valoir:

- que le jeu parvenu à Laurent Bossa, accompagné du règlement, s'analyse en une loterie avec pré-tirage au sort, si bien que c'est en tronquant le message publicitaire que les appelants invoquent l'intention libérale qui y serait contenue,

- qu'en effet, il résulte clairement de ce document, n'indiquant pas que Laurent Bossa détiendrait le numéro gagnant et contenant de nombreuses mentions restrictives, que le super grand prix ne sera acquis qu'en cas de renvoi du document de validation gagnant, de sorte que ni l'intention libérale ni les procédés mensongers ne seraient établis,

- que l'envoi de loteries publicitaires n'étant pas en soi constitutif d'une faute, Laurent Bossa, qui ne justifierait pas avoir d'ores et déjà pris des engagements ou procédé à des dépenses en pensant avoir réellement gagné ne démontrerait, ni avoir été trompé, ni avoir subi un préjudice,

- que l'attitude des appelants consistant à avoir intenté cette action de mauvaise foi, dans un esprit de lucre et en dénaturant le document publicitaire, justifie sa demande reconventionnelle.

Jean Monnet, ès qualités de liquidateur amiable de la société MFD, assigné en déclaration d'arrêt commun par Laurent Bossa et l'UFC, a constitué avoué.

Dans leurs nouvelles écritures, Laurent Bossa et l'UFC reprennent leurs argumentation et demandes antérieures.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant qu'il convient de donner acte à Jean Monnet de son intervention, ès qualités de liquidateur amiable de la société MFD;

Considérant qu'il ressort des productions que Laurent Bossa a reçu un document intitulé "Classement des Gagnants", au recto duquel figuraient en gros caractères "Monsieur Laurent Bossa est déclaré gagnant de 105 750 F", "Laurent Bossa au premier rang des gagnants de tous les grands prix MFD", "Nous serons autorisés à effectuer immédiatement le paiement de 105 750 F à Laurent Bossa", ainsi qu'une liste des gagnants faisant ressortir que l'attribution à Laurent Bossa du prix de 105 750 F était "Confirmée" et le "Paiement Autorisé en Instance", chacun de ces avis étant précédé de l'indication en petits caractères "si vous nous renvoyez le document de validation gagnant";

Qu'il était également indiqué, toujours en petits caractères, que le versement de la somme de 105 750 F déposée sur un compte bancaire par Me Bailet, huissier de justice, "sera effectué à votre compte pour autant que vous nous ayez renvoyé le document de validation comportant le numéro gagnant du Super Grand Prix dans les délais";

Que le verso de ce document comportait la liste des prix, la promesse d'un cadeau "sensationnel" en cas d'achat supérieur à 595 F, et, en gros caractère "Vous avez la garantie formelle de recevoir le paiement de 105 750 F si vous nous retournez le document de validation gagnant";

Qu'en dessous, sur une partie détachable, se trouvaient un bon de commande, ainsi que "le document de validation du Super Grand Prix 105 750 F" comportant les quatre numéros attribués à Laurent Bossa, outre les mentions suivantes "si je suis gagnant du Super Grand Prix de 105 750 F, veuillez m'en informer et effectuer le versement de cette somme dès la clôture du tirage", "si je suis gagnant d'un des 1 003 autres prix, veuillez me remettre le prix auquel j'ai droit";

Que c'est dans ces conditions que Laurent Bossa, après avoir apposé sa signature immédiatement au dessous de ces deux mentions, a retourné le document de validation ainsi que le bon de commande dûment complété;

Considérant qu'il ne saurait se déduire du document en cause une intention libérale, ou un engagement de payer, la société MFD ayant subordonné, par des mentions certes en petits caractères et pour certaines ambiguës, l'obtention du prix à la production du document de validation comportant le numéro gagnant que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont rejeté la demande de Laurent Bossa tendant à obtenir la délivrance de la somme de 105 750 F;

Mais considérant que ce document intitulé " Liste des Gagnants ", annonçant à plusieurs reprises à l'aide de caractères gras que Laurent Bossa avait gagné une somme de 105 570 F, présentant celui-ci en tête de la liste des gagnants dont l'attribution du prix avait été confirmée, laissait croire, par sa présentation volontairement trompeuse corroborée par l'emploi du futur de l'indicatif, que le numéro de validation comportait le numéro gagnant et qu'il suffisait de le renvoyer pour obtenir la somme en question;

Que la société MFD, soutient vainement que ce document aurait été accompagné du règlement du jeu, dès lors qu'elle ne le produit pas devant la cour et que l'extrait qu'elle verse aux débats, à supposer qu'il ait été adressé à Laurent Bossa ce qui n'est démontré, n'est pas de nature à expliciter les mentions portées sur le document incriminé, faute de faire apparaître clairement que Laurent Bossa avait, comme de multiples autres personnes, été sélectionné dans le cadre d'un pré-tirage;

Que les seules mentions susceptibles d'éclairer un consommateur moyen sont celles figurant sur le document de validation telles que ci-dessus rapportées; que, toutefois, elles sont, compte tenu de leur emplacement et de leur typographie, insuffisantes pour attirer suffisamment son attention et combattre l'espoir que le document en cause a, par ses allégations et sa présentation, délibérément fait naître chez son destinataire;

Qu'il s'ensuit qu'en annonçant de façon aussi affirmative une simple éventualité, la société MFD a commis une faute de nature délictuelle dont elle doit réparation;

Considérant que le préjudice subi par Laurent Bossa ensuite de cette faute, constitué par la vaine croyance en un gain important, ne saurait correspondre au montant du prix que l'appelant a cru avoir gagné, de sorte qu'il sera exactement réparé par l'octroi de dommages-intérêts d'un montant de 5 000 F;

Considérant que l'intérêt collectif des consommateurs, sera, au regard des circonstances de l'espèce, exactement réparé par l'octroi d'une somme de un franc à titre de dommages-intérêts;

Qu'il n'y a pas lieu, compte tenu de l'ancienneté de la publicité en cause et de la cessation d'activité de la société MFD, de condamner cette dernière à adresser une annonce rectificative à tous les consommateurs ayant reçu le publipostage en cause;

Considérant qu'il résulte du sens de cet arrêt que la société MFD doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de l'UFC;

Par ces motifs: Donne acte à Jean Monnet de son intervention, ès qualités de liquidateur amiable de la société MFD; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Laurent Bossa de sa demande principale; l'infirmant sur le surplus, Condamne la société Maison Française de Distribution à payer à Laurent Bossa la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts; Condamne la société Maison Française de Distribution à payer à l'Union fédérale des consommateurs, UFC Que Choisir la somme de un franc à titre de dommages-intérêts; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire des parties; Condamne la société Maison Française de Distribution aux dépens de première instance et d'appel, et admet Me Bodin Casalis, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile et dit pour ceux d'appel, qu'ils seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.