CA Aix-en-Provence, 8e ch. com. B, 20 décembre 2002, n° 98-00766
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lageat (ès qual.), Piralex (SARL)
Défendeur :
Boyet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ellul
Conseillers :
MM. Astier, Gagnaux
Avoués :
SCP Bottai-Géreux, SCP Blanc-Amsellem-Mimran
Avocats :
Mes Blanc, Joly.
Faits, procédure et prétentions des parties
Saisi par Monsieur Michel Boyet par assignation du 10-04-1997 et estimant que ce dernier n'avait pas commis de faute grave justifiant la brutale rupture de son mandat d'agent commercial, le Tribunal de commerce de Toulon par jugement du 29-10-1997 dont appel a rendu la décision suivante:
"Condamne la SARL Piralex à payer à Monsieur Boyer Michel les sommes de :
-. (..). 257 888,00F TTC.. au titre de l'indemnité légale de cessation de mandat,
-. (..). 38 876,00 F TTC. au titre de l'indemnité de préavis, avec les intérêts au taux légal à compter du 18 mars 1997, date de la mise en demeure,
Condamne la SARL Piralex à payer à Monsieur Boyer Michel la somme de trois mille F (3 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Déboute la SARL Piralex de sa demande reconventionnelle,
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant l'exercice de toutes voies de recours et sans caution;
Condamne la SARL Piralex aux dépens.(.)."
Appelante le 12-12-1997, la société Piralex a conclu le 23-01-1998 puis déposé le 22-07-1999 des conclusions récapitulatives pour essentiellement faire valoir:
-qu'au regard des articles 11, 12 et 13 de la loi du 25-06-1991, la faute reprochée à son agent commercial par lettre du 24-02-1997 constitue bien une faute grave, exclusive de tout préavis et de toute indemnité de rupture,
- que les faits sont établis par la propre lettre de Monsieur Boyet du 18-03-1997, par "l'énoncé du jugement lui-même", par les factures et correspondances qu'elle produit, par la preuve de l'immatriculation de Monsieur Boyet au registre du commerce et des sociétés le 12-12-1996 et l'attestation de Monsieur Paul Laurent, VRP de la société Piralex,
- que la gravité de la faute est incontestable, la concurrence fautive reprochée à l'agent commercial intervenant indifféremment en dehors du seul secteur concédé,
- que Monsieur Boyet a pris des contacts avec d'autres collaborateurs de la société "en vue de leur débauchage et pour procéder à des opérations de dénigrements du mandant",
- que Monsieur Boyet ne justifie d'aucun préjudice, ayant organisé avant même la rupture de son contrat une "carte équivalente" d'agent commercial
Elle demande en définitive à la cour au terme de ses dernières écritures
"Recevoir le concluant en son appel et le dire bien fondé.
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Dire et juger que la résiliation du contrat d'agent commercial n'ouvre droit au profit de Monsieur Boyet à aucune indemnité ni préavis.
Condamner Monsieur Boyet à rembourser les sommes par lui perçues au bénéfice de l'exécution provisoire avec intérêt de droit à compter de la signification de la présente demande,
Condamner Monsieur Boyet au paiement de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile outre aux entiers dépens (..)"
Au soutien de sa demande principale de confirmation du jugement entrepris, Monsieur Boyet a conclu le 28-06-1999 puis le 4-12-2001 pour faire essentiellement valoir qu'il n'a jamais commis de faute grave, cette accusation visant exclusivement à ne pas payer les indemnités dues,
- qu'il conteste n'avoir pas respecté les instructions du mandat, la faute invoquée à cet égard étant sans rapport avec le traitement de la clientèle mais concernant "uniquement les modalités de traitement comptable et administratif des ventes réalisées", domaine qui relève de plus de sa liberté d'organisation en qualité d'entrepreneur individuel,
- que par le biais de nouveaux formulaires de journal des ventes la société Piralex tendait à imposer de nouvelles contraintes à son agent commercial, travail supplémentaire dont la non-exécution n'a d'ailleurs causé aucune perturbation à l'entreprise,
- que rien par ailleurs ne l'empêchait contractuellement (au regard notamment de l'article 2b du contrat qui lui est opposé) de prendre des contacts avec d'autres agents commerciaux de la même société, le contrat interdisant seulement la sollicitation d'un autre agent commercial pour une embauche ou une utilisation,
- qu'il n'a commis aucune concurrence illicite, étant rappelé que l'article 3 de la loi du 25-06- 1991 permet à l'agent commercial d'accepter d'autres mandats,
- qu'il appartient à la société Piralex de rapporter la preuve qu'il vendait par ailleurs des produits contrefaits ou concurrents, la simple vente de produits d'un même genre "ne suffisant pas" à caractériser une situation de concurrence,
- qu'il ne peut lui être en tout état de cause reproché des ventes dans un secteur non visé par son contrat et qui ne portait pas atteinte en conséquence à la clientèle de son mandant, d'autant qu'à l'époque des ventes litigieuse la société Piralex ne pouvait assurer une production et donc ravitailler son agent commercial, en conséquence bien fondé à rechercher ailleurs des revenus de compensation,
- qu'enfin et subsidiairement il conviendrait d'apprécier les ventes litigieuses "suivant les usages de la profession concernée", caractérisées par des copies systématiques des producteurs d'accessoires pour animaux domestiques, la société Piralex n'étant pas en reste en ce type de pratique,
- qu'en fait avant même la rupture de son contrat par lettres des 7-01-1997 et 24-02-1997, la société Piralex avait déjà embauché son successeur Monsieur Djadel, la société voulant pour des raisons économiques imposer une baisse de commissions à laquelle Monsieur Boyet s'était refusé.
Il demande au terme de ces dernières écritures antérieures à l'ordonnance de clôture :
. (..)."
Débouter la SARL Piralex de son appel et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 octobre 1997;
Subsidiairement, et vu l'article 11 du NCPC, condamner la SARL Piralex sous peine d'une astreinte de (500 F) 76,22 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement, à communiquer à M Boyet le contrat de M Djadel, ou tout autre document contractuel précisant sa rémunération et son secteur géographique;
Condamner la SARL Piralex à payer à M. Boyet la somme de (10 000 F) 1 524,49 euros au titre de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'aux entiers dépens. (...).
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5-12-2001 au contradictoire et avec l'accord des parties exprimé à une audience d'ordre de travail de mise en état.
En l'état du redressement judiciaire prononcé le 19-12-2001 de la société Piralex par la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Digne, après révocation de l'ordonnance de clôture le 21-03-2002, Monsieur Boyet a assigné Maître Lageat ès-qualité de représentant des créanciers de la société Piralex le 3-05-2002, instance jointe à la précédente par ordonnance du Conseiller de la mise en état du 17-07-2002.
Dès le 15-07-2002 par la voie de son conseil et selon lettre recommandée avec accusé de réception, Monsieur Boyet a produit entre les mains du représentant des créanciers pour ses demandes.
Avisé pourtant que l'affaire était à nouveau fixé au 30-10-2002 et que l'ordonnance de clôture interviendrait le 30-09-2002, Maître Lageat ès-qualité de représentant des créanciers de la société Piralex a conclu le 26-09-2002.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 30-09-2002.
Monsieur Boyet a encore conclu le 8-10-2002, en demandant la révocation de l'ordonnance de clôture.
MOTIVATION
Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas discutée et qu'aucun élément de la procédure ne permet à la cour d'en relever d'office l'irrégularité;
Sur la régularité de la procédure
Attendu que Maître Lageat a été appelé en cause ès-qualité de représentant des créanciers de la société Piralex dès le 03-05-2002 pour la régularité de la procédure et a déposé 3 jours seulement avant l'ordonnance de clôture annoncée, avec la société Piralex, des conclusions récapitulatives pour en fait répondre aux dernières écritures de Monsieur Boyet en date du 4-12-2001, alors que la société Piralex avait déjà elle même conclu à deux reprises en 1998 et 1999;
Attendu qu'au regard de l'obligation de bref délai de l'article 15 du NCPC de telles conclusions sont irrecevables, Monsieur Boyet n'ayant d'ailleurs pu utilement tenté de répondre que 8 jours après l'ordonnance de clôture
Attendu qu'il n'est pas justifié d'une cause grave postérieure à l'ordonnance de clôture pour en prononcer la révocation;
Attendu que les parties sont donc en l'état d'une procédure régulière par l'appel en cause du représentant des créanciers et de leurs écritures respectivement du 22-07-1999 pour la société appelante et du 4-12-2001 pour Monsieur Boyet;
Au fond, sur les causes invoquées de la rupture
Attendu qu'en sa lettre recommandée avec accusé de réception du 24-02-1997, la société Piralex énonçait [ici citée in extenso]
"Malgré l'avertissement que nous vous avons adressé par lettre recommandée AR du 7 janvier 1997,
1. vous avez continué à ne pas respecter nos instructions concernant l'établissement des factures et journaux de ventes,
2. vous avez encore contacté certains de nos agents sans notre accord préalable
3. vous avec accepté et effectué une représentation directement concurrente, en l'occurrence celle d'articles vendus par Madame MT Villaume, avec la circonstance aggravante qu'il s'agit de produits incorporant un modèle déposé par notre firme auprès de l'INPI (infraction au sujet de laquelle nous nous réservons de déposer plainte).
Cette dernière faute est particulièrement grave et nous amène à résilier notre contrat du 3 Avril 1995 sans préavis, ni indemnité. Cette résiliation prendra donc effet à la date de réception de cette lettre.
Nous vous prions de nous remettre ou renvoyer immédiatement le solde de nos articles en dépôt entre vos mains avec un inventaire que nous comparerons avec nos écritures. (...). [formule de politesse]"
Attendu qu'il y a donc lieu d'analyser successivement les 3 griefs ainsi énoncés;
Attendu que comme le soutient à bon droit et à défaut à cet égard de démontrer un refus anormal ou des conséquences préjudiciables, l'agent commercial était en droit de contester l'aggravation des taches administratives de gestion qui lui étaient sans contrepartie imposée en dehors de tout cadre contractuel pré-établi; qu'en tout état de cause, à la supposer même critiquable, cette attitude n'était pas après une sommaire mise en demeure du 7-01-1997 susceptible à elle seule de constituer une faute grave;
Attendu par ailleurs sur le deuxième grief, il convient tout d'abord de rappeler que l'article 2 b in fine du contrat de l'agent commercial dispose: "Le mandant et l'agent, pendant toute la durée de présent contrat et deux ans après sa fin pour quelque cause qu'elle survienne, s'engagent réciproquement à ne pas recruter, ni contacter, ni utiliser sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, le personnel ou les sous-agents de l'autre contractant";
Attendu que comme le soutient à bon droit l'agent commercial cette restriction à la liberté de commerce, d'industrie et du travail, doit s'entendre comme l'interdiction de débaucher ou d'utiliser pour sa propre entreprise les personnes travaillant déjà pour son mandant;
Attendu que cette disposition n'interdit pas des contacts personnels avec les autres agents commerciaux et des informations réciproques, d'autant que la société Piralex ne conteste pas les difficultés d'approvisionnement qu'elle a rencontrées et qui pouvaient légitiment susciter l'inquiétude et la concertation de ses différents mandataires;
Attendu enfin que sur la collaboration déloyale au profit de concurrents, Monsieur Boyet justifie par les nombreux catalogues produits à la cour de la multitude de produits similaires voire identiques dans le domaine des produits pour chiens; que cela rend bien vain et bien incertain le dépôt à l'INPI par l'appelante d'une déclaration pour une "pochette fermée par pression pousse sur collier ou harnais pour chiens ou chats";
Attendu qu'il n'est pas contestable et justifié que les agents commerciaux ou VRP en ce secteur d'activité ont généralement plusieurs mandats d'où le risque connu et habituel de surperposition partielle de certains produits similaires et concurrents au service de différents mandants;
Attendu que l'appréciation de la gravité de la faute doit s'effectuer au regard de la plus ou moins bonne foi du mandataire, de son caractère unique ou multiple et de son importance réelle eu égard à l'économie générale du contrat d'agent commercial
Attendu qu'il n'est rapporté la preuve que de deux ventes de peu d'importance en volume, l'une étant de plus prétendument intervenue hors du département concédé à l'agent (ce qui atténue seulement sa portée au regard de l'appréciation de la faute);
Attendu que la société Piralex ne rapporte donc pas la preuve d'une faute grave privative d'indemnité de son agent commercial;
Attendu par contre que l'accusation portée par Monsieur Laurent (VRP multicarte de Piralex) à propos de l'organisation programmée par Monsieur Boyet d'un réseau parallèle concurrentiel apparaît bien comme une faute de ce dernier, d'une relative gravité; que néanmoins force est de constater que s'il évoque bien des faits antérieurs à la rupture, Monsieur Laurent énonce des faits qui ne sont pas visés dans la lettre de rupture du contrat;
Attendu de plus que cette attestation unique et tardive (novembre 1997) d'un VRP toujours au service de la société Piralex- cette société étant déjà alors en conflit avec son ex-agent commercial- ne suffit pas à rapporter la preuve de la faute grave invoquée par le mandant;
Attendu par contre elle vient étayer de façon circonstanciée la contestation de la société appelante sur l'importance du préjudice de M.Boyet consécutif à la rupture ; qu'il est établi que ce dernier recherchait des activités de substitution, s'était inscrit au registre du commerce et des sociétés, prenait des contacts multiples pour développer une activité ayant vocation à terme d'entrer en concurrence au moins partiellement et indirectement avec son mandant;
Attendu que certes ces circonstances rendues tolérables au regard de la liberté de l'agent commercial et du principe de liberté du commerce ne constituent pas une faute grave mais justifient de réduire l'indemnité accordée par les premiers juges;
Attendu qu'au regard des éléments ci dessus énoncés, de la durée de la collaboration des parties, du caractère multicarte de l'agent commercial, des commissions reçues notamment les deux dernières années, la somme de 22 867,35 euros est justifiée, le préavis demeurant inchangé ; qu'il y a donc lieu de réformer le jugement entrepris;
Attendu qu'en l'état de la procédure collective il convient de fixer la créance de Monsieur Boyet au redressement judiciaire de la société Piralex;
Attendu qu'en l'état de la réformation partielle des sommes allouées et payées au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris, il y a lieu de condamner Monsieur Boyet à restituer le trop perçu;
Attendu que les intérêts au taux légal des sommes à restituer ne seront dus qu'à compter de la signification du présent arrêt et non de leur demande en appel comme le sollicite à tort la société appelante, seule cette signification valant mise en demeure de restitution;
Attendu que les parties qui succombent chacune partiellement en leurs prétentions conserveront à leur charge les frais et dépens avancés par elles pour faire valoir leurs prétentions en justice ; qu'elles seront déboutées de leurs demandes réciproques au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort, En la forme, dit l'appel recevable, Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, Dit irrecevables les conclusions Maître Lageat ès-qualité de représentant des créanciers de la société Piralex du 26-09-2002 et les conclusions de Monsieur Boyet en date du 8-10-2002. Confirme le jugement entrepris en ce qu'il jugé que Monsieur Boyet n'avait pas commis de faute grave et en ce qu'il lui a alloué la somme de 5 926,61 euros à titre d'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 18-03-1997, Fixe en conséquence la créance de Monsieur Boyet au passif de la procédure collective de la société Piralex à la somme de 5 926,61 euros à titre d'indemnité de préavis avec intérêts au taux légal à compter du 18-03-1997, Réformant pour le surplus, Fixe au passif de la procédure collective de la société Piralex pour un montant de 22 867,35 euros l'indemnité due à Monsieur Boyet au titre de la rupture de son contrat d'agent commercial et ce avec intérêts au taux légal à compter du 18-03-1997 jusqu'au jour du prononcé du redressement judiciaire ; Condamne Monsieur Boyet à restituer au représentant des créanciers de la procédure collective de la société Piralex le trop perçu encaissé par lui au titre de l'exécution provisoire du jugement entrepris et désormais réformé, avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, Déboute les parties de leurs demandes réciproques au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que chacune des parties conservera à sa charge les frais et dépens avancés par elles pour faire valoir ses prétentions en justice en première instance et en appel.