CA Lyon, 1re ch., 29 novembre 2001, n° 1999-06712
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Matines (SA)
Défendeur :
Domaine des Béates (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Loriferne
Conseillers :
Mme Biot, M. Gourd
Avoués :
SCP Dutrievoz, SCP Junillon-Wicky
Avocats :
Mes Lamoureux, Barthélémy.
EXPOSE DU LITIGE:
La SA Matines est propriétaire de la marque "Matines", déposée le 19 juillet 1985, pour désigner des "oeufs" et relevant de la classe 29.
La SARL Domaine des Béates, ayant son siège à Tain l'Hermitage, a déposé auprès de l'INPI de Lyon le 29 avril 1997 la marque "les Matines", pour désigner des produits de la classe 33: "boissons alcooliques (à l'exception des bières), vins".
Le 28 novembre 1997, la SA Matines a fait assigner la SARL Domaine des Béates devant le Tribunal de grande instance de Lyon.
Elle a demandé, avec exécution provisoire, la nullité de la marque "Les Matines" n° 97.676.841, la radiation de ladite marque du registre national des marques à l'INPI, l'interdiction de l'usage de celle-ci sous astreinte de 2 000 F par infraction constatée, la condamnation de la SARL Domaine des Béates à lui payer 15 000 F de dommages et intérêts et la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues de son choix aux frais de la SARL Domaine des Béates à concurrence de 25 000 F HT par insertion, à titre de dommages et intérêts complémentaires, outre 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Le Tribunal de grande instance de Lyon, par jugement du 23 septembre 1999, a débouté la SA Matines de sa demande de nullité de marque et de dommages et intérêts fondés sur l'application de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, condamné, en application de la loi du 10 janvier 1991 (loi Evin) la SARL Domaine des Béates à payer à la SA Matines 100 000 F de dommages et intérêts et 15 000 F en application de l'article 700 du NCPC, outre les entiers dépens.
La SA Matines a relevé appel de cette décision.
Elle demande la condamnation de la SARL Domaine des Béates à lui payer 500 000 F de dommages et intérêts, la nullité de la marque Les Matines n° 97.676.841, la radiation de celle-ci du registre national des marques de l'INPI, l'interdiction de l'usage de celle-ci sous astreinte de 2 000 F par jour de retard et par infraction constatée à compter de l'arrêt à intervenir, la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux ou revues de son choix aux frais de la SARL Domaine des Béates à concurrence de 30 000 F HT par insertion et la condamnation de son adversaire à lui payer 50 000 F en application de l'article 700 du NCPC, outre les entiers dépens.
Elle fait valoir qu'elle dispose d'une marque renommée, la marque Matines étant connue d'une large fraction du public, qui la protège de son adoption par des tiers pour des produits ou des services différents en application de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle; que la marque contestée Les Matines concourt à l'affaiblissement du pouvoir attractif de la marque Matines par banalisation et vulgarisation; qu'il existe un risque manifeste de confusion, les produits concernés ressortant tous de la catégorie des produits alimentaires; que le choix de cette dénomination par son adversaire n'est pas le fruit du hasard mais résulte du dessein de profiter indûment de la notoriété de la marque Matines.
Elle expose également que la loi Evin a apporté d'importantes restrictions à la publicité directe ou indirecte pour les boissons alcooliques; que cette loi considère que l'utilisation d'une marque d'alcool pour des produits ou services différents constitue une publicité indirecte pour l'alcool; que le dernier alinéa de l'article 17-l du Code des débits de boissons interdit toute opération de parrainage lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte, en faveur de boissons alcooliques;
que, du fait du dépôt et de l'usage de la marque "Les Matines" pour des boissons alcooliques et des vins, toute opération de parrainage, lui est, à l'avenir, interdite; qu'elle subit ainsi un grave préjudice; que ces faits justifient également le prononcé de la nullité de la marque Les Matines n° 97.676.841 et l'octroi de dommages et intérêts.
La SA Matines demande de débouter la SA Matines de ses prétentions et de la condamner à lui payer 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC, outre les entiers dépens.
Elle fait valoir que les conditions prévues par l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas remplies; qu'il n'est pas démontré que l'emploi de sa marque soit de nature à porter préjudice à la SA Matines ou que cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière; que l'interdiction concernant la publicité des boissons alcooliques ne reçoit pas en l'espèce application, du fait du jeu combiné des articles L. 355-26 du Code de la santé publique et L. 17-1 alinéa 2 du Code des débits de boissons, les produits commercialisés par la SA Matines ayant été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990.
MOTIFS DE LA DECISION:
Attendu qu'il est constant que La SA Matines est propriétaire de la marque "Matines", déposée le 19 juillet 1985, pour désigner des "oeufs" et relevant de la classe 29 et que la SARL Domaine des Béates a déposé auprès de l'INPI de Lyon le 29 avril 1997 la marque "les Matines", pour désigner des produits de la classe 33: "boissons alcooliques (à l'exception des bières), vins".
que, en application de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, l'emploi d'une marque jouissant d'une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l'enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur s'il est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette dernière;
que la SA Matines, par la production de divers documents, concernant essentiellement la période 1996-1997, et, en particulier, par celle de justifications de campagnes publicitaires, de parrainages d'événements sportifs nationaux ou internationaux, et d'enquêtes de notoriété, justifie que sa marque Matines jouit d'une certaine renommée;
mais que les marques en question concernent des produits tout à fait différents (oeufs et vins) et des domaines de consommation tout à fait distinct dans l'esprit du consommateur;
qu'il n'est pas démontré un risque de confusion, dans l'esprit des consommateurs, sur l'origine des produits en question;
qu'il n'est pas établi que le consommateur, faisant l'achat de vin sous la marque Les Matines" soit guidé dans son comportement, par association d'idées, avec son éventuelle habitude d'achat d'oeufs "Matines", qui n'est pas une marque de haute renommée, ou par sa connaissance de celle-ci;
qu'il n'est pas rapporté la preuve au dossier que la marque Matines exerce une fonction attractive dans le domaine d'activité des intimés;
qu'il n'est pas démontré que l'emploi de la marque Les Matines, pour désigner du vin, soit de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque Matines par banalisation de celle-ci et constitue une exploitation injustifiée de cette marque;
qu'il y a lieu de débouter la SA Matines de ses demandes contraires et de confirmer, sur ce point, la décision entreprise;
attendu que l'appelante soutient également que, en raison des restrictions apportées à la publicité directe ou indirecte pour les boissons alcooliques prévues par la loi du 10 janvier 1991 et que la SARL Domaine des Béates ne pouvait pas ignorer, elle subi un préjudice dont elle demande réparation;
qu'il est établi au dossier, par les pièces versées aux débats par l'appelante, que celle-ci parrainait diverses activités sportives;
qu'elle soutient que, par suite du dépôt contesté de la marque "Les Matines", elle ne pourra plus être autorisée à faire ces parrainages, sans faire, indirectement, une publicité prohibée pour de l'alcool;
que l'article L. 17-l du Code des débits de boissons stipule qu'est considérée comme propagande ou publicité indirecte toute propagande ou publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique qui par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou de tout autre signe distinctif rappelle une boisson alcoolique;
que l'article L. 3323-2 du Code de la santé publique, dernier alinéa, prévoit que toute opération de parrainage est interdite lorsqu'elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques;
mais que l'article L. 17-1 alinéa 2 du Code des débits de boissons et l'article L. 3223-3 alinéa 2 du Code de la santé publique prévoient une dérogation à cette restriction afin de préserver les droits acquis sur des marques qui préexistaient à la loi du 10 janvier 1991 et qui sont identiques à une marque d'alcool;
qu'ils précisent ainsi que ces interdictions ne sont pas applicables à la propagande ou à la publicité en faveur d'un produit autre qu'une boisson alcoolique qui a été mis sur le marché avant le 1er janvier 1990 par une entreprise juridiquement ou financièrement distincte de toute entreprise qui fabrique, importe ou commercialise une boisson alcoolique;
que les opérations de parrainages, qui, ainsi que le précise expressément l'article L. 3223-2 dernier alinéa du Code de la santé publique, concourent à la publicité et à la propagande de la marque qui les sponsorise, entrent bien dans cette dérogation;
que dès lors la SA Matines ne démontre pas ne pas pouvoir faire des campagnes de parrainage sous sa marque par suite du dépôt pour des boissons alcooliques de la marque Les Matines par la SARL Domaine des Béates;
qu'elle doit être déboutée de ses prétentions à cet égard; que la décision critiquée sera réformée sur ce point;
que, en conséquence, il convient de réformer la décision dont appel qui a alloué une indemnité en application de l'article 700 du NCPC à la SA Matines et condamné la SARL Domaine des Béates aux dépens;
qu'il y a lieu, en équité, de condamner la SA Matines à payer à la SARL Domaine des Béates 10 000 F, en application de l'article 700 du NCPC pour l'ensemble de la procédure;
que les demandes en application de l'article 700 du NCPC formées, en cause d'appel, par la SA Matines, partie perdante, sont injustifiées;
que la SA Matines, qui perd son procès, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel;
qu'il y a lieu de débouter chacune des parties de ses prétentions plus amples ou contraires;
par ces motifs, LA COUR, Réforme partiellement la décision querellée: Déboute la SA Matines de ses demandes contre la SARL Domaine des Béates fondées sur les articles 1382 et 1383 du Code civil et la loi du 10 janvier 1991. Dit n'y avoir lieu à condamnation de la SARL Domaine des Béates en application de l'article 700 du NCPC au profit de la SA Matines. Confirme la décision critiquée pour le reste, hormis les dépens. Y ajoutant, Condamne la SA Matines à payer à la SARL Domaine des Béates 10 000 F, en application de l'article 700 du NCPC pour l'ensemble de la procédure. Déboute chacune des parties du surplus de ses demandes. Condamne la SA Matines aux dépens de première instance et d'appel et, pour ces derniers, autorise l'avoué de son adversaire à recouvrer directement contre elle les dépens dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.