CA Orléans, ch. civ. sect. 2, 9 février 1998, n° 95000955
ORLÉANS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Maison Française de Distribution (Sté)
Défendeur :
Marchewka
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tay
Conseillers :
Mmes Magdeleine, Lacabarats
Avoués :
Me Daude, SCP Laval-Lueger
Avocats :
Mes Ristori, Georget
Statuant sur l'appel interjeté par la société Société Maison Française de Distribution (MFD) du jugement par lequel le Tribunal d'instance de Tours, le 10 février 1995, la condamnait à payer à Stéphane Marchewka, à titre de dommages intérêts, la somme de 30 000 F, ainsi que celle de 5 000 F, à titre d'indemnité pour frais irrépétibles:
Attendu que Monsieur Marchewka reçut, le 8 avril 1994, un courrier par lequel la société MFD portait à sa connaissance qu'il était "déclaré gagnant de 105 750 F" et qu'il n'avait qu'à renvoyer le bon de validation pour obtenir le versement sur son compte de cette somme:
Attendu que, le 20 mai suivant, Monsieur Marchewka apprenait par un autre courrier de cette même société MFD avoir gagné un premier prix, en l'occurrence un téléviseur couleur 16-9;
Attendu que, le 13 avril 1994, Stéphane Marchewka retournait le bon de validation nécessaire à l'obtention du prix de 105 750 F: qu'apprenant que son nom ne figurait sur la lettre reçue le 8 avril 1994 qu'à la suite d'un pré-tirage au sort, l'obtention du prix annoncé étant, outre le renvoi du bon de participation, subordonnée à ce que son nom soit celui tiré au sort parmi les nombreux noms pré-sélectionnés, s'estimant victime de manœuvres de la part de la société MFD, qui lui laissa ainsi croire un temps à un gain relativement important, l'assignait en réparation de son préjudice devant le Tribunal d'instance de Tours, qui rendit le jugement susrappelé:
Attendu qu'au soutien de sa décision, le tribunal retint que, de l'étude approfondie des documents qui avaient été envoyés à Monsieur Marchewka, en fait de vulgaires réclames, il ressortait qu'ils étaient rédigés de telle sorte que celui-ci avait pu sous réserve de l'envoi du bon de validation, se considérer comme ayant gagné la somme annoncée, les documents établis par la société MFD étant révélateurs de son intention dolosive;
Attendu que la société Maison Française de Distribution poursuit l'infirmation de ce jugement, demandant à la cour de débouter Monsieur Marchewka de ses prétentions et de le condamner à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour abus de procédure, ainsi que celle de 10 000 F, HT, à titre d'indemnité pour frais non taxables;
Attendu qu'elle fait valoir:
- que, par les documents qu'elle faisait parvenir à Monsieur Marchewka, elle lui proposait de participer à un "jeu" s'analysant en une loterie avec pré-tirage au sort; que cette loterie, ainsi qu'il ressortait du règlement du "jeu", envoyé par deux fois à Stéphane Marchewka, comportait une date de clôture, le 31 décembre 1994,
- que ce "jeu", tel qu'organisé, répondait en tous points aux prescriptions légales, particulièrement aux dispositions de l'article L. 121-38 du Code de la consommation,
- que Monsieur Marchewka, "demandeur de mauvaise foi", et à propos duquel elle est en droit de s'interroger sur la nature et la réalité de son prétendu préjudice, alors qu'il l'assigna, le 16 août 1994, soit bien avant clôture de la loterie, a présenté tendancieusement au tribunal le message publicitaire, dont il tirait avoir prétendument gagné le premier prix, la somme de 105 750 F,
- que le tribunal s'est livré à une lecture erronée des documents publicitaires envoyés à Monsieur Marchewka, par lui soumis à son appréciation, alors que, par le vocabulaire utilisé et le choix du temps des verbes, usage du futur de l'indicatif, phrases conditionnelles commençant par la conjonction "si", ce dernier ne pouvait se méprendre sur la portée du message, la jurisprudence admettant la publicité "hyperbolique": que Monsieur Marchewka pouvait d'autant moins alléguer avoir été trompé, qu'il reçut le règlement du jeu;
- qu'en fait Monsieur Marchewka, qui se présente comme "un consommateur moyen", victime d'une publicité fallacieuse, ayant fait naître un espoir de gain, qui s'est avéré vain, n'a en réalité agi que dans un esprit de lucre, sans démontrer un quelconque préjudice réel et sérieux, ne mettant en pratique que ce que, le "droit international" (?) dénomme le "forum shopping";
- que les agissements de l'intimé, qui n'a agi qu'avec mauvaise foi, et vraisemblablement dans un esprit de jeu, lui cause un préjudice certain, d'où sa demande d'indemnisation de cet abus de procédure,
Attendu que Stéphane Marchewka conclut à la confirmation du jugement et requiert la condamnation de la société appelante d'avoir à lui payer une indemnité pour frais irrépétibles de 10 000 F;
Attendu qu'il reprend l'analyse faite par le tribunal, de laquelle il ressort que la lecture minutieuse des documents par lui reçus, éminemment critiquables en leur forme, ne pouvait aucunement lui laisser supposer qu'il n'était pas le gagnant de la somme annoncée, sous la seule réserve de l'envoi du bon de validation, aucune allusion n'étant faite, dans ces documents, à un quelconque second tirage au sort: qu'alors qu'il lui était impossible de comprendre qu'il n'avait pas définitivement gagné cette somme, sa bonne foi est entière et son préjudice certain;
Attendu qu'à titre plus que subsidiaire, Stéphane Marchewka avance que la société appelante ne démontre pas le préjudice qu'aurait pu lui causer son action en Justice;
Sur ce,
Attendu que, pour un plus ample exposé des faits de la cause, de la procédure et des moyens des parties, la cour fait référence aux énonciations du jugement entrepris et aux conclusions déposées:
Attendu que le document publicitaire reçu, le 8 avril 1994, par Monsieur Marchewka (pièce portant le n° 3 de celles communiquées en première instance) indique, quasi au tout début, en caractères plus qu'apparents, "Si vous renvoyez le document de validation gagnant donnant droit au Super Grand Prix, nous annoncerons officiellement que Monsieur Stéphane Marchewka est déclaré gagnant de 105 750 F. La liste des plus grands gagnants de tous les tirages organisés par MFD, s'établira dès lors comme suit: ...", figure en première position le nom de l'intimé, gagnant la somme de 105 750 F, l'attribution du prix lui étant confirmée et le "paiement autorisé en instance"; qu'ensuite d'un tableau mélangeant l'identité de plusieurs personnes ayant gagné des lots à divers concours passés, sans le préciser, mais sans dire le contraire, ce tableau n'ayant pour seule utilité que d'indiquer au destinataire de l'envoi qu'il était le premier de tous les gagnants quant à l'importance du montant de la somme annoncée, la société MFD confirmait à nouveau en gros caractères, qu'il suffisait à l'intimé d'envoyer le document de validation gagnant pour qu'il soit "au premier rang des gagnants de tous les grands prix MFD"; qu'encore, sur trois paragraphes, la société MFD écrivait qu'il suffisait au sieur Marchewka de renvoyer le document de validation pour qu'il voit versé sur son compte cette somme de 105 750 F, le texte du recto de cette missive, où pour faire bon effet est reproduit le sceau de l'huissier de Justice entre les mains duquel était entre autres séquestré le montant du prix, se terminant par la phrase suivante: " Il n'y a pas à hésiter, M. Marchewka. Nous insistons pour que vous nous renvoyiez d'urgence le Document de Validation confirmant votre participation. Faites-le dès aujourd'hui, s'il vous plaît. Parce que, sans réponse de votre part, nous ne serions pas autorisés à vous payer le prix de 105 750 F que vous avez gagné! ";
Attendu que, comme l'a retenu le tribunal, par des motifs pertinents, que la cour adopte, le texte et la présentation plus qu'équivoques de ce document, n'ont pour seule raison d'être que de tromper le destinataire qui, loin d'avoir gagné quoique ce soit, avait vu son nom tiré au sort pour participer à une loterie ultérieure, dont le premier lot était effectivement cette somme de 105 750 F;
Mais attendu que, pour que l'action intentée par Monsieur Marchewka prospère, encore lui appartient-il de prouver, outre la faute de la société MFD, la réalité du préjudice, qu'il entend voir réparer, en l'espèce la créance qui aurait été la sienne d'avoir effectivement gagné la somme annoncée;
Attendu, comme le relève l'appelante, que non seulement la bonne foi de l'intimé est loin d'être démontrée, mais que sa mauvaise foi est certaine;
Attendu, en effet, que le document de validation, que devait retourner Monsieur Marchewka à la société MFD (pièce n° 2 de celles communiquées en première instance), comporte deux rubriques, l'une indiquant: "Si je suis gagnant du Super Grand Prix de 105 750 F, veuillez m'en informer et effectuer le versement de cette somme dès la clôture du tirage.", l'autre: "Si je suis gagnant des 1 003 autres prix, veuillez me remettre le prix auquel j'ai droit."; que, sur ce même imprimé, a été portée la mention manuscrite suivante, à hauteur de la seconde branche de l'alternative rapportée ci-dessus: "Je ne suis pas d'accord. J'ai gagné, voir paragraphe ci-dessus et sans réponse de ma part vous ne serez pas autorisé à me payer! Pensez donc! D'où je m'empresse de vous expédier mon document. Je n'ai pas l'intention de perdre la somme que j'ai gagnée. Je dis bien gagné."
Attendu qu'il est acquis aux débats que Monsieur Marchewka fit retour du document de validation, le 13 avril 1994; qu'en fait, du bordereau de dépôt de lettre recommandée avec accusé de réception, l'intimé ayant choisi ce type d'affranchissement, il ressort que cet envoi eut lieu, le lendemain, la date du 13 avril étant celle de la lettre d'accompagnement du document de validation: que, par cette lettre, plutôt que de faire part de son étonnement ou du plaisir qu'il éprouvait à l'idée de gagner, sans raison, une somme d'un montant supérieur à 100 000 F, Monsieur Marchewka faisait savoir au directeur de la société MFD, que, faute de recevoir cette somme de 105 750 F, il serait "contraint de confier les documents à (son) avocat pour engager des poursuites. Ces dits documents seront confiés à l'avocat à partir du 2 mai, si la somme que j'ai gagnée ne m'a pas été payée ";
Attendu que, tant les mentions portées sur le bulletin de validation, de la même écriture que celle de la lettre datée du 13 avril 1994, que le contenu de celle-ci sont la démonstration de l'opinion, qui était celle de Stéphane Marchewka, qui sensible au caractère fort équivoque de l'ensemble des documents que lui avait fait parvenir seulement quelques jours plutôt la société MFD, avait compris être "victime" d'une publicité plus qu'à la limite de l'honnêteté intellectuelle; que, de ces documents, il ressort que l'intimé n'a pu croire être le gagnant de cette somme de plus de 100 000 F, en sorte qu'il n'a souffert d'aucun préjudice;
Attendu qu'en agissant comme il le fit, en procédant pour tirer profit d'un pseudo gain, qu'il savait ne pas être le sien, Monsieur Marchewka a commis un abus de procédure;
Attendu que la société MFD, dont il a été relevé que les procédés, évidemment à des fins commerciales, étaient fallacieux, qui a "démarché" Monsieur Marchewka à son domicile par l'envoi de ces documents publicitaires critiquables, ne s'explique pas sur l'importance du préjudice qu'elle entend voir réparer; qu'aussi la cour fixe son indemnisation à la somme symbolique de un franc;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais irrépétibles, dont elle fit l'avance;
Par ces motifs: LA COUR, en dernier ressort, publiquement, contradictoirement; Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau, Déboute Stéphane Marchewka de ses demandes; Le condamne à payer à la société Maison Française de Distribution la somme de un franc (1 F), à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive; Le condamne à payer à la société Maison Française de Distribution la somme de cinq mille francs TTC, (5 000 F), à titre d'indemnité pour frais non taxables; Le condamne aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers recouvrés suivant les règles régissant l'aide juridictionnelle; Accorde à Maître Daude, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile; Et le présent arrêt a été signé par le président et le greffier.