CA Orléans, ch. com., 3 août 1999, n° 98-02155
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Marven Parfumerie (SARL), Martinet
Défendeur :
Acora (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Lardennois
Conseillers :
M. Puechmaille, Mme Boury
Avoués :
Mes Bordier, Garnier
Avocats :
Me Georget, SCP Masson-Ousaci
La SA Parfumerie Bernier exploitait un fonds de commerce de parfumerie sis à Orléans 26, rue Jeanne d'Arc et avait pour Président du conseil d'administration Madame Eliane Knittler.
Suivant protocole du 23 juillet 1990 préparé par la société d'expertise comptable Acora, Madame Knittler agissant en qualité de Président du conseil d'administration de ladite société ainsi qu'à titre personnel en qualité d'actionnaire majoritaire et comme se portant fort des autres actionnaires s'est engagée à céder à Monsieur Martinet, agissant tant en son nom personnel que pour le compte de toute personne physique ou morale qu'il pourrait se substituer en restant conjoint et solidaire de l'ensemble des engagements, 458 des 465 actions composant le capital social pour le prix de 1 650 000 F. A été notamment annexée à ce protocole la liste des marques vendues par la SA Parfumerie Bernier. Le même jour a été régularisée entre les parties une garantie de passif et d'actif.
Les cessions d'actions ont été régularisées entre les parties, l'Eurl Marven Parfumerie disposant en définitive de 448 actions et Monsieur Jacques Martinet de 4 actions.
Le 4 septembre 1990, Monsieur Jacques Martinet a été désigné en qualité de Directeur général et d'administrateur tandis que Madame Knittler restait Président du conseil d'administration.
Par lettre du 8 mars 1991, la société Chanel a résilié le contrat de distributeur agréé la liant à la société Parfumerie Bernier en faisant état des dispositions obligeant celle-ci à l'informer préalablement et par écrit de tout changement à intervenir dans la personne du mandataire social ou du Directeur salarié.
Le 6 avril 1991, le conseil d'administration de la société Parfumerie Bernier a procédé à la révocation de Madame Knittler et désigné Monsieur Martinet en qualité de Président du conseil d'administration celui-ci ayant rappelé :
"Qu'en date du 4 septembre 1990, il a été procédé à la cession de 458 actions de la société Parfumerie Bernier par les consorts Knittler-Vaslin au profit du groupe Martinet et qu'il était convenu entre les parties que Madame Eliane Knittler conserverait quelques mois son mandat de Président directeur général afin que les contrats signés avec les marques ne soient pas résiliés".
Le 15 avril 1991, la SA Guerlain a également notifié la rupture des relations commerciales en reprochant à Madame Knittler de ne pas l'avoir informée de la modification intervenue dans le contrôle, la direction, l'organisation du point de vente.
Malgré les lettres de protestation de Monsieur Martinet, ces deux sociétés ont maintenu leur décision.
Suivant acte du 13 novembre 1991, Monsieur Martinet et la SA Parfumerie Bernier ont alors fait assigner Madame Knittler en dommages-intérêts. Par jugement du 4 mai 1994, le Tribunal de commerce d'Orléans les a déboutés de leurs demandes.
Par Jugement du 15 février 1995, le même tribunal a prononcé la liquidation judiciaire de la SA Parfumerie Bernier.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 4 mai 1996, Monsieur Jacques Martinet s'est adressé à la société Acora en mettant en cause sa responsabilité professionnelle en qualité de rédacteur d'actes puis suivant acte du 15 octobre 1997 lui-même et l'Eurl Marven Parfumerie prise en la personne de son représentant légal ont fait assigner ladite société en paiement de la somme principale de 1 650 000 F à titre de dommages-intérêts.
Par arrêt en date du 23 octobre 1997 statuant sur l'appel du jugement du 4 mai 1994, la cour a déclaré Monsieur Martinet es qualités de liquidateur amiable de la société Marven Parfumerie irrecevable en ses demandes, constaté que la société Bernier n'avait pas soutenu son appel et que Maître Saulnier es qualités de liquidateur n'avait formulé aucune prétention de son chef et a confirmé ladite décision.
Puis sur l'assignation du 15 octobre 1997, le tribunal a rendu la décision dont Monsieur Martinet et l'Eurl Marven Parfumerie agissant par son liquidateur amiable ont interjeté appel.
Les intéressés concluent à la recevabilité de leur appel, à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré leurs demandes recevables mais à l'infirmation pour le surplus. Ils demandent de juger que la société Acora a commis une faute et en conséquence de la condamner à payer à titre de dommages-intérêts :
- à Monsieur Martinet une somme de 14 193,54 F,
- à la société Marven Parfumerie une somme de 1 589 677,40 F,
le tout avec intérêts au taux légal ainsi que 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Ils se prétendent d'abord recevables à agir dans la mesure où :
- Monsieur Martinet est titulaire de 4 actions et s'est engagé conjoint et solidaire,
- l'Eurl Marven Parfumerie en liquidation pour les besoins de sa liquidation, et la mention générique dans de ce qu'elle agissait "par son représentant légal" suffit à valider celle-ci.
Au fond, les appelants reprochent à la société Acora d'avoir, en sa qualité de rédacteur de l'acte de cession, failli à son devoir de conseil en n'attirant pas l'attention du cédant et du cessionnaire sur la nécessité d'informer les parfumeurs de cette cession avant que celle-ci n'intervienne. Ils soutiennent que ledit rédacteur est débiteur de ce devoir non seulement à l'égard de son client mais à l'égard de toutes les parties et prétendent que le tribunal aurait confondu les notions de validité et d'efficacité de l'acte. Ils font valoir qu'à ce dernier titre le rédacteur a l'obligation de fournir tous les éléments d'information en sa possession susceptibles d'éclairer les parties sur la nature et la portée de leurs engagements et qu'en l'espèce au regard des stipulations des contrats Chanel, Yves Saint Laurent, le minimum aurait été pour la société Acora d'insérer dans l'acte de cession une clause prévoyant que cédant et cessionnaire avaient bien été informés de la nécessité d'informer au préalable les parfumeurs avant de s'engager dans la cession et que le mieux aurait été de prévoir une condition suspensive. Ils prétendent en effet que seule la garantie de ce que les contrats des parfumeurs allaient se trouver maintenu après la cession, était de nature à rendre celle-ci efficace pour l'acquéreur.
Les appelants soutiennent aussi que Monsieur Martinet, tout comme Madame Knittler aurait été persuadé que l'information préalable des parfumeurs n'était pas nécessaire dans le cas particulier d'une cession de parts alors même que le dirigeant restait en place et faisant étant d'une méprise sur ce point, affirment qu'il aurait appartenu à la société Acora dans le cadre de son devoir de conseil de les détromper.
Ils prétendent par ailleurs que si Monsieur Martinet exerçait bien la profession d'expert-comptable avant de prendre sa retraite, il n'avait pas de clientèle dans la parfumerie et qu'en tout état de cause ses connaissances personnelles ne dispensaient pas le rédacteur d'actes de son devoir de conseil. Ils ajoutent que si Monsieur Martinet non professionnel de la parfumerie connaissait l'exigence de l'information préalable en cas de cession de fonds de commerce, il ne la pensait pas nécessaire en cas de cession d'actions.
Les appelants font valoir enfin sur le préjudice, que si le chiffre d'affaires a diminué quelque peu jusqu'en mai 1991, il se serait "carrément" effondré passé cette date lorsque les parfumeurs ont résilié leurs contrats et que ces résultats catastrophiques ont amené Monsieur Martinet à décider de fermer le magasin à compter du 5 janvier 1992 et le tribunal de commerce à prononcer la liquidation judiciaire de la société le pas de porte se révélant invendable. Ils considèrent donc que le préjudice est représenté par le prix des actions perdues. A titre subsidiaire, ils sollicitent une expertise comptable pour chiffrer ledit préjudice.
La société Acora conclut à l'irrecevabilité de l'appel interjeté par l'Eurl Marven Parfumerie représentée par son liquidateur amiable en application de l'article 546 du nouveau Code de procédure civile. Elle observe en effet que c'est seulement en cause d'appel que ce dernier est intervenu et que n'ayant pas été partie en première instance, l'appel ne pouvait être régularisé par l'Eurl Marven Parfumerie ainsi représentée.
En tout état de cause, la société Acora conclut au rejet des prétentions de Monsieur Martinet et de l'Eurl Marven Parfumerie, à la confirmation du jugement et à la condamnation des appelants à lui payer 20 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient en effet que :
- d'une part, Monsieur Martinet était parfaitement informé, contrairement à ses allégations, des conditions posées par les parfumeurs dans la direction ou dans la détention du capital social du distributeur,
- d'autre part, le tribunal a été justement en mesure de constater que si ces parfumeurs n'avaient pas été informés, il ne s'agissait que d'une volonté délibérée des parties à l'acte qui s'étaient entendues sur ce point.
La société Acora affirme que Jacques Martinet ayant exercé la profession d'expert-comptable, a créé un certain nombre de sociétés notamment dans le secteur de la parfumerie, acquis trois parfumeries suivant actes de vente antérieurs au protocole du 23 juillet 1990 dont l'un contenait une clause sur la nécessité d'obtenir l'agrément préalable des parfumeurs. Elle considère donc que l'intéressé était parfaitement informé des conditions de cessibilité de ces contrats, s'est engagé en parfaite connaissance de cause et a délibérément souhaité que Madame Knittler reste à la tête de la SA Parfumerie Bernier pour ne pas informer les distributeurs de son acquisition d'actions.
La société Acora affirme en conséquence n'avoir pas commis de faute en sa qualité de rédacteur d'actes, Monsieur Martinet ne cherchant selon elle qu'à lui imputer ses propres carences et turpitudes.
En tout état de cause, la société Acora conteste le lien de causalité entre la prétendue faute et le préjudice allégué ainsi que le montant de celui-ci.
Elle fait état des pertes importantes enregistrées par la société de 1987 à 1990 en relevant que l'augmentation de celles-ci n'est pas le résultat d'une augmentation du salaire de Madame Knittler en qualité de Président du conseil d'administration. Elle remarque aussi que le 25 mars 1991, soit à une date où les contrats des parfumeurs étaient toujours en cours, Monsieur Martinet s'étonnait auprès de celle-ci de ce que le chiffre d'affaires réalisé était éloigné de celui annoncé. Elle ajoute que les appelants n'expliquent pas pourquoi le pas de porte s'est trouvé invendable alors que s'agissant d'un bail tout commerce, il pouvait intéresser toute autre entreprise qu'une parfumerie. Elle impute aussi les difficultés financières de la société à la gestion de Monsieur Martinet, considérant qu'aucune démonstration sérieuse de leur préjudice n'est fournie par les appelants.
Sur ce :
Sur la recevabilité de l'appel
Attendu que constitue un vice de fond le fait de délivrer une assignation au nom d'une société représentée par son représentant légal alors que celle-ci est dissoute et qu'un liquidateur a été nommé ; qu'un tel vice entraîne la nullité de l'acte ; que toutefois, cette sanction n'est pas prononcée lorsque la cause a disparu au moment où le juge statue, la régularisation pouvant intervenir en cause d'appel.
Attendu qu'en l'espèce, il est constant que la société Marven Parfumerie était en liquidation amiable au moment où l'assignation a été délivrée ; qu'elle aurait du en conséquence être représentée par son liquidateur et non par son représentant légal ;
Que cependant la régularisation doit être considérée comme étant intervenue par l'acte d'appel, la partie au litige étant non pas la personne physique représentant la société mais la personne morale ; qu'il s'ensuit que la société Acora ne peut prétendre que l'appel de l'Eurl Marven Parfumerie serait irrecevable.
Au fond:
Attendu qu'un rédacteur d'actes a, à l'égard de toutes les parties pour s'assurer de la validité et de l'efficacité de l'acte qu'il rédige, l'obligation de leur fournir tous éléments d'information en sa possession susceptibles de les éclairer sur la nature et la portée de leurs engagements ;
Que cependant, le rédacteur ne doit vérifier que l'aptitude de l'acte à produire ses effets ; qu'au surplus, ce devoir de conseil ne vise pas à informer ceux qui savent ;qu'il n'a qu'un caractère relatif, dépend des circonstances de la cause et s'exerce différemment selon que la partie est ou non un professionnel avisé.
Attendu qu'en l'espèce l'acte de cession de parts rédigée par la société Acora a en tout état de cause produit ses effets même si par la suite deux contrats de distributeurs ont été résiliés ;
Que Madame Knittler connaissait parfaitement les clauses d'incessibilité des dits contrats pour avoir signé ceux-ci en sa qualité de représentante de la SA Parfumerie Bernier;
Que s'agissant de Monsieur Martinet, il ne pouvait pas non plus les ignorer puisque :
- le 9 avril 1990, il avait déjà acquis un fonds de commerce de cadeaux parfumerie et instituts de beauté et que dans l'acte de cession, il avait été indiqué :
"Le cédant déclare qu'il a informé en temps utile le cessionnaire qui le reconnaît qu'il existe des contrats de distribution agréée et de fournitures avec les entreprises dont les marques figurent sur la liste annexée aux présentes (Chanel, Saint Laurent, etc...).
Le cessionnaire reconnaît avoir pris connaissance de l'ensemble de ces contrats et notamment de leurs stipulations concernant la cession du magasin de vente. Il déclare expressément faire son affaire personnelle de l'obtention auprès des fournisseurs de tout agrément pour la poursuite ou le renouvellement de ces contrats ou à défaut de leur résiliation éventuelle",
- le 10 avril 1990, la société Ambre représentée par Monsieur Martinet avait acquis un fonds de commerce de parfumerie et d'esthétique exploité à Chatellerault et que dans l'acte, il a été indiqué :
"Le cessionnaire fera son affaire personnelle et prendra à son compte les commandes et marchés passés par le cédant et dont la liste lui a été remise... Le cessionnaire déclare qu'il a obtenu dès avant ce jour des marques de parfums suivantes (Chanel, Dior, Rubinstein, Lancaster, Givenchy, Davidoff, Loris, Azzaro, Shiseido) l'engagement par ces dernières de lui consentir un nouveau contrat lors de la prise de possession dudit fonds de commerce, à titre de distributeurs agréés";
Qu'il ne peut sérieusement prétendre avoir cru que la clause litigieuse ne s'appliquait pas en cas de cession de parts lorsque le dirigeant social restait en place alors que les contrats dont il reconnaît implicitement avoir eu connaissance évoque non seulement le changement dans la direction du fonds mais également celui dans la répartition du capital social ;
Qu'il ne peut pas non plus reprocher à la société Acora de ne pas avoir intégré dans l'acte une condition suspensive laquelle n'avait pas non plus été insérée dans les autres contrats dont il était signataire ;
Que compte tenu des circonstances de l'espèce et pour des raisons qui échappent à la cour, il apparaît en fait, à la lecture du procès-verbal de l'assemblée générale du 6 avril 1991 ayant abouti à la révocation de Madame Knittler que les parties avaient voulu cacher aux parfumeurs le changement dans la répartition du capital social en laissant encore celle-ci à la tête de la société ;
Que les appelants sont donc mal fondés à reprocher à la société Acora un manquement à son devoir de conseil.
Attendu que, en tout état de cause, il n'est pas établi que le préjudice dont se prévalent les appelants soit en relation directe avec la résiliation des contrats de distribution Chanel et Guerlain (seule démontrée au dossier) puisque :
- le chiffre d'affaires de la SA Parfumerie Bernier était en chute constante depuis plusieurs années et que Monsieur Martinet s'étonnait avant même la rupture des dits contrats qu'il ne correspondait pas à celui annoncé,
- la SA Parfumerie Bernier a continué à distribuer les autres marques dont certaines ayant une notoriété au moins aussi grande que celles susvisées (Dior, Ricci, Hermes, Lancôme, Rubinstein, Rochas, ...),
- le droit au bail subsistait après la fermeture du magasin,
- la liquidation judiciaire n'a été prononcée qu'en 1995,
Que la décision déférée qui a rejeté les prétentions des appelants doit donc être confirmée.
Attendu que la société Acora ne justifie pas d'une faute qui ferait dégénérer en abus le droit de plaider ni d'un préjudice ; qu'elle sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts ;
Qu'en revanche, l'équité commande de faire application en sa faveur des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Par ces motifs, LA COUR : Déclare les appels recevables ; Confirme la décision déférée ; Y ajoutant, Condamne Monsieur Martinet et l'Eurl Marven Parfumerie à payer à la société Acora la somme supplémentaire de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ; Condamne Monsieur Martinet et l'Eurl Marven Parfumerie aux dépens ; Accorde à Maître Garnier, avoué, le droit prévu à l'article.