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Décisions

Conseil Conc., 17 septembre 2003, n° 03-D-44

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques relevées dans les secteurs du chauffage collectif au gaz et des compteurs d'énergie thermique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme de Mallmann, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Perrot, Mader-Saussaye, , ainsi que M. Flichy, membres.

Conseil Conc. n° 03-D-44

17 septembre 2003

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 20 décembre 1996, sous le numéro F 926, par laquelle le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de la situation de la concurrence dans les secteurs du chauffage collectif et des compteurs d'énergie thermique ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et Gaz de France ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de Gaz de France entendus lors de la séance du 25 juin 2003 ; Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) suivants :

I. - Constatations

1. Par lettre enregistrée le 20 décembre 1996 sous le n° F 926, le ministre délégué aux Finances et au Commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par Gaz de France (ci-après GDF). Il soutient que GDF, dans le cadre d'une politique active de soutien au chauffage individuel centralisé, a subventionné l'activité commerciale de sa filiale Calliance en assurant, pour le compte de cette dernière, l'approche commerciale des maîtres d'ouvrage, en lui communiquant des informations commerciales, et en réalisant la promotion nationale de ses offres. Par ailleurs, il reproche à GDF d'avoir accordé à deux fournisseurs de compteurs d'énergie thermique, les sociétés Schlumberger Industries et Wateau, des avantages injustifiés de nature à fausser le jeu de la concurrence sur le marché des compteurs thermiques.

A. - LES SECTEURS D'ACTIVITE CONCERNES

2. L'installation d'un moyen de chauffage nécessite d'intégrer plusieurs produits ou services dont la fourniture d'énergie (gaz, électricité, fioul domestique), des équipements (chaudière, radiateurs, plomberie) et des services complémentaires (entretien, répartition de charges de chauffage...). Certaines offres, mixtes ou globales, regroupent tout ou partie de ces produits et services.

1. Les sources d'énergie

3. Elles peuvent être classées en quatre catégories : le fioul domestique ou le charbon, dont les offreurs sont en concurrence, l'électricité, disponible sur la quasi-totalité du territoire sous le monopole d'EDF, le gaz de ville, accessible pour 68 % des logements français sous le monopole de GDF, et les autres sources d'énergie.

4. Pour les années 1994 et 1995, le prix de l'unité d'énergie consommée a varié comme suit :

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Ces chiffres évoluent en fonction du prix des matières premières, mais la hiérarchie entre les énergies les moins chères (gaz, fioul, charbon et autres) et les plus chères (électricité) est, en général, conservée.

2. Les critères de choix d'un mode de chauffage

5. Plusieurs facteurs influent sur le choix effectué entre les différentes sources d'énergie, notamment leur disponibilité, les caractéristiques des logements et le type de chauffage choisi, central ou individuel. On constate également une prépondérance du gaz dans les appartements dont le maître d'œuvre appartient au secteur public :

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3. Les équipements

a) Les systèmes de chauffage

6. Ils sont de deux types. Le chauffage central collectif peut être la propriété de la collectivité ou bien externalisé, un fournisseur vendant alors directement de la chaleur à un ensemble de logements. Ensuite, la chaleur est distribuée entre les différents logements, l'évaluation des charges de chauffage individuelles faisant l'objet d'une répartition. Avec le chauffage individuel, au contraire, chaque logement dispose de son propre système de chauffage, l'usager réglant directement sa facture d'énergie.

b) Les compteurs d'énergie thermique

7. L'article L. 131-3 du Code de la construction et de l'habitation impose, aux usagers d'une installation collective de chauffage, l'utilisation de compteurs thermiques destinés à la répartition des charges de chauffage : "Tout immeuble collectif pourvu d'un chauffage commun doit comporter, quand la technique le permet, une installation permettant de déterminer la quantité de chaleur et d'eau chaude fournie à chaque local occupé à titre privatif". Ces compteurs sont proposés par des fabricants français ou étrangers, achetés par GDF selon ses prescriptions techniques et répartis entre les centres EDF-GDF Services qui, à leur tour, les distribuent entre les installateurs. Ils restent la propriété de GDF ou de sa filiale Calliance. Les principaux fabricants présents en France sont les sociétés Schlumberger, Wateau, I.C.M., Sappel, Landis & Gyr, G.W.F. et Somesca.

4. Les services mixtes ou groupés

8. Il est possible pour des entreprises de proposer des offres intégrant plusieurs des produits ou services examinés ci-dessus. Ainsi, l'activité de "vente de chaleur" consiste à vendre la chaleur obtenue à partir d'une source d'énergie. Cette activité permet au client de s'adresser à un fournisseur unique, ce qui évite de recourir à la fois au marché des sources d'énergie et à celui des systèmes de chauffage.

B. - LES INTERVENANTS DANS LE SECTEUR

1. La société Calliance

9. En 1991, GDF, qui s'est vu confier par la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, la production, le transport, la distribution, l'importation et l'exportation de gaz combustible, a mis en place deux filiales, Calliance et Prestagaz, pour développer la vente de chaleur, d'abord dans le secteur du logement neuf, puis dans celui du logement existant et du tertiaire (neuf et existant). La société Calliance a commencé son activité le 1er octobre 1991. Elle a absorbé Prestagaz en 1994. En 1996, elle a cédé son activité au GIE Calliance gestion. Elle employait environ 27 salariés. La partie exploitation était sous-traitée à plusieurs sociétés de maintenance et d'exploitation, dont certaines sont des filiales de GDF. Il s'agit de CGST-Save, Elyo, Someth, Sochan, Genese, Servitherme et M.E.T.

10. La société Calliance disposait de trois agences situées à Paris, Lyon et Toulouse. L'agence de Paris réalisait 50 % du chiffre d'affaires, les agences de Lyon et de Toulouse se partageant le reste. Par un contrat de franchise signé le 2 mars 1995, elle avait accordé à la société Générale d'installations électriques (GIE SA), filiale de Gaz de Strasbourg SA et de la Cofreth, l'exclusivité de ses services dans une zone géographique de 72 communes situées autour de Strasbourg.

2. La vente de chaleur par la société Calliance

11. GDF a mis en place un service intitulé le "chauffage individuel centralisé" (CIC), qui permet à chaque occupant d'un logement neuf ou rénové situé dans un immeuble collectif, d'individualiser ses consommations de chauffage et d'eau chaude grâce à l'installation, d'une part, d'une chaudière collective au gaz desservant l'ensemble des appartements, d'autre part, de compteurs d'énergie thermique pour chaque appartement. Ce chauffage individuel centralisé a été mis en place selon trois modalités :

- le chauffage individuel centralisé de base, dans lequel la facturation est globale, la répartition et le recouvrement des charges étant assurés par le gestionnaire de l'immeuble. L'installation de production et de distribution est prise en charge par le maître d'ouvrage et appartient à la copropriété ;

- la vente de gaz réparti, proposée depuis 1990, qui repose sur le même principe que le chauffage individuel centralisé. Mais GDF assure la relève et la facturation auprès de chaque occupant de l'immeuble en fonction de sa consommation personnelle d'énergie, déterminée au regard de deux compteurs dont elle est propriétaire et assure l'entretien :

un compteur de chaleur et un compteur d'eau chaude sanitaire. Il assure aussi la relève et l'entretien du poste de détente-comptage de la chaufferie, vendu au gestionnaire de l'immeuble ;

- la vente de chaleur, dans laquelle intervient la société Calliance. A l'issue de la construction de l'immeuble, Calliance achète tout ou partie de l'installation de production et de distribution collective de chauffage, notamment les compteurs de chaleur et d'eau chaude sanitaire, avant de l'exploiter en facturant les calories pour le chauffage et l'eau chaude sanitaire directement à chaque occupant ou au gestionnaire de l'immeuble, suivant l'option choisie (vente de chaleur individuelle, vente de chaleur collective ou vente de chaleur collective répartie).

12. De 1993 à 1996, l'activité de Calliance a évolué de la manière suivante :

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C. - LES PRATIQUES CONSTATEES

1. Les relations financières et commerciales entre la SA Calliance et la direction économique et commerciale de GDF

13. Les relations entre la SA Calliance et la direction économique et commerciale de GDF (DEC) sont organisées par un protocole en date du 16 juillet 1991, modifié par cinq avenants en date des 30 juin 1992, 5 avril 1993, 3 février 1994, 2 mai 1995 et 13 juin 1996, dont l'objet est de réviser la rémunération de Calliance et de préciser ses missions.

14. Le protocole du 16 juillet 1991 a pour "but de définir les conditions dans lesquelles la DEC charge Calliance de missions de marketing stratégique relativement à la "vente de chaleur". La société Calliance a, en particulier, pour mission l'"élaboration de la politique de vente de chaleur du groupe Gaz de France" et l'"ouverture de la vente de chaleur vers de nouveaux marchés". En contrepartie de ces missions, la DEC versera à Calliance une rémunération forfaitaire fixée à 3,2 MF (1991) par année pleine.

- L'avenant n° 1 au protocole, en date du 30 juin 1992, a pour objet de permettre à Calliance de répondre à la demande faite par la DEC "d'intensifier ses actions de communication externe sur la vente de chaleur afin de pallier la situation déprimée du marché de la construction neuve". La rémunération de Calliance est portée à 1 MF pour chacune des échéances des 3ème et 4ème trimestres 1992.

- L'avenant n° 2, en date du 5 avril 1993, fixe la rémunération de Calliance à 3,6 MF pour l'exercice 1993.

- L'avenant n° 3, en date du 3 février 1994, redéfinit les missions confiées à Calliance.

Cette dernière se voit attribuer diverses missions en matière de développement et d'adaptation des offres "ventes de chaleur et de froid" (travaux de montage juridique, de rédaction de textes contractuels). En outre, certaines offres sont déclarées prioritaires, telle la finalisation et l'adaptation de l'offre de vente de chaleur en logement neuf. En contrepartie de ces missions, la rémunération de Calliance est fixée à 2,7 MF HT pour l'exercice 1994. Pour la négociation des offres pilotes, Prestagaz sera rémunérée en fonction du temps passé, sur une base journalière de 5 500 francs HT.

- L'avenant n° 4, en date du 2 mai 1995, élargit le périmètre des missions de Calliance en lui confiant "tous travaux de développement du système d'information marketing de la vente de chaleur" et fixe des priorités pour 1995. Pour l'exercice 1995, la rémunération de Calliance est fixée à 2,5 MF HT. S'agissant de la négociation des offres pilotes par les responsables d'opérations de Calliance, la direction commerciale de GDF passera une commande spécifique à Calliance établie en fonction du temps passé, sur une base journalière de 5 500 francs HT.

- L'avenant n° 5, en date du 13 juin 1996, renouvelle les missions précédentes, confie à Calliance d'autres missions, telles que l'analyse des marchés et des "retours d'expérience", la définition des services, les tests clientèle, fixe des priorités pour 1996 et actualise la rémunération de Calliance qui est portée à 4 MF HT par an. La rémunération pour la négociation des offres pilotes par les responsables d'opérations de Calliance reste fixée à 5 500 francs HT (base journalière).

2. Les relations financières et commerciales entre la SA Calliance et les centres EDF-GDF Services

15. Deux séries d'accords régissent les relations entre la SA Calliance et les centres EDF-GDF services, la première couvrant les années 1991-1993, et la seconde, les années 1994-1996.

Pour la période 1991-1993, deux protocoles ont été signés.

- Le premier protocole, en date du 11 juillet 1991, porte sur le logement neuf. Il précise la répartition des missions entre EDF-GDF services et Calliance et renvoie à la conclusion d'un accord national pour la définition de la rémunération de Calliance. Les accords nationaux d'application du 11 juillet 1991 et du 1er juillet 1992 traitent des rémunérations de Calliance et de sa filiale Prestagaz. Ce protocole a fait l'objet de 2 avenants en date du 1er juillet 1992 et du 18 mars 1993 qui modifient respectivement les conditions de rémunération de Calliance et la répartition des compétences entre EDF-GDF services et Calliance.

- Le second protocole, en date du 25 septembre 1991, porte sur le logement existant et le tertiaire. Sa mise en œuvre est régie par un accord national d'application en date du 1er juillet 1992, qui précise les rémunérations de Prestagaz.

16. Pour les années 1994-1996, les relations entre Calliance et les centres EDF-GDF services sont déterminées par un protocole en date du 15 avril 1994 portant sur tout type de logement. Ce protocole, qui remplace les protocoles des 11 juillet et 25 septembre 1991, précise la répartition des missions entre EDF-GDF services et Calliance pour la vente de chaleur en logement collectif neuf et résidentiel existant et tertiaire, et prévoit le principe d'une rémunération de Calliance dont les conditions sont fixées par un accord national d'application signé le même jour.

En ce qui concerne la période 1991 à 1993

17. S'agissant du logement neuf, le protocole d'accord du 11 juillet 1991 définit les conditions de partage des missions entre Calliance, Prestagaz et les centres EGS en distinguant deux phases, avant et après la mise en service. Il prévoit, notamment, que la rémunération de Prestagaz sera fixée par un accord national révisable d'année en année en fonction des résultats et que, "durant la période de démarrage, une rémunération forfaitaire supplémentaire sera versée à Prestagaz par EGS". L'avenant du 1er juillet 1992 précise, en particulier, qu'EGS "versera à Prestagaz un intéressement calculé en fonction du montant d'aides économisé sur les affaires où la négociation aura abouti sans que le montant d'aides financières autorisé par les règles en vigueur (actuellement GEM 85) ait été nécessaire".

18. L'accord national, également en date du 11 juillet 1991, sur le logement neuf, prévoit d'allouer les rémunérations suivantes à Prestagaz :

- pour l'appui apporté par Prestagaz aux centres EGS :

- un forfait de 4 000 francs pour la prise en charge de chaque affaire ;

- une rémunération de 600 francs par logement si la négociation menée par Prestagaz aboutit au choix par le promoteur d'une solution au gaz naturel (vente de chaleur ou gaz classique, individuel ou collectif) ;

- un intéressement - égal à 25 % du montant économisé - "si la négociation aboutit sans que le montant maximal de la participation commerciale ait été nécessaire".

- une rémunération forfaitaire complémentaire, versée par EGS, qui est fixée à 2 MF pour 1991 (juillet à décembre), 3 MF pour 1992 et 1 MF pour 1993, rémunération devant disparaître à partir de 1994. Ces conditions de rémunération sont modifiées pour l'exercice 1992 par l'accord national signé entre Calliance et EDF-GDF services le 1er juillet 1992.

19. S'agissant du logement existant et du tertiaire, le protocole signé le 25 septembre 1991 définit les conditions de la collaboration entre Prestagaz et les centres EGS. Il renvoie à un accord national révisable d'année en année. L'accord signé le 1er juillet 1992, pris pour sa mise en œuvre, prévoit :

- sur les marchés du résidentiel et du tertiaire existants :

- un forfait de 4 000 francs par opération, pour la prise en charge de l'affaire ;

- une participation à l'étude préliminaire et une rémunération de 4 centimes/KWh

PCS sur la base de la consommation estimée pour une année dans l'étude de faisabilité, si la négociation aboutit au choix par le promoteur d'une solution au gaz naturel.

- sur le marché du tertiaire neuf, une rémunération de 4 centimes/KWh PCS sur la base de la consommation estimée pour une année dans l'étude de faisabilité, si la négociation aboutit au choix par le promoteur d'une solution au gaz naturel ;

- sur le marché du tertiaire public, une rémunération proportionnelle au temps passé, facturée sur la base de 5 500 francs HT par jour, quel que soit le résultat de la négociation ;

- une rémunération forfaitaire complémentaire de Prestagaz, fixée à 4 MF pour 1992, 2,2 MF pour 1993 et 1 MF pour 1994, cette rémunération forfaitaire devant disparaître à partir de 1995.

En ce qui concerne la période 1994 à 1996

20. Le protocole signé le 15 avril 1994 pour tenir compte, notamment, de l'évolution de l'organisation de Calliance et de Prestagaz a pour objet de définir, pour tous les marchés résidentiels et tertiaires, les conditions du partage des missions entre Calliance, Prestagaz et les centres EGS. Il est complété par deux annexes en date du même jour, relatives respectivement à la répartition des missions entre les centres EGS et les agences Calliance-Prestagaz et aux missions de gestion-facturation des clients de Calliance. En outre, un accord national du même jour a pour objet de fixer, pour l'année 1994, les diverses rémunérations prévues dans le protocole.

21. Avant la mise en service, l'approche commerciale des maîtres d'ouvrage est assurée par les centres EGS. Pour la négociation, les centres EGS font appel aux agences Calliance-Prestagaz. La rémunération de ces dernières comprend, pour le logement neuf, un forfait de 4 000 francs HT par opération, qui reste acquis à Prestagaz même si l'opération n'aboutit pas, et une rémunération de 600 francs HT par logement si la négociation aboutit au choix par le maître d'ouvrage d'une solution au gaz naturel. Pour le résidentiel existant et le tertiaire neuf et existant, il est prévu un forfait de 4 000 francs HT par opération, qui reste acquis à Prestagaz même si l'opération n'aboutit pas ; une rémunération sur la base de la consommation de gaz naturel pour une année estimée dans l'étude de faisabilité, si la négociation aboutit au choix par le maître d'ouvrage d'une solution au gaz naturel, calculée suivant un barème dégressif par tranche (entre 1 et 4 centimes HT/KWh PCS) ; en cas de probabilité de réussite très faible, une rémunération proportionnelle au temps passé, facturée sur une base journalière de 5 500 francs HT/jour, qui est due quel que soit le résultat de la négociation avec le maître d'ouvrage.

22. Après la mise en service, la gestion-facturation des clients est assurée par les centres EGS. Une rémunération annuelle de 200 francs HT par client leur est versée par Calliance pour la vente de chaleur individuelle ou répartie. Pour la vente de chaleur collective, la rémunération est de 400 francs HT par client pour la seule relève mensuelle des index et de 800 francs HT par client pour la mission complète de gestion.

23. Les sommes recouvrées, sur les clients pour des actes particuliers (intervention pour coupure et remise en service), sont reversées aux centres EGS. L'achat et l'installation du matériel nécessaire à la facturation des clients de Calliance par les centres EGS est à la charge de ces derniers. Enfin, les agents des centres EGS qui assurent les missions de gestion-facturation des clients de Calliance doivent avoir reçu la formation correspondante, ces coûts de formation étant à la charge des centres EGS.

24. D'autres dispositions de l'accord national du 15 avril 1994 prévoient que la promotion nationale des offres de Calliance et de Prestagaz est assurée par EGS dans le cadre des missions de marketing opérationnel qui lui sont confiées par GDF.

25. En ce qui concerne les échanges d'information et la coopération technique entre les centres EGS et les agences Calliance Prestagaz, le centre EGS apporte toute l'aide nécessaire et demandée par l'agence Calliance Prestagaz dans le cadre de ses responsabilités de suivi technique. En outre, le centre EGS "peut proposer à l'agence Calliance Prestagaz une liste d'exploitants de chauffage susceptibles de répondre à un appel d'offres lancé, s'il n'y a pas d'opérateur technique, pour la conduite et l'entretien de l'installation primaire dont Calliance ou Prestagaz sera propriétaire ou locataire".

3. Les appels d'offres lancés en 1992 et 1994 pour l'achat de compteurs thermiques

26. GDF et sa filiale Calliance proposent des offres "globales" pour les ensembles de logements, qui incluent à la fois la fourniture de chaleur et la répartition des charges de chauffage entre les logements. Cette répartition nécessite le recours à des compteurs thermiques individuels. Deux services de GDF, appartenant à EDF-GDF Services, participent à la sélection des fournisseurs : le service politique industrielle et achats (SEPIA) et la centrale nationale d'achats (CNA) qui a en charge l'établissement des marchés-cadres nationaux et assure la gestion de la qualité des matériels.

27. Les résultats du premier appel d'offres, lancé en octobre 1992 par la centrale nationale d'achats de GDF auprès de 14 fournisseurs, ont été les suivants :

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28. Deux entreprises, Wateau et Schlumberger, ont été retenues en fonction de critères techniques (respect de la réglementation, exploitation aisée) et financiers (prix de l'appareil). Elles étaient aussi les moins-disantes. Deux marchés ont été signés, le 11 février 1993, avec ces deux sociétés, pour une durée de 12 mois (du 1er janvier au 31 décembre 1993). Ils avaient pour objet la fourniture de "compteurs permettant de mesurer les quantités d'énergie thermique fournies à chaque appartement par une installation de chauffage individuel centralisé", ainsi que des pièces détachées nécessaires au remplacement des parties défectueuses. Les appareils devaient être conformes à la réglementation en vigueur et avoir obtenu l'approbation de la direction de la métrologie en classe 1. Les besoins étaient estimés à 4 000 compteurs pour 1993 et le montant prévisionnel du marché fixé à 4,4 MF HT.

29. Ces marchés ont fait l'objet de deux avenants, en date du 10 novembre 1993, qui en ont prolongé la durée pour un an (du 1er janvier au 31 décembre 1994). Les besoins étaient estimés à 5 000 compteurs par an, dont 3 500 pour EDF-GDF Services et le montant prévisionnel total chiffré à 5,6 MF HT.

30. En 1993, GDF a élaboré une nouvelle procédure de sélection de ses fournisseurs, le programme d'examen d'aptitude (PEA) qui se déroule en trois phases : la phase d'acceptation de type, la phase d'aptitude du fournisseur et la phase d'agrément du matériel ou autorisation d'emploi.

31. En 1994, une seconde consultation a été organisée pour un marché d'environ 15 000 compteurs dont les livraisons devaient s'échelonner du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996. Six entreprises se sont portées candidates : Schlumberger Industries, Compteurs Wateau, Landis et Gyr, Gwf, Kamstrup-Metro A/S et Sappel. Les entreprises qui désiraient soumissionner devaient faire subir une série de tests (PEA) aux appareils qu'elles proposaient. Le coût de ces tests, soit une somme forfaitaire de 50 000 francs outre 7 000 francs par jour d'examen, devait être supporté par les entreprises candidates. Les sociétés Wateau et Schlumberger ont été dispensées de se soumettre à ces tests, leurs appareils ayant été expérimentés sur site lors de l'exécution du précédent marché dont elles avaient été attributaires. Une version simplifiée du programme d'examen d'aptitude, pour un coût limité à 20 000 francs, a été proposée à la société Landis & Gyr, connue de GDF pour avoir conclu avec cet établissement public, en janvier 1991, un marché de fournitures de compteurs électroniques. Toutefois, cette société n'a pas donné suite à cette proposition, son compteur ne correspondant pas aux besoins spécifiques de GDF. S'agissant des sociétés GWF, Kamstrup-Metro A/S et Sappel, elles ont renoncé à se soumettre au PEA.

Finalement, les marchés ont été signés, le 10 novembre 1994, avec les sociétés Schlumberger Industries et Compteurs Wateau pour un montant prévisionnel de 18 MF HT.

32. Les contrats de fourniture de compteurs thermiques passés avec les sociétés Schlumberger et Wateau stipulaient que "les dispositions du contrat sont applicables à toutes les directions d'EDF et de GDF, ainsi qu'à leurs filiales à participations majoritaires et aux installateurs et promoteurs qui interviennent pour le compte de Calliance et de Prestagaz". Le nombre total d'achats de compteurs d'énergie thermique destinés au secteur résidentiel effectués par GDF et Calliance est indiqué dans le tableau suivant :

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33. Les prix d'achat des compteurs d'énergie thermique (débit nominal de 600 litres/heure et débit nominal de 1 500 litres/heure), fixés dans les marchés signés avec Wateau et Schlumberger Industries pour les années 1993 et 1994, s'élevaient à 1 120 francs HT pour Schlumberger et 1 100 francs HT pour Wateau.

34. Pour les années 1995 et 1996, GDF a négocié les prix en francs HT remis par ces deux sociétés :

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D. - LES GRIEFS NOTIFIES

35. Il a été fait grief à l'entreprise GDF, sur le fondement de l'article 8 de l'ordonnance n° 86- 1243 du 1er décembre 1986 devenu l'article L. 420-2 du Code de commerce, d'avoir :

- donné à sa filiale Calliance des avantages par le biais, notamment, de prix d'achat des compteurs thermiques et de transferts financiers, dont l'objet et les effets, potentiels et réels, étaient de nature à introduire des distorsions de concurrence par rapport aux entreprises du secteur ;

- procédé, lors des appels à la concurrence pour les années 1993 à 1996, de sorte que soient favorisées les entreprises Wateau et Schlumberger Industries et que soit donc limité l'exercice de la concurrence par d'autres entreprises.

L'abandon de ces deux griefs est proposé dans le rapport.

II. - Discussion,

Sur la procédure

36. L'article 36, alinéa 2, du décret du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce prévoit que : "Le rapport soumet à la décision du Conseil de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés". Il appartient, en conséquence, au Conseil, d'examiner le bien-fondé des deux griefs notifiés, nonobstant la proposition d'abandon de ces griefs ultérieurement formulée.

Sur le fond

En ce qui concerne les marchés pertinents et la position de GDF et de Calliance sur ces marchés

37. Dans sa décision n° 99-D-51, relative à des pratiques constatées dans le secteur des applications thermiques de l'énergie, le Conseil a considéré que la fourniture de l'énergie destinée à assurer le chauffage constituait un marché pertinent, que ce marché se caractérisait par une rencontre de l'offre et de la demande opérée au stade du choix de l'équipement de chauffage et qu'il était de dimension nationale. Par ailleurs, le Conseil a rappelé l'existence d'un marché du gaz, sur lequel GDF est en position dominante. Enfin, il a estimé qu'il existait un lien de connexité suffisant entre le marché du gaz et celui de la fourniture d'énergie destinée au chauffage et que GDF était donc en mesure d'abuser, sur le second marché, de la position dominante qu'il occupe sur le premier. Les pratiques mises en cause dans la présente affaire ayant été constatées entre 1992 et 1996, aucune évolution notable du contexte concurrentiel ne justifie qu'il soit procédé à une analyse différente des marchés susvisés et de la position occupée par GDF sur ces marchés. Au cas d'espèce, il convient de vérifier si GDF n'a pas utilisé la position dominante qu'il occupe sur le marché du gaz combustible pour favoriser le développement de l'activité exercée par sa filiale Calliance.

38. S'agissant de la détermination du marché affecté par l'activité de la société Calliance, GDF soutient qu'il s'agit du marché de la fourniture d'énergie pour le chauffage.

39. Cependant, les services offerts par Calliance, qualifiés par cette dernière de "nouveau service intégral pour le chauffage et la production d'eau chaude", présentent des caractéristiques qui les distinguent de la simple fourniture d'énergie. Dans une plaquette intitulée "Mieux connaître la vente de chaleur Calliance", destinée aux professionnels du bâtiment, ces services font l'objet de la présentation suivante : "Dans la pratique, Calliance est propriétaire des moyens de production de la chaleur qui sont implantés dans une chaufferie au sein de l'immeuble. Elle en assure l'approvisionnement en gaz naturel, l'entretien, le maintien en bon état de fonctionnement et le renouvellement à terme. Elle se charge également de la gestion et de la facturation des clients". De son côté, le directeur commercial de la société Calliance a précisé, dans un procès-verbal d'audition du 25 mars 1996 : "Calliance vend un produit fini qui intègre livraison, production, maintenance et gestion-facturation de la chaleur". Ainsi, les prestations de vente de chaleur offertes par Calliance vont au-delà de la seule fourniture d'une énergie destinée au chauffage et à l'eau chaude et constituent un marché distinct.

40. A l'époque des faits dont le Conseil est saisi, soit de 1992 à 1996, la société Calliance était la seule à proposer une offre globale de chaleur produite à partir de gaz naturel. Mais quatre autres sociétés (Ges, Sinerg, Econoler et Seccoia), spécialisées dans l'étude de systèmes d'économies d'énergie, peuvent être considérées comme exerçant une activité proche de l'offre globale de chaleur.

En ce qui concerne l'existence de subventions entre GDF et sa filiale Calliance

41. Dans sa décision n° 00-D-57 du 6 décembre 2000 relative à des pratiques mises en œuvre par la SEM Gaz et Électricité de Grenoble et les sociétés GESTE et GEG Achats sur le marché des prestations de services dans le domaine de l'énergie et du bâtiment, le Conseil de la concurrence a considéré "que la mise à disposition de moyens tirés d'une activité réalisée sous monopole légal pour le développement d'activités relevant du champ concurrentiel est susceptible d'être qualifiée au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce si deux conditions cumulatives sont réunies : il faut, en premier lieu, que la mise à disposition de moyens puisse être qualifiée de "subvention", c'est-à-dire qu'elle ne donne pas lieu, de la part de l'activité qui en bénéficie, à des contreparties financières reflétant la réalité des coûts ; il faut, en second lieu, que l'appui ainsi apporté présente un caractère anormal".

42. S'agissant, tout d'abord, des prix réduits dont Calliance a bénéficié par l'entremise de Gaz de France pour l'acquisition de compteurs d'énergie thermique, les prix obtenus sont la conséquence de la puissance d'achat de GDF et de la centralisation des commandes au niveau du groupe, pratique courante qui ne peut être considérée comme anormale et ne s'analyse donc pas comme une subvention.

43. En revanche, il existe au dossier un faisceau d'indices laissant penser que les prestations dont Calliance bénéficiait de la part de sa société mère, en vertu des différents protocoles examinés aux points 13 à 25 de la présente décision, constituaient des subventions et non des rémunérations équivalant à des services rendus.

44. S'il est vrai, comme le soutient GDF, que le caractère forfaitaire d'une rémunération ne suffit pas à la faire qualifier de subvention, il apparaît toutefois qu'en l'espèce, face à une mission définie dans le protocole du 16 juillet 1991 en des termes très généraux, la rémunération forfaitaire de Calliance qui a été de 3,2 MF en 1991, 3,6 MF en 1992 et 1993, 2,7 MF en 1994, 2,5 MF en 1995, 4 MF en 1996, a connu une évolution erratique, augmentant ou diminuant selon les années, sans qu'aucune explication logique ait pu rendre compte de ces variations.

45. Il est, par ailleurs, exact que le choix d'une solution au gaz naturel à l'issue d'une négociation menée par Calliance profite également à GDF, comme le fait observer ce dernier. En revanche, d'autres clauses, dans les protocoles conclus par Calliance avec les centres EGS, constituent un ensemble de services rendus par GDF à sa filiale, sans contrepartie financière. Il en est ainsi de l'achat et de l'installation du matériel nécessaire à la gestion facturation des clients de Calliance par les centres EGS, ainsi que des coûts de la formation obligatoire des agents EGS à la gestion facturation des clients de Calliance, qui sont à la charge des centres EGS. Il en est de même de l'approche commerciale des maîtres d'ouvrage effectuée pour Calliance par les centres EGS, ainsi que de la promotion nationale des offres de Calliance et de Prestagaz par ces centres dans le cadre des missions de marketing opérationnel qui leur sont confiées par GDF.

46. En outre, le dispositif présenté au point 2 de l'annexe 1 au protocole du 15 avril 1994 entre Calliance-Prestagaz et EGS sous l'intitulé "échanges d'informations et coopération technique", constitue, en réalité, un concours accordé sans contrepartie à Calliance Prestagaz par le centre EGS ; ce dernier, apportant "toute l'aide nécessaire et demandée par l'Agence Calliance Prestagaz dans le cadre de ses responsabilités de suivi technique, notamment concernant des informations relatives aux entreprises susceptibles d'être retenues par le maître d'ouvrage", et pouvant "proposer à l'Agence Calliance Prestagaz une liste d'exploitants de chauffage susceptibles de répondre à un appel d'offres lancé, s'il n'y a pas d'opérateur technique, pour la conduite et l'entretien de l'installation primaire dont Calliance ou Prestagaz sera propriétaire ou locataire".

47. Il doit, enfin, être relevé que les pratiques susvisées ne sont pas conformes aux engagements pris par GDF à la suite de l'avis du Conseil n° 94-A-15 du 10 mai 1994, relatif à la diversification des activités d'EDF et de GDF, qui précisait, notamment, que les informations détenues par GDF (et EDF) dans l'exercice de ses missions, lorsqu'elles concernent les clients et leurs installations, ne doivent pas être divulguées aux filiales à des fins de démarchage sur les marchés concurrentiels, sauf à garantir l'accès à ces informations à tous les acteurs économiques et à ce que les agents de GDF ne soient plus associés, de quelque manière que ce soit, à l'activité commerciale des filiales.

En ce qui concerne l'abus de position dominante

48. Ainsi que le Conseil l'a établi dans sa décision n° 00-D-47 Citelum, il est licite, pour une entreprise publique qui dispose d'une position dominante sur un marché en vertu d'un monopole légal, d'entrer sur un ou des marchés relevant de secteurs concurrentiels, à condition qu'elle n'abuse pas de sa position dominante pour restreindre ou tenter de restreindre l'accès au marché pour ses concurrents en recourant à des moyens autres que la concurrence par les mérites.

49. Une entreprise publique disposant d'un monopole légal, qui utilise les ressources de son activité monopolistique pour subventionner une nouvelle activité, ne méconnaît pas, de ce seul fait, les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce. Est susceptible, en revanche, de constituer un abus, aux termes de la décision précitée ainsi que de la décision n° 00-D-50 relative à des pratiques mises en œuvre par la société française des jeux, le fait pour une entreprise disposant d'un monopole légal, c'est-à-dire d'un monopole dont l'acquisition n'a supposé aucune dépense et est insusceptible d'être contesté, d'utiliser tout ou partie de l'excédent de ressources que lui procure son activité sous monopole pour subventionner une offre présentée sur un marché concurrentiel, lorsque la subvention est utilisée pour pratiquer des prix prédateurs ou lorsqu'elle a conditionné une pratique commerciale, qui sans être prédatrice, a entraîné une perturbation durable du marché qui n'aurait pas eu lieu sans elle.

50. S'agissant des prix prédateurs, le Conseil de la concurrence a défini, dans sa décision n° 00-D-70 du 31 janvier 2001 relative à la situation de la concurrence dans le secteur de la distribution du disque à Paris, deux situations :

- "un prix de vente d'un bien ou d'un service durablement inférieur à la moyenne des coûts variables de production de ce bien ou de ce service établit une présomption de volonté d'éviction des concurrents et est en lui-même un prix prédateur" ;

- "un prix de vente inférieur à la moyenne des coûts totaux de production, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieur à la moyenne des coûts variables, doit être considéré comme constitutif d'une pratique de prédation, dès lors que le prix est fixé à ce niveau pour éliminer un concurrent du marché", une telle volonté d'élimination pouvant "soit se manifester par des documents qui en font état, soit être déduite du comportement de l'entreprise en cause, notamment lorsque sa politique tarifaire est différenciée de sa politique commerciale habituelle sans qu'aucune autre raison puisse l'expliquer ou lorsqu'elle a pour cible manifeste un concurrent à éliminer".

51. Au regard de la jurisprudence qui précède, la situation de la société Calliance est la suivante :

EMPLACEMENT TABLEAU

Ainsi, le chiffre d'affaires de la société Calliance est resté supérieur à ses charges variables, sauf pour l'année de démarrage de l'activité, ce qui ne peut être analysé comme trahissant le caractère prédateur des prix pratiqués. En revanche, l'exploitation s'est traduite, au cours des quatre années d'existence de Calliance, par un important déficit (7,5 MF en 1993, 12,15 MF en 1994, 10,2 MF en 1995 et 9,5 MF en 1996) qui a conduit Calliance à mettre fin au développement de son activité en 1996 et à céder les contrats en cours au GIE Calliance gestion pour qu'il les gère jusqu'à leur terme. La décision ainsi prise par GDF de mettre fin à une activité non rentable ne peut, en l'absence d'autres éléments, être considérée comme participant d'une stratégie de fermeture du marché.

52. S'agissant de l'éventuelle perturbation durable du marché, GDF fait valoir que les pratiques qui lui sont imputées n'ont pu avoir aucun effet sur des concurrents inexistants et sur un marché dont le caractère non profitable est attesté par l'absence d'entrants, ledit marché ayant, d'ailleurs, disparu avec la mise en sommeil de la société Calliance en 1996.

53. Bien qu'on ne puisse exclure que l'inexistence de concurrents trouve aussi une explication dans l'accumulation des avantages consentis par GDF à sa filiale Calliance, qui rendaient d'autant plus difficile la contestation de la position de cette entreprise par d'éventuels entrants, il n'est pas permis, en l'espèce, de conclure à un effet de perturbation durable du marché dans les termes de la jurisprudence précitée, eu égard à l'échec que la société Calliance a rencontré assez rapidement dans le développement de son offre globale de chaleur, après quelques années seulement d'exploitation. Le faible succès de l'offre de chaleur proposée par Calliance auprès des utilisateurs potentiels apparaît dans le tableau suivant, qui rapproche la vente de chaleur par Calliance de la consommation de gaz du secteur résidentiel :

EMPLACEMENT TABLEAU

54. Le commissaire du Gouvernement fait néanmoins valoir que, même si les subventions octroyées par GDF à sa filiale n'ont pas eu d'effet sensible sur le marché, leur objet était anticoncurrentiel et devrait être sanctionné en tant que tel.

55. Cependant, les éléments présents au dossier n'établissent pas que GDF aurait poursuivi un objet anticoncurrentiel. En outre, les subventions octroyées par GDF à sa filiale n'étaient pas d'une nature et d'un montant tels que la poursuite d'un tel objet se trouverait établie par l'existence même de ces subventions.

En ce qui concerne les contrats conclus par GDF pour l'achat de compteurs thermiques

56. L'article L. 410-1 du Code du commerce dispose : "Les règles définies au présent livre [livre IV- De la liberté des prix et de la concurrence] s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public".

57. GDF soutient que les compteurs thermiques sont achetés pour son propre compte afin de les incorporer à son activité. Il prétend en être propriétaire et être le seul à les utiliser. Il ajoute que ces matériels ne sont pas commercialisés à des tiers et en tire la conclusion qu'en achetant ces compteurs, il ne s'est pas livré à une activité économique au sens de l'article L. 410-1 du Code de commerce précité.

58. Cependant, les compteurs d'énergie thermique achetés par GDF, pour son propre compte ou pour celui de sa filiale Calliance, doivent servir à mesurer la quantité de chaleur délivrée pour le chauffage et l'eau chaude sanitaire dans chaque logement d'un immeuble et de facturer auprès des différents occupants les quantités effectivement consommées.

L'individualisation de la consommation de chaque logement, que permettent ces compteurs, constitue l'un des éléments du produit mis au point par GDF sous le nom de "chauffage individuel centralisé".

59. Ainsi, lorsque GDF achète des compteurs d'énergie thermique, il n'agit pas en qualité d'utilisateur final, mais dans le but de les commercialiser en les intégrant au service de vente de chaleur. L'achat de compteurs thermiques individuels n'est pas dissociable de l'activité de vente de chaleur et, inversement, l'activité vente de chaleur ne pourrait exister sans la commercialisation desdits compteurs. L'achat de ces compteurs entre donc dans le champ d'application de l'article L. 410-1 précité, et le Conseil de la concurrence a vocation à connaître des pratiques dénoncées.

60. Dans ses décisions n° 00-D-13 du 1er mars 2000, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Armor Hélicoptère, n° 00-D-48 du 10 octobre 2000, relative à une saisine présentée par la société Ipcos et n° 02-D-65 du 28 octobre 2002, relative à la saisine de la société LMCA contre des pratiques d'EDF, le Conseil de la concurrence, rappelant le principe de liberté de choix de l'acheteur, a considéré, notamment, qu'EDF "est libre de choisir ses fournisseurs en formulant certaines exigences techniques dans le respect de la réglementation en vigueur". Par ailleurs, GDF, au cas particulier, avait déjà pu vérifier les performances et les qualités techniques des compteurs d'énergie thermique vendus par les sociétés Schlumberger et Wateau et avait, en conséquence, dispensé ces dernières de se soumettre au programme d'examen d'aptitude. Aucun élément ne vient établir que sa décision aurait été dictée par la volonté d'évincer d'autres fournisseurs du marché et cette volonté n'est pas non plus démontrée par le fait que plusieurs entreprises aient renoncé à présenter leur candidature en raison du coût, élevé à leur yeux, de la procédure de qualification. Il n'est donc pas établi que la pratique de GDF ait eu un objet anticoncurrentiel ou qu'elle ait perturbé ou pu perturber le jeu de la concurrence.

DÉCISION

Article unique : Il n'est pas établi que GDF ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce.